La Fortune des Rougon

Chapitre 5

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Au loin s’étendaient les routes toutes blanches de lune. Labande insurrectionnelle, dans la campagne froide et claire, repritsa marche héroïque. C’était comme un large courant d’enthousiasme.Le souffle d’épopée qui emportait Miette et Silvère, ces grandsenfants avides d’amour et de liberté, traversait avec unegénérosité sainte les honteuses comédies des Macquart et desRougon. La voix haute du peuple, par intervalles, grondait, entreles bavardages du salon jaune et les diatribes de l’oncle Antoine.Et la farce vulgaire, la farce ignoble, tournait au grand drame del’histoire.

Au sortir de Plassans, les insurgés avaient pris la routed’Orchères. Ils devaient arriver à cette ville vers dix heures dumatin. La route remonte le cours de la Viorne, en suivant à mi-côteles détours des collines aux pieds desquelles coule le torrent. Àgauche, la plaine s’élargit, immense tapis vert, piqué de loin enloin par les taches grises des villages. À droite, la chaîne desGarrigues dresse ses pics désolés, ses champs de pierres, ses blocscouleur de rouille, comme roussis par le soleil. Le grand chemin,formant chaussée du côté de la rivière, passe au milieu de rocsénormes, entre lesquels se montrent, à chaque pas, des bouts de lavallée. Rien n’est plus sauvage, plus étrangement grandiose, quecette route taillée dans le flanc même des collines. La nuitsurtout, ces lieux ont une horreur sacrée. Sous la lumière pâle,les insurgés s’avançaient comme dans une avenue de ville détruite,ayant aux deux bords des débris de temples&|160;; la lune faisaitde chaque rocher un fût de colonne tronqué, un chapiteau écroulé,une muraille trouée de mystérieux portiques. En haut, la masse desGarrigues dormait, à peine blanchie d’une teinte laiteuse, pareilleà une immense cité cyclopéenne dont les tours, les obélisques, lesmaisons aux terrasses hautes, auraient caché une moitié duciel&|160;; et, dans les fonds, du côté de la plaine, se creusait,s’élargissait un océan de clartés diffuses, une étendue vague, sansbornes, où flottaient des nappes de brouillard lumineux. La bandeinsurrectionnelle aurait pu croire qu’elle suivait une chausséegigantesque, un chemin de ronde construit au bord d’une merphosphorescente et tournant autour d’une Babel inconnue.

Cette nuit-là, la Viorne, au bas des rochers de la route,grondait d’une voix rauque. Dans ce roulement continu du torrent,les insurgés distinguaient des lamentations aigres de tocsin. Lesvillages épars dans la plaine, de l’autre côté de la rivière, sesoulevaient, sonnant l’alarme, allumant des feux. Jusqu’au matin,la colonne en marche, qu’un glas funèbre semblait suivre dans lanuit d’un tintement obstiné, vit ainsi l’insurrection courir lelong de la vallée comme une traînée de poudre. Les feux tachaientl’ombre de points sanglants&|160;; des chants lointains venaient,par souffles affaiblis&|160;; toute la vague étendue, noyée sousles buées blanchâtres de la lune, s’agitait confusément, avec debrusques frissons de colère. Pendant des lieues, le spectacle restale même.

Ces hommes, qui marchaient dans l’aveuglement de la fièvre queles événements de Paris avaient mise au cœur des républicains,s’exaltaient au spectacle de cette longue bande de terre toutesecouée de révolte. Grisés par l’enthousiasme du soulèvementgénéral qu’ils rêvaient, ils croyaient que la France les suivait,ils s’imaginaient voir, au-delà de la Viorne, dans la vaste mer declartés diffuses, des files d’hommes interminables qui couraient,comme eux, à la défense de la République. Et leur esprit rude, aveccette naïveté et cette illusion des foules, concevait une victoirefacile et certaine. Ils auraient saisi et fusillé comme traîtrequiconque leur aurait dit, à cette heure, que seuls ils avaient lecourage du devoir, tandis que le reste du pays, écrasé de terreur,se laissait lâchement garrotter.

Ils puisaient encore un continuel entraînement de courage dansl’accueil que leur faisaient les quelques bourgs bâtis sur lepenchant des Garrigues, au bord de la route. Dès l’approche de lapetite armée, les habitants se levaient en masse&|160;; les femmesaccouraient en leur souhaitant une prompte victoire&|160;; leshommes, à demi vêtus, se joignaient à eux, après avoir pris lapremière arme qui leur tombait sous la main. C’était, à chaquevillage, une nouvelle ovation, des cris de bienvenue, des adieuxlonguement répétés.

Vers le matin, la lune disparut derrière les Garrigues&|160;;les insurgés continuèrent leur marche rapide dans le noir épaisd’une nuit d’hiver&|160;; ils ne distinguaient plus ni la vallée,ni les coteaux&|160;; ils entendaient seulement les plaintes sèchesdes cloches, battant au fond des ténèbres, comme des tamboursinvisibles, cachés ils ne savaient où, et dont les appelsdésespérés les fouettaient sans relâche.

Cependant Miette et Silvère allaient dans l’emportement de labande. Vers le matin, la jeune fille était brisée de fatigue. Ellene marchait plus qu’à petits pas pressés, ne pouvant suivre lesgrandes enjambées des gaillards qui l’entouraient. Mais ellemettait tout son courage à ne pas se plaindre&|160;; il lui eûttrop coûté d’avouer qu’elle n’avait pas la force d’un garçon. Dèsles premières lieues, Silvère lui avait donné le bras&|160;; puis,voyant que le drapeau glissait peu à peu de ses mains roidies, ilavait voulu le prendre, pour la soulager&|160;; et elle s’étaitfâchée, elle lui avait seulement permis de soutenir le drapeaud’une main, tandis qu’elle continuerait à le porter sur son épaule.Elle garda ainsi son attitude héroïque avec une opiniâtretéd’enfant, souriant au jeune homme chaque fois qu’il lui jetait unregard de tendresse inquiète. Mais quand la lune se cacha, elles’abandonna dans le noir. Silvère la sentait devenir plus lourde àson bras. Il dut porter le drapeau et la prendre à la taille, pourl’empêcher de trébucher. Elle ne se plaignait toujours pas.

«&|160;Tu es bien lasse, ma pauvre Miette&|160;? lui demanda soncompagnon.

–&|160;Oui, un peu lasse, répondit-elle d’une voixoppressée.

–&|160;Veux-tu que nous nous reposions&|160;?&|160;»

Elle ne dit rien&|160;; seulement il comprit qu’elle chancelait.Alors il confia le drapeau à un des insurgés et sortit des rangs,en emportant presque l’enfant dans ses bras. Elle se débattit unpeu, elle était confuse d’être si petite fille. Mais il la calma,il lui dit qu’il connaissait un chemin de traverse qui abrégeait laroute de moitié. Ils pouvaient se reposer une bonne heure etarriver à Orchères en même temps que la bande.

Il était alors environ six heures. Un léger brouillard devaitmonter de la Viorne. La nuit semblait s’épaissir encore. Les jeunesgens grimpèrent à tâtons le long de la pente des Garrigues, jusqu’àun rocher, sur lequel ils s’assirent. Autour d’eux se creusait unabîme de ténèbres. Ils étaient comme perdus sur la pointe d’unrécif, au-dessus du vide. Et dans ce vide, quand le roulement sourdde la petite armée se fut perdu, ils n’entendirent plus que deuxcloches, l’une vibrante, sonnant sans doute à leurs pieds, dansquelque village bâti au bord de la route, l’autre éloignée,étouffée, répondant aux plaintes fébriles de la première par delointains sanglots. On eût dit que ces cloches se racontaient, dansle néant, la fin sinistre d’un monde.

Miette et Silvère, échauffés par leur course rapide, nesentirent pas d’abord le froid. Ils gardèrent le silence, écoutantavec une tristesse indicible ces bruits de tocsin dont frissonnaitla nuit. Ils ne se voyaient même pas. Miette eut peur&|160;; ellechercha la main de Silvère et la garda dans la sienne. Après l’élanfiévreux qui, pendant des heures, venait de les emporter horsd’eux-mêmes, la pensée perdue, cet arrêt brusque, cette solitudedans laquelle ils se retrouvaient côte à côte, les laissaientbrisés et étonnés, comme éveillés en sursaut d’un rêve tumultueux.Il leur semblait qu’un flot les avait jetés sur le bord de la routeet que la mer s’était ensuite retirée. Une réaction invincible lesplongeait dans une stupeur inconsciente&|160;; ils oubliaient leurenthousiasme&|160;; ils ne songeaient plus à cette bande d’hommesqu’ils devaient rejoindre&|160;; ils étaient tout au charme tristede se sentir seuls, au milieu de l’ombre farouche, la main dans lamain.

«&|160;Tu ne m’en veux pas&|160;? demanda enfin la jeune fille.Je marcherais bien toute la nuit avec toi&|160;; mais ils couraienttrop fort, je ne pouvais plus souffler.

–&|160;Pourquoi t’en voudrais-je&|160;? dit le jeune homme.

–&|160;Je ne sais pas. J’ai peur que tu ne m’aimes plus.J’aurais voulu faire de grands pas, comme toi, aller toujours sansm’arrêter. Tu vas croire que je suis une enfant.&|160;»

Silvère eut dans l’ombre un sourire que Miette devina. Ellecontinua d’une voix décidée&|160;:

«&|160;Il ne faut pas toujours me traiter comme une sœur&|160;;je veux être ta femme.&|160;»

Et, d’elle-même, elle attira Silvère contre sa poitrine.

Elle le tint serré entre ses bras, en murmurant&|160;:

«&|160;Nous allons avoir froid, réchauffons-nous commecela.&|160;»

Il y eut un silence. Jusqu’à cette heure trouble, les jeunesgens s’étaient aimés d’une tendresse fraternelle. Dans leurignorance, ils continuaient à prendre pour une amitié vivel’attrait qui les poussait à se serrer sans cesse entre les bras,et à se garder dans leurs étreintes, plus longtemps que ne segardent les frères et les sœurs. Mais, au fond de ces amoursnaïves, grondaient, plus hautement, chaque jour, les tempêtes dusang ardent de Miette et de Silvère. Avec l’âge, avec la science,une passion chaude, d’une fougue méridionale, devait naître decette idylle. Toute fille qui se pend au cou d’un garçon est femmedéjà, femme inconsciente, qu’une caresse peut éveiller. Quand lesamoureux s’embrassent sur les joues, c’est qu’ils tâtonnent etcherchent les lèvres. Un baiser fait des amants. Ce fut par cettenoire et froide nuit de décembre, aux lamentations aigres dutocsin, que Miette et Silvère échangèrent un de ces baisers quiappellent à la bouche tout le sang du cœur.

Ils restaient muets, étroitement serrés l’un contre l’autre.Miette avait dit&|160;: «&|160;Réchauffons-nous comme cela&|160;»,et ils attendaient innocemment d’avoir chaud. Des tiédeurs leurvinrent bientôt à travers leurs vêtements&|160;; ils sentirent peuà peu leur étreinte les brûler, ils entendirent leurs poitrines sesoulever d’un même souffle. Une langueur les envahit, qui lesplongea dans une somnolence fiévreuse. Ils avaient chaudmaintenant&|160;; des lueurs passaient devant leurs paupièrescloses, des bruits confus montaient à leur cerveau. Cet état debien-être douloureux, qui dura quelques minutes, leur parut sansfin. Et alors ce fut dans une sorte de rêve, que leurs lèvres serencontrèrent. Leur baiser fut long, avide. Il leur sembla quejamais ils ne s’étaient embrassés. Ils souffraient, ils seséparèrent. Puis, quand le froid de la nuit eut glacé leur fièvre,ils demeurèrent à quelque distance l’un de l’autre, dans une grandeconfusion.

Les deux cloches causaient toujours sinistrement entre elles,dans l’abîme noir qui se creusait autour des jeunes gens. Miette,frissonnante, effrayée, n’osa pas se rapprocher de Silvère. Elle nesavait même plus s’il était là, elle ne l’entendait plus faire unmouvement. Tous deux étaient pleins de la sensation âcre de leurbaiser&|160;; des effusions leur montaient aux lèvres, ils auraientvoulu se remercier, s’embrasser encore&|160;; mais ils étaient sihonteux de leur bonheur cuisant, qu’ils eussent mieux aimé nejamais le goûter une seconde fois, que d’en parler tout haut.Longtemps encore, si leur marche rapide n’avait fouetté leur sang,si la nuit épaisse ne s’était faite complice, ils se seraientembrassés sur les joues, comme de bons camarades. La pudeur venaità Miette. Après l’ardent baiser de Silvère, dans ces heureusesténèbres où son cœur s’ouvrait, elle se rappela les grossièretés deJustin. Quelques heures auparavant, elle avait écouté sans rougirce garçon, qui la traitait de fille perdue&|160;; il demandait àquand le baptême, il lui criait que son père la délivrerait à coupsde pied, si jamais elle s’avisait de rentrer au Jas-Meiffren, etelle avait pleuré sans comprendre, elle avait pleuré parce qu’elledevinait que tout cela devait être ignoble. Maintenant qu’elledevenait femme, elle se disait, avec ses innocences dernières, quele baiser, dont elle sentait encore la brûlure en elle, suffisaitpeut-être pour l’emplir de cette honte dont son cousin l’accusait.Alors elle fut prise de douleur, elle sanglota.

«&|160;Qu’as-tu&|160;? pourquoi pleures-tu&|160;? demandaSilvère d’une voix inquiète.

–&|160;Non, laisse, balbutia-t-elle, je ne sais pas.&|160;»

Puis, comme malgré elle, au milieu de ses larmes&|160;:

«&|160;Ah&|160;! je suis une malheureuse. J’avais dix ans, on mejetait des pierres. Aujourd’hui, on me traite comme la dernière descréatures. Justin a eu raison de me mépriser devant le monde. Nousvenons de faire le mal, Silvère.&|160;»

Le jeune homme, consterné, la reprit entre ses bras, essayant dela consoler.

«&|160;Je t’aime&|160;! murmurait-il. Je suis ton frère.Pourquoi dis-tu que nous venons de faire le mal&|160;? Nous noussommes embrassés parce que nous avions froid. Tu sais bien que nousnous embrassions tous les soirs en nous séparant.

–&|160;Oh&|160;! pas comme tout à l’heure, dit-elle d’une voixtrès basse. Il ne faut plus faire cela, vois-tu&|160;; ça doit êtredéfendu, car je me suis sentie toute singulière. Maintenant, leshommes vont rire, quand je passerai. Je n’oserai plus me défendre,ils seront dans leur droit.&|160;»

Le jeune homme se taisait, ne trouvant pas une parole pourtranquilliser l’esprit effaré de cette grande enfant de treize ans,toute frémissante et toute peureuse, à son premier baiser d’amour.Il la serrait doucement contre lui, il devinait qu’il la calmerait,s’il pouvait lui rendre le tiède engourdissement de leur étreinte.Mais elle se débattait, elle continuait&|160;:

«&|160;Si tu voulais, nous nous en irions, nous quitterions lepays. Je ne puis plus rentrer à Plassans&|160;; mon oncle mebattrait, toute la ville me montrerait au doigt…&|160;»

Puis, comme prise d’une irritation brusque&|160;:

«&|160;Non, je suis maudite, je te défends de quitter tante Didepour me suivre. Il faut m’abandonner sur une grande route.

–&|160;Miette, Miette, implora Silvère, ne dis pascela&|160;!

–&|160;Si, je te débarrasserai de moi. Sois raisonnable. On m’achassée comme une vaurienne. Si je revenais avec toi, tu tebattrais tous les jours. Je ne veux pas.&|160;»

Le jeune homme lui donna un nouveau baiser sur la bouche, enmurmurant&|160;:

«&|160;Tu seras ma femme, personne n’osera plus te nuire.

–&|160;Oh&|160;! je t’en supplie, dit-elle avec un faible cri,ne m’embrasse pas comme cela. Ça me fait mal.&|160;»

Puis, au bout d’un silence&|160;:

«&|160;Tu sais bien que je ne puis être ta femme. Nous sommestrop jeunes. Il me faudrait attendre, et je mourrais de honte. Tuas tort de te révolter, tu seras bien forcé de me laisser dansquelque coin.&|160;»

Alors Silvère, à bout de force, se mit à pleurer. Les sanglotsd’un homme ont des sécheresses navrantes. Miette, effrayée desentir le pauvre garçon secoué dans ses bras, le baisa au visage,oubliant qu’elle brûlait ses lèvres. C’était sa faute. Elle étaitune niaise de n’avoir pu supporter la douceur cuisante d’unecaresse. Elle ne savait pas pourquoi elle avait songé à des chosestristes, juste au moment où son amoureux l’embrassait comme il nel’avait jamais fait encore. Et elle le pressait contre sa poitrinepour lui demander pardon de l’avoir chagriné. Les enfants,pleurant, se serrant de leurs bras inquiets, mettaient un désespoirde plus dans l’obscure nuit de décembre. Au loin, les clochescontinuaient à se plaindre sans relâche, d’une voix plushaletante.

«&|160;Il vaut mieux mourir, répétait Silvère au milieu de sessanglots, il vaut mieux mourir…

–&|160;Ne pleure plus, pardonne-moi, balbutiait Miette. Je seraiforte, je ferai ce que tu voudras.&|160;»

Quand le jeune homme eut essuyé ses larmes&|160;:

«&|160;Tu as raison, dit-il, nous ne pouvons retourner àPlassans. Mais l’heure n’est pas venue d’être lâche. Si noussortons vainqueurs de la lutte, j’irai chercher tante Dide, nousl’emmènerons bien loin avec nous. Si nous sommesvaincus…&|160;»

Il s’arrêta.

«&|160;Si nous sommes vaincus&|160;?… répéta Miettedoucement.

–&|160;Alors, à la grâce de Dieu&|160;! continua Silvère d’unevoix plus basse. Je ne serai plus là sans doute, tu consoleras lapauvre vieille. Ça vaudrait mieux.

–&|160;Oui, tu le disais tout à l’heure, murmura la jeune fille,il vaut mieux mourir.&|160;»

À ce désir de mort, ils eurent une étreinte plus étroite. Miettecomptait bien mourir avec Silvère&|160;; celui-ci n’avait parlé quede lui, mais elle sentait qu’il l’emporterait avec joie dans laterre. Ils s’y aimeraient plus librement qu’au grand soleil. TanteDide mourrait, elle aussi, et viendrait les rejoindre. Ce fut commeun pressentiment rapide, un souhait d’une étrange volupté que leciel, par les voix désolées du tocsin, leur promettait de bientôtsatisfaire. Mourir&|160;! mourir&|160;! les cloches répétaient cemot avec un emportement croissant, et les amoureux se laissaientaller à ces appels de l’ombre&|160;; ils croyaient prendre unavant-goût du dernier sommeil, dans cette somnolence où lesreplongeaient la tiédeur de leurs membres et les brûlures de leurslèvres, qui venaient encore de se rencontrer.

Miette ne se défendait plus. C’était elle, maintenant, quicollait sa bouche sur celle de Silvère, qui cherchait avec unemuette ardeur cette joie dont elle n’avait pu d’abord supporterl’amère cuisson. Le rêve d’une mort prochaine l’avaitenfiévrée&|160;; elle ne se sentait plus rougir, elle s’attachait àson amant, elle semblait vouloir épuiser, avant de se coucher dansla terre, ces voluptés nouvelles, dans lesquelles elle venait àpeine de tremper les lèvres, et dont elle s’irritait de ne paspénétrer sur-le-champ tout le poignant inconnu. Au-delà du baiser,elle devinait autre chose qui l’épouvantait et l’attirait, dans levertige de ses sens éveillés. Et elle s’abandonnait&|160;; elle eûtsupplié Silvère de déchirer le voile, avec l’impudique naïveté desvierges. Lui, fou de la caresse qu’elle lui donnait, empli d’unbonheur parfait, sans force, sans autres désirs, ne paraissait pasmême croire à des voluptés plus grandes.

Quand Miette n’eut plus d’haleine, et qu’elle sentit faiblir leplaisir âcre de la première étreinte&|160;:

«&|160;Je ne veux pas mourir sans que tu m’aimes,murmura-t-elle&|160;; je veux que tu m’aimes encoredavantage…&|160;»

Les mots lui manquaient, non qu’elle eût conscience de la honte,mais parce qu’elle ignorait ce qu’elle désirait. Elle étaitsimplement secouée par une sourde révolte intérieure et par unbesoin d’infini dans la joie.

Elle eût, dans son innocence, frappé du pied comme un enfantauquel on refuse un jouet.

«&|160;Je t’aime, je t’aime&|160;», répétait Silvèredéfaillant.

Miette hochait la tête, elle semblait dire que ce n’était pasvrai, que le jeune homme lui cachait quelque chose. Sa naturepuissante et libre avait le secret instinct des fécondités de lavie. C’est ainsi qu’elle refusait la mort, si elle devait mourirignorante. Et, cette rébellion de son sang et de ses nerfs, ellel’avouait naïvement, par ses mains brûlantes et égarées, par sesbalbutiements, par ses supplications.

Puis, se calmant, elle posa la tête sur l’épaule du jeune homme,elle garda le silence. Silvère se baissait et l’embrassaitlonguement. Elle goûtait ces baisers avec lenteur, en cherchait lesens, la saveur secrète. Elle les interrogeait, les écoutait courirdans ses veines, leur demandait s’ils étaient tout l’amour, toutela passion. Une langueur la prit, elle s’endormit doucement, sanscesser de goûter dans son sommeil les caresses de Silvère. Celui-cil’avait enveloppée dans la grande pelisse rouge, dont il avaitégalement ramené un pan sur lui. Ils ne sentaient plus le froid.Quand Silvère, à la respiration régulière de Miette, eut comprisqu’elle sommeillait, il fut heureux de ce repos qui allait leurpermettre de continuer gaillardement leur chemin. Il se promit dela laisser dormir une heure. Le ciel était toujours noir&|160;; àpeine, au levant, une ligne blanchâtre indiquait-elle l’approche dujour. Il devait y avoir, derrière les amants, un bois de pins, dontle jeune homme entendait le réveil musical, aux souffles de l’aube.Et les lamentations des cloches devenaient plus vibrantes dansl’air frissonnant, berçant le sommeil de Miette, comme ellesavaient accompagné ses fièvres d’amoureuse.

Les jeunes gens, jusqu’à cette nuit de trouble, avaient vécu unede ces naïves idylles qui naissent au milieu de la classe ouvrière,parmi ces déshérités, ces simples d’esprit, chez lesquels onretrouve encore parfois les amours primitives des anciens contesgrecs.

Miette avait à peine neuf ans, lorsque son père fut envoyé aubagne, pour avoir tué un gendarme d’un coup de feu. Le procès deChantegreil était resté célèbre dans le pays. Le braconnier avouahautement le meurtre&|160;; mais il jura que le gendarme le tenaitlui-même au bout de son fusil. «&|160;Je n’ai fait que le prévenir,dit-il&|160;; je me suis défendu&|160;; c’est un duel et non unassassinat.&|160;» Il ne sortit pas de ce raisonnement. Jamais leprésident des assises ne parvint à lui faire entendre que, si ungendarme a le droit de tirer sur un braconnier, un braconnier n’apas celui de tirer sur un gendarme. Chantegreil échappa à laguillotine, grâce à son attitude convaincue et à ses bonsantécédents. Cet homme pleura comme un enfant, lorsqu’on lui amenasa fille, avant son départ pour Toulon. La petite, qui avait perdusa mère au berceau, demeurait avec son grand-père à Chavanoz, unvillage des gorges de la Seille. Quand le braconnier ne fut pluslà, le vieux et la fillette vécurent d’aumônes. Les habitants deChavanoz, tous chasseurs, vinrent en aide aux pauvres créatures quele forçat laissait derrière lui. Cependant le vieux mourut dechagrin. Miette, restée seule, aurait mendié sur les routes, si lesvoisines ne s’étaient souvenues qu’elle avait une tante à Plassans.Une âme charitable voulut bien la conduire chez cette tante, quil’accueillit assez mal.

Eulalie Chantegreil, mariée au méger Rébufat, était une grandediablesse noire et volontaire qui gouvernait au logis. Elle menaitson mari par le bout du nez, disait-on dans le faubourg. La véritéétait que Rébufat, avare, âpre à la besogne et au gain, avait unesorte de respect pour cette grande diablesse, d’une vigueur peucommune, d’une sobriété et d’une économie rares.

Grâce à elle, le ménage prospérait. Le méger grogna le soir où,en rentrant du travail, il trouva Miette installée. Mais sa femmelui ferma la bouche, en lui disant de sa voix rude&|160;:

«&|160;Bah&|160;! la petite est bien constituée&|160;; elle nousservira de servante&|160;; nous la nourrirons et nous économiseronsles gages.&|160;»

Ce calcul sourit à Rébufat. Il alla jusqu’à tâter les bras del’enfant, qu’il déclara avec satisfaction très forte pour son âge.Miette avait alors neuf ans. Dès le lendemain, il l’utilisa. Letravail des paysannes, dans le Midi, est beaucoup plus doux quedans le Nord. On y voit rarement les femmes occupées à bêcher laterre, à porter les fardeaux, à faire des besognes d’hommes. Elleslient les gerbes, cueillent les olives et les feuilles demûrier&|160;; leur occupation la plus pénible est d’arracher lesmauvaises herbes. Miette travailla gaiement. La vie en plein airétait sa joie et sa santé. Tant que sa tante vécut, elle n’eut quedes rires. La brave femme, malgré ses brusqueries, l’aimait commeson enfant&|160;; elle lui défendait de faire les gros travaux dontson mari tentait parfois de la charger, et elle criait à cedernier&|160;:

«&|160;Ah&|160;! tu es un habile homme&|160;! Tu ne comprendsdonc pas, imbécile, que si tu la fatigues trop aujourd’hui, elle nepourra rien faire demain&|160;!&|160;»

Cet argument était décisif. Rébufat baissait la tête et portaitlui-même le fardeau qu’il voulait mettre sur les épaules de lajeune fille.

Celle-ci eût vécu parfaitement heureuse, sous la protectionsecrète de sa tante Eulalie, sans les taquineries de son cousin,alors âgé de seize ans, qui occupait ses paresses à la détester età la persécuter sourdement. Les meilleures heures de Justin étaientcelles où il parvenait à la faire gronder par quelque rapport grosde mensonges. Quand il pouvait lui marcher sur les pieds ou lapousser avec brutalité, en feignant de ne pas l’avoir aperçue, ilriait, il goûtait cette volupté sournoise des gens qui jouissentbéatement du mal des autres. Miette le regardait alors, avec sesgrands yeux noirs d’enfant, d’un regard luisant de colère et defierté muette, qui arrêtait les ricanements du lâche galopin. Aufond, il avait une peur atroce de sa cousine.

La jeune fille allait atteindre sa onzième année, lorsque satante Eulalie mourut brusquement. Dès ce jour, tout changea aulogis. Rébufat se laissa peu à peu aller à traiter Miette en valetde ferme. Il l’accabla de besognes grossières, se servit d’ellecomme d’une bête de somme. Elle ne se plaignit même pas, ellecroyait avoir une dette de reconnaissance à payer. Le soir, briséede fatigue, elle pleurait sa tante, cette terrible femme dont ellesentait maintenant toute la bonté cachée. D’ailleurs, le travailmême dur ne lui déplaisait pas&|160;; elle aimait la force, elleavait l’orgueil de ses gros bras et de ses solides épaules. Ce quila navrait, c’était la surveillance méfiante de son oncle, sescontinuels reproches, son attitude de maître irrité. À cette heure,elle était une étrangère dans la maison. Même une étrangèren’aurait pas été aussi maltraitée qu’elle. Rébufat abusait sansscrupule de cette petite parente pauvre qu’il gardait auprès de luipar une charité bien entendue. Elle payait dix fois de son travailcette dure hospitalité, et il ne se passait pas de journée qu’il nelui reprochât le pain qu’elle mangeait. Justin, surtout, excellaità la blesser. Depuis que sa mère n’était plus là, voyant l’enfantsans défense, il mettait tout son mauvais esprit à lui rendre lelogis insupportable. La plus ingénieuse torture qu’il inventa futde parler à Miette de son père. La pauvre fille, ayant vécu hors dumonde, sous la protection de sa tante, qui avait défendu qu’onprononçât devant elle les mots de bagne et de forçat, ne comprenaitguère le sens de ces mots. Ce fut Justin qui le lui apprit, en luiracontant à sa manière le meurtre du gendarme et la condamnation deChantegreil. Il ne tarissait pas en détails odieux&|160;: lesforçats avaient un boulet au pied, ils travaillaient quinze heurespar jour, ils mouraient tous à la peine&|160;; le bagne était unlieu sinistre dont il décrivait minutieusement toutes les horreurs.Miette l’écoutait, hébétée, les yeux en larmes. Parfois desviolences brusques la soulevaient, et Justin se hâtait de faire unsaut en arrière, devant ses poings crispés. Il savourait engourmand cette cruelle initiation. Quand son père, pour la moindrenégligence, s’emportait contre l’enfant, il se mettait de lapartie, heureux de pouvoir l’insulter sans danger. Et si elleessayait de se défendre&|160;:

«&|160;Va, disait-il, bon sang ne peut mentir&|160;: tu finirasau bagne, comme ton père.&|160;»

Miette sanglotait, frappée au cœur, écrasée de honte, sansforce.

À cette époque, Miette devenait femme déjà. D’une pubertéprécoce, elle résista au martyre avec une énergie extraordinaire.Elle s’abandonnait rarement, seulement aux heures où ses fiertésnatives mollissaient sous les outrages de son cousin. Bientôt ellesupporta d’un œil sec les blessures incessantes de cet être lâche,qui la surveillait en parlant, de peur qu’elle ne lui sautât auvisage. Puis, elle savait le faire taire, en le regardant fixement.Elle eut à plusieurs reprises l’envie de se sauver du Jas-Meiffren.Mais elle n’en fit rien, par courage, pour ne pas s’avouer vaincuesous les persécutions qu’elle endurait. En somme, elle gagnait sonpain, elle ne volait pas l’hospitalité des Rébufat&|160;; cettecertitude suffisait à son orgueil. Elle resta ainsi pour lutter, seroidissant, vivant dans une continuelle pensée de résistance. Saligne de conduite fut de faire sa besogne en silence et de sevenger des mauvaises paroles par un mépris muet. Elle savait queson oncle abusait trop d’elle pour écouter aisément lesinsinuations de Justin, qui rêvait de la faire jeter à la porte.Aussi, mettait-elle une sorte de défi à ne pas s’en allerd’elle-même.

Ses longs silences volontaires furent pleins d’étrangesrêveries. Passant ses journées dans l’enclos, séparée du monde,elle grandit en révoltée, elle se fit des opinions qui auraientsingulièrement effarouché les bonnes gens du faubourg. La destinéede son père l’occupa surtout. Toutes les mauvaises paroles deJustin lui revinrent&|160;; elle finit par accepter l’accusationd’assassinat, par se dire que son père avait bien fait de tuer legendarme qui voulait le tuer. Elle connaissait l’histoire vraie dela bouche d’un terrassier qui avait travaillé au Jas-Meiffren. Àpartir de ce moment, elle ne tourna même plus la tête, les raresfois qu’elle sortait, lorsque les vauriens du faubourg la suivaienten criant&|160;:

«&|160;Eh&|160;! la Chantegreil&|160;!&|160;»

Elle pressait le pas, les lèvres serrées, les yeux d’un noirfarouche. Quand elle refermait la grille, en rentrant, elle jetaitun seul et long regard sur la bande des galopins. Elle seraitdevenue mauvaise, elle aurait glissé à la sauvagerie cruelle desparias, si parfois toute son enfance ne lui était revenue au cœur.Ses onze ans la jetaient à des faiblesses de petite fille qui lasoulageaient. Alors elle pleurait, elle était honteuse d’elle et deson père. Elle courait se cacher au fond d’une écurie poursangloter à l’aise, comprenant que, si l’on voyait ses larmes, onla martyriserait davantage. Et quand elle avait bien pleuré, elleallait baigner ses yeux dans la cuisine, elle reprenait son visagemuet. Ce n’était pas son intérêt seul qui la faisait secacher&|160;; elle poussait l’orgueil de ses forces précocesjusqu’à ne plus vouloir paraître une enfant. À la longue, toutdevait s’aigrir en elle. Elle fut heureusement sauvée, enretrouvant les tendresses de sa nature aimante.

Le puits qui se trouvait dans la cour de la maison habitée partante Dide et Silvère était un puits mitoyen. Le mur duJas-Meiffren le coupait en deux. Anciennement, avant que l’enclosdes Fouque fût réuni à la grande propriété voisine, les maraîchersse servaient journellement de ce puits. Mais depuis l’achat duterrain, comme il était éloigné des communs, les habitants du Jas,qui avaient à leur disposition de vastes réservoirs, n’y puisaientpas un seau d’eau dans un mois. De l’autre côté, au contraire,chaque matin, on entendait grincer la poulie&|160;; c’était Silvèrequi tirait pour tante Dide l’eau nécessaire au ménage.

Un jour, la poulie se fendit. Le jeune charron tailla lui-mêmeune belle et forte poulie de chêne qu’il posa le soir, après sajournée. Il lui fallut monter sur le mur. Quand il eut fini sontravail, il resta à califourchon sur le chaperon du mur, sereposant, regardant curieusement la large étendue du Jas-Meiffren.Une paysanne qui arrachait les mauvaises herbes à quelques pas delui finit par fixer son attention. On était en juillet, l’airbrûlait, bien que le soleil fût déjà au bord de l’horizon. Lapaysanne avait retiré sa casaque. En corset blanc, un fichu decouleur noué sur les épaules, les manches de chemise retrousséesjusqu’aux coudes, elle était accroupie dans les plis de sa jupe decotonnade bleue, que retenaient deux bretelles croisées derrière ledos. Elle marchait sur les genoux, arrachant activement l’ivraiequ’elle jetait dans un couffin. Le jeune homme ne voyait d’elle queses bras nus, brûlés par le soleil, s’allongeant à droite, àgauche, pour saisir quelque herbe oubliée. Il suivaitcomplaisamment ce jeu rapide des bras de la paysanne, goûtant unsingulier plaisir à les voir si fermes et si prompts. Elle s’étaitlégèrement redressée en ne l’entendant plus travailler, et avaitbaissé de nouveau la tête, avant qu’il eût pu même distinguer sestraits. Ce mouvement effarouché le retint. Il se questionnait surcette femme, en garçon curieux, sifflant machinalement et battantla mesure avec un ciseau à froid qu’il tenait à la main, lorsque leciseau lui échappa. L’outil tomba du côté du Jas-Meiffren, sur lamargelle du puits, et alla rebondir à quelques pas de la muraille.Silvère le regarda, se penchant, hésitant à descendre. Mais ilparaît que la paysanne examinait le jeune homme du coin de l’œil,car elle se leva sans mot dire, et vint ramasser le ciseau à froidqu’elle tendit à Silvère. Alors ce dernier vit que la paysanneétait une enfant. Il resta surpris et un peu intimidé. Dans lesclartés rouges du couchant, la jeune fille se haussait vers lui. Lemur, à cet endroit, était bas, mais la hauteur se trouvait encoretrop grande. Silvère se coucha sur le chaperon, la petite paysannese dressa sur la pointe des pieds. Ils ne disaient rien, ils seregardaient d’un air confus et souriant. Le jeune homme eût,d’ailleurs, voulu prolonger l’attitude de l’enfant. Elle levaitvers lui une adorable tête, de grands yeux noirs, une bouche rouge,qui l’étonnaient et le remuaient singulièrement. Jamais il n’avaitvu une fille de si près&|160;; il ignorait qu’une bouche et desyeux pussent être si plaisants à regarder. Tout lui paraissaitavoir un charme inconnu, le fichu de couleur, le corset blanc, lajupe de cotonnade bleue, que tiraient les bretelles, tendues par lemouvement des épaules. Son regard glissa le long du bras qui luiprésentait l’outil&|160;; jusqu’au coude, le bras était d’un brundoré, comme vêtu de hâle&|160;; mais plus loin, dans l’ombre de lamanche de chemise retroussée, Silvère apercevait une rondeur nue,d’une blancheur de lait. Il se troubla, se pencha davantage, et putenfin saisir le ciseau. La petite paysanne commençait à êtreembarrassée. Puis ils restèrent là, à se sourire encore, l’enfanten bas, la face toujours levée, le jeune garçon à demi couché surle chaperon du mur. Ils ne savaient comment se séparer. Ilsn’avaient pas échangé une parole. Silvère oubliait même de diremerci.

«&|160;Comment t’appelles-tu&|160;? demanda-t-il.

–&|160;Marie, répondit la paysanne&|160;; mais tout le mondem’appelle Miette.&|160;»

Elle se haussa légèrement, et de sa voix nette&|160;:

«&|160;Et toi&|160;? demanda-t-elle à son tour.

–&|160;Moi, je m’appelle Silvère&|160;», répondit le jeuneouvrier.

Il y eut un silence, pendant lequel ils parurent écoutercomplaisamment la musique de leurs noms.

«&|160;Moi j’ai quinze ans, reprit Silvère. Et toi&|160;?

–&|160;Moi, dit Miette, j’aurai onze ans à laToussaint.&|160;»

Le jeune ouvrier fit un geste de surprise.

«&|160;Ah&|160;! bien, dit-il en riant, moi qui t’avais prisepour une femme&|160;!… Tu as de gros bras.&|160;»

Elle se mit à rire, elle aussi, en baissant les yeux sur sesbras. Puis ils ne se dirent plus rien. Ils demeurèrent encore unbon moment, à se regarder et à sourire. Comme Silvère semblaitn’avoir plus de questions à lui adresser, Miette s’en alla toutsimplement et se remit à arracher les mauvaises herbes, sans leverla tête. Lui, resta un instant sur le mur. Le soleil secouchait&|160;; une nappe de rayons obliques coulait sur les terresjaunes du Jas-Meiffren&|160;; les terres flambaient, on eût dit unincendie courant au ras du sol. Et, dans cette nappe flambante,Silvère regardait la petite paysanne accroupie et dont les bras nusavaient repris leur jeu rapide&|160;; la jupe de cotonnade bleueblanchissait, des lueurs couraient le long des bras cuivrés. Ilfinit par éprouver une sorte de honte à rester là. Il descendit dumur.

Le soir, Silvère, préoccupé de son aventure, essaya dequestionner tante Dide. Peut-être saurait-elle qui était cetteMiette qui avait des yeux si noirs et une bouche si rouge. Mais,depuis qu’elle habitait la maison de l’impasse, tante Dide n’avaitplus jeté un seul coup d’œil derrière le mur de la petite cour.C’était, pour elle, comme un rempart infranchissable, qui muraitson passé. Elle ignorait, elle voulait ignorer ce qu’il y avaitmaintenant de l’autre côté de cette muraille, dans cet ancienenclos des Fouque, où elle avait enterré son amour, son cœur et sachair. Aux premières questions de Silvère, elle le regarda avec uneffroi d’enfant. Allait-il donc lui aussi remuer les cendres de cesjours éteints et la faire pleurer comme son fils Antoine&|160;?

«&|160;Je ne sais, dit-elle d’une voix rapide, je ne sors plus,je ne vois personne…&|160;»

Silvère attendit le lendemain avec quelque impatience. Dès qu’ilfut arrivé chez son patron, il fit causer ses camarades d’atelier.Il ne raconta pas son entrevue avec Miette&|160;; il parlavaguement d’une fille qu’il avait aperçue de loin, dans leJas-Meiffren.

«&|160;Eh&|160;! c’est la Chantegreil&|160;!&|160;» cria un desouvriers.

Et, sans que Silvère eût besoin de les interroger, ses camaradeslui racontèrent l’histoire du braconnier Chantegreil et de sa filleMiette, avec cette haine aveugle des foules contre les parias. Ilstraitèrent surtout cette dernière d’une sale façon&|160;; ettoujours l’insulte de fille de galérien leur venait aux lèvres,comme une raison sans réplique qui condamnait la chère innocente àune éternelle honte.

Le charron Vian, un brave et digne homme, finit par leur imposersilence.

«&|160;Eh&|160;! taisez-vous, mauvaises langues&|160;! dit-il enlâchant un brancard de carriole qu’il examinait. N’avez-vous pashonte de vous acharner après une enfant&|160;? Je l’ai vue, moi,cette petite. Elle a un air très honnête. Puis on m’a dit qu’ellene boudait pas devant le travail et qu’elle faisait déjà la besogned’une femme de trente ans. Il y a ici des fainéants qui ne lavalent pas. Je lui souhaite pour plus tard un bon mari qui fassetaire les méchants propos.&|160;»

Silvère, que les plaisanteries et les injures grossières desouvriers avaient glacé, sentit des larmes lui monter aux yeux, àcette dernière parole de Vian. D’ailleurs, il n’ouvrit pas leslèvres. Il reprit son marteau, qu’il avait posé auprès de lui, etse mit à taper de toutes ses forces sur le moyeu d’une roue qu’ilferrait.

Le soir, dès qu’il fut rentré de l’atelier, il courut grimpersur le mur. Il trouva Miette à sa besogne de la veille. Ill’appela. Elle vint à lui, avec son sourire embarrassé, sonadorable sauvagerie d’enfant grandie dans les larmes.

«&|160;Tu es la Chantegreil, n’est-ce pas&|160;?&|160;» luidemanda-t-il brusquement.

Elle recula, elle cessa de sourire, et ses yeux devinrent d’unnoir dur, luisant de défiance. Ce garçon allait donc l’insultercomme les autres&|160;! Elle tournait le dos sans répondre, lorsqueSilvère, consterné du subit changement de son visage, se hâtad’ajouter&|160;:

«&|160;Reste, je t’en prie… Je ne veux pas te faire de la peine…J’ai tant de choses à te dire&|160;!&|160;»

Elle revint, méfiante encore. Silvère, dont le cœur était pleinet qui s’était promis de le vider longuement, resta muet, nesachant par où commencer, craignant de commettre quelque nouvellemaladresse. Tout son cœur se mit enfin dans une phrase&|160;:

«&|160;Veux-tu que je sois ton ami&|160;?&|160;» dit-il d’unevoix émue.

Et comme Miette, toute surprise, levait vers lui ses yeuxredevenus humides et souriants, il continua avecvivacité&|160;:

«&|160;Je sais qu’on te fait du chagrin. Il faut que cela cesse.C’est moi qui te défendrai maintenant. Veux-tu&|160;?&|160;»

L’enfant rayonnait. Cette amitié qui s’offrait à elle la tiraitde tous ses mauvais rêves de haines muettes. Elle hocha la tête,elle répondit&|160;:

«&|160;Non, je ne veux pas que tu te battes pour moi. Tu auraistrop à faire. Puis il est des gens contre lesquels tu ne peux medéfendre.&|160;»

Silvère voulut crier qu’il la défendrait contre le monde entier,mais elle lui ferma la bouche, d’un geste câlin, enajoutant&|160;:

«&|160;Il me suffit que tu sois mon ami.&|160;»

Alors ils causèrent quelques minutes, en baissant la voix leplus possible. Miette parla à Silvère de son oncle et de soncousin. Pour rien au monde, elle n’aurait voulu qu’ils le vissentainsi à califourchon sur le chaperon du mur. Justin seraitimplacable s’il avait une arme contre elle. Elle disait sescraintes avec l’effroi d’une écolière qui rencontre une amie que samère lui a défendu de fréquenter. Silvère comprit seulement qu’ilne pourrait voir Miette à son aise. Cela l’attrista beaucoup. Ilpromit cependant de ne plus remonter sur le mur. Ils cherchaienttous deux un moyen pour se revoir, lorsque Miette le supplia des’en aller&|160;; elle venait d’apercevoir Justin qui traversait lapropriété, en se dirigeant du côté du puits. Silvère se hâta dedescendre. Quand il fut dans la petite cour, il resta au pied dumur, prêtant l’oreille, irrité de sa fuite. Au bout de quelquesminutes, il se hasarda à grimper de nouveau et à jeter un coupd’œil dans le Jas-Meiffren&|160;; mais il vit Justin qui causaitavec Miette, il retira vite la tête. Le lendemain, il ne put voirson amie, pas même de loin&|160;; elle devait avoir fini sa besognedans cette partie du Jas. Huit jours se passèrent ainsi, sans queles deux camarades eussent l’occasion d’échanger une seule parole.Silvère était désespéré&|160;; il songeait à aller carrémentdemander Miette chez les Rébufat.

Le puits mitoyen était un grand puits très peu profond. Dechaque côté du mur, les margelles s’arrondissaient en un largedemi-cercle. L’eau se trouvait à trois ou quatre mètres, au plus.Cette eau dormante reflétait les deux ouvertures du puits, deuxdemi-lunes que l’ombre de la muraille séparait d’une raie noire. Ense penchant, on eût cru apercevoir, dans le jour vague, deux glacesd’une netteté et d’un éclat singuliers. Par les matinées de soleil,lorsque l’égouttement des cordes ne troublait pas la surface del’eau, ces glaces, ces reflets du ciel se découpaient, blancs surl’eau verte, en reproduisant avec une étrange exactitude lesfeuilles d’un pied de lierre qui avait poussé le long de lamuraille, au-dessus du puits.

Un matin, de fort bonne heure, Silvère, en venant tirer laprovision d’eau de tante Dide, se pencha machinalement, au momentoù il saisissait la corde. Il eut un tressaillement, il restacourbé, immobile. Au fond du puits, il avait cru distinguer unetête de jeune fille qui le regardait en souriant&|160;; mais ilavait ébranlé la corde, l’eau agitée n’était plus qu’un miroirtrouble sur lequel rien ne se reflétait nettement. Il attendit quel’eau se fût rendormie, n’osant bouger, le cœur battant à grandscoups. Et à mesure que les rides de l’eau s’élargissaient et semouraient, il vit l’apparition se reformer. Elle oscilla longtempsdans un balancement qui donnait à ses traits une grâce vague defantôme. Elle se fixa, enfin. C’était le visage souriant de Miette,avec son buste, son fichu de couleur, son corset blanc, sesbretelles bleues. Silvère s’aperçut à son tour dans l’autre glace.Alors, sachant tous deux qu’ils se voyaient, ils firent des signesde tête. Dans le premier moment, ils ne songèrent même pas àparler. Puis ils se saluèrent.

«&|160;Bonjour, Silvère.

–&|160;Bonjour, Miette.&|160;»

Le son étrange de leurs voix les étonna. Elles avaient pris unesourde et singulière douceur dans ce trou humide. Il leur semblaitqu’elles venaient de très loin, avec ce chant léger des voixentendues le soir dans la campagne. Ils comprirent qu’il leursuffirait de parler bas pour s’entendre. Le puits résonnait aumoindre souffle. Accoudés aux margelles, penchés et se regardant,ils causèrent. Miette dit combien elle avait eu du chagrin depuishuit jours. Elle travaillait à l’autre bout du Jas et ne pouvaits’échapper que le matin de bonne heure. En disant cela, ellefaisait une moue de dépit que Silvère distinguait parfaitement, età laquelle il répondait par un balancement de tête irrité. Ils sefaisaient leurs confidences, comme s’ils se fussent trouvés face àface, avec les gestes et les expressions de physionomie quedemandaient les paroles. Peu leur importait le mur qui lesséparait, maintenant qu’ils se voyaient là-bas, dans cesprofondeurs discrètes.

«&|160;Je savais, continua Miette avec une mine futée, que tutirais de l’eau chaque jour à la même heure. J’entends, de lamaison, grincer la poulie. Alors j’ai inventé un prétexte, j’aiprétendu que l’eau de ce puits cuisait mieux les légumes. Je medisais que je viendrais en puiser tous les matins en même temps quetoi, et que je pourrais te dire bonjour, sans que personne s’endoutât.&|160;»

Elle eut un rire d’innocente qui s’applaudit de sa ruse, et elletermina en disant&|160;:

«&|160;Mais je ne m’imaginais pas que nous nous verrions dansl’eau.&|160;»

C’était là, en effet, la joie inespérée qui les ravissait. Ilsne parlaient guère que pour voir remuer leurs lèvres, tant ce jeunouveau amusait l’enfance qui était encore en eux. Aussi sepromirent-ils sur tous les tons de ne jamais manquer au rendez-vousmatinal. Quand Miette eut déclaré qu’il lui fallait s’en aller,elle dit à Silvère qu’il pouvait tirer son seau d’eau. Mais Silvèren’osait remuer la corde&|160;: Miette était restée penchée, ilvoyait toujours son visage souriant, et il lui en coûtait tropd’effacer ce sourire. À un léger ébranlement qu’il donna au seau,l’eau frémit, le sourire de Miette pâlit. Il s’arrêta, pris d’uneétrange crainte&|160;: il s’imaginait qu’il venait de la contrarieret qu’elle pleurait. Mais l’enfant lui cria&|160;: «&|160;Vadonc&|160;! va donc&|160;!&|160;» avec un rire que l’écho luirenvoyait plus prolongé et plus sonore. Et elle fit elle-mêmedescendre un seau bruyamment. Il y eut une tempête. Tout disparutsous l’eau noire. Silvère alors se décida à emplir ses deuxcruches, en écoutant les pas de Miette, qui s’éloignait, de l’autrecôté de la muraille.

À partir de ce jour, les jeunes gens ne manquèrent pas une foisde se trouver au rendez-vous. L’eau dormante, ces glaces blanchesoù ils contemplaient leur image, donnaient à leurs entrevues uncharme infini qui suffit longtemps à leur imagination joueused’enfants. Ils n’avaient aucun désir de se voir face à face, celaleur semblait bien plus amusant de prendre un puits pour miroir etde confier à son écho leur bonjour matinal. Ils connurent bientôtle puits comme un vieil ami. Ils aimaient à se pencher sur la nappelourde et immobile, pareille à de l’argent en fusion. En bas, dansun demi-jour mystérieux, des lueurs vertes couraient, quiparaissaient changer le trou humide en une cachette perdue au fonddes taillis. Ils s’apercevaient ainsi dans une sorte de nidverdâtre, tapissé de mousse, au milieu de la fraîcheur de l’eau etdu feuillage. Et tout l’inconnu de cette source profonde, de cettetour creuse sur laquelle ils se courbaient, attirés, avec de petitsfrissons, ajoutait à leur joie de se sourire une peur inavouée etdélicieuse. Il leur prenait la folle idée de descendre, d’allers’asseoir sur une rangée de grosses pierres qui formaient uneespèce de banc circulaire, à quelques centimètres de lanappe&|160;; ils tremperaient leurs pieds dans l’eau, ilscauseraient pendant des heures, sans qu’on s’avisât jamais de lesvenir chercher en cet endroit. Puis, quand ils se demandaient cequ’il pouvait bien y avoir là-bas, leurs frayeurs vaguesrevenaient, et ils pensaient que c’était assez déjà d’y laisserdescendre leur image, tout au fond, dans ces lueurs vertes quimoiraient les pierres d’étranges reflets, dans ces bruitssinguliers qui montaient des coins noirs. Ces bruits surtout, venusde l’invisible, les inquiétaient&|160;; souvent il leur semblaitque des voix répondaient aux leurs&|160;; alors ils se taisaient,et ils entendaient mille petites plaintes qu’ils ne s’expliquaientpas&|160;: travail sourd de l’humidité, soupirs de l’air, gouttesd’eau glissant sur les pierres et dont la chute avait la sonoritégrave d’un sanglot. Pour se rassurer, ils se faisaient des signesde tête affectueux. L’attrait qui les retenait accoudés auxmargelles avait ainsi, comme tout charme poignant, sa pointed’horreur secrète. Mais le puits restait leur vieil ami. Il étaitun si excellent prétexte à leur rendez-vous&|160;! Jamais Justin,qui espionnait chaque pas de Miette, ne se défia de sonempressement à aller tirer de l’eau, le matin. Parfois il laregardait de loin se pencher, s’attarder. «&|160;Ah&|160;! lafainéante&|160;! murmurait-il, dire qu’elle s’amuse à faire desronds&|160;!&|160;» Comment soupçonner que, de l’autre côté du mur,il y avait un galant qui regardait dans l’eau le sourire de lajeune fille, en lui disant&|160;: «&|160;Si cet âne rouge de Justinte maltraite, dis-le-moi, il aura de mesnouvelles&|160;!&|160;»

Pendant plus d’un mois, ce jeu dura. On était en juillet&|160;;les matinées brûlaient, blanches de soleil, et c’était une voluptéd’accourir là, dans ce coin humide. Il faisait bon de recevoir auvisage l’haleine glacée du puits, de s’aimer dans cette eau desource, à l’heure où l’incendie du ciel s’allumait. Miette arrivaittout essoufflée, traversant les chaumes&|160;; dans sa course, lespetits cheveux de son front et de ses tempes s’échevelaient&|160;;elle prenait à peine le temps de poser sa cruche&|160;; elle sepenchait, rouge, décoiffée, vibrante de rires. Et Silvère, qui setrouvait presque toujours le premier au rendez-vous, éprouvait, enla voyant apparaître dans l’eau, avec cette rieuse et folle hâte,la sensation vive qu’il aurait ressentie, si elle s’était jetéebrusquement dans ses bras, au détour d’un sentier. Autour d’eux,les gaietés de la radieuse matinée chantaient, un flot de lumièrechaude, toute sonore d’un bourdonnement d’insectes, battait lavieille muraille, les piliers et les margelles. Mais eux nevoyaient plus la matinale ondée de soleil, n’entendaient plus lesmille bruits qui montaient du sol&|160;: ils étaient au fond deleur cachette verte, sous la terre, dans ce trou mystérieux etvaguement effrayant, s’oubliant à jouir de la fraîcheur et dudemi-jour, avec une joie frissonnante.

Certains matins, Miette, dont le tempérament ne s’accommodaitpas d’une longue contemplation, se montrait taquine&|160;; elleremuait la corde, elle faisait tomber exprès des gouttes d’eau quiridaient les clairs miroirs et déformaient les images. Silvère lasuppliait de se tenir tranquille. Lui, d’une ardeur plusconcentrée, ne connaissait pas de plus vif plaisir que de regarderle visage de son amie, réfléchi dans toute la pureté de ses traits.Mais elle ne l’écoutait pas, elle plaisantait, elle faisait lagrosse voix, une voix de croque-mitaine, à laquelle l’écho donnaitune douceur rauque.

«&|160;Non, non, grondait-elle, je ne t’aime pas aujourd’hui, jete fais la grimace&|160;; vois comme je suis laide.&|160;»

Et elle s’égayait à voir les formes bizarres que prenaient leursfigures élargies, dansantes sur l’eau.

Un matin, elle se fâcha pour tout de bon. Elle ne trouva pasSilvère au rendez-vous, et elle l’attendit près d’un quart d’heure,en faisant vainement grincer la poulie. Elle allait s’éloigner,exaspérée, lorsqu’il arriva enfin. Dès qu’elle l’aperçut, elledéchaîna une véritable tempête dans le puits&|160;; elle agitait leseau d’une main irritée, l’eau noirâtre tourbillonnait avec desjaillissements sourds contre les pierres. Silvère eut beau luiexpliquer que tante Dide l’avait retenu. À toutes les excuses, ellerépondait&|160;:

«&|160;Tu m’as fait de la peine, je ne veux pas tevoir.&|160;»

Le pauvre garçon interrogeait avec désespoir ce trou sombre,plein de bruits lamentables, où l’attendait, les autres jours, unesi claire vision, dans le silence de l’eau morte. Il dut se retirersans avoir vu Miette. Le lendemain, ayant devancé l’heure durendez-vous, il regardait mélancoliquement dans le puits,n’entendant rien, se disant que la mauvaise tête ne viendraitpeut-être pas, lorsque l’enfant, qui était déjà de l’autre côté, oùelle guettait sournoisement son arrivée, se pencha tout d’un coup,en éclatant de rire. Tout fut oublié.

Il y eut ainsi des drames et des comédies dont le puits futcomplice. Ce bienheureux trou, avec ses glaces blanches et son échomusical, hâta singulièrement leur tendresse. Ils lui donnèrent unevie étrange, ils l’emplirent à tel point de leurs jeunes amoursque, longtemps après, lorsqu’ils ne vinrent plus s’accouder auxmargelles, Silvère, chaque matin, en tirant de l’eau, croyait yvoir apparaître la figure rieuse de Miette, dans le demi-jour,frissonnant et ému encore de toute la joie qu’ils avaient miselà.

Ce mois de tendresse joueuse sauva Miette de ses désespoirsmuets. Elle sentit se réveiller ses affections, ses insouciancesheureuses d’enfant, que la solitude haineuse où elle vivait avaitcomprimées en elle. La certitude qu’elle était aimée par quelqu’un,qu’elle ne se trouvait plus seule au monde, lui rendit tolérablesles persécutions de Justin et des gamins du faubourg. Il y avaitmaintenant une chanson dans son cœur qui l’empêchait d’entendre leshuées. Elle pensait à son père avec une pitié attendrie, elle nes’abandonnait plus aussi souvent à des rêveries d’implacablevengeance. Ses amours naissantes étaient comme une aube fraîchedans laquelle se calmaient ses mauvaises fièvres. Et en même tempsune rouerie de fille amoureuse lui venait. Elle s’était dit qu’elledevait garder son attitude muette et révoltée, si elle voulait queJustin n’eût aucun soupçon. Mais, malgré ses efforts, lorsque cegarçon la blessait, il lui restait de la douceur plein lesyeux&|160;; elle ne savait plus où prendre le regard noir et durd’autrefois. Il l’entendait aussi chantonner entre ses dents, lematin, au déjeuner.

«&|160;Eh&|160;! tu es bien gaie, la Chantegreil&|160;! luidisait-il avec méfiance, en l’examinant de son air louche. Je parieque tu as fait quelque mauvais coup.&|160;»

Elle haussait les épaules, mais elle tremblaitintérieurement&|160;; elle s’efforçait vite de jouer son rôle demartyre révoltée. D’ailleurs, bien qu’il flairât les joies secrètesde sa victime, Justin chercha longtemps avant d’apprendre de quellefaçon elle lui avait échappé.

Silvère, de son côté, goûtait des bonheurs profonds. Sesrendez-vous quotidiens avec Miette suffisaient pour remplir lesheures vides qu’il passait au logis. Sa vie solitaire, ses longstête-à-tête silencieux avec tante Dide furent employés à reprendreun à un ses souvenirs de la matinée, à en jouir dans leurs moindresdétails. Il éprouva dès lors une plénitude de sensations qui lemura davantage dans l’existence cloîtrée qu’il s’était faite auprèsde sa grand-mère. Par tempérament, il aimait les coins cachés, lessolitudes où il pouvait à son aise vivre avec ses pensées. À cetteépoque, il s’était déjà jeté avidement dans la lecture de tous lesbouquins dépareillés qu’il trouvait chez les brocanteurs dufaubourg, et qui devaient le mener à une généreuse et étrangereligion sociale. Cette instruction, mal digérée, sans base solide,lui ouvrait sur le monde, sur les femmes surtout, des échappées devanité, de volupté ardente, qui auraient singulièrement troublé sonesprit, si son cœur était resté inassouvi. Miette vint, il la pritd’abord comme une camarade, puis comme la joie et l’ambition de savie. Le soir, retiré dans le réduit où il couchait, après avoiraccroché sa lampe au chevet de son lit de sangle, il retrouvaitMiette à chaque page du vieux volume poudreux qu’il avait pris auhasard sur une planche, au-dessus de sa tête, et qu’il lisaitdévotement. Il ne pouvait être question, dans ses lectures, d’unejeune fille, d’une créature belle et bonne, sans qu’il la remplaçâtimmédiatement par son amoureuse. Et lui-même il se mettait enscène. S’il lisait une histoire romanesque, il épousait Miette audénouement ou mourait avec elle. S’il lisait, au contraire, quelquepamphlet politique, quelque grave dissertation sur l’économiesociale, livres qu’il préférait aux romans, par ce singulier amourque les demi-savants ont pour les lectures difficiles, il trouvaitencore moyen de l’intéresser aux choses mortellement ennuyeuses quesouvent il ne parvenait même pas à comprendre&|160;; il croyaitapprendre la façon d’être bon et aimant pour elle, quand ilsseraient mariés. Il la mêlait ainsi à ses songeries les pluscreuses. Protégé par cette pure tendresse contre les gravelures decertains contes du dix-huitième siècle qui lui tombèrent entre lesmains, il se plut surtout à s’enfermer avec elle dans les utopieshumanitaires que de grands esprits, affolés par la chimère dubonheur universel, ont rêvées de nos jours. Miette, dans sonesprit, devenait nécessaire à l’abolissement du paupérisme et autriomphe définitif de la révolution. Nuits de lectures fiévreuses,pendant lesquelles son esprit tendu ne pouvait se détacher duvolume qu’il quittait et reprenait vingt fois&|160;; nuits pleines,en somme, d’un voluptueux énervement, dont il jouissait jusqu’aujour, comme d’une ivresse défendue, le corps serré par les murs del’étroit cabinet, la vue troublée par la lueur jaune et louche dela lampe, se livrant à plaisir aux brûlures de l’insomnie etbâtissant des projets de société nouvelle, absurdes de générosité,où la femme, toujours sous les traits de Miette, était adorée parles nations à genoux. Il se trouvait prédisposé à l’amour del’utopie par certaines influences héréditaires&|160;; chez lui, lestroubles nerveux de sa grand-mère tournaient à l’enthousiasmechronique, à des élans vers tout ce qui était grandiose etimpossible. Son enfance solitaire, sa demi-instruction, avaientsingulièrement développé les tendances de sa nature. Mais iln’était pas encore à l’âge où l’idée fixe plante son clou dans lecerveau d’un homme. Le matin, dès qu’il avait rafraîchi sa têtedans un seau d’eau, il ne se souvenait plus que confusément desfantômes de sa veille, il gardait seulement de ses rêves unesauvagerie pleine de foi naïve et d’ineffable tendresse. Ilredevenait enfant. Il courait au puits, avec le seul besoin deretrouver le sourire de son amoureuse, de goûter les joies de laradieuse matinée. Et, dans la journée, si des pensées d’avenir lerendaient songeur, souvent aussi, cédant à des effusions subites,il embrassait sur les deux joues tante Dide, qui le regardait alorsdans les yeux, comme prise d’inquiétude, à les voir si clairs et siprofonds d’une joie qu’elle croyait reconnaître.

Cependant Miette et Silvère se lassaient un peu de n’apercevoirque leur ombre. Ils avaient usé leur jouet, ils rêvaient desplaisirs plus vifs, que le puits ne pouvait leur donner. Dans cebesoin de réalité qui les prenait, ils auraient voulu se voir faceà face, courir en pleins champs, revenir essoufflés, les bras à lataille, serrés l’un contre l’autre, pour mieux sentir leur amitié.Silvère parla un matin de franchir tout simplement le mur etd’aller se promener dans le Jas, avec Miette. Mais l’enfant lesupplia de ne pas faire cette folie, qui la livrerait à la merci deJustin. Il promit de chercher un autre moyen.

La muraille, dans laquelle le puits était enclavé, formait, àquelques pas, un coude brusque qui ménageait une espèced’enfoncement où les amoureux se seraient trouvés à l’abri desregards, s’ils étaient parvenus à s’y réfugier. Il s’agissaitd’arriver à cet enfoncement. Silvère ne pouvait plus songer à sonprojet d’escalade, dont Miette avait paru si effrayée. Ilnourrissait secrètement un autre projet. La petite porte queMacquart et Adélaïde avaient jadis ouverte en une nuit était restéeoubliée, dans ce coin perdu de la vaste propriété voisine&|160;; onn’avait pas même songé à la condamner&|160;; noire d’humidité,verte de mousse, la serrure et les gonds rongés de rouille, ellefaisait comme partie de la vieille muraille. Sans doute la clefétait perdue&|160;; les herbes, poussées au bas des planches,contre lesquelles s’étaient formés de légers talus, prouvaientsuffisamment que personne ne passait plus par là depuis de longuesannées. C’était cette clef perdue que comptait retrouver Silvère.Il savait avec quelle dévotion tante Dide laissait pourrir surplace les reliques du passé. Cependant il fouilla la maison pendanthuit jours sans aucun résultat. Il allait toutes les nuits, à pasde loup, voir s’il avait enfin, dans la journée, mis la main sur labonne clef. Il en essaya ainsi plus de trente, provenant sans doutede l’ancien enclos des Fouque, et qu’il ramassa un peu partout, lelong des murs, sur les planches, au fond des tiroirs. Il commençaità se décourager, lorsqu’il trouva enfin la bienheureuse clef. Elleétait tout simplement attachée par une ficelle au passe-partout dela porte d’entrée, qui restait toujours dans la serrure. Ellependait là depuis près de quarante ans. Chaque jour tante Dideavait dû la toucher de la main, sans se décider jamais à la fairedisparaître, maintenant qu’elle ne pouvait que la reporterdouloureusement à ses voluptés mortes. Quand Silvère se fut assuréqu’elle ouvrait bien la petite porte, il attendit le lendemain, enrêvant aux joies de la surprise qu’il ménageait à Miette. Il luiavait caché ses recherches.

Le lendemain, dès qu’il entendit l’enfant poser sa cruche, ilouvrit doucement la porte, dont il déblaya d’une poussée le seuilcouvert de longues herbes. En allongeant la tête, il aperçut Miettepenchée sur la margelle, regardant dans le puits, tout absorbée parl’attente. Alors, il gagna en deux enjambées l’enfoncement formépar le mur, et, de là, il appela&|160;: «&|160;Miette&|160;!Miette&|160;!&|160;» d’une voix adoucie qui la fit tressaillir.Elle leva la tête, le croyant sur le chaperon du mur. Puis, quandelle le vit dans le Jas, à quelques pas d’elle, elle eut un légercri d’étonnement, elle accourut. Ils se prirent les mains&|160;;ils se contemplaient, ravis d’être si près l’un de l’autre, setrouvant bien plus beaux ainsi, dans la lumière chaude du soleil.C’était la mi-août, le jour de l’Assomption&|160;; au loin lescloches sonnaient, dans cet air limpide des grandes fêtes, quisemble avoir des souffles particuliers de gaietés blondes.

«&|160;Bonjour, Silvère&|160;!

–&|160;Bonjour, Miette&|160;!&|160;»

Et la voix dont ils échangèrent leur salut matinal les étonna.Ils n’en connaissaient les sons que voilés par l’écho du puits.Elle leur parut claire comme un chant d’alouette. Ah&|160;! qu’ilfaisait bon dans ce coin tiède, dans cet air de fête&|160;! Ils setenaient toujours les mains, Silvère le dos appuyé contre le mur,Miette penchée un peu en arrière. Entre eux, leur sourire mettaitune clarté. Ils allaient se dire toutes les bonnes choses qu’ilsn’avaient point osé confier aux sonorités sourdes du puits, lorsqueSilvère, tournant la tête à un léger bruit, pâlit et lâcha lesmains de Miette. Il venait de voir tante Dide devant lui, droite,arrêtée sur le seuil de la porte.

La grand-mère était venue par hasard au puits. En apercevant,dans la vieille muraille noire, la trouée blanche de la porte queSilvère avait ouverte toute grande, elle reçut au cœur un coupviolent. Cette trouée blanche lui semblait un abîme de lumièrecreusé brutalement dans son passé. Elle se revit au milieu desclartés du matin, accourant, passant le seuil avec toutl’emportement de ses amours nerveuses. Et Macquart était là quil’attendait. Elle se pendait à son cou, elle restait sur sapoitrine, tandis que le soleil levant, entrant avec elle dans lacour par la porte qu’elle ne prenait pas le temps de refermer, lesbaignait de ses rayons obliques. Vision brusque qui la tiraitcruellement du sommeil de sa vieillesse, comme un châtimentsuprême, en réveillant en elle les cuissons brûlantes du souvenir.Jamais l’idée ne lui était venue que cette porte pût encores’ouvrir. La mort de Macquart, pour elle, l’avait murée. Le puits,la muraille entière auraient disparu sous terre, qu’elle ne seserait pas sentie frappée d’une stupeur plus grande. Et, dans sonétonnement, montait sourdement une révolte contre la main sacrilègequi, après avoir violé ce seuil, avait laissé derrière elle latrouée blanche comme une tombe ouverte. Elle s’avança, attirée parune sorte de fascination. Elle se tint immobile, dans l’encadrementde la porte.

Là, elle regarda devant elle, avec une surprise douloureuse. Onlui avait bien dit que l’enclos des Fouque se trouvait réuni auJas-Meiffren&|160;; mais elle n’aurait jamais pensé que sa jeunessefût morte à ce point. Un grand vent semblait avoir emporté tout cequi était resté cher à sa mémoire. Le vieux logis, le vaste jardinpotager, avec ses carrés verts de légumes, avaient disparu. Pas unepierre, pas un arbre d’autrefois. Et, à la place de ce coin, oùelle avait grandi, et que la veille elle revoyait encore en fermantles yeux, s’étendait un lambeau de sol nu, une large pièce dechaume désolée comme une lande déserte. Maintenant, lorsque, lespaupières closes, elle voudrait évoquer les choses du passé,toujours ce chaume lui apparaîtrait, pareil à un linceul de burejaunâtre jeté sur la terre où sa jeunesse était ensevelie. En facede cet horizon banal et indifférent, elle crut que son cœur mouraitune seconde fois. Tout, à cette heure, était bien fini. On luiprenait jusqu’aux rêves de ses souvenirs. Alors elle regrettad’avoir cédé à la fascination de la trouée blanche, de cette portebéante sur les jours à jamais disparus.

Elle allait se retirer, fermer la porte maudite, sans cherchermême à connaître la main qui l’avait violée, lorsqu’elle aperçutMiette et Silvère. La vue des deux enfants amoureux qui attendaientson regard, confus, la tête baissée, la retint sur le seuil, prised’une douleur plus vive. Elle comprenait maintenant. Jusqu’au bout,elle devait se retrouver, elle et Macquart, aux bras l’un del’autre, dans la claire matinée. Une seconde fois, la porte étaitcomplice. Par où l’amour avait passé, l’amour passait de nouveau.C’était l’éternel recommencement, avec ses joies présentes et seslarmes futures. Tante Dide ne vit que les larmes, et elle eut commeun pressentiment rapide qui lui montra les deux enfants saignants,frappés au cœur. Toute secouée par le souvenir des souffrances desa vie, que ce lieu venait de réveiller en elle, elle pleura soncher Silvère. Elle seule était coupable&|160;; si elle n’avait pasjadis troué la muraille, Silvère ne serait point dans ce coinperdu, aux pieds d’une fille, à se griser d’un bonheur qui irritela mort et la rend jalouse.

Au bout d’un silence, elle vint, sans dire un mot, prendre lejeune homme par la main. Peut-être les eût-elle laissés là, à jaserau pied du mur, si elle ne s’était sentie complice de ces douceursmortelles. Comme elle rentrait avec Silvère, elle se retourna, enentendant le pas léger de Miette qui s’était hâtée de reprendre sacruche et de fuir à travers le chaume. Elle courait follement,heureuse d’en être quitte à si bon marché. Tante Dide eut unsourire involontaire, à la voir traverser le champ comme une chèvreéchappée.

«&|160;Elle est bien jeune, murmura-t-elle. Elle a letemps.&|160;»

Sans doute, elle voulait dire que Miette avait le temps desouffrir et de pleurer. Puis, reportant ses yeux sur Silvère, quiavait suivi avec extase la course de l’enfant dans le soleillimpide, elle ajouta simplement&|160;:

«&|160;Prends garde, mon garçon, on en meurt.&|160;»

Ce furent les seules paroles qu’elle prononça en cette aventure,qui remua toutes les douleurs endormies au fond de son être. Elles’était fait une religion du silence. Quand Silvère fut rentré,elle ferma la porte à double tour et jeta la clef dans le puits.Elle était certaine, de cette façon, que la porte ne la rendraitplus complice. Elle revint l’examiner un instant, heureuse de luivoir reprendre son air sombre et immuable. La tombe était refermée,la trouée blanche se trouvait à jamais bouchée par ces quelquesplanches noires d’humidité, vertes de mousse, sur lesquelles lesescargots avaient pleuré des larmes d’argent.

Le soir, tante Dide eut une de ces crises nerveuses qui lasecouaient encore de loin en loin. Pendant ces attaques, elleparlait souvent à voix haute, sans suite, comme dans un cauchemar.Ce soir-là, Silvère, qui la maintenait sur son lit, navré d’unepitié poignante pour ce pauvre corps tordu, l’entendit prononcer enhaletant les mots de douanier, de coup de feu, de meurtre. Et ellese débattait, elle demandait grâce, elle rêvait de vengeance. Quandla crise toucha à sa fin, elle eut, comme il arrivait toujours, uneépouvante singulière, un frisson d’effroi qui faisait claquer sesdents. Elle se soulevait à moitié, elle regardait avec unétonnement hagard dans les coins de la pièce, puis se laissaitretomber sur l’oreiller en poussant de longs soupirs. Sans douteelle était prise d’hallucination. Alors elle attira Silvère sur sapoitrine, elle parut commencer à le reconnaître, tout en leconfondant par instants avec une autre personne.

«&|160;Ils sont là, bégaya-t-elle. Vois-tu, ils vont te prendre,ils te tueront encore… Je ne veux pas… Renvoie-les, dis-leur que jene veux pas, qu’ils me font mal, à fixer ainsi leurs regards surmoi…&|160;»

Et elle se tourna vers la ruelle, pour ne plus voir les gensdont elle parlait. Au bout d’un silence&|160;:

«&|160;Tu es auprès de moi, n’est-ce pas, mon enfant&|160;?continua-t-elle. Il ne faut pas me quitter… J’ai cru que j’allaismourir, tout à l’heure… Nous avons eu tort de percer le mur. Depuisce jour, j’ai souffert. Je savais bien que cette porte nousporterait encore malheur… Ah&|160;! les chers innocents, que delarmes&|160;! On les tuera, eux aussi, à coups de fusil, comme deschiens.&|160;»

Elle retombait dans son état de catalepsie, elle ne savait mêmeplus que Silvère était là. Brusquement elle se redressa, elleregarda au pied de son lit, avec une horrible expression deterreur.

«&|160;Pourquoi ne les as-tu pas renvoyés&|160;? cria-t-elle encachant sa tête blanchie dans le sein du jeune homme. Ils sonttoujours là. Celui qui a le fusil me fait signe qu’il vatirer…&|160;»

Peu après, elle s’endormit du sommeil lourd qui terminait lescrises. Le lendemain, elle parut avoir tout oublié. Jamais elle nereparla à Silvère de la matinée où elle l’avait trouvé avec uneamoureuse, derrière le mur.

Les jeunes gens restèrent deux jours sans se voir. Quand Mietteosa revenir au puits, ils se promirent de ne plus recommencerl’équipée de l’avant-veille. Cependant leur entrevue, sibrusquement coupée, leur avait donné un vif désir de se retrouverseule à seul, au fond de quelque heureuse solitude. Las des joiesque le puits leur offrait, et ne voulant pas chagriner tante Dide,en revoyant Miette de l’autre côté du mur, Silvère supplia l’enfantde lui donner des rendez-vous autre part. Elle ne se fit guèreprier, d’ailleurs&|160;; elle accepta cette idée avec des riressatisfaits de gamine qui ne songe pas encore au mal&|160;; ce quila faisait rire, c’était l’idée qu’elle allait jouer de finesseavec cet espion de Justin. Lorsque les amoureux furent d’accord,ils discutèrent pendant longtemps le choix d’un lieu de rencontre.Silvère proposa des cachettes impossibles&|160;; il rêvait de fairede véritables voyages, ou bien de rejoindre la jeune fille, àminuit, dans les greniers du Jas-Meiffren. Miette, plus pratique,haussa les épaules, en déclarant qu’elle chercherait à son tour. Lelendemain, elle ne demeura qu’une minute au puits, le temps desourire à Silvère et de lui dire de se trouver le soir, vers dixheures, au fond de l’aire Saint-Mittre. On pense si le jeune hommefut exact&|160;! Tout le jour, le choix de Miette l’avait fortintrigué. Sa curiosité augmenta, lorsqu’il se fut engagé dansl’étroite allée que les tas de planches ménagent au fond duterrain. «&|160;Elle viendra par là&|160;», se disait-il enregardant du côté de la route de Nice. Puis il entendit un grandbruit de branches derrière le mur, et il vit apparaître, au-dessusdu chaperon, une tête rieuse, ébouriffée, qui lui criajoyeusement&|160;:

«&|160;C’est moi&|160;!&|160;»

Et c’était Miette, en effet, grimpée comme un gamin sur un desmûriers qui longent encore aujourd’hui la clôture du Jas. En deuxsauts, elle atteignit la pierre tombale, à demi enterrée dansl’angle de la muraille, au fond de l’allée. Silvère la regardadescendre avec un étonnement ravi, sans songer seulement à l’aider.Il lui prit les deux mains, il lui dit&|160;:

«&|160;Comme tu es leste&|160;! tu grimpes mieux quemoi.&|160;»

Ce fut ainsi qu’ils se rencontrèrent pour la première fois dansce coin perdu où ils devaient passer de si bonnes heures. À partirde cette soirée, ils se virent là presque chaque nuit. Le puits neleur servit plus qu’à s’avertir des obstacles imprévus mis à leursrendez-vous, des changements d’heure, de toutes les petitesnouvelles, grosses à leurs yeux, et ne souffrant pas deretard&|160;; il suffisait que celui qui avait à faire unecommunication à l’autre, mît en mouvement la poulie, dont le bruitstrident s’entendait de fort loin. Mais bien que, certains jours,ils s’appelassent deux ou trois fois pour se dire des riens d’uneénorme importance, ils ne goûtaient leurs vraies joies que le soir,dans l’allée discrète. Miette était d’une ponctualité rare. Ellecouchait heureusement au-dessus de la cuisine, dans une chambre oùl’on serrait, avant son arrivée, les provisions d’hiver, et àlaquelle conduisait un petit escalier particulier. Elle pouvaitainsi sortir à toute heure sans être vue du père Rébufat ni deJustin. Elle comptait d’ailleurs, si ce dernier la voyait jamaisrentrer, lui faire quelque histoire, en le regardant de cet air durqui lui fermait la bouche.

Ah&|160;! quelles heureuses et tièdes soirées&|160;! On étaitalors dans les premiers jours de septembre, mois de clair soleil enProvence. Les amoureux ne pouvaient guère se rejoindre que versneuf heures. Miette arrivait par son mur. Elle acquit bientôt unetelle habileté à franchir cet obstacle, qu’elle était presquetoujours sur l’ancienne pierre tombale avant que Silvère lui eûttendu les bras. Et elle riait de son tour de force, elle restait làun instant, essoufflée, décoiffée, donnant de petites tapes sur sajupe pour la faire retomber. Son amoureux l’appelait en riant«&|160;méchant galopin&|160;». Au fond, il aimait la crânerie del’enfant. Il la regardait sauter son mur avec la complaisance d’unfrère aîné qui assiste aux exercices d’un de ses jeunes frères. Ily avait tant de puérilité dans leur tendresse naissante&|160;! Àplusieurs reprises, ils firent le projet d’aller un jour dénicherdes oiseaux, au bord de la Viorne.

«&|160;Tu verras comme je monte aux arbres&|160;! disait Mietteorgueilleusement. Quand j’étais à Chavanoz, j’allais jusqu’en hautdes noyers du père André. Est-ce que tu as jamais déniché des pies,toi&|160;? C’est ça qui est difficile&|160;!&|160;»

Et une discussion s’engageait sur la façon de grimper le longdes peupliers. Miette donnait son avis nettement, comme ungarçon.

