Etude sur Mirabeau de Victor Hugo


: : : : :V

La douleur que causa la mort de Mirabeau fut une douleur générale, univer- selle, nationale. On sentit que quelque chose de la pensée publique venait de s’en aller avec cette âme. Mais un fait frappant, et qu’il faut bien dire parce qu’il serait ingénu de l’attribuer à l’admiration emportée et irréfléchie des contemporains, c’est que la cour porta son deuil comme le peuple.

Un sentiment de pudeur insurmontable nous empêche de sonder ici de cer- tains mystères, parties honteuses du grand homme, qui d’ailleurs, selon nous, se perdent heureusement dans les colossales proportions de l’ensemble ; mais il pa- raît prouvé que dans les derniers temps de sa vie la cour affirmait avoir quelques raisons d’espérer en lui. Il est patent qu’à cette époque Mirabeau se cabra plus d’une fois sous l’entraînement révolutionnaire ; qu’il manifesta par moments l’en- vie de faire halte et de laisser rejoindre ; que lui, qui avait tant d’haleine, il ne suivit pas sans essoufflement la marche de plus en plus accélérée des idées nouvelles, et qu’il essaya en quelques occasions d’enrayer cette révolution à laquelle il avait forgé des roues.

Roues fatales, qui écrasaient tant de choses vénérables en passant !

Il y a encore aujourd’hui beaucoup de personnes qui pensent que si Mirabeau avait eu plus longue vie, il aurait fini par mater le mouvement qu’il avait déchaîné. A leur sens, la révolution française pouvait être arrêtée, par un seul homme à la vé- rité, qui était Mirabeau. Dans cette opinion, qui s’autorise d’une parole que Mira- beau mourant n’a évidemment pas prononcée[1], Mirabeau expiré, la monarchie était perdue ; si Mirabeau avait vécu, Louis XVI ne serait pas mort ; et le 2 avril 1791 a engendré le 21 janvier 1793.

Selon nous, ceux qui avaient cette persuasion alors, ceux qui l’ont eue aujour- d’hui, Mirabeau lui-même, s’il croyait cela possible de lui, tous se sont trompés. Pure illusion d’optique chez Mirabeau comme chez les autres, et qui prouverait qu’un grand homme n’a pas toujours une idée nette de l’espèce de puissance qui est en lui !

La révolution française n’était pas un fait simple. Il y avait plus et autre chose que Mirabeau en elle.

Il ne suffisait pas à Mirabeau d’en sortir pour la vider.

Il y avait dans la révolution française du passé et de l’avenir. Mirabeau n’était que le présent.

Pour n’indiquer ici que deux points culminants, la révolution française se com- pliquait de Richelieu dans le passé et de Bonaparte dans l’avenir.

Les révolutions ont cela de particulier que ce n’est pas quand elles sont encore grosses qu’on peut les tuer.

D’ailleurs, en supposant même la question moins abondante qu’elle ne l’est, il est à observer que, dans les choses politiques surtout, ce qu’un homme a fait ne peut guère jamais être défait que par un autre homme.

Le Mirabeau de 91 était impuissant contre le Mirabeau de 89. Son œuvre était plus forte que lui.

Et puis les hommes comme Mirabeau ne sont pas la serrure avec laquelle on peut fermer la porte des révolutions. Ils ne sont que le gond sur lequel elle tourne, pour se clore, il est vrai, comme pour s’ouvrir. Pour fermer cette fatale porte, sur les panneaux de laquelle font incessamment effort toutes les idées, tous les inté- rêts, toutes les passions mal à l’aise dans la société, il faut mettre dans les ferrures une épée en guise de verrou.

[1 : J’emporte le deuil de la monarchie. Après moi les factieux s’endisputeront les morceaux. Cabanis a cru entendre cela.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer