Etude sur Mirabeau de Victor Hugo

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Le peuple, cependant, qui a un sens particulier et le rayon visuel toujours sin- gulièrement droit, qui n’est pas haineux parce qu’il est fort, qui n’est pas envieux parce qu’il est grand, le peuple, qui connaît les hommes, tout enfant qu’il est, le peuple était pour Mirabeau. Mirabeau était selon le peuple de 89, et le peuple de 89 était selon Mirabeau. Il n’est pas de plus beaux spectacles pour le penseur que ces embrassements étroits du génie et de la foule.

L’influence de Mirabeau était niée et était immense. C’était toujours lui, après tout, qui avait raison ; mais il n’avait raison sur l’assemblée que par le peuple, et il gouvernait les chaises curules par les tribunes. Ce que Mirabeau avait dit en mots précis, la foule le redisait en applaudissements ; et, sous la dictée de ces applaudis- sements, bien à contre-cœur souvent, la législature écrivait. Libelles, pamphlets, calomnies, injures, interruptions, menaces, huées, éclats de rire, sifflets, n’étaient tout au plus que des cailloux jetés dans le courant de sa parole, qui servaient par moments à la faire écumer. Voilà tout. Quand l’orateur souverain, pris d’une su- bite pensée, montait à la tribune ; quand cet homme se trouvait face à face avec son peuple ; quand il était là debout et marchant sur l’envieuse assemblée, comme l’homme-Dieu sur la mer, sans être englouti par elle ; quand son regard sardo- nique et lumineux, fixé du haut de cette tribune sur les hommes et sur les idées de son temps, avait l’air de mesurer la petitesse des hommes sur la grandeur des idées, alors il n’était plus ni calomnié, ni hué, ni injurié ; ses ennemis avaient beau faire, avaient beau dire, avaient beau amonceler contre lui, le premier souffle de sa bouche ouverte pour parler faisait crouler tous ces entassements. Quand cet homme était à la tribune dans la fonction de son génie, sa figure devenait splen- dide et tout s’évanouissait devant elle.

Mirabeau, en 1791, était donc tout à la fois bien haï et bien aimé ; génie haï par les beaux esprits, homme aimé par le peuple. C’était une illustre et désirable existence que celle de cet homme qui disposait à son gré de toutes les âmes alors ouvertes vers l’avenir ; qui, avec de magiques paroles et par une sorte d’alchimie mystérieuse, convertissait en pensées, en systèmes, en volontés raisonnées, en plans précis d’amélioration et de réforme, les vagues instincts des multitudes ; qui nourrissait l’esprit de son temps de toutes les idées que sa grande intelligence émiettait sur la foule ; qui, sans relâche et à tour de bras, battait et flagellait sur la table de la tribune, comme le blé sur l’aire, les hommes et les choses de son siècle, pour séparer la paille que la république devait consumer, du grain que la révolution devait féconder ; qui donnait à la fois des insomnies à Louis XVI et à Robespierre, à Louis XVI, dont il attaquait le trône, à Robespierre, dont il eût at- taqué la guillotine ; qui pouvait se dire chaque matin en s’éveillant : Quelle ruine ferai-je aujourd’hui avec ma parole ? qui était pape, en ce sens qu’il menait les esprits ; qui était Dieu, en ce sens qu’il menait les événements.

Il mourut à temps. C’était une tête souveraine et sublime. 91 la couronna. 93 l’eût coupée.

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