Mais Silvère, la prenant par les genoux, l’avait descendue àterre, et ils marchaient côte à côte, les bras à la taille. Tout ense querellant sur la manière dont on doit poser les pieds et lesmains à la naissance des branches, ils se serraient davantage, ilssentaient sous leurs étreintes des chaleurs inconnues les brûlerd’une étrange joie. Jamais le puits ne leur avait procuré depareils plaisirs. Ils restaient enfants, ils avaient des jeux etdes causeries de gamins, et goûtaient des jouissances d’amoureuxsans savoir seulement parler d’amour, rien qu’à se tenir par lebout des doigts. Ils cherchaient la tiédeur de leurs mains, prisd’un besoin instinctif, ignorant où allaient leurs sens et leurcœur. À cette heure d’heureuse naïveté, ils se cachaient même lasingulière émotion qu’ils se donnaient mutuellement, au moindrecontact. Souriants, étonnés parfois des douceurs qui coulaient eneux, dès qu’ils se touchaient, ils s’abandonnaient secrètement auxmollesses de leurs sensations nouvelles, tout en continuant àcauser, comme deux écoliers, des nids de pie qui sont si difficilesà atteindre.

Et ils allaient, dans le silence du sentier, entre les tas deplanches et le mur du Jas-Meiffren. Jamais ils ne dépassaient lebout de ce cul-de-sac étroit, revenant sur leurs pas, à chaquefois. Ils étaient chez eux. Souvent, Miette, heureuse de se sentirsi bien cachée, s’arrêtait et se complimentait de sadécouverte&|160;:

«&|160;Ai-je eu la main chanceuse&|160;! disait-elle avecravissement. Nous ferions une lieue, sans trouver une si bonnecachette&|160;!&|160;»

L’herbe épaisse étouffait le bruit de leurs pas. Ils étaientnoyés dans un flot de ténèbres, bercés entre deux rives sombres, nevoyant qu’une bande d’un bleu foncé, semée d’étoiles, au-dessus deleur tête. Et, dans ce vague du sol qu’ils foulaient, dans cetteressemblance de l’allée à un ruisseau d’ombre coulant sous le cielnoir et or, ils éprouvaient une émotion indéfinissable, ilsbaissaient la voix, bien que personne ne pût les entendre. Selivrant à ces ondes silencieuses de la nuit, la chair et l’espritflottants, ils se contaient, ces soirs-là, les mille riens de leurjournée, avec des frissons d’amoureux.

D’autres fois, par les soirées claires, lorsque la lunedécoupait nettement les lignes de la muraille et des tas deplanches, Miette et Silvère gardaient leur insouciance d’enfant.L’allée s’allongeait, éclairée de raies blanches, toute gaie, sansinconnu. Et les deux camarades se poursuivaient, riaient comme desgamins en récréation, se hasardant même à grimper sur les tas deplanches. Il fallait que Silvère effrayât Miette, en lui disant queJustin était peut-être derrière le mur, qui la guettait. Alors,encore essoufflés, ils marchaient côte à côte, en se promettantd’aller un jour courir dans les prés Sainte-Claire, pour savoirlequel des deux attraperait l’autre le plus vite.

Leurs amours naissantes s’accommodaient ainsi des nuits obscureset des nuits limpides. Toujours leur cœur était en éveil, et ilsuffisait d’un peu d’ombre pour que leur étreinte fût plus douce etleur rire plus mollement voluptueux. La chère retraite, si joyeuseau clair de lune, si étrangement émue par les temps sombres, leursemblait inépuisable en éclats de gaieté et en silencesfrissonnants. Et jusqu’à minuit ils restaient là, tandis que laville s’endormait et que les fenêtres du faubourg s’éteignaient uneà une.

Jamais ils ne furent troublés dans leur solitude. À cette heureavancée, les gamins ne jouaient plus à cache-cache derrière les tasde planches. Parfois, lorsque les jeunes gens entendaient quelquebruit, un chant d’ouvriers passant sur la route, des voix venantdes trottoirs voisins, ils se hasardaient à jeter un regard surl’aire Saint-Mittre. Le champ des poutres s’étendait, vide, peupléde rares ombres. Par les soirées tièdes, ils y voyaient des couplesvagues d’amoureux, des vieillards assis sur des madriers, au borddu grand chemin. Quand les soirées devenaient plus fraîches, ilsn’apercevaient plus, dans l’aire mélancolique et déserte, qu’un feude bohémiens, devant lequel passaient de grandes ombres noires.L’air calme de la nuit leur apportait des paroles et des sonsperdus, le bonsoir d’un bourgeois fermant sa porte, le claquementd’un volet, l’heure grave des horloges, tous ces bruits mourantsd’une ville de province qui se couche. Et lorsque Plassans étaitendormi, ils entendaient encore les querelles des bohémiens, lespétillements de leur feu, au milieu desquels s’élevaientbrusquement des voix gutturales de jeunes filles chantant en unelangue inconnue, pleine d’accents rudes.

Mais les amoureux ne regardaient pas longtemps au dehors, dansl’aire Saint-Mittre&|160;; ils se hâtaient de rentrer chez eux, ilsse remettaient à marcher le long de leur cher sentier clos etdiscret. Ils se souciaient bien des autres, de la villeentière&|160;! Les quelques planches qui les séparaient desméchantes gens leur semblaient, à la longue, un rempartinfranchissable. Ils étaient si seuls, si libres dans ce coin situéen plein faubourg, à cinquante pas de la porte de Rome, qu’ilss’imaginaient parfois être bien loin, au fond de quelque creux dela Viorne, en rase campagne. De tous les bruits qui venaient à eux,ils n’en écoutaient qu’un avec une émotion inquiète, celui deshorloges battant lentement dans la nuit. Quand l’heure sonnait,parfois ils feignaient de ne pas entendre, parfois ils s’arrêtaientnet, comme pour protester. Cependant, ils avaient beau s’accorderdix minutes de grâce, il leur fallait se dire adieu. Ils auraientjoué, ils auraient bavardé jusqu’au matin, les bras enlacés, afind’éprouver ce singulier étouffement, dont ils goûtaient en secretles délices, avec de continuelles surprises. Miette se décidaitenfin à remonter sur son mur. Mais ce n’était point fini, lesadieux traînaient encore un bon quart d’heure. Quand l’enfant avaitenjambé le mur, elle restait là, les coudes sur le chaperon,retenue par les branches du mûrier qui lui servait d’échelle.Silvère, debout sur la pierre tombale, pouvait lui reprendre lesmains, se remettre à causer à demi-voix. Ils répétaient plus de dixfois&|160;: «&|160;À demain&|160;!&|160;» et trouvaient toujours denouvelles paroles. Silvère grondait.

«&|160;Voyons, descends, il est plus de minuit.&|160;»

Mais, avec des entêtements de fille, Miette voulait qu’ildescendît le premier&|160;; elle désirait le voir s’en aller. Et,comme le jeune homme tenait bon, elle finissait par direbrusquement, pour le punir, sans doute&|160;:

«&|160;Je vais sauter, tu vas voir.&|160;»

Et elle sautait du mûrier, au grand effroi de Silvère. Ilentendait le bruit sourd de sa chute&|160;; puis elle s’enfuyaitavec un éclat de rire, sans vouloir répondre à son dernier adieu.Il restait quelques instants à regarder son ombre vague s’enfoncerdans le noir, et lentement il descendait à son tour, il regagnaitl’impasse Saint-Mittre.

Pendant deux années, ils vinrent là chaque jour. Ils y jouirent,lors de leurs premiers rendez-vous, de quelques belles nuits encoretoutes tièdes. Les amoureux purent se croire en mai, au mois desfrissons de la sève, lorsqu’une bonne odeur de terre et de feuillesnouvelles traîne dans l’air chaud. Ce renouveau, ce printempstardif fut pour eux comme une grâce du ciel, qui leur permit decourir librement dans l’allée et d’y resserrer leur amitié d’unlien étroit.

Puis arrivèrent les pluies, les neiges, les gelées. Cesmauvaises humeurs de l’hiver ne les retinrent pas. Miette ne vintplus sans sa grande pelisse brune, et ils se moquèrent tous deuxdes vilains temps. Quand la nuit était sèche et claire, que depetits souffles soulevaient sous leurs pas une poussière blanche degelée, et les frappaient au visage comme à coups de baguettesminces, ils se gardaient bien de s’asseoir&|160;; ils allaient etvenaient plus vite, enveloppés dans la pelisse, les joues bleuies,les yeux pleurant de froid&|160;; et ils riaient, tout secoués degaieté par leur marche rapide dans l’air glacé. Un soir de neige,ils s’amusèrent à faire une énorme boule qu’ils roulèrent dans uncoin&|160;; elle resta là un grand mois, ce qui les fit s’étonner àchaque nouveau rendez-vous. La pluie ne les effrayait pasdavantage. Ils se virent par de terribles averses qui lesmouillaient jusqu’aux os. Silvère accourait en se disant que Miettene ferait pas la folie de venir&|160;; et quand Miette arrivait àson tour, il ne savait plus comment la gronder. Au fond, ill’attendait. Il finit par chercher un abri contre le mauvais temps,sentant bien qu’ils sortiraient quand même, malgré leur promessemutuelle de ne pas mettre les pieds dehors lorsqu’il pleuvait. Pourtrouver un toit, il n’eut qu’à creuser un des tas deplanches&|160;; il en retira quelques morceaux de bois, qu’ilrendit mobiles, de façon à pouvoir les déplacer et les replaceraisément. Dès lors, les amoureux eurent à leur disposition unesorte de guérite basse et étroite, un trou carré, où ils nepouvaient tenir que serrés l’un contre l’autre, assis sur le boutd’un madrier, qu’ils laissaient au fond de la logette. Quand l’eautombait, le premier arrivé se réfugiait là&|160;; et, lorsqu’ilss’y trouvaient réunis, ils écoutaient avec une jouissance infiniel’averse qui battait sur le tas de planches de sourds roulements detambour. Devant eux, autour d’eux, dans le noir d’encre de la nuit,il y avait un grand ruissellement qu’ils ne voyaient pas, et dontle bruit continu ressemblait à la voix haute d’une foule. Ilsétaient bien seuls cependant, au bout du monde, au fond des eaux.Jamais ils ne se sentaient aussi heureux, aussi séparés des autres,qu’au milieu de ce déluge, dans ce tas de planches, menacés àchaque instant d’être emportés par les torrents du ciel. Leursgenoux repliés arrivaient presque au ras de l’ouverture, et ilss’enfonçaient le plus possible, les joues et les mains baignéesd’une fine poussière de pluie. À leurs pieds, de grosses gouttestombées des planches clapotaient à temps égaux. Et ils avaientchaud dans la pelisse brune&|160;; ils étaient si à l’étroit, queMiette se trouvait à demi sur les genoux de Silvère. Ilsbavardaient&|160;; puis ils se taisaient, pris d’une langueur,assoupis par la tiédeur de leur embrassement et par le roulementmonotone de l’averse. Pendant des heures, ils restaient là, aveccet amour de la pluie qui fait marcher gravement les petitesfilles, par les temps d’orage, une ombrelle ouverte à la main. Ilsfinirent par préférer les soirées pluvieuses. Seule, leurséparation devenait alors plus pénible. Il fallait que Miettefranchît son mur sous la pluie battante, et qu’elle traversât lesflaques du Jas-Meiffren en pleine obscurité. Dès qu’elle quittaitses bras, Silvère la perdait dans les ténèbres, dans la clameur del’eau. Il écoutait vainement, assourdi, aveuglé. Mais l’inquiétudeoù les laissait tous deux cette brusque séparation était un charmede plus&|160;; jusqu’au lendemain, ils se demandaient s’il ne leurétait rien arrivé, par ce temps à ne pas mettre un chiendehors&|160;; ils avaient peut-être glissé, ils pouvaient s’êtreégarés, craintes qui les occupaient tyranniquement l’un de l’autre,et qui rendaient plus tendre leur entrevue suivante.

Enfin les beaux jours revinrent, avril amena des nuits douces,l’herbe de l’allée verte grandit follement. Dans ce flot de viecoulant du ciel et montant du sol, au milieu des ivresses de lajeune saison, parfois les amoureux regrettèrent leur solituded’hiver, les soirs de pluie, les nuits glacées, pendant lesquelsils étaient si perdus, si loin de tous bruits humains. Maintenantle jour ne tombait plus assez vite&|160;; ils maudissaient leslongs crépuscules et lorsque la nuit était devenue assez noire pourque Miette pût grimper sur le mur sans danger d’être vue,lorsqu’ils étaient enfin parvenus à se glisser dans leur chersentier, ils n’y trouvaient plus l’isolement qui plaisait à leursauvagerie d’enfants amoureux. L’aire Saint-Mittre se peuplait, lesgamins du faubourg restaient sur les poutres à se poursuivre, àcrier, jusqu’à onze heures&|160;; il arriva même parfois qu’und’entre eux vint se cacher derrière les tas de planches, en jetantà Miette et à Silvère le rire effronté d’un vaurien de dix ans. Lacrainte d’être surpris, le réveil, les bruits de la vie quigrandissaient autour d’eux, à mesure que la saison devenait pluschaude, rendirent leurs entrevues inquiètes.

Puis ils commençaient à étouffer dans l’allée étroite. Jamaiselle n’avait frissonné d’un si ardent frisson&|160;; jamais le sol,ce terreau où dormaient les derniers ossements de l’anciencimetière, n’avait laissé échapper des haleines plus troublantes.Et ils avaient encore trop d’enfance pour goûter le charmevoluptueux de ce trou perdu, tout enfiévré par le printemps. Lesherbes leur montaient aux genoux&|160;; ils allaient et venaientdifficilement, et, quand ils écrasaient les jeunes pousses,certaines plantes exhalaient des odeurs âcres qui les grisaient.Alors, pris d’étranges lassitudes, troublés et vacillants, lespieds comme liés par les herbes, ils s’adossaient contre lamuraille, les yeux demi-clos, ne pouvant plus avancer. Il leursemblait que toute la langueur du ciel entrait en eux.

Leur pétulance d’écolier s’accommodant mal de ces faiblessessubites, ils finirent par accuser leur retraite de manquer d’air etpar se décider à aller promener leur tendresse plus loin, en pleinecampagne. Alors ce furent, chaque soir, de nouvelles escapades.Miette vint avec sa pelisse&|160;; tous deux s’enfouissaient dansle large vêtement, ils filaient le long des murs, ils gagnaient lagrand-route, les champs libres, les champs larges où l’air roulaitpuissamment comme les vagues de la haute mer. Et ils n’étouffaientplus, ils retrouvaient là leur enfance, ils sentaient se dissiperles tournoiements de tête, les ivresses que leur causaient lesherbes hautes de l’aire Saint-Mittre.

Ils battirent pendant deux étés ce coin de pays. Chaque bout derocher, chaque banc de gazon les connut bientôt&|160;; et iln’était pas un bouquet d’arbres, une haie, un buisson, qui nedevînt leur ami. Ils réalisèrent leurs rêves&|160;: ce furent descourses folles dans les prés Sainte-Claire, et Miette couraitjoliment, et il fallait que Silvère fît ses plus grandes enjambéespour l’attraper. Ils allèrent aussi dénicher des nids de pie&|160;;Miette, entêtée, voulant montrer comment elle grimpait aux arbres,à Chavanoz, se liait les jupes avec un bout de ficelle, et montaitsur les plus hauts peupliers&|160;; en bas, Silvère frissonnait,les bras en avant, comme pour la recevoir, si elle venait àglisser. Ces jeux apaisaient leurs sens, au point qu’un soir ilsfaillirent se battre comme deux galopins qui sortent de l’école.Mais, dans la campagne large, il y avait encore des trous qui neleur valaient rien. Tant qu’ils marchaient, c’était des riresbruyants, des poussées, des taquineries&|160;; ils faisaient deslieues, allaient parfois jusqu’à la chaîne des Garrigues, suivaientles sentiers les plus étroits, et souvent coupaient à traverschamps&|160;; la contrée leur appartenait, ils y vivaient comme enpays conquis, jouissant de la terre et du ciel. Miette, avec cetteconscience large des femmes, ne se gênait même pas pour cueillirune grappe de raisins, une branche d’amandes vertes, aux vignes,aux amandiers, dont les rameaux la fouettaient au passage&|160;; cequi contrariait les idées absolues de Silvère, sans qu’il osâtd’ailleurs gronder la jeune fille, dont les rares bouderies ledésespéraient. «&|160;Ah&|160;! la mauvaise&|160;! pensait-il endramatisant puérilement la situation, elle ferait de moi unvoleur.&|160;» Et Miette lui mettait dans la bouche sa part dufruit volé. Les ruses qu’il employait – la tenant à la taille,évitant les arbres fruitiers, se faisant poursuivre le long desplants de vignes, – pour la détourner de ce besoin instinctif demaraude, le mettaient vite à bout d’imagination. Et il la forçait às’asseoir. C’était alors qu’ils recommençaient à étouffer. Lescreux de la Viorne, surtout, étaient pour eux pleins d’une ombrefiévreuse. Quand la fatigue les ramenait au bord du torrent, ilsperdaient leurs belles gaietés de gamins. Sous les saules, desténèbres grises flottaient, pareilles aux crêpes musqués d’unetoilette de femme. Les enfants sentaient ces crêpes, comme parfuméset tièdes encore des épaules voluptueuses de la nuit, les caresseraux tempes, les envelopper d’une langueur invincible. Au loin, lesgrillons chantaient dans les prés Sainte-Claire, et la Viorne avaità leurs pieds des voix chuchotantes d’amoureux, des bruits adoucisde lèvres humides. Du ciel endormi tombait une pluie chauded’étoiles. Et, sous le frisson de ce ciel, de ces eaux, de cetteombre, les enfants, couchés sur le dos, en pleine herbe, côte àcôte, pâmés et les regards perdus dans le noir, cherchaient leurmain, échangeaient une étreinte courte.

Silvère, qui comprenait vaguement le danger de ces extases, selevait parfois d’un bond en proposant de passer dans une despetites îles que les eaux basses découvraient au milieu de larivière. Tous deux, les pieds nus, s’aventuraient&|160;; Miette semoquait des cailloux, elle ne voulait pas que Silvère la soutînt,et il lui arriva une fois de s’asseoir au beau milieu ducourant&|160;; mais il n’y avait pas vingt centimètres d’eau, elleen fut quitte pour faire sécher sa première jupe. Puis, quand ilsétaient dans l’île, ils se couchaient à plat ventre sur une languede sable, les yeux au niveau de la surface de l’eau, dont ilsregardaient au loin, dans la nuit claire, frémir les écaillesd’argent. Alors Miette déclarait qu’elle était en bateau, l’îlemarchait pour sûr&|160;; elle la sentait bien quil’emportait&|160;; ce vertige que leur donnait le grandruissellement dont leurs yeux s’emplissaient les amusait uninstant, les tenait là, sur le bord, chantant à demi-voix, ainsique les bateliers dont les rames battent l’eau. D’autres fois,quand l’île avait une berge basse, ils s’y asseyaient comme sur unbanc de verdure, laissant pendre leurs pieds nus dans le courant.Et, pendant des heures, ils causaient, faisant jaillir l’eau àcoups de talon, balançant les jambes, prenant plaisir à déchaînerdes tempêtes dans le bassin paisible dont la fraîcheur calmait leurfièvre.

Ces bains de pieds firent naître dans l’esprit de Miette uncaprice qui faillit gâter leurs belles amours innocentes. Ellevoulut à toute force prendre de grands bains. Un peu en dessus dupont de la Viorne, il y avait un trou, très convenable,disait-elle, à peine profond de trois à quatre pieds, et trèssûr&|160;; il faisait si chaud, on serait si bien dans l’eaujusqu’aux épaules&|160;; puis elle mourait depuis si longtemps dudésir de savoir nager, Silvère lui apprendrait. Silvère élevait desobjections&|160;: la nuit, ce n’était pas prudent, on pouvait lesvoir, ça leur ferait peut-être du mal&|160;; mais il ne disait pasla vraie raison, il était instinctivement très alarmé à la penséede ce nouveau jeu, il se demandait comment ils se déshabilleraient,et de quelle façon il s’y prendrait pour tenir Miette sur l’eau,dans ses bras nus. Celle-ci ne semblait pas se douter de cesdifficultés.

Un soir, elle apporta un costume de bain qu’elle s’était taillédans une vieille robe. Il fallut que Silvère retournât chez tanteDide chercher son caleçon. La partie fut toute naïve. Miette nes’écarta même pas&|160;; elle se déshabilla, naturellement, dansl’ombre d’un saule, si épaisse que son corps d’enfant n’y mitpendant quelques secondes qu’une blancheur vague. Silvère, de peaubrune, apparut dans la nuit comme le tronc assombri d’un jeunechêne, tandis que les jambes et les bras de la jeune fille, nus etarrondis, ressemblaient aux tiges laiteuses des bouleaux de larive. Puis tous deux, comme vêtus des taches sombres que les hautsfeuillages laissaient tomber sur eux, entrèrent dans l’eaugaiement, s’appelant, se récriant, surpris par la fraîcheur. Et lesscrupules, les hontes inavouées, les pudeurs secrètes, furentoubliés. Ils restèrent là une grande heure, barbotant, se jetant del’eau au visage, Miette se fâchant, puis éclatant de rire, etSilvère lui donnant sa première leçon, lui enfonçant de temps àautre la tête, pour l’aguerrir. Tant qu’il la tenait d’une main parla ceinture de son costume, en lui passant l’autre main sous leventre, elle faisait aller furieusement les jambes et les bras,elle croyait nager&|160;; mais, dès qu’il la lâchait, elle sedébattait en criant, et, les mains tendues, frappant l’eau, elle serattrapait où elle pouvait, à la taille du jeune homme, à l’un deses poignets. Elle s’abandonnait un instant contre lui, elle sereposait, essoufflée, toute ruisselante, tandis que son costumemouillé dessinait les grâces de son buste de vierge. Puis ellecriait&|160;:

«&|160;Encore une fois&|160;; mais tu le fais exprès, tu ne metiens pas.&|160;»

Et rien de honteux ne leur venait de ces embrassements deSilvère penché pour la soutenir, de ces sauvetages éperdus deMiette se pendant au cou du jeune homme. Le froid du bain lesmettait dans une pureté de cristal. C’était, sous la nuit tiède, aumilieu des feuillages pâmés, deux innocences nues qui riaient.Silvère, après les premiers bains, se reprocha secrètement d’avoirrêvé le mal. Miette se déshabillait si vite, et elle était sifraîche dans ses bras, si sonore de rires&|160;!

Mais, au bout de quinze jours, l’enfant sut nager. Libre de sesmembres, bercée par le flot, jouant avec lui, elle se laissaitenvahir par les souplesses molles de la rivière, par le silence duciel, par les rêveries des berges mélancoliques.

Quand tous deux ils nageaient sans bruit, Miette croyait voir,aux deux bords, les feuillages s’épaissir, se pencher vers eux,draper leur retraite de rideaux énormes. Et les jours de lune, deslueurs glissaient entre les troncs, des apparitions douces sepromenaient le long des rives en robe blanche. Miette n’avait paspeur. Elle éprouvait une émotion indéfinissable à suivre les jeuxde l’ombre. Tandis qu’elle avançait, d’un mouvement ralenti, l’eaucalme, dont la lune faisait un clair miroir, se froissait à sonapproche comme une étoffe lamée d’argent&|160;; les rondss’élargissaient, se perdaient dans les ténèbres des bords, sous lesbranches pendantes des saules, où l’on entendait des clapotementsmystérieux&|160;; et, à chaque brassée, elle trouvait ainsi destrous pleins de voix, des enfoncements noirs devant lesquels ellepassait avec plus de hâte, des bouquets, des rangées d’arbres, dontles masses sombres changeaient de forme, s’allongeaient, avaientl’air de la suivre du haut de la berge. Quand elle se mettait surle dos, les profondeurs du ciel l’attendrissaient encore. De lacampagne, des horizons qu’elle ne voyait plus, elle entendait alorsmonter une voix grave, prolongée, faite de tous les soupirs de lanuit.

Elle n’était point de nature rêveuse, elle jouissait par toutson corps, par tous ses sens, du ciel, de la rivière, des ombres,des clartés. La rivière surtout, cette eau, ce terrain mouvant, laportait avec des caresses infinies. Elle éprouvait, quand elleremontait le courant, une grande jouissance à sentir le flot filerplus rapide contre sa poitrine et contre ses jambes&|160;; c’étaitun long chatouillement, très doux, qu’elle pouvait supporter sansrire nerveux. Elle s’enfonçait davantage, se mettait de l’eaujusqu’aux lèvres, pour que le courant passât sur ses épaules,l’enveloppât d’un trait, du menton aux pieds, de son baiser fuyant.Elle avait des langueurs qui la laissaient immobile à la surface,tandis que de petits flots glissaient mollement entre son costumeet sa peau, gonflant l’étoffe&|160;; puis elle se roulait dans lesnappes mortes, ainsi qu’une chatte sur un tapis&|160;; et elleallait de l’eau lumineuse, où se baignait la lune, dans l’eaunoire, assombrie par les feuillages, avec des frissons, comme sielle eût quitté une plaine ensoleillée et senti le froid desbranches lui tomber sur la nuque.

Maintenant, elle s’écartait pour se déshabiller, elle secachait. Dans l’eau, elle demeurait silencieuse&|160;; elle nevoulait plus que Silvère la touchât&|160;; elle se coulaitdoucement à son côté, nageant avec le petit bruit d’un oiseau dontle vol traverse un taillis&|160;; ou parfois elle tournait autourde lui, prise de craintes vagues qu’elle ne s’expliquait pas.Lui-même s’éloignait, quand il frôlait un de ses membres. Larivière n’avait plus pour eux qu’une ivresse amollie, unengourdissement voluptueux, qui les troublait étrangement. Quandils sortaient du bain, surtout, ils éprouvaient des somnolences,des éblouissements. Ils étaient comme épuisés. Miette mettait unegrande heure à s’habiller. Elle ne passait d’abord que sa chemiseet une jupe&|160;; puis elle restait là, étendue sur l’herbe, seplaignant de fatigue, appelant Silvère, qui se tenait à quelquespas, la tête vide, les membres pleins d’une étrange et excitantelassitude. Et, au retour, il y avait plus d’ardeur dans leurétreinte, ils sentaient mieux, à travers leurs vêtements, leurcorps assoupli par le bain, ils s’arrêtaient en poussant de grossoupirs. Le chignon énorme de Miette, encore tout humide, sa nuque,ses épaules avaient une senteur fraîche, une odeur pure, quiachevaient de griser le jeune homme. L’enfant, heureusement,déclara un soir qu’elle ne prendrait plus de bains, que l’eaufroide lui faisait monter le sang à la tête. Sans doute elle donnacette raison en toute vérité, en toute innocence.

Ils reprirent leurs longues causeries. Il ne resta dans l’espritde Silvère, du danger que venaient de courir leurs amoursignorantes, qu’une grande admiration pour la vigueur physique deMiette. En quinze jours, elle avait appris à nager, et souvent,quand ils luttaient de vitesse, il l’avait vue couper le courantd’un bras aussi rapide que le sien. Lui, qui adorait la force, lesexercices corporels, se sentait le cœur attendri en la voyant siforte, si puissante et si adroite de corps. Il entrait, dans soncœur, une estime singulière pour ses gros bras. Un soir, