La Fortune des Rougon

Chapitre 1

 

Lorsqu’on sort de Plassans par la porte de Rome, située au sudde la ville, on trouve, à droite de la route de Nice, après avoirdépassé les premières maisons du faubourg, un terrain vague désignédans le pays sous le nom d’aire Saint-Mittre.

L’aire Saint-Mittre est un carré long, d’une certaine étendue,qui s’allonge au ras du trottoir de la route, dont une simple banded’herbe usée la sépare. D’un côté, à droite, une ruelle, qui va seterminer en cul-de-sac, la borde d’une rangée de masures ; àgauche et au fond, elle est close par deux pans de muraille rongésde mousse, au-dessus desquels on aperçoit les branches hautes desmûriers du Jas-Meiffren, grande propriété qui a son entrée plus basdans le faubourg. Ainsi fermée de trois côtés, l’aire est comme uneplace qui ne conduit nulle part et que les promeneurs seulstraversent.

Anciennement, il y avait là un cimetière placé sous laprotection de Saint-Mittre, un saint provençal fort honoré dans lacontrée. Les vieux de Plassans, en 1851, se souvenaient encored’avoir vu debout les murs de ce cimetière, qui était resté fermépendant des années. La terre, que l’on gorgeait de cadavres depuisplus d’un siècle, suait la mort, et l’on avait dû ouvrir un nouveauchamp de sépultures à l’autre bout de la ville. Abandonné, l’anciencimetière s’était épuré à chaque printemps, en se couvrant d’unevégétation noire et drue. Ce sol gras, dans lequel les fossoyeursne pouvaient plus donner un coup de bêche sans arracher quelquelambeau humain, eut une fertilité formidable. De la route, aprèsles pluies de mai et les soleils de juin, on apercevait les pointesdes herbes qui débordaient les murs ; en dedans, c’était unemer d’un vert sombre, profonde, piquée de fleurs larges, d’un éclatsingulier. On sentait en dessous, dans l’ombre des tiges pressées,le terreau humide qui bouillait et suintait la sève.

Une des curiosités de ce champ était alors des poiriers aux brastordus, aux nœuds monstrueux, dont pas une ménagère de Plassansn’aurait voulu cueillir les fruits énormes. Dans la ville, onparlait de ces fruits avec des grimaces de dégoût ; mais lesgamins du faubourg n’avaient pas de ces délicatesses, et ilsescaladaient la muraille, par bandes, le soir, au crépuscule, pouraller voler les poires, avant même qu’elles fussent mûres.

La vie ardente des herbes et des arbres eut bientôt dévoré toutela mort de l’ancien cimetière Saint-Mittre ; la pourriturehumaine fut mangée avidement par les fleurs et les fruits, et ilarriva qu’on ne sentit plus, en passant le long de ce cloaque, queles senteurs pénétrantes des giroflées sauvages. Ce fut l’affairede quelques étés.

Vers ce temps, la ville songea à tirer parti de ce biencommunal, qui dormait inutile. On abattit les murs longeant laroute et l’impasse, on arracha les herbes et les poiriers. Puis ondéménagea le cimetière. Le sol fut fouillé à plusieurs mètres, etl’on amoncela, dans un coin, les ossements que la terre voulut bienrendre. Pendant près d’un mois, les gamins, qui pleuraient lespoiriers, jouèrent aux boules avec des crânes ; de mauvaisplaisants pendirent, une nuit, des fémurs et des tibias à tous lescordons de sonnette de la ville. Ce scandale, dont Plassans gardeencore le souvenir, ne cessa que le jour où l’on se décida à allerjeter le tas d’os au fond d’un trou creusé dans le nouveaucimetière. Mais, en province, les travaux se font avec une sagelenteur, et les habitants, durant une grande semaine, virent, deloin en loin, un seul tombereau transportant des débris humains,comme il aurait transporté des plâtras. Le pis était que cetombereau devait traverser Plassans dans toute sa longueur, et quele mauvais pavé des rues lui faisait semer, à chaque cahot, desfragments d’os et des poignées de terre grasse. Pas la moindrecérémonie religieuse ; un charroi lent et brutal. Jamais villene fut plus écœurée.

Pendant plusieurs années, le terrain de l’ancien cimetièreSaint-Mittre resta un objet d’épouvante. Ouvert à tous venants, surle bord d’une grande route, il demeura désert, en proie de nouveauaux herbes folles. La ville, qui comptait sans doute le vendre et yvoir bâtir des maisons, ne dut pas trouver d’acquéreur ;peut-être le souvenir du tas d’os et de ce tombereau allant etvenant par les rues, seul, avec le lourd entêtement d’un cauchemar,fit-il reculer les gens ; peut-être faut-il plutôt expliquerle fait par les paresses de la province, par cette répugnancequ’elle éprouve à détruire et à reconstruire. La vérité est que laville garda le terrain, et qu’elle finit même par oublier son désirde le vendre. Elle ne l’entoura seulement pas d’unepalissade ; entra qui voulut. Et, peu à peu, les annéesaidant, on s’habitua à ce coin vide ; on s’assit sur l’herbedes bords, on traversa le champ, on le peupla. Quand les pieds despromeneurs eurent usé le tapis d’herbe, et que la terre battue futdevenue grise et dure, l’ancien cimetière eut quelque ressemblanceavec une place publique mal nivelée. Pour mieux effacer toutsouvenir répugnant, les habitants furent, à leur insu, conduitslentement à changer l’appellation du terrain ; on se contentade garder le nom du saint, dont on baptisa également le cul-de-sacqui se creuse dans un coin du champ ; il y eut l’aireSaint-Mittre et l’impasse Saint-Mittre.

Ces faits datent de loin. Depuis plus de trente ans, l’aireSaint-Mittre a une physionomie particulière. La ville, bien tropinsouciante et endormie pour en tirer un bon parti, l’a louée,moyennant une faible somme, à des charrons du faubourg qui en ontfait un chantier de bois. Elle est encore aujourd’hui encombrée depoutres énormes, de dix à quinze mètres de longueur, gisant çà etlà, par tas, pareilles à des faisceaux de hautes colonnesrenversées sur le sol. Ces tas de poutres, ces sortes de mâts posésparallèlement et qui vont d’un bout du champ à l’autre, sont unecontinuelle joie pour les gamins. Des pièces de bois ayant glissé,le terrain se trouve, en certains endroits, complètement recouvertpar une espèce de parquet, aux feuilles arrondies, sur lequel onn’arrive à marcher qu’avec des miracles d’équilibre. Tout le jour,des bandes d’enfants se livrent à cet exercice. On les voit sautantles gros madriers, suivant à la file les arêtes étroites, setraînant à califourchon, jeux variés qui se terminent généralementpar des bousculades et des larmes ; ou bien ils s’assoient unedouzaine, serrés les uns contre les autres, sur le bout mince d’unepoutre élevée de quelques pieds au-dessus du sol, et ils sebalancent pendant des heures. L’aire Saint-Mittre est ainsi devenuele lieu de récréation où tous les fonds de culotte des galopins dufaubourg viennent s’user depuis plus d’un quart de siècle.

Ce qui a achevé de donner à ce coin perdu un caractère étrange,c’est l’élection de domicile que, par un usage traditionnel, y fontles bohémiens de passage. Dès qu’une de ces maisons roulantes, quicontiennent une tribu entière, arrive à Plassans, elle va seremiser au fond de l’aire Saint-Mittre. Aussi la place n’est-ellejamais vide ; il y a toujours là quelque bande aux alluressingulières, quelque troupe d’hommes fauves et de femmeshorriblement séchées, parmi lesquels on voit se rouler à terre desgroupes de beaux enfants. Ce monde vit sans honte, en plein air,devant tous, faisant bouillir leur marmite, mangeant des chosessans nom, étalant leurs nippes trouées, dormant, se battant,s’embrassant, puant la saleté et la misère.

Le champ mort et désert, où les frelons autrefois bourdonnaientseuls autour des fleurs grasses, dans le silence écrasant dusoleil, est ainsi devenu un lieu retentissant, qu’emplissent debruit les querelles des bohémiens et les cris aigus des jeunesvauriens du faubourg. Une scierie, qui débite dans un coin lespoutres du chantier, grince, servant de basse sourde et continueaux voix aigres. Cette scierie est toute primitive : la piècede bois est posée sur deux tréteaux élevés, et deux scieurs delong, l’un en haut, monté sur la poutre même, l’autre en bas,aveuglé par la sciure qui tombe, impriment à une large et fortelame de scie un continuel mouvement de va-et-vient. Pendant desheures, ces hommes se plient, pareils à des pantins articulés, avecune régularité et une sécheresse de machine. Le bois qu’ilsdébitent est rangé, le long de la muraille du fond, par tas hautsde deux ou trois mètres, et méthodiquement construits, planche àplanche, en forme de cube parfait. Ces sortes de meules carrées,qui restent souvent là plusieurs saisons, rongées d’herbes au rasdu sol, sont un des charmes de l’aire Saint-Mittre. Elles ménagentdes sentiers mystérieux, étroits et discrets, qui conduisent à uneallée plus large, laissée entre les tas et la muraille. C’est undésert, une bande de verdure d’où l’on ne voit que des morceaux deciel. Dans cette allée, dont les murs sont tendus de mousse et dontle sol semble couvert d’un tapis de haute laine, règnent encore lavégétation puissante et le silence frissonnant de l’anciencimetière. On y sent courir ces souffles chauds et vagues desvoluptés de la mort qui sortent des vieilles tombes chauffées parles grands soleils. Il n’y a pas, dans la campagne de Plassans, unendroit plus ému, plus vibrant de tiédeur, de solitude et d’amour.C’est là où il est exquis d’aimer. Lorsqu’on vida le cimetière, ondut entasser les ossements dans ce coin, car il n’est pas rare,encore aujourd’hui, en fouillant du pied l’herbe humide, d’ydéterrer des fragments de crâne.

Personne, d’ailleurs, ne songe plus aux morts qui ont dormi souscette herbe. Dans le jour, les enfants seuls vont derrière les tasde bois lorsqu’ils jouent à cache-cache. L’allée verte reste viergeet ignorée. On ne voit que le chantier encombré de poutres et grisde poussière. Le matin et l’après-midi, quand le soleil est tiède,le terrain entier grouille, et au-dessus de toute cette turbulence,au-dessus des galopins jouant parmi les pièces de bois et desbohémiens attisant le feu sous leur marmite, la silhouette sèche duscieur de long monté sur sa poutre se détache en plein ciel, allantet venant avec un mouvement régulier de balancier, comme pourrégler la vie ardente et nouvelle qui a poussé dans cet ancienchamp d’éternel repos. Il n’y a que les vieux, assis sur lespoutres et se chauffant au soleil couchant, qui parfois parlentencore entre eux des os qu’ils ont vu jadis charrier dans les ruesde Plassans, par le tombereau légendaire.

Lorsque la nuit tombe, l’aire Saint-Mittre se vide, se creuse,pareille à un grand trou noir. Au fond, on n’aperçoit plus que lalueur mourante du feu des bohémiens. Par moments, des ombresdisparaissent silencieusement dans la masse épaisse des ténèbres.L’hiver surtout, le lieu devient sinistre.

Un dimanche soir, vers sept heures, un jeune homme sortitdoucement de l’impasse Saint-Mittre, et, rasant les murs, s’engageaparmi les poutres du chantier. On était dans les premiers jours dedécembre 1851. Il faisait un froid sec. La lune, pleine en cemoment, avait ces clartés aiguës particulières aux lunes d’hiver.Le chantier, cette nuit-là, ne se creusait pas sinistrement commepar les nuits pluvieuses ; éclairé de larges nappes de lumièreblanche, il s’étendait dans le silence et l’immobilité du froid,avec une mélancolie douce.

Le jeune homme s’arrêta quelques secondes sur le bord du champ,regardant devant lui d’un air de défiance. Il tenait, cachée soussa veste, la crosse d’un long fusil, dont le canon, baissé vers laterre, luisait au clair de lune. Serrant l’arme contre sa poitrine,il scruta attentivement du regard les carrés de ténèbres que lestas de planches jetaient au fond du terrain. Il y avait là comme undamier blanc et noir de lumière et d’ombre, aux cases nettementcoupées. Au milieu de l’aire, sur un morceau du sol gris et nu, lestréteaux des scieurs de long se dessinaient, allongés, étroits,bizarres, pareils à une monstrueuse figure géométrique tracée àl’encre sur du papier. Le reste du chantier, le parquet de poutres,n’était qu’un vaste lit où la clarté dormait, à peine striée deminces raies noires par les lignes d’ombres qui coulaient le longdes gros madriers. Sous cette lune d’hiver, dans le silence glacé,ce flot de mâts couchés, immobiles, comme raidis de sommeil et defroid, rappelait les morts du vieux cimetière. Le jeune homme nejeta sur cet espace vide qu’un rapide coup d’œil ; pas unêtre, pas un souffle, aucun péril d’être vu ni entendu. Les tachessombres du fond l’inquiétaient davantage. Cependant, après un courtexamen, il se hasarda, il traversa rapidement le chantier.

Dès qu’il se sentit à couvert, il ralentit sa marche. Il étaitalors dans l’allée verte qui longe la muraille, derrière lesplanches. Là, il n’entendit même plus le bruit de ses pas ;l’herbe gelée craquait à peine sous ses pieds. Un sentiment debien-être parut s’emparer de lui. Il devait aimer ce lieu, n’ycraindre aucun danger, n’y rien venir chercher, que de doux et debon. Il cessa de cacher son fusil. L’allée s’allongeait, pareille àune tranchée d’ombre ; de loin en loin, la lune, glissantentre deux tas de planches, coupait l’herbe d’une raie de lumière.Tout dormait, les ténèbres et les clartés, d’un sommeil profond,doux et triste. Rien de comparable à la paix de ce sentier. Lejeune homme le suivit dans toute sa longueur. Au bout, à l’endroitoù les murailles du Jas-Meiffren font un angle, il s’arrêta,prêtant l’oreille, comme pour écouter si quelque bruit ne venaitpas de la propriété voisine. Puis, n’entendant rien, il se baissa,écarta une planche et cacha son fusil dans un tas de bois.

Il y avait là, dans l’angle, une vieille pierre tombale, oubliéelors du déménagement de l’ancien cimetière, et qui, posée sur champet un peu de biais, faisait une sorte de banc élevé. La pluie enavait émietté les bords, la mousse la rongeait lentement. On eûtcependant pu lire encore, au clair de lune, ce fragment d’épitaphegravé sur la face qui entrait en terre : Cy-gist…Marie… morte…Le temps avait effacé le reste.

Quand il eut caché son fusil, le jeune homme, écoutant denouveau et n’entendant toujours rien, se décida à monter sur lapierre. Le mur était bas ; il posa les coudes sur le chaperon.Mais au-delà de la rangée de mûriers qui longe la muraille, il nevit qu’une plaine de lumière ; les terres du Jas-Meiffren,plates et sans arbres, s’étendaient sous la lune comme une immensepièce de linge écru ; à une centaine de mètres, l’habitationet les communs habités par le méger faisaient des taches d’un blancplus éclatant. Le jeune homme regardait de ce côté avec inquiétude,lorsqu’une horloge de la ville se mit à sonner sept heures, à coupsgraves et lents. Il compta les coups, puis il descendit de lapierre comme surpris et soulagé.

Il s’assit sur le banc en homme qui consent à une longueattente. Il ne semblait même pas sentir le froid. Pendant prèsd’une demi-heure, il demeura immobile, les yeux fixés sur une massed’ombre, songeur. Il s’était placé dans un coin noir ; mais,peu à peu, la lune qui montait le gagna, et sa tête se trouva enpleine clarté.

C’était un garçon à l’air vigoureux, dont la bouche fine et lapeau encore délicate annonçaient la jeunesse. Il devait avoirdix-sept ans. Il était beau d’une beauté caractéristique.

Sa face, maigre et allongée, semblait creusée par le coup depouce d’un sculpteur puissant ; le front montueux, les arcadessourcilières proéminentes, le nez en bec d’aigle, le menton faitd’un large méplat, les joues accusant les pommettes et coupées deplans fuyants, donnaient à la tête un relief d’une vigueursingulière. Avec l’âge, cette tête devait prendre un caractèreosseux trop prononcé, une maigreur de chevalier errant. Mais, àcette heure de puberté, à peine couverte aux joues et au menton depoils follets, elle était corrigée dans sa rudesse par certainesmollesses charmantes, par certains coins de la physionomie restésvagues et enfantins. Les yeux, d’un noir tendre, encore noyésd’adolescence, mettaient aussi de la douceur dans ce masqueénergique. Toutes les femmes n’auraient point aimé cet enfant, caril était loin d’être ce qu’on nomme un joli garçon ; maisl’ensemble de ses traits avait une vie si ardente et sisympathique, une telle beauté d’enthousiasme et de force, que lesfilles de sa province, ces filles brûlées du Midi, devaient rêverde lui, lorsqu’il venait à passer devant leur porte, par leschaudes soirées de juillet.

Il songeait toujours, assis sur la pierre tombale, ne sentantpas les clartés de la lune qui coulaient maintenant le long de sapoitrine et de ses jambes. Il était de taille moyenne, légèrementtrapu. Au bout de ses bras trop développés, des mains d’ouvrier,que le travail avait déjà durcies, s’emmanchaient solidement ;ses pieds, chaussés de gros souliers lacés, paraissaient forts,carrés du bout. Par les attaches et les extrémités, par l’attitudealourdie des membres, il était peuple ; mais il y avait enlui, dans le redressement du cou et dans les lueurs pensantes desyeux, comme une révolte sourde contre l’abrutissement du métiermanuel qui commençait à le courber vers la terre. Ce devait êtreune nature intelligente noyée au fond de la pesanteur de sa race etde sa classe, un de ces esprits tendres et exquis logés en pleinechair, et qui souffrent de ne pouvoir sortir rayonnants de leurépaisse enveloppe. Aussi, dans sa force, paraissait-il timide etinquiet, ayant honte à son insu de se sentir incomplet et de nesavoir comment se compléter. Brave enfant, dont les ignorancesétaient devenues des enthousiasmes, cœur d’homme servi par uneraison de petit garçon, capable d’abandons comme une femme et decourage comme un héros. Ce soir-là, il était vêtu d’un pantalon etd’une veste de velours de coton verdâtre à petites côtes. Unchapeau de feutre mou, posé légèrement en arrière, lui jetait aufront une raie d’ombre.

Lorsque la demie sonna à l’horloge voisine, il fut tiré ensursaut de sa rêverie. En se voyant blanc de lumière, il regardadevant lui avec inquiétude. D’un mouvement brusque, il rentra dansle noir, mais il ne put retrouver le fil de sa rêverie. Il sentitalors que ses pieds et ses mains se glaçaient, et l’impatience lereprit. Il monta de nouveau jeter un coup d’œil dans leJas-Meiffren, toujours silencieux et vide. Puis, ne sachant pluscomment tuer le temps, il redescendit, prit son fusil dans le tasde planches, où il l’avait caché, et s’amusa à en faire jouer labatterie. Cette arme était une longue et lourde carabine qui avaitsans doute appartenu à quelque contrebandier ; à l’épaisseurde la crosse et à la culasse puissante du canon, on reconnaissaitun ancien fusil à pierre qu’un armurier du pays avait transformé enfusil à piston. On voit de ces carabines-là accrochées dans lesfermes, au-dessus des cheminées. Le jeune homme caressait son armeavec amour ; il rabattit le chien à plus de vingt reprises,introduisit son petit doigt dans le canon, examina attentivement lacrosse. Peu à peu, il s’anima d’un jeune enthousiasme, auquel semêlait quelque enfantillage. Il finit par mettre la carabine enjoue, visant dans le vide, comme un conscrit qui faitl’exercice.

Huit heures ne devaient pas tarder à sonner. Il gardait son armeen joue depuis une grande minute, lorsqu’une voix, légère comme unsouffle, basse et haletante, vint du Jas-Meiffren.

« Es-tu là, Silvère ? » demanda la voix.

Silvère laissa tomber son fusil, et, d’un bond, se trouva sur lapierre tombale.

« Oui, oui, répondit-il, en étouffant également sa voix…Attends, je vais t’aider. »

Il n’avait pas encore tendu les bras, qu’une tête de jeune filleapparut au-dessus de la muraille. L’enfant, avec une agilitésingulière, s’était aidée du tronc d’un mûrier et avait grimpécomme une jeune chatte. À la certitude et à l’aisance de sesmouvements, on voyait que cet étrange chemin devait lui êtrefamilier. En un clin d’œil, elle se trouva assise sur le chaperondu mur. Alors Silvère la prit dans ses bras et la posa sur le banc.Mais elle se débattit.

« Laisse donc, disait-elle avec un rire de gamine qui joue,laisse donc… Je sais bien descendre toute seule. »

Puis, quand elle fut sur la pierre :

« Tu m’attends depuis longtemps ?… J’ai couru, je suistout essoufflée. »

Silvère ne répondit pas. Il ne paraissait guère en train derire, il regardait l’enfant d’un air chagrin. Il s’assit à côtéd’elle, en disant :

« Je voulais te voir, Miette. Je t’aurais attendue toute lanuit… Je pars demain matin, au jour. »

Miette venait d’apercevoir le fusil couché sur l’herbe. Elledevint grave, elle murmura :

« Ah !… c’est décidé… voilà ton fusil… »

Il y eut un silence.

« Oui, répondit Silvère d’une voix plus mal assurée encore,c’est mon fusil… J’ai préféré le sortir ce soir de la maison ;demain matin, tante Dide aurait pu me le voir prendre, et celal’aurait inquiétée… Je vais le cacher, je viendrai le chercher aumoment de partir. »

Et, comme Miette semblait ne pouvoir détacher les yeux de cettearme qu’il avait si sottement laissée sur l’herbe, il se leva et laglissa de nouveau dans le tas de planches.

« Nous avons appris ce matin, dit-il en se rasseyant, queles insurgés de la Palud et de Saint-Martin-de-Vaulx étaient enmarche, et qu’ils avaient passé la nuit dernière à Alboise. Il aété décidé que nous nous joindrions à eux. Cet après-midi, unepartie des ouvriers de Plassans ont quitté la ville ; demain,ceux qui restent encore iront retrouver leurs frères. »

Il prononça ce mot de frères avec une emphase juvénile. Puis,s’animant, d’une voix plus vibrante :

« La lutte devient inévitable, ajouta-t-il ; mais ledroit est de notre côté, nous triompherons. »

Miette écoutait Silvère, regardant devant elle, fixement, sansvoir. Quand il se tut :

« C’est bien », dit-elle simplement.

Et, au bout d’un silence :

« Tu m’avais avertie… cependant j’espérais encore… Enfin,c’est décidé. »

Ils ne purent trouver d’autres paroles. Le coin désert duchantier, la ruelle verte reprit son calme mélancolique ; iln’y eut plus que la lune vivante faisant tourner sur l’herbel’ombre des tas de planches. Le groupe formé par les deux jeunesgens sur la pierre tombale était devenu immobile et muet, dans laclarté pâle. Silvère avait passé le bras autour de la taille deMiette, et celle-ci s’était laissée aller contre son épaule. Ilsn’échangèrent pas de baisers, rien qu’une étreinte où l’amour avaitl’innocence attendrie d’une tendresse fraternelle.

Miette était couverte d’une grande mante brune à capuchon, quilui tombait jusqu’aux pieds et l’enveloppait tout entière. On nevoyait que sa tête et ses mains. Les femmes du peuple, lespaysannes et les ouvrières portent encore, en Provence, ces largesmantes, que l’on nomme pelisses dans le pays, et dont la mode doitremonter fort loin. En arrivant, Miette avait rejeté le capuchon enarrière. Vivant en plein air, de sang brûlant, elle ne portaitjamais de bonnet. Sa tête nue se détachait vigoureusement sur lamuraille blanchie par la lune. C’était une enfant, mais une enfantqui devenait femme. Elle se trouvait à cette heure indécise etadorable où la grande fille naît dans la gamine. Il y a alors, cheztoute adolescente, une délicatesse de bouton naissant, unehésitation de formes d’un charme exquis ; les lignes pleineset voluptueuses de la puberté s’indiquent dans les innocentesmaigreurs de l’enfance ; la femme se dégage avec ses premiersembarras pudiques, gardant encore à demi son corps de petite fille,et mettant, à son insu, dans chacun de ses traits, l’aveu de sonsexe. Pour certaines filles, cette heure est mauvaise ;celles-là croissent brusquement, enlaidissent, deviennent jaunes etfrêles comme des plantes hâtives. Pour Miette, pour toutes cellesqui sont riches de sang et qui vivent en plein air, c’est une heurede grâce pénétrante qu’elles ne retrouvent jamais. Miette avaittreize ans. Bien qu’elle fût forte déjà, on ne lui en eût pas donnédavantage, tant sa physionomie riait encore, par moments, d’un rireclair et naïf. D’ailleurs, elle devait être nubile, la femmes’épanouissait rapidement en elle grâce au climat et à la vie rudequ’elle menait. Elle était presque aussi grande que Silvère, grasseet toute frémissante de vie. Comme son ami, elle n’avait pas labeauté de tout le monde. On ne l’eût pas trouvée laide ; maiselle eût paru au moins étrange à beaucoup de jolis jeunes gens.Elle avait des cheveux superbes ; plantés rudes et droits surle front, ils se rejetaient puissamment en arrière, ainsi qu’unevague jaillissante, puis coulaient le long de son crâne et de sanuque, pareils à une mer crépue, pleine de bouillonnements et decaprices, d’un noir d’encre. Ils étaient si épais qu’elle ne savaitqu’en faire. Ils la gênaient. Elle les tordait en plusieurs brins,de la grosseur d’un poignet d’enfant, le plus fortement qu’ellepouvait, pour qu’ils tinssent moins de place, puis elle les massaitderrière sa tête. Elle n’avait guère le temps de songer à sacoiffure, et il arrivait toujours que ce chignon énorme, fait sansglace et à la hâte, prenait sous ses doigts une grâce puissante. Àla voir coiffée de ce casque vivant, de ce tas de cheveux frisésqui débordaient sur ses tempes et sur son cou comme une peau debête, on comprenait pourquoi elle allait tête nue, sans jamais sesoucier des pluies ni des gelées. Sous la ligne sombre des cheveux,le front, très bas, avait la forme et la couleur dorée d’un mincecroissant de lune. Les yeux gros, à fleur de tête ; le nezcourt, large aux narines et relevé du bout ; les lèvres, tropfortes et trop rouges, eussent paru autant de laideurs, si on leseût examinés à part. Mais, pris dans la rondeur charmante de laface, vus dans le jeu ardent de la vie, ces détails du visageformaient un ensemble d’une étrange et saisissante beauté. QuandMiette riait, renversant la tête en arrière et la penchantmollement sur son épaule droite, elle ressemblait à la Bacchanteantique, avec sa gorge gonflée de gaieté sonore, ses jouesarrondies comme celles d’un enfant, ses larges dents blanches, sestorsades de cheveux crépus que les éclats de sa joie agitaient sursa nuque, ainsi qu’une couronne de pampres. Et, pour retrouver enelle la vierge, la petite fille de treize ans, il fallait voircombien il y avait d’innocence dans ses rires gras et souples defemme faite, il fallait surtout remarquer la délicatesse encoreenfantine du menton et la pureté molle des tempes. Le visage deMiette, hâlé par le soleil, prenait, sous certains jours, desreflets d’ambre jaune. Un fin duvet noir mettait déjà au-dessus desa lèvre supérieure une ombre légère. Le travail commençait àdéformer ses petites mains courtes, qui auraient pu devenir, enrestant paresseuses, d’adorables mains potelées de bourgeoise.

