Jim l’Indien

Chapitre 2LÉGENDES DU FOYER.

Après avoir fait des tours et des détours sansnombre, le petit steamer vira de bord se rangea sur le rivage,mouilla son ancre, raidit une amarre, jeta son petit pont volant,et nos deux jeunes passagers débarquèrent.

– Ah ! Will ! c’est toi ?…Comment ça va, vieux gamin ?…

Cette exclamation d’Halleck s’adressait à unrobuste et beau garçon, bronzé par le soleil et le hâle du désert,mais qui demeura tout interdit, ne reconnaissant pas soninterlocuteur.

– Mais, Will ! vous ne voyez doncpas notre cousin Adolphe ? demanda Maria en riant.

– Ha ! ha ! le soleil medonnait donc dans l’œil de ce côté-là ! répondit sur le chample jeune settler ; ça va bien, Halleck ?… jesuis ravi de vous voir ! vous êtes le bienvenu chez nous,croyez-le.

– Je vous crois, mon ami, réponditHalleck en échangeant une cordiale poignée de main ; sanscela, je ne serais point venu. Ah ! mais ! ah mais !vous avez changé, Will ! Peste ! vous voilà unhomme ! je vous ai tenu au bout de mon lorgnon pendant dixminutes, et, jamais je n’aurais soupçonné votre identité, n’eut étéMaria qui n’a su me parler que de vous.

– Est-il impertinent ! mais vousêtes un monstre ! Vingt fois j’ai eu mon ombrelle levée survotre tête pour vous corriger, mais je vais vous punir une bonnefois !

– Prenez ma cane, cousine, ce sera mieuxque votre parasol.

Chacun se mit à rire, on emballa valise,portefeuille, album et boites de peinture dans le caisson ;puis on songea au départ.

– Crois-moi, Will, prend place à côté demoi, laissons-la conduire si elle y consent ; cet exercice luioccupera les deux mains, de cette façon j’aurai peut-être quelquechance de pouvoir causer en paix avec toi. Y connaît-elle quelquechose, aux rênes ?

– Je vais vous démontrer mascience ! s’écria malicieusement la jeune fille, pendant queWill Brainerd s’asseyait derrière elle, à côté d’Adolphe.

– Je vous ai en grande estime sur tousles points, commença ce dernier, mais vous êtes peut-êtreprésomptueuse au-delà… – Ah ! mon Dieu !

L’artiste ne put continuer, il venait detomber en arrière dans la voiture, renversé par le brusque départde l’ardent trotteur auquel la belle écuyère venait de rendre lamain. Après avoir télégraphié quelques instants des pieds et desmains, Halleck se releva, non sans peine, en se frottant latête ; son calme imperturbable ne l’avait point abandonné, ilse réinstalla sur la banquette fort adroitement et soutint sanssourciller le feu de la conversation.

Cependant ses tribulations n’étaient pasfinies ; miss Maria avait lancé le cheval à fond de train, etlui faisait exécuter une vraie course au clocher par-dessuspierres, troncs d’arbres, ruisseaux et ravins ; tellement quepour n’être pas lancé dans les airs comme une balle, Adolphe se vitobligé de se cramponner à deux mains aux courroies du siège :en même temps la voiture faisait, en roulant, un tel fracas, quepour causer il fallait littéralement se livrer à desvociférations.

Au bout d’un mille, à peine, l’album sautahors du caisson, ses feuilles s’éparpillèrent à droite et à gauche,dans un désordre parfait. On mit bien un grand quart d’heure pourramasser les croquis indisciplinés et les paysagesvoltigeants ; puis, lorsqu’ils furent dûment emballés, onrecommença la même course folle.

Cependant la nuit arrivait, on avait déjàlaissée bien des milles en arrière ; le terme du voyagen’apparaissait pas.

– Peut-on espérer d’atteindre aujourd’huile logis de l’oncle John ? demanda Halleck entre deux cahotsqui avaient failli lui faire rendre l’âme.

– Mais oui ! nous ne sommes plusqu’à un mille ou deux de la maison. Regardez là-bas, à,gauche ; voyez-vous cette lumière à travers lesfeuillages ?

– Ah ! ah ! Très bien ;j’aperçois.

– C’est la case ; nous y serons dansquelques instants.

– Si vous le permettez, je prendrai lesrênes ? j’ai peur, mais réellement peur qu’il lui arrivequelque accident.

– J’ai pris sur moi la responsabilité del’attelage, et je ne m’en considérerai comme déchargée que lorsqueje l’aurai amené jusqu’à la porte.

– Eh bien ! Maria, souffrez que jevous donne un conseil d’ami pendant le trajet qui nous reste àfaire d’ici à la maison. Méfiez-vous de votre science ensport ; l’été dernier, je promenais une dame à Central Park,elle a eu la même lubie que vous ; celle de prendre les rêneset de conduire à fond de train… vlan ! elle jette la roue surune borne ! et patatras ! voilà le tilbury enl’air ; il est retombé en dix morceaux, nous deux compris…Coût, vingt dollars !… Le cheval abattu, couronné, hors deservice… Coût, trente dollars !… Total, cinquante :c’était un peu cher pour une fantaisie féminine !

Tout en parlant, riant, se moquant, nos troisvoyageurs finirent par arriver.

L’hospitalière maison de l’oncle John, quoiquedépendant actuellement du comté de Minnesota, avait étéoriginairement construite dans l’Ohio.

Transportée ensuite vers l’Ouest, à, larecherche d’un site convenable, elle avait un peu subi le sort dutemple de Salomon, tout y avait été fait par pièces et parmorceaux ; à tel point que les accessoires en étaient devenusle principal. Finalement, d’additions en additions, les bâtimentsétaient arrivés à représenter une masse imposante. Dans cepêle-mêle de toits ronds, plats, pointus, de hangars, de muraillesen troncs d’arbres, de cours, de ruelles, de galeries, d’escaliers,on croyait voir un village ; on y trouvait assurément leconfortable, le luxe, l’opulence sauvage.

Lorsque la voiture s’arrêta, au bout de sacourse bruyante, la lourde et large porte s’ouvrit en grinçant surses gonds ; un flot de lumière en sortit, dessinant enclair-obscur la silhouette d’un homme de grande taille, coiffé d’unchapeau bas et large, en manches de chemise, et dont la postureindiquait l’attente.

Dés que ses regards eurent pénétré dans lesprofondeurs du véhicule, et constaté que trois personnesl’occupaient, il fut fixé sur leur identité et se répandit enjoyeuses exclamations.

– Whoa ! Polly ! Whoa !cria-t-il d’une voix de stentor ; viens recevoir le wagon.Est-ce vous, Adolphe ? poursuivit-il, en prenant le cheval parla bride.

– D’abord, affirmez-moi, cher oncle, quevous tenez solidement cet animal endiablé ; bon !Maintenant, je m’empresse de répondre ; oui, c’est moi, qui meréjouis de vous rendre visite.

– Ah ! toujours farceur ! Ravide te voir, mon garçon ! Allons, saute en bas, et courons ausalon. Là, donne la main ; voilà ta valise ; en avant,marche ! Je vous suivrai tous lorsque Polly sera arrivé.

Les trois voyageurs furent prompts à obéir eten entrant dans le parloir, furent cordialement accueillis par leurexcellente et digne tante, mistress Brainerd. Maggiequitta avec empressement le piano pour courir au-devant de sonfrère et de sa cousine ; mais elle recula timidement àl’aspect inattendu d’un étranger. Cependant elle reconnut bien viteAdolphe qui avait été son compagnon d’enfance, et ne lui laissa pasle temps de dire son nom.

– Eh quoi ! c’est vous, moncousin ? s’écria-t-elle avec un charmant sourire ; quellefrayeur vous m’avez faite !

– Je m’empresse de la dissiper ;répliqua l’artiste en lui tendant la main avec son sans façonhabituel ; touchez-là ! cousine, je suis un revenant,mais en chair et en os.

– Hé ! jeunes gens ! nous vousattendions pour souper ; interrompit l’oncle John, qui venaitd’arriver ; je ne crois pas nécessaire de vous demander sivous avez bon appétit.

– Ceci va vous être démontré, réponditAdolphe en riant ; quoique Maria m’ait secoué à me faireperdre tout bon sentiment, je sens que je me remets un peu.

On s’attabla devant un de ces abondants repasqui réjouissent les robustes estomacs du forestier et du laborieuxsettler, mais qui feraient pâlir un citadin ; chacunaborda courageusement son rôle de joyeux convive.

L’oncle John était d’humeur joviale, grandparleur, grand hâbleur, possédant la rare faculté de débiter sansrire les histoires les plus hétéroclites. Sa femme, douce etgracieuse, un peu solennelle, méticuleuse sur les convenances,grondait de temps en temps lorsque quelqu’un de la familleenfreignait l’étiquette dont elle donnait le plus parfaitexemple : mais ses reproches faisaient fort minime impressionsur mistress Brainerd.

Le jeune Will, modeste et réservé pour sonâge, quoiqu’il eût des dispositions naturelles à une gaîtécommunicative, était loin d’atteindre le niveau paternel. Maggieétait extrêmement timide, parlait peu, se contentant de répondrelorsqu’on l’interrogeait, ou lorsque l’imperturbable Adolphe laprenait malicieusement à partie.

Quant à, Maria, c’était la folle dulogis ; rien ne pouvait suspendre son charmant babil ;son intarissable conversation était un feu d’artifice ; elletenait tout le monde en joie.

Quoiqu’on fût à la fin du mois d’août, lasoirée était tiède, admirable, parfumée comme une nuit d’été.

– Oui ! l’atmosphère est pure dansnos belles prairies de l’Ouest, dit M. Brainerd en réponse à uneobservation d’Halleck ; toute la belle saison est ainsi. Tu asbien fait de fuir les mortelles émanations des villes.

– Hum ! je ne les ai pas entièrementesquivées cette année. En juin, j’étais à New York, en juillet, àPhiladelphie ; il y avait de quoi rôtir !

– Eh bien ! puisque te voilà avecnous, tu peux passer l’hiver ici. Tu auras une idée du froid leplus accompli que tu aies rencontré de l’autre côté duMississipi.

– Je m’aperçois que vous êtes disposés àproclamer la supériorité de cette région, en tous points ;mais si vous me prophétisez un hiver encore plus rigoureux que ceuxde l’Est, je serai fort empressé de vous quitter avant cettelamentable saison.

– Froid !… un hiver froid… Pour voirça, il aurait fallu être ici l’année dernière. Polly ? voussouvenez-vous ? Comment trouvez-vous ceci, mon neveu ?Les yeux d’un homme gelaient instantanément, son nez setransformait en une pyramide de glace, s’il se hasardait à aspirerune bouffée d’air extérieur, en ouvrant la porte !

– Si jamais chose pareille m’arrive, jeconsidérerai cela comme une remarquable occurrence.

– Oh ma femme ne l’oubliera jamais !Un jour, le plus gros de nos porcs s’avise de sortir de l’écurie.Je le suivais par derrière, et je remarquais sa démarche ;elle devenait successivement lente et embarrassée, comme si sesnerfs s’étaient raidis intérieurement. Tout-à-coup il s’arrêta avecun sourd grognement ; il me fut impossible de le faire bougerde place ; oui, j’eus beau le tirer en long et en large, rienne fit. Alors, je m’aperçus que ses pieds étaient gelés dans leursempreintes, ils y étaient fixés, fermes comme rocs ; plusmoyen de remuer ! Heureusement le dégel arriva au mois defévrier ; alors le pauvre animal put rentrer à l’écurie.

– Combien de temps était-il resté danscette curieuse position ?

– Eh ! une semaine, au moins ;n’est-ce pas, Polly ?

– Oh ! John ! fitmistress Brainerd avec un accent de reproche.

– Bien plus ! poursuivitimpitoyablement oncle John ; Maggie, ayant entrepris de jouerla fameuse sonate, Étoile et Bannière, frappa inutilement lestouches, pas un son ne sortit, puis, lorsqu’on fit du feu,l’atmosphère dégela, les notes alors s’envolèrent une à une etjouèrent un air bizarre. Le même Jour, l’argent vif du thermomètredescendit si bas qu’il sortit par-dessous l’instrument, depuis lorsil n’a plus pu marcher. Oui, mon pauvre Adolphe, tous les hiversnous avons des froids pareils.

– Eh bien, mon oncle, il n’y a pas dedanger que je reste ici pour les affronter, vos hivers !Comment les Indiens peuvent-ils les supporter ?

– Ah ? je savais bien que notrecousin ne resterait pas longtemps sans aborder ce sujet, s’écriarieusement Maria ; je m’étonnais à chaque instant de ne pasl’avoir entendu faire une question là-dessus.

Comment ils les supportent ?… Avez-vousjamais entendu dire qu’un Indien soit mort de froid ?… Dansl’hiver dont je te parle, Christian Jim vint ici, au retour de lachasse. Ce gaillard là avait tout juste assez de vêtements pour nepas nous faire rougir : Eh bien ! lorsque sa femme luidemande s’il avait froid, il se mit à rire et retroussa sesmanches.

– J’aimerais voir cet Indien. De quelletribu est-il ? demanda Halleck avec une animationextraordinaire.

– Il est Sioux ; ces gens-làpullulent autour de nous.

– Peuplade splendide ! race noble,chevaleresque, superbe ! n’est-ce pas ?

Pour la première fois de la soirée, l’oncleJohn éclata d’un rire retentissant ; la bonnemistress Brainerd, elle-même, ne put se contenir. Quant àMaria, son hilarité n’avait pas de bornes.

– Ah çà ! mais, qu’avez-vous donctous ?… demanda l’artiste un peu décontenancé par l’accueilfait à son interjection.

– Dans trois mois d’ici, tu riras plusfort que nous, mon cher enfant, se hâta de dire mistressBrainerd pour le consoler ; la poésie et le romantique de tesidées ne pourront tenir devant la vulgaire réalité.

– Quel malheur ! Maria m’en a ditautant sur le paquebot. Je croyais avoir la chance de pénétrerassez loin dans l’Ouest, pour y voir la vraie race rouge, dans sapureté originaire.

– Oh ! tu en trouveras, mon bon,reprit l’oncle John ; tu verras des spécimens purs dans cetterégion ; à première vue tu en auras assez.

– J’aimerais à en dessiner quelques-uns…les chefs les plus soignés ?… J’ai entendu parler d’unPetit-Corbeau, lorsque j’étais à Saint-Paul. Voilà un portrait queje voudrais faire, ah ! comme j’enlèverais çà !

– Dans mon opinion, ce sera plutôt luiqui t’enlèvera, si l’occasion se présente. C’est un diable, unbrigand incarné, un vrai Sauvage.

– À quoi doit-il sa réputation ?

– On ne sait pas trop ; réponditWill ; à peu de chose, assurément : c’est lui qui…

Le jeune homme s’arrêta court ; il venaitde rencontrer un regard furibond de son père, appuyé d’un« Ahem » vigoureux qui fit résonner les verres.

Ce télégramme échangé entre le père et lefils, ne fût caché pour personne ; peut-être deux ou troisconvives en devinèrent la vraie signification : tousdemeurèrent pendant quelques instants muets et embarrassés. À lafin, Halleck, avec la présence d’esprit et la courtoisie qui lecaractérisaient, s’empressa de détourner la conversation.

– Vous ne pourrez nier, dit-il, que lesHommes rouges n’aient fourni quelques individus remarquables,dignes d’être comparés à nos plus grands généraux ; Philippe,Pontiac, Tecumseh, et quelques autres ; sans doute il n’y enn’a pas en abondance parmi eux, mais, je voue le répète, mes amis,ce qui caractérise le Sauvage, c’est la force, visantica ! ajouta-t-il en promenant autour de lui un regardconvaincu.

– Nul doute qu’Albert Pike ne se soitaperçu de cela, depuis longtemps ; riposta l’oncle John avecun sérieux perfide ; et j’estime que si nous avions acceptéles alliances offertes par les Comanches dans la guerre du Mexique,le casus belli serait aujourd’hui tranché.

– Vous êtes tous ligués contre moi, jeperds mon éloquence avec vous. Maggie ! ne pourriez-vous pasprendre un peu mon parti ?

La jeune fille rougit à cette interpellationinattendue, et répondit avec une petite voix douce.

– Je serais bien ravie, mon cousin,d’être votre alliée. Jadis, j’aurais eu un peu les mêmes idées quevous, mais une courte résidence ici a sufi pour les dissiper. Jecrois, en vérité, que notre existence occidentale ne renferme aucunélément romantique.

– Eh bien ! je ne vous parlerai plusraison puisque vous êtes tous contre moi ! Oncle John, quelgibier y a-t-il dans le Minnesota ?

– De toute espèce. Depuis l’ours grisjusqu’à la fourmi.

– Vous n’avez pas la prétention de mefaire croire que, dans vos parages, on trouve des monstrespareils ?

Quoi ? des fourmis ?

– Non ; des ours grizzly.

– On ne les voit guères hors desmontagnes ; mais on rencontre assez souvent les autres espècesdans les prairies. Il n’y a pas une semaine que Maggie, encueillant des fraises, se trouva, sans s’en douter, nez à nez avecun de ces gros messieurs bruns.

– Vous voulez plaisanter ! s’écriaHalleck dans la consternation : et, comment cela s’est-ilpassé ?

– On ne pourrait dire lequel fut pluseffrayé, de la fille ou de l’ours. Chacun s’est sauvé à toutesjambes ; l’ours, peut-être, court encore. En en parlant,Adolphe, voudriez-vous manger une tranche d’ours braisé ?

– Oh ! ne me parlez pas de ça !j’aimerais mieux manger du mulet ou du cheval !

– Peuh ! je ne dis pas… ces animauxont un autre goût… un autre fumet…

– Je vous crois, et ne désire pas fairela comparaison. Peut-on bien supporter pareille mangeaille !Allez donc proposer à un habitué de la ménagerie de New York desbeefsteaks de Sampson l’ours qui a mangé le vieil AdamGrizzly !

– Enfin, mon cher neveu, tu ferais commeles Indiens, après tout : et tu y prendrais goût,peut-être.

Halleck fit une grimace négative et tendit sonassiette à mistress Brainerd en disant :

– Chère tante, veuillez me donner unepetite tranche de votre excellent roastbeef ; je me sens un appétit féroce, ce soir.

– Vous ne pouvez vous imaginer… Sic’était bien cuit, bien tendre, bien servi devant vous… observa lejeune Will avec un tranquille sourire ; vous en digérerieztrès bien une portion.

– Impossible, impossible ! je vousle répète. Il y a des choses auxquelles on ne peut se faire. Je nesuis pas difficile à contenter, cependant je sens que jamais je nepourrai supporter pareille nourriture.

– Mais les Indiens ?…

– Ah ! si j’en étais un, le casserait différent ; mais je suis dans une peau blanche, et jetiens à mes goûts.

– Enfin ! poursuivit l’oncle Johnqui semblait prendre un plaisir tout particulier à insister sur cepoint ; tu pourrais bien en goûter un morceau exigu, pas plusgros que le petit doigt.

– Mon oncle ! inutile ! Del’ipécacuanha, du ricin, de l’eau-forte, tout ce que vous voudrez,excepté cet horrible régal.

– En tout cas, vous reviendrez uneseconde fois à ceci, observa mistress Brainerd en prenantl’assiette de l’artiste, avec son sourire doux et calme ; ilne faut pas que vous sortiez de table, affamé.

– Volontiers, ma tante, bienvolontiers : je suis tout honteux ce soir, d’avoir un appétitaussi immodéré, ou d’être aussi gourmand, car ceroastbeef est délicieux.

– Ah ! mon garçon ! quelqu’unsans appétit, dans ce pays-ci, serait un phénomène ; va !mange toujours ! reprit l’oncle John facétieusement ; jen’ai qu’un regret, c’est de ne pouvoir te convertir àl’ursophagie.

– Voyons ! ne me parlez plus deça ! je n’en toucherais pas une miette, pour un million dedollars.

– Finalement, vous êtes content de votresouper ?

– Quelle question ! c’est un festindigne de Lucullus.

– Mon mignon ! tu n’as pas mangéautre chose que des tranches d’ours noir !

– Ah-oo-ah ! rugit l’artiste en selevant avec furie, et prenant la fuite au milieu de l’hilaritégénérale.

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