Jim l’Indien

ÉPILOGUE

Trois jours après les événements qu’on vientde retracer, la petite caravane arrivait en vue du territoire deSaint-Paul.

Le major Hachtincson, qui avait escortéjusque-là la famille Brainerd, pour la protéger contre de nouveauxmalheurs, fit faire halte à sa troupe et se prépara à prendre congéde ses nouveaux amis.

– Que Dieu vous garde ! sir, et vousrende plus heureux à l’avenir, dit-il à Brainerd, en lui serrant lamain : Je vous quitte pour rentrer dans le désert où m’appellela chasse Indienne. Vous pouvez compter qu’elle sera vengée plusd’une fois…

– Pas bon ! venger : prier,meilleur, interrompit Jim, qui, pour la première fois peut-être, semêlait à la conversation sans avoir été interpellé.

Le major le regarda pendant quelques minutesavec un sérieux incroyable : puis il secoua la tête d’unefaçon dubitative, et ajouta en style Indien.

– Jim avoir raison peut-être… sang poursang, mauvais !

Et il tortilla pendant quelques instants salongue moustache en réfléchissant ; ensuite il dit avecexplosion.

– Ah ! pourtant, on ne peut soutenirle contraire ; un assassin doit mourir ! autant il m’entombera sous la main, autant j’en tuerai !

– Se défendre, bon ! répliquaJim ; attaquer, mauvais.

– Ces diables d’Indiens parlent peu,observa le major en souriant, mais ils parlent bien. Adieu, mesamis, que Dieu vous garde !

Le peloton de cavalerie était déjà à quelquedistance, lorsque l’officier entendit une voix quil’appelait : c’était Halleck, revenant sur ses pas pour luiparler.

– Sir, dit le jeune homme qui était trèspâle voulez-vous accepter une mission ?

– Volontiers, mon jeune ami : dequoi s’agit-il ?

Halleck tira de sa poche une petite croixsculptée qu’il avait façonnée en route

– Lorsque vous passerez près del’endroit… vous savez ?… Je vous prie de placer cette petitecroix dans une incision que porte le Sumac penché sur sa tombe.

– Oui… je vous le jure ! répondit lemajor en lui serrant énergiquement la main.

– Ensuite, reprit Halleck d’une voix àpeine intelligible, vous vous agenouillerez, vous ferez une prière,et vous lui direz, de ma part, « au revoir ».Merci ! Adieu, ajouta-t-il en s’enfuyant brusquement pourcacher un flot de larmes qui venait de monter à ses paupières.

Le major continua sa routemachinalement ; au bout de quelques secondes, il portavivement un doigt à son œil.

– Diable d’homme ! murmura-t-il,qu’avait-il besoin de venir me tracasser ainsi ?… voilà-t-ilpas que j’ai le coin d’une paupière humide !… Allons,enfants ! un temps de galop ! commanda-t-il à ses hommes.Il faut un peu de mouvement pour me distraire, reprit-il enmonologue ; comme çà, aussi, sa commission sera plus tôtexécutée.

Bientôt la solitude reprit son silencieuxempire ; les Brainerd avaient disparu d’ans la direction duNord, les cavaliers dans celle du Midi ; toute trace humaines’était évanouie au milieu du désert.

Une semaine après l’arrivée des pauvresfugitifs dans la ville de Saint-Paul, M. Brainerd reçut une lettreportant la suscription suivante :

À mistress Brainerd, pour remettre èmiss Maria Allondale.

La bonne dame se hâta de la présenter à Maria,qui, à peine remise de tant de secousses, était encore au lit.

– Oh mon Dieu ! s’écria la jeunefille en regardant l’adresse, qu’y a-t-il encore ? Il mesemble que voilà l’écriture d’Adolphe Halleck.

Et, brisant le cachet d’une main tremblante,elle lut :

« Chère Maria, quand ces lignes serontsous vos yeux, je serai loin de vous, loin de toute ma chèrefamille, à laquelle je dis un adieu suprême.

« Nous avions vécu pendant plusieursannées, amis et fiancés, dans la pensée souriante qu’un jour nousserions mariés ensemble.

« Mais, une catastrophe irréparable, quia soudainement détruit tout mon bonheur et mes espérances, m’aouvert les yeux et m’a appris que nous ne devons, pas… que je nedois pas vivre désormais de la vie de ce monde.

« Soyez libre, Maria, je me suis aperçuque votre cœur éprouve une affection plus particulière pour notrecher cousin Will… soyez libre… et heureuse avec lui ; je vousdégage de toute promesse envers moi.

« De notre ancienne amitié ; ilrestera entre nous une affection sincère et profonde qui nous,unira dans nos souvenirs, dans nos prières, dans nosespérances…

« Je ne vous demande plus qu’une seulechose, c’est d’adresser au ciel des vœux pour que ma voix, qui vaprêcher dans le désert, trouve un écho dans l’âme des malheureuxSauvages ; pour que le Seigneur fertilise en eux la bonneparole que je leur porterai jusqu’au sein de la solitude, pourqu’après avoir muré la voie du ciel aux autres, je parvienne à lasuivre moi-même jusqu’à la fin.

« Adieu ! à revoir dans la Patriecéleste.

« ADOLPHE, Missionnaire indigne deJésus-Christ. »

Quand elle est finie cette lecture, Mariafondit en larmes et cacha sa tête dans le sein de mistressBrainerd, et lui dit d’une voix étouffée :

– Lisez, ma bonne tante, je ne saisvraiment que vous dire.

– C’est un noble cœur ! murmura lavieille dame, après avoir parcouru la lettre, non sans s’essuyerplusieurs fois les yeux. Puis elle ajout en regardant fixement lajeune fille : Il a choisi la meilleure part, et je crois sarésolution aussi bonne pour d’autres que pour lui.

Maria devint rouge comme une fleur de grenadesous le regard de sa tante et s’abrita, sans répondre, sous sonoreiller.

……………………

Quelques mois plus tard un mariage étaitcélébré dans la principale église de Saint-Paul.

L’assistance était modeste, mélancolique, peunombreuse. Mais une atmosphère de piété, d’affection douce etsincère s’exhalait de cette petite réunion. Les jeunes épouxsemblaient profondément heureux et aimants.

C’étaient, on le devine, Maria Allondale etWill Brainerd qui unissaient leur sort. La cérémonie terminée onquitta le séjour de Saint-Paul pour aller habiter une petite fermeque les nouveaux labeurs de John Brainerd avaient su conquérir dansune vallée fertile du Minnesota.

Là, on pouvait vivre et sans inquiétude, enpaix ; car un poste militaire garantissait le territoirecontre toute invasion indienne.

Pendant bien des années, la Clairière de laSainte (c’était le nom donné au lieu où était la tombe de Maggie),fut visitée, chaque automne, par deux pèlerins silencieux etattristés…

L’un d’eux portait la robe noire dumissionnaire ; sur son visage jeune encore, mais pâli par lesrudes épreuves de son saint ministère, se lisait une penséeprofonde et douloureuse.

L’autre, son inséparable compagnon, était unIndien de haute stature, dans la noire chevelure duquel l’âgecommençait à semer de longs fils d’argent.

Tous deux s’agenouillaient sur un tertregazonné qu’eux seuls auraient pu reconnaître, et ils priaientlongtemps en silence pendant que quelques larmes coulaient de leursyeux desséchés par les orages et les soleils du Désert.

Puis, en se relevant, le plus jeune disait àl’autre

– Oui, mon bon Jim, la prière est douceau cœur affligé.

– Prier, penser, espérer, très bon,répondait Jim.

Ensuite Halleck, le jeune missionnaire vieilliavant l’âge, se détournait avec un soupir, et, moissonneurinfatigable, partait pour récolter des âmes.

Un jour l’Indien revint seul et portant uneforme humaine : enveloppée d’un suaire noir.

Il creusa une tombe à côté de celle de lasainte et y déposa son précieux fardeau.

Pendant plusieurs mois on le vit errer dansles bois environnants ; quand l’hiver arriva, la neige n’étaitpas plus blanche que ses cheveux.

Le printemps suivant, au grand réveil de lanature, on trouva des ossements blanchis étendus au pied du Sumac,qui portait la petite croix défigurée, hélas, par bien desorages.

C’étaient les restes du fidèle Jim, du bonIndien dévoué jusqu’à la mort.

FIN.

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