Miette et Silvère restèrent longtemps muets. Ils lisaient dansleurs pensées inquiètes. Et, à mesure qu’ils descendaient ensembledans la crainte et l’inconnu du lendemain, ils se serraient d’uneétreinte plus étroite. Ils s’entendaient jusqu’au cœur, ilssentaient l’inutilité et la cruauté de toute plainte faite à voixhaute. La jeune fille ne put cependant se contenir davantage ;elle étouffait, elle dit en une phrase leur inquiétude à tousdeux.

« Tu reviendras, n’est-ce pas ? » balbutia-t-elleen se pendant au cou de Silvère.

Silvère, sans répondre, la gorge serrée et craignant de pleurercomme elle, la baisa sur la joue, en frère qui ne trouve pasd’autre consolation. Ils se séparèrent, ils retombèrent dans leursilence.

Au bout d’un instant, Miette frissonna. Elle ne s’appuyait pluscontre l’épaule de Silvère, elle sentait son corps se glacer. Laveille, elle n’eût pas frissonné de la sorte, au fond de cetteallée déserte, sur cette pierre tombale, où, depuis plusieurssaisons, ils vivaient si heureusement leurs tendresses, dans lapaix des vieux morts.

« J’ai bien froid, dit-elle, en remettant le capuchon de sapelisse.

– Veux-tu que nous marchions ? lui demanda le jeunehomme. Il n’est pas neuf heures, nous pouvons faire un bout depromenade sur la route. »

Miette pensait qu’elle n’aurait peut-être pas de longtemps lajoie d’un rendez-vous, d’une de ces causeries du soir, pourlesquelles elle vivait les journées.

« Oui, marchons, répondit-elle vivement, allons jusqu’aumoulin… Je passerais la nuit, si tu voulais. »

Ils quittèrent le banc et se cachèrent dans l’ombre d’un tas deplanches. Là, Miette écarta sa pelisse, qui était piquée à petitslosanges et doublée d’une indienne rouge sang ; puis elle jetaun pan de ce chaud et large manteau sur les épaules de Silvère,l’enveloppant ainsi tout entier, le mettant avec elle, serré contreelle, dans le même vêtement. Ils passèrent mutuellement un brasautour de leur taille pour ne faire qu’un. Quand ils furent ainsiconfondus en un seul être, quand ils se trouvèrent enfouis dans lesplis de la pelisse au point de perdre toute forme humaine, ils semirent à marcher à petits pas, se dirigeant vers la route,traversant sans crainte les espaces nus du chantier, blancs delune. Miette avait enveloppé Silvère, et celui-ci s’était prêté àcette opération d’une façon toute naturelle, comme si la pelisseleur eût, chaque soir, rendu le même service.

La route de Nice, aux deux côtés de laquelle se trouve bâti lefaubourg, était bordée, en 1851, d’ormes séculaires, vieux géants,ruines grandioses et pleines encore de puissance, que lamunicipalité proprette de la ville a remplacés, depuis quelquesannées, par de petits platanes. Lorsque Silvère et Miette setrouvèrent sous les arbres, dont la lune dessinait le long dutrottoir les branches monstrueuses, ils rencontrèrent, à deux outrois reprises, des masses noires qui se mouvaient silencieusement,au ras des maisons. C’étaient, comme eux, des couples d’amoureux,hermétiquement clos dans un pan d’étoffe, promenant au fond del’ombre leur tendresse discrète.

Les amants des villes du Midi ont adopté ce genre de promenade.Les garçons et les filles du peuple, ceux qui doivent se marier unjour, et qui ne sont pas fâchés de s’embrasser un peu auparavant,ignorent où se réfugier pour échanger des baisers à l’aise, sanstrop s’exposer aux bavardages. Dans la ville, bien que les parentsleur laissent une entière liberté, s’ils louaient une chambre,s’ils se rencontraient seul à seule, ils seraient, le lendemain, lescandale du pays ; d’autre part, ils n’ont pas le temps, tousles soirs, de gagner les solitudes de la campagne. Alors ils ontpris un moyen terme : ils battent les faubourgs, les terrainsvagues, les allées des routes, tous les endroits où il y a peu depassants et beaucoup de trous noirs. Et, pour plus de prudence,comme tous les habitants se connaissent, ils ont le soin de serendre méconnaissables, en s’enfouissant dans une de ces grandesmantes, qui abriteraient une famille entière. Les parents tolèrentces courses en pleines ténèbres ; la morale rigide de laprovince ne paraît pas s’en alarmer ; il est admis que lesamoureux ne s’arrêtent jamais dans les coins ni ne s’assoient aufond des terrains, et cela suffit pour calmer les pudeurseffarouchées. On ne peut guère que s’embrasser en marchant. Parfoiscependant une fille tourne mal : les amants se sont assis.

Rien de plus charmant, en vérité, que ces promenades d’amour.L’imagination câline et inventive du Midi est là tout entière.C’est une véritable mascarade, fertile en petits bonheurs et à laportée des misérables. L’amoureuse n’a qu’à ouvrir son vêtement,elle a un asile tout prêt pour son amoureux ; elle le cachesur son cœur, dans la tiédeur de ses habits, comme les petitesbourgeoises cachent leurs galants sous les lits ou dans lesarmoires. Le fruit défendu prend ici une saveur particulièrementdouce ; il se mange en plein air, au milieu des indifférents,le long des routes. Et ce qu’il y a d’exquis, ce qui donne unevolupté pénétrante aux baisers échangés, ce doit être la certitudede pouvoir s’embrasser impunément devant le monde, de rester dessoirées en public aux bras l’un de l’autre, sans courir le dangerd’être reconnus et montrés au doigt. Un couple n’est plus qu’unemasse brune, il ressemble à un autre couple. Pour le promeneurattardé, qui voit vaguement ces masses se mouvoir, c’est l’amourqui passe, rien de plus ; l’amour sans nom, l’amour qu’ondevine et qu’on ignore. Les amants se savent bien cachés ; ilscausent à voix basse, ils sont chez eux ; le plus souvent ilsne disent rien, ils marchent pendant des heures, au hasard, heureuxde se sentir serrés ensemble dans le même bout d’indienne. Cela esttrès voluptueux et très virginal à la fois. Le climat est le grandcoupable ; lui seul a dû d’abord inviter les amants à prendreles coins des faubourgs pour retraites. Par les belles nuits d’été,on ne peut faire le tour de Plassans sans découvrir, dans l’ombrede chaque pan de mur, un couple encapuchonné ; certainsendroits, l’aire de Saint-Mittre par exemple, sont peuplés de cesdominos sombres qui se frôlent lentement, sans bruit, au milieu destiédeurs de la nuit sereine ; on dirait les invités d’un balmystérieux que les étoiles donneraient aux amours des pauvres gens.Quand il fait trop chaud et que les jeunes filles n’ont plus leurpelisse, elles se contentent de retrousser leur première jupe.L’hiver, les plus amoureux se moquent des gelées. Tandis qu’ilsdescendaient la route de Nice, Silvère et Miette ne songeaientguère à se plaindre de la froide nuit de décembre.

Les jeunes gens traversèrent le faubourg endormi sans échangerune parole. Ils retrouvaient, avec une muette joie, le charme tièdede leur étreinte. Leurs cœurs étaient tristes, la félicité qu’ilsgoûtaient à se serrer l’un contre l’autre avait l’émotiondouloureuse d’un adieu, et il leur semblait qu’ils n’épuiseraientjamais la douceur et l’amertume de ce silence qui berçait lentementleur marche. Bientôt, les maisons devinrent plus rares, ilsarrivèrent à l’extrémité du faubourg. Là, s’ouvre le portail duJas-Meiffren, deux forts piliers reliés par une grille, qui laissevoir, entre ses barreaux, une longue allée de mûriers. En passant,Silvère et Miette jetèrent instinctivement un regard dans lapropriété.

À partir du Jas-Meiffren, la grande route descend par une pentedouce jusqu’au fond d’une vallée qui sert de lit à une petiterivière, la Viorne, ruisseau l’été et torrent l’hiver. Les deuxrangées d’ormes continuaient, à cette époque, et faisaient de laroute une magnifique avenue, coupant la côte, plantée de blé et devignes maigres, d’un large ruban d’arbres gigantesques. Par cettenuit de décembre, sous la lune claire et froide, les champsfraîchement labourés s’étendaient aux deux abords du chemin,pareils à de vastes couches d’ouate grisâtre, qui auraient amortitous les bruits de l’air. Au loin, la voix sourde de la Viornemettait seule un frisson dans l’immense paix de la campagne.

Quand les jeunes gens eurent commencé à descendre l’avenue, lapensée de Miette retourna au Jas-Meiffren, qu’ils venaient delaisser derrière eux.

« J’ai eu grand-peine à m’échapper ce soir, dit-elle… Mononcle ne se décidait pas à me congédier. Il s’était enfermé dans uncellier, et je crois qu’il y enterrait son argent, car il a parutrès effrayé, ce matin, des événements qui se préparent. »

Silvère eut une étreinte plus douce.

« Va, répondit-il, sois courageuse. Il viendra un temps oùnous nous verrons librement toute la journée… Il ne faut pas sechagriner.

– Oh ! reprit la jeune fille en secouant la tête, tuas de l’espérance, toi… Il y a des jours où je suis bien triste. Cene sont pas les gros travaux qui me désolent ; au contraire,je suis souvent heureuse des duretés de mon oncle et des besognesqu’il m’impose. Il a eu raison de faire de moi une paysanne ;j’aurais peut-être mal tourné ; car vois-tu, Silvère, il y ades moments où je me crois maudite… Alors je voudrais être morte…Je pense à celui que tu sais… »

En prononçant ces dernières paroles, la voix de l’enfant sebrisa dans un sanglot. Silvère l’interrompit d’un ton presquerude.

« Tais-toi, dit-il. Tu m’avais promis de moins songer àcela. Ce n’est pas ton crime. »

Puis il ajouta d’un accent plus doux :

« Nous nous aimons bien, n’est-ce pas ? Quand nousserons mariés, tu n’auras plus de mauvaises heures.

– Je sais, murmura Miette, tu es bon, tu me tends la main.Mais que veux-tu ? j’ai des craintes, je me sens des révoltes,parfois. Il me semble qu’on m’a fait tort, et alors j’ai des enviesd’être méchante. Je t’ouvre mon cœur, à toi. Chaque fois qu’on mejette le nom de mon père au visage, j’éprouve une brûlure par toutle corps. Quand je passe et que les gamins crient : Eh !la Chantegreil ! cela me met hors de moi ; je voudraisles tenir pour les battre. »

Et, après un silence farouche, elle reprit :

« Tu es un homme, toi, tu vas tirer des coups de fusil… Tues bien heureux. »

Silvère l’avait laissée parler. Au bout de quelques pas, il ditd’une voix triste :

« Tu as tort, Miette ; ta colère est mauvaise. Il nefaut pas se révolter contre la justice. Moi je vais me battre pournotre droit à tous ; je n’ai aucune vengeance àsatisfaire.

– N’importe, continua la jeune fille, je voudrais être unhomme et tirer des coups de fusil. Il me semble que cela me feraitdu bien. »

Et, comme Silvère gardait le silence, elle vit qu’elle l’avaitmécontenté. Toute sa fièvre tomba. Elle balbutia d’une voixsuppliante :

« Tu ne m’en veux pas ? C’est ton départ qui mechagrine et qui me jette à ces idées-là. Je sais bien que tu asraison, que je dois être humble… »

Elle se mit à pleurer. Silvère, ému, prit ses mains qu’ilbaisa.

« Voyons, dit-il tendrement, tu vas de la colère aux larmescomme une enfant. Il faut être raisonnable. Je ne te gronde pas… Jevoudrais simplement te voir plus heureuse, et cela dépend beaucoupde toi. »

Le drame dont Miette venait d’évoquer si douloureusement lesouvenir, laissa les amoureux tout attristés pendant quelquesminutes. Ils continuèrent à marcher, la tête basse, troublés parleurs pensées. Au bout d’un instant :

« Me crois-tu beaucoup plus heureux que toi ? demandaSilvère, revenant malgré lui à la conversation. Si ma grand’mère nem’avait pas recueilli et élevé, que serais-je devenu ? À partl’oncle Antoine, qui est ouvrier comme moi et qui m’a appris àaimer la République, tous mes autres parents ont l’air de craindreque je ne les salisse, quand je passe à côté d’eux. »

Il s’animait en parlant ; il s’était arrêté, retenantMiette au milieu de la route.

« Dieu m’est témoin, continua-t-il, que je n’envie et queje ne déteste personne. Mais, si nous triomphons, il faudra que jeleur dise leur fait, à ces beaux messieurs. C’est l’oncle Antoinequi en sait long là-dessus. Tu verras à notre retour. Nous vivronstous libres et heureux. »

Miette l’entraîna doucement. Ils se remirent à marcher.

« Tu l’aimes bien ta République, dit l’enfant en essayantde plaisanter. M’aimes-tu autant qu’elle ? »

Elle riait, mais il y avait quelque amertume au fond de sonrire. Peut-être se disait-elle que Silvère la quittait bienfacilement pour courir les campagnes. Le jeune homme répondit d’unton grave :

« Toi, tu es ma femme. Je t’ai donné tout mon cœur. J’aimela République, vois-tu, parce que je t’aime. Quand nous seronsmariés, il nous faudra beaucoup de bonheur, et c’est pour une partde ce bonheur que je m’éloignerai demain matin… Tu ne me conseillespas de rester chez moi ?

– Oh ! non, s’écria vivement la jeune fille. Un hommedoit être fort. C’est beau, le courage !… Il faut me pardonnerd’être jalouse. Je voudrais bien être aussi forte que toi. Tum’aimerais encore davantage, n’est-ce pas ? »

Elle garda un instant le silence, puis elle ajouta avec unevivacité et une naïveté charmantes :

« Ah ! comme je t’embrasserai volontiers, quand tureviendras. »

Ce cri d’un cœur aimant et courageux toucha profondémentSilvère. Il prit Miette entre ses bras et lui mit plusieurs baiserssur les joues. L’enfant se défendit un peu en riant. Et elle avaitdes larmes d’émotion plein les yeux.

Autour des amoureux, la campagne continuait à dormir, dansl’immense paix du froid. Ils étaient arrivés au milieu de la côte.Là, à gauche, se trouvait un monticule assez élevé, au sommetduquel la lune blanchissait les ruines d’un moulin à vent ; latour seule restait, tout écroulée d’un côté. C’était le but que lesjeunes gens avaient assigné à leur promenade. Depuis le faubourg,ils allaient devant eux, sans donner un seul coup d’œil aux champsqu’ils traversaient. Quand il eut baisé Miette sur les joues,Silvère leva la tête. Il aperçut le moulin.

« Comme nous avons marché ! s’écria-t-il. Voici lemoulin. Il doit être près de neuf heures et demie, il fautrentrer. »

Miette fit la moue.

« Marchons encore un peu, implora-t-elle, quelques passeulement, jusqu’à la petite traverse… Vrai, rien quejusque-là. »

Silvère la reprit à la taille, en souriant. Ils se mirent denouveau à descendre la côte. Ils ne craignaient plus les regardsdes curieux ; depuis les dernières maisons, ils n’avaient pasrencontré âme qui vive. Ils n’en restèrent pas moins enveloppésdans la grande pelisse. Cette pelisse, ce vêtement commun, étaitcomme le nid naturel de leurs amours. Elle les avait cachés pendanttant de soirées heureuses ! S’ils s’étaient promenés côte àcôte, ils se seraient crus tout petits et tout isolés dans la vastecampagne. Cela les rassurait, les grandissait, de ne former qu’unêtre. Ils regardaient, à travers les plis de la pelisse, les champsqui s’étendaient aux deux bords de la route, sans éprouver cetécrasement que les larges horizons indifférents font peser sur lestendresses humaines. Il leur semblait qu’ils avaient emporté leurmaison avec eux, jouissant de la campagne comme on en jouit par unefenêtre, aimant ces solitudes calmes, ces nappes de lumièredormante, ces bouts de nature, vagues sous le linceul de l’hiver etde la nuit, cette vallée entière qui, en les charmant, n’étaitcependant pas assez forte pour se mettre entre leurs deux cœursserrés l’un contre l’autre.

D’ailleurs, ils avaient cessé toute conversation suivie ;ils ne parlaient plus des autres, ils ne parlaient même plusd’eux-mêmes ; ils étaient à la seule minute présente,échangeant un serrement de mains, poussant une exclamation à la vued’un coin de paysage, prononçant de rares paroles, sans trops’entendre, comme assoupis par la tiédeur de leurs corps. Silvèreoubliait ses enthousiasmes républicains ; Miette ne songeaitplus que son amoureux devait la quitter dans une heure, pourlongtemps, pour toujours peut-être. Ainsi qu’aux jours ordinaires,lorsque aucun adieu ne troublait la paix de leurs rendez-vous, ilss’endormaient dans le ravissement de leurs tendresses.

Ils allaient toujours. Ils arrivèrent bientôt à la petitetraverse dont Miette avait parlé, bout de ruelle qui s’enfonce dansla campagne, menant à un village bâti au bord de la Viorne. Maisils ne s’arrêtèrent pas, ils continuèrent à descendre, en feignantde ne point voir ce sentier qu’ils s’étaient promis de ne pointdépasser. Ce fut seulement quelques minutes plus loin que Silvèremurmura :

« Il doit être bien tard, tu vas te fatiguer.

– Non, je te jure, je ne suis pas lasse, répondit la jeunefille. Je marcherais bien comme cela pendant des lieues. »

Puis elle ajouta d’une voix câline :

« Veux-tu ? nous allons descendre jusqu’aux présSainte-Claire… Là, ce sera fini pour tout de bon, nousrebrousserons chemin. »

Silvère, que la marche cadencée de l’enfant berçait, et quisommeillait doucement, les yeux ouverts, ne fit aucune objection.Ils reprirent leur extase. Ils avançaient d’un pas ralenti, parcrainte du moment où il leur faudrait remonter la côte ; tantqu’ils allaient devant eux, il leur semblait marcher à l’éternitéde cette étreinte qui les liait l’un à l’autre ; le retour,c’était la séparation, l’adieu cruel.

Peu à peu, la pente de la route devenait moins rapide. Le fondde la vallée est occupé par des prairies qui s’étendent jusqu’à laViorne, coulant à l’autre bout, le long d’une suite de collinesbasses. Ces prairies, que des haies vives séparent du grand chemin,sont les prés Sainte-Claire.

« Bah ! s’écria Silvère à son tour, en apercevant lespremières nappes d’herbe, nous irons bien jusqu’au pont. »

Miette eut un frais éclat de rire. Elle prit le jeune homme parle cou et l’embrassa bruyamment.

À l’endroit où commencent les haies, la longue avenue d’arbresse terminait alors par deux ormes, deux colosses plus gigantesquesencore que les autres. Les terrains s’étendent au ras de la route,nus, pareils à une large bande de laine verte, jusqu’aux saules etaux bouleaux de la rivière. Des derniers ormes au pont, il y avait,d’ailleurs, à peine trois cents mètres. Les amoureux mirent un bonquart d’heure pour franchir cette distance. Enfin, malgré toutesleurs lenteurs, ils se trouvèrent sur le pont. Ilss’arrêtèrent.

Devant eux, la route de Nice montait le versant opposé de lavallée ; mais ils ne pouvaient en voir qu’un bout assez court,car elle fait un coude brusque, à un demi-kilomètre du pont, et seperd entre des coteaux boisés. En se retournant, ils aperçurentl’autre bout de la route, celui qu’ils venaient de parcourir, etqui va en ligne droite de Plassans à la Viorne. Sous ce beau clairde lune d’hiver, on eût dit un long ruban d’argent que les rangéesd’ormes bordaient de deux lisérés sombres. À droite et à gauche,les terres labourées de la côte faisaient de larges mers grises etvagues, coupées par ce ruban, par cette route blanche de gelée,d’un éclat métallique. Tout en haut, brillaient, au ras del’horizon, pareilles à des étincelles vives, quelques fenêtresencore éclairées du faubourg. Miette et Silvère, pas à pas,s’étaient éloignés d’une grande lieue. Ils jetèrent un regard surle chemin parcouru, frappés d’une muette admiration par cet immenseamphithéâtre qui montait jusqu’au bord du ciel, et sur lequel desnappes de clartés bleuâtres coulaient comme sur les degrés d’unecascade géante. Ce décor étrange, cette apothéose colossale sedressait dans une immobilité et dans un silence de mort. Rienn’était d’une plus souveraine grandeur.

Puis les jeunes gens, qui venaient de s’appuyer contre unparapet du pont, regardèrent à leurs pieds. La Viorne, grossie parles pluies, passait au-dessous d’eux, avec des bruits sourds etcontinus. En amont et en aval, au milieu des ténèbres amassées dansles creux, ils distinguaient les lignes noires des arbres pousséssur les rives ; çà et là, un rayon de lune glissait, mettantsur l’eau une traînée d’étain fondu qui luisait et s’agitait, commeun reflet de jour sur les écailles d’une bête vivante. Ces lueurscouraient avec un charme mystérieux le long de la coulée grisâtredu torrent, entre les fantômes vagues des feuillages. On eût ditune vallée enchantée, une merveilleuse retraite où vivait d’une vieétrange tout un peuple d’ombres et de clartés.

Les amoureux connaissaient bien ce bout de rivière ; parles chaudes nuits de juillet, ils étaient souvent descendus là,pour trouver quelque fraîcheur ; ils avaient passé de longuesheures, cachés dans les bouquets de saules, sur la rive droite, àl’endroit où les prés Sainte-Claire déroulent leur tapis de gazonjusqu’au bord de l’eau. Ils se souvenaient des moindres plis de larive ; des pierres sur lesquelles il fallait sauter pourenjamber la Viorne, alors mince comme un fil ; de certainstrous d’herbe dans lesquels ils avaient rêvé leurs rêves detendresse. Aussi Miette, du haut du pont, contemplait-elle d’unregard d’envie la rive droite du torrent.

« S’il faisait plus chaud, soupira-t-elle, nous pourrionsdescendre nous reposer un peu, avant de remonter lacôte… »

Puis, après un silence, les yeux toujours fixés sur les bords dela Viorne :

« Regarde donc, Silvère, reprit-elle, cette masse noire,là-bas, avant l’écluse… Te rappelles-tu ?… C’est labroussaille dans laquelle nous nous sommes assis, à la Fête-Dieudernière.

– Oui, c’est la broussaille », répondit Silvère à voixbasse.

C’était là qu’ils avaient osé se baiser sur les joues. Cesouvenir que l’enfant venait d’évoquer, leur causa à tous deux unesensation délicieuse, émotion dans laquelle se mêlaient les joiesde la veille et les espoirs du lendemain. Ils virent, comme à lalueur d’un éclair, les bonnes soirées qu’ils avaient vécuesensemble, surtout cette soirée de la Fête-Dieu, dont ils serappelaient les moindres détails, le grand ciel tiède, le frais dessaules de la Viorne, les mots caressants de leur causerie. Et, enmême temps, tandis que les choses du passé leur remontaient au cœuravec une saveur douce, ils crurent pénétrer l’inconnu de l’avenir,se voir au bras l’un de l’autre, ayant réalisé leur rêve et sepromenant dans la vie comme ils venaient de le faire sur la granderoute, chaudement couverts d’une même pelisse. Alors le ravissementles reprit, les yeux sur les yeux, se souriant, perdus au milieudes muettes clartés.

Brusquement, Silvère leva la tête. Il se débarrassa des plis dela pelisse, il prêta l’oreille. Miette, surprise, l’imita, sanscomprendre pourquoi il se séparait d’elle d’un geste si prompt.

Depuis un instant, des bruits confus venaient de derrière lescoteaux, au milieu desquels se perd la route de Nice. C’étaientcomme les cahots éloignés d’un convoi de charrettes. La Viorne,d’ailleurs, couvrait de son grondement ces bruits encoreindistincts. Mais peu à peu ils s’accentuèrent, ils devinrentpareils aux piétinements d’une armée en marche. Puis on distingua,dans ce roulement continu et croissant, des brouhahas de foule,d’étranges souffles d’ouragan cadencés et rythmiques ; onaurait dit les coups de foudre d’un orage qui s’avançaitrapidement, troublant déjà de son approche l’air endormi. Silvèreécoutait, ne pouvant saisir ces voix de tempête que les coteauxempêchaient d’arriver nettement jusqu’à lui. Et, tout à coup, unemasse noire apparut au coude de la route ; laMarseillaise, chantée avec une furie vengeresse, éclata,formidable.

« Ce sont eux ! » s’écria Silvère dans un élan dejoie et d’enthousiasme.

Il se mit à courir, montant la côte, entraînant Miette. Il yavait, à gauche de la route, un talus planté de chênes verts, surlequel il grimpa avec la jeune fille, pour ne pas être emportéstous deux par le flot hurlant de la foule.

Quand ils furent sur le talus, dans l’ombre des broussailles,l’enfant, un peu pâle, regarda tristement ces hommes dont leschants lointains avaient suffi pour arracher Silvère de ses bras.Il lui sembla que la bande entière venait se mettre entre elle etlui. Ils étaient si heureux, quelques minutes auparavant, siétroitement unis, si seuls, si perdus dans le grand silence et lesclartés discrètes de la lune ! Et maintenant Silvère, la têtetournée, ne paraissant même plus savoir qu’elle était là, n’avaitde regards que pour ces inconnus qu’il appelait du nom defrères.

La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien deplus terriblement grandiose que l’irruption de ces quelquesmilliers d’hommes dans la paix morte et glacée de l’horizon. Laroute, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient nepas devoir s’épuiser ; toujours, au coude du chemin, semontraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient deplus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand lesderniers bataillons apparurent, il y eut un éclatassourdissant. La Marseillaise emplit le ciel,comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueusestrompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses decuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormies’éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsiqu’un tambour que frappent les baguettes ; elle retentitjusqu’aux entrailles, répétant par tous ses échos les notesardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bandequi chanta ; des bouts de l’horizon, des rochers lointains,des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d’arbres,des moindres broussailles, semblèrent sortir des voixhumaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière àPlassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient lesbleuâtres clartés de la lune, étaient comme couverts par un peupleinvisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fonddes creux de la Viorne, le long des eaux rayées de mystérieuxreflets d’étain fondu, il n’y avait pas un trou de ténèbres où deshommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colèreplus haute. La campagne, dans l’ébranlement de l’air et du sol,criait vengeance et liberté. Tant que la petite armée descendit lacôte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonorestraversées de brusques éclats, secouant jusqu’aux pierres duchemin.

Silvère, blanc d’émotion, écoutait et regardait toujours. Lesinsurgés qui marchaient en tête, traînant derrière eux cette longuecoulée grouillante et mugissante, monstrueusement indistincte dansl’ombre, approchaient du pont à pas rapides.

« Je croyais, murmura Miette, que vous ne deviez pastraverser Plassans ?

– On aura modifié le plan de campagne, réponditSilvère ; nous devions, en effet, nous porter sur le chef-lieupar la route de Toulon, en prenant à gauche de Plassans etd’Orchères. Ils seront partis d’Alboise cet après-midi et aurontpassé aux Tulettes dans la soirée. »

La tête de la colonne était arrivée devant les jeunes gens. Ilrégnait, dans la petite armée, plus d’ordre qu’on n’en aurait puattendre d’une bande d’hommes indisciplinés. Les contingents dechaque ville, de chaque bourg, formaient des bataillons distinctsqui marchaient à quelques pas les uns des autres. Ces bataillonsparaissaient obéir à des chefs. D’ailleurs, l’élan qui lesprécipitait en ce moment sur la pente de la côte, en faisait unemasse compacte, solide, d’une puissance invincible. Il pouvait yavoir là environ trois mille hommes unis et emportés d’un bloc parun vent de colère. On distinguait mal, dans l’ombre que les hautstalus jetaient le long de la route, les détails étranges de cettescène. Mais, à cinq ou six pas de la broussaille où s’étaientabrités Miette et Silvère, le talus de gauche s’abaissait pourlaisser passer un petit chemin qui suivait la Viorne, et la lune,glissant par cette trouée, rayait la route d’une large bandelumineuse. Quand les premiers insurgés entrèrent dans ce rayon, ilsse trouvèrent subitement éclairés d’une clarté dont les blancheursaiguës découpaient avec une netteté singulière les moindres arêtesdes visages et des costumes. À mesure que les contingentsdéfilèrent, les jeunes gens les virent ainsi, en face d’eux,farouches, sans cesse renaissants, surgir brusquement desténèbres.

Aux premiers hommes qui entrèrent dans la clarté, Miette, d’unmouvement instinctif, se serra contre Silvère, bien qu’elle sesentît en sûreté, à l’abri même des regards. Elle passa le bras aucou du jeune homme, appuya la tête contre son épaule. Le visageencadré par le capuchon de la pelisse, pâle, elle se tint debout,les yeux fixés sur ce carré de lumière que traversaient rapidementde si étranges faces, transfigurées par l’enthousiasme, la boucheouverte et noire, toute pleine du cri vengeur de laMarseillaise.

Silvère, qu’elle sentait frémir à son côté, se pencha alors àson oreille et lui nomma les divers contingents, à mesure qu’ils seprésentaient.

La colonne marchait sur un rang de huit hommes. En tête,venaient de grands gaillards, aux têtes carrées, qui paraissaientavoir une force herculéenne et une foi naïve de géants. LaRépublique devait trouver en eux des défenseurs aveugles etintrépides. Ils portaient sur l’épaule de grandes haches dont letranchant, fraîchement aiguisé, luisait au clair de lune.

« Les bûcherons des forêts de la Seille, dit Silvère. On ena fait un corps de sapeurs… Sur un signe de leurs chefs, ces hommesiraient jusqu’à Paris, enfonçant les portes des villes à coups decognée, comme ils abattent les vieux chênes-lièges de lamontagne… »

Le jeune homme parlait orgueilleusement des gros poings de sesfrères. Il continua, en voyant arriver, derrière les bûcherons, unebande d’ouvriers et d’hommes aux barbes rudes, brûlés par lesoleil :

« Le contingent de la Palud. C’est le premier bourg quis’est mis en insurrection. Les hommes en blouse sont des ouvriersqui travaillent les chênes-lièges ; les autres, les hommes auxvestes de velours, doivent être des chasseurs et des charbonniersvivant dans les gorges de la Seille… Les chasseurs ont connu tonpère, Miette. Ils ont de bonnes armes qu’ils manient avec adresse.Ah ! si tous étaient armés de la sorte ! Les fusilsmanquent. Vois, les ouvriers n’ont que des bâtons. »

Miette regardait, écoutait, muette. Quand Silvère lui parla deson père, le sang lui monta violemment aux joues. Le visagebrûlant, elle examina les chasseurs d’un air de colère et d’étrangesympathie. À partir de ce moment, elle parut peu à peu s’animer auxfrissons de fièvre que les chants des insurgés lui apportaient.

La colonne, qui venait de recommencer laMarseillaise, descendait toujours, comme fouettée par lessouffles âpres du mistral. Aux gens de la Palud avait succédé uneautre troupe d’ouvriers, parmi lesquels on apercevait un assezgrand nombre de bourgeois en paletot.

« Voici les hommes de Saint-Martin-de-Vaulx, repritSilvère. Ce bourg s’est soulevé presque en même temps que la Palud…les patrons se sont joints aux ouvriers. Il y a là des gens riches,Miette ; des riches qui pourraient vivre tranquilles chez euxet qui vont risquer leur vie pour la défense de la liberté. Il fautaimer ces riches… Les armes manquent toujours ; à peinequelques fusils de chasse… Tu vois, Miette, ces hommes qui ont aucoude gauche un brassard d’étoffe rouge ? Ce sont leschefs. »

Mais Silvère s’attardait. Les contingents descendaient la côte,plus rapides que ses paroles. Il parlait encore des gens deSaint-Martin-de-Vaulx, que deux bataillons avaient déjà traversé laraie de clarté qui blanchissait la route.

« Tu as vu ? demanda-t-il ; les insurgésd’Alboise et des Tulettes viennent de passer. J’ai reconnu Burgatle forgeron… Ils se seront joints à la bande aujourd’hui même…Comme ils courent ! »

Miette se penchait maintenant pour suivre plus longtemps duregard les petites troupes que lui désignait le jeune homme. Lefrisson qui s’emparait d’elle lui montait dans la poitrine et laprenait à la gorge. À ce moment parut un bataillon plus nombreux etplus discipliné que les autres. Les insurgés qui en faisaientpartie, presque tous vêtus de blouses bleues, avaient la tailleserrée d’une ceinture rouge ; on les eût dit pourvus d’ununiforme. Au milieu d’eux marchait un homme à cheval, ayant unsabre au côté. Le plus grand nombre de ces soldats improvisésavaient des fusils, des carabines ou d’anciens mousquets de lagarde nationale.

« Je ne connais pas ceux-là, dit Silvère. L’homme à chevaldoit être le chef dont on m’a parlé. Il a amené avec lui lescontingents de Faverolles et des villages voisins. Il faudrait quetoute la colonne fût équipée de la sorte. »

Il n’eut pas le temps de reprendre haleine.

« Ah ! voici les campagnes ! »cria-t-il.

Derrière les gens de Faverolles, s’avançaient de petits groupescomposés chacun de dix à vingt hommes au plus. Tous portaient laveste courte des paysans du Midi. Ils brandissaient en chantant desfourches et des faux ; quelques-uns même n’avaient que delarges pelles de terrassier. Chaque hameau avait envoyé ses hommesvalides.

Silvère, qui reconnaissait les groupes à leurs chefs, lesénuméra d’une voix fiévreuse.

« Le contingent de Chavanoz ! dit-il. Il n’y a quehuit hommes, mais ils sont solides ; l’oncle Antoine lesconnaît… Voici Nazères ! voici Poujols ! tous y sont, pasun n’a manqué à l’appel… Valqueyras ! Tiens, M. le curéest de la partie ; on m’a parlé de lui ; c’est un bonrépublicain. »

Il se grisait. Maintenant que chaque bataillon ne comptait plusque quelques insurgés, il lui fallait les nommer à la hâte, etcette précipitation lui donnait un air fou.

« Ah ! Miette, continua-t-il, le beau défilé !Rozan ! Vernoux ! Corbière ! et il y en a encore, tuvas voir… Ils n’ont que des faux, ceux-là, mais ils faucheront latroupe aussi rase que l’herbe de leurs prés… Saint-Eutrope !Mazet ! les Gardes ! Marsanne ! tout le versant nordde la Seille !… Va, nous serons vainqueurs ! Le paysentier est avec nous. Regarde les bras de ces hommes, ils sont durset noirs comme du fer… Ça ne finit pas. Voici Pruinas ! lesRoches-Noires ! Ce sont des contrebandiers, cesderniers ; ils ont des carabines… Encore des faux et desfourches, les contingents des campagnes continuent.Castel-le-Vieux ! Sainte-Anne ! Graille !Estourmel ! Murdaran ! »

Et il acheva, d’une voix étranglée par l’émotion, ledénombrement de ces hommes, qu’un tourbillon semblait prendre etenlever à mesure qu’il les désignait. La taille grandie, le visageen feu, il montrait les contingents d’un geste nerveux. Miettesuivait ce geste. Elle se sentait attirée vers le bas de la route,comme par les profondeurs d’un précipice. Pour ne pas glisser lelong du talus, elle se retenait au cou du jeune homme. Une ivressesingulière montait de cette foule grisée de bruit, de courage et defoi. Ces êtres entrevus dans un rayon de lune, ces adolescents, ceshommes mûrs, ces vieillards brandissant des armes étranges, vêtusdes costumes les plus divers, depuis le sarrau du manœuvre jusqu’àla redingote du bourgeois ; cette file interminable de têtes,dont l’heure et la circonstance faisaient des masques inoubliablesd’énergie et de ravissement fanatiques, prenaient à la longuedevant les yeux de la jeune fille une impétuosité vertigineuse detorrent. À certains moments, il lui semblait qu’ils ne marchaientplus, qu’ils étaient charriés par laMarseillaise elle-même, par ce chant rauque aux sonoritésformidables. Elle ne pouvait distinguer les paroles, ellen’entendait qu’un grondement continu, allant de notes sourdes à desnotes vibrantes, aiguës comme des pointes qu’on aurait, parsaccades, enfoncées dans sa chair. Ce rugissement de la révolte,cet appel à la lutte et à la mort, avec ses secousses de colère,ses désirs brûlants de liberté, son étonnant mélange de massacreset d’élans sublimes, en la frappant au cœur, sans relâche, et plusprofondément à chaque brutalité du rythme, lui causait une de cesangoisses voluptueuses de vierge martyre se redressant et souriantsous le fouet. Et toujours, roulée dans le flot sonore, la foulecoulait. Le défilé, qui dura à peine quelques minutes, parut auxjeunes gens ne devoir jamais finir.

Certes, Miette était une enfant. Elle avait pâli à l’approche dela bande, elle avait pleuré ses tendresses envolées ; maiselle était une enfant de courage, une nature ardente quel’enthousiasme exaltait aisément. Aussi l’émotion qui l’avait peu àpeu gagnée, la secouait-elle maintenant tout entière. Elle devenaitun garçon. Volontiers elle eût pris une arme et suivi les insurgés.Ses dents blanches, à mesure que défilaient les fusils et les faux,se montraient plus longues et plus aiguës, entre ses lèvres rouges,pareilles aux crocs d’un jeune loup qui aurait des envies demordre. Et lorsqu’elle entendit Silvère dénombrer d’une voix deplus en plus pressée les contingents des campagnes, il lui semblaque l’élan de la colonne s’accélérait encore, à chaque parole dujeune homme. Bientôt ce fut un emportement, une poussière d’hommesbalayée par une tempête. Tout se mit à tourner devant elle. Elleferma les yeux. De grosses larmes chaudes coulaient sur sesjoues.

Silvère avait, lui aussi, des pleurs au bord des cils.

« Je ne vois pas les hommes qui ont quitté Plassans cetaprès-midi », murmura-t-il.

Il tâchait de distinguer le bout de la colonne, qui se trouvaitencore dans l’ombre. Puis il cria avec une joietriomphante :

« Ah ! les voici !… Ils ont le drapeau, on leur aconfié le drapeau ! »

Alors il voulut sauter du talus pour aller rejoindre sescompagnons ; mais, à ce moment, les insurgés s’arrêtèrent. Desordres coururent le long de la colonne. LaMarseillaise s’éteignit dans un dernier grondement, etl’on n’entendit plus que le murmure confus de la foule, encoretoute vibrante. Silvère, qui écoutait, put comprendre les ordresque les contingents se transmettaient, et qui appelaient les gensde Plassans en tête de la bande. Comme chaque bataillon se rangeaitau bord de la route pour laisser passer le drapeau, le jeune homme,entraînant Miette, se mit à remonter le talus.

« Viens, lui dit-il, nous serons avant eux de l’autre côtédu pont. »

Et quand ils furent en haut, dans les terres labourées, ilscoururent jusqu’à un moulin dont l’écluse barre la rivière. Là, ilstraversèrent la Viorne sur une planche que les meuniers y ontjetée. Puis ils coupèrent en biais les prés Sainte-Claire, toujoursse tenant par la main, toujours courant, sans échanger une parole.La colonne faisait, sur le grand chemin, une ligne sombre qu’ilssuivirent le long des haies. Il y avait des trous dans lesaubépines. Silvère et Miette sautèrent sur la route par un de cestrous.

Malgré le détour qu’ils venaient de faire, ils arrivèrent enmême temps que les gens de Plassans. Silvère échangea quelquespoignées de main ; on dut penser qu’il avait appris la marchenouvelle des insurgés et qu’il était venu à leur rencontre. Miette,dont le visage était caché à demi par le capuchon de la pelisse,fut regardée curieusement.

« Eh ! c’est la Chantegreil, dit un homme du faubourg,la nièce de Rébufat, le méger du Jas-Meiffren.

– D’où sors-tu donc, coureuse ! » cria une autrevoix.

Silvère, gris d’enthousiasme, n’avait pas songé à la singulièrefigure que ferait son amoureuse devant les plaisanteries certainesdes ouvriers. Miette, confuse, le regardait comme pour imploreraide et secours. Mais, avant même qu’il eût pu ouvrir les lèvres,une nouvelle voix s’éleva du groupe, disant avecbrutalité :

« Son père est au bagne, nous ne voulons pas avec nous lafille d’un voleur et d’un assassin. »

Miette pâlit affreusement.

« Vous mentez, murmura-t-elle ; si mon père a tué, iln’a pas volé. »

Et comme Silvère serrait les poings, plus pâle et plusfrémissant qu’elle :

« Laisse, reprit-elle, ceci me regarde… »

Puis se retournant vers le groupe, elle répéta avecéclat :

« Vous mentez, vous mentez ! il n’a jamais pris un souà personne. Vous le savez bien. Pourquoi l’insultez-vous, quand ilne peut être là ? »

Elle s’était redressée, superbe de colère. Sa nature ardente, àdemi sauvage, paraissait accepter avec assez de calme l’accusationde meurtre ; mais l’accusation de vol l’exaspérait. On lesavait, et c’est pourquoi la foule lui jetait souvent cetteaccusation à la face, par méchanceté bête.

L’homme qui venait d’appeler son père voleur n’avait,d’ailleurs, répété que ce qu’il entendait dire depuis des années.Devant l’attitude violente de l’enfant, les ouvriers ricanèrent.Silvère serrait toujours les poings. La chose allait mal tourner,lorsqu’un chasseur de la Seille, qui s’était assis sur un tas depierres, au bord de la route, en attendant qu’on se remît enmarche, vint au secours de la jeune fille.

« La petite a raison, dit-il. Chantegreil était un desnôtres. Je l’ai connu. Jamais on n’a bien vu clair dans sonaffaire. Moi, j’ai toujours cru à la vérité de ses déclarationsdevant les juges. Le gendarme qu’il a descendu, à la chasse, d’uncoup de fusil, devait déjà le tenir lui-même au bout de sacarabine. On se défend, que voulez-vous ! Mais Chantegreilétait un honnête homme, Chantegreil n’a pas volé. »

Comme il arrive en pareil cas, l’attestation de ce braconniersuffit pour que Miette trouvât des défenseurs. Plusieurs ouvriersvoulurent avoir également connu Chantegreil.

« Oui, oui, c’est vrai, dirent-ils. Ce n’était pas unvoleur. Il y a, à Plassans, des canailles qu’il faudrait envoyer aubagne à sa place… Chantegreil était notre frère… Allons, calme-toi,petite. »

Jamais Miette n’avait entendu dire du bien de son père. On letraitait ordinairement devant elle de gueux, de scélérat, et voilàqu’elle rencontrait de braves cœurs qui avaient pour lui desparoles de pardon et qui le déclaraient un honnête homme. Alorselle fondit en larmes, elle retrouva l’émotion que laMarseillaise avait fait monter à sa gorge, elle cherchacomment elle pourrait remercier ces hommes doux aux malheureux. Unmoment, il lui vint l’idée de leur serrer la main à tous, comme ungarçon. Mais son cœur trouva mieux. À côté d’elle se tenait deboutl’insurgé qui portait le drapeau. Elle toucha la hampe du drapeauet, pour tout remerciement, elle dit d’une voixsuppliante :

« Donnez-le-moi, je le porterai. »

Les ouvriers, simples d’esprit, comprirent le côté naïvementsublime de ce remerciement.

« C’est cela, crièrent-ils, la Chantegreil portera ledrapeau. »

Un bûcheron fit remarquer qu’elle se fatiguerait vite, qu’ellene pourrait aller loin.

« Oh ! je suis forte », dit-elle orgueilleusementen retroussant ses manches, et en montrant ses bras ronds, aussigros déjà que ceux d’une femme faite.

Et comme on lui tendait le drapeau :

« Attendez », reprit-elle.

Elle retira vivement sa pelisse, qu’elle remit ensuite, aprèsl’avoir tournée du côté de la doublure rouge. Alors elle apparut,dans la blanche clarté de la lune, drapée d’un large manteau depourpre qui lui tombait jusqu’aux pieds. Le capuchon, arrêté sur lebord de son chignon, la coiffait d’une sorte de bonnet phrygien.Elle prit le drapeau, en serra la hampe contre sa poitrine, et setint droite, dans les plis de cette bannière sanglante qui flottaitderrière elle. Sa tête d’enfant exaltée, avec ses cheveux crépus,ses grands yeux humides, ses lèvres entrouvertes par un sourire,eut un élan d’énergique fierté, en se levant à demi vers le ciel. Àce moment, elle fut la vierge Liberté.

Les insurgés éclatèrent en applaudissements. Ces Méridionaux, àl’imagination vive, étaient saisis et enthousiasmés par la brusqueapparition de cette grande fille toute rouge qui serrait sinerveusement leur drapeau sur son sein. Des cris partirent dugroupe :

« Bravo, la Chantegreil ! Vive la Chantegreil !Elle restera avec nous, elle nous portera bonheur ! »

On l’eût acclamée longtemps si l’ordre de se remettre en marchen’était arrivé. Et, pendant que la colonne s’ébranlait, Miettepressa la main de Silvère, qui venait de se placer à son côté, etlui murmura à l’oreille :

« Tu entends ! je resterai avec toi. Tu veuxbien ? »

Silvère, sans répondre, lui rendit son étreinte. Il acceptait.Profondément ému, il était d’ailleurs incapable de ne pas selaisser aller au même enthousiasme que ses compagnons. Miette luiétait apparue si belle, si grande, si sainte ! Pendant toutela montée de la côte, il la revit devant lui, rayonnante, dans unegloire empourprée. Maintenant, il la confondait avec son autremaîtresse adorée, la République. Il aurait voulu être arrivé, avoirson fusil sur l’épaule. Mais les insurgés montaient lentement.L’ordre était donné de faire le moins de bruit possible. La colonnes’avançait entre les deux rangées d’ormes, pareille à un serpentgigantesque dont chaque anneau aurait eu d’étranges frémissements.La nuit glacée de décembre avait repris son silence, et seule laViorne paraissait gronder d’une voix plus haute.

Dès les premières maisons du faubourg, Silvère courut en avantpour aller chercher son fusil à l’aire Saint-Mittre, qu’il retrouvaendormie sous la lune. Quand il rejoignit les insurgés, ils étaientarrivés devant la porte de Rome. Miette se pencha et lui dit avecson sourire d’enfant :

« Il me semble que je suis à la procession de la Fête-Dieu,et que je porte la bannière de la Vierge. »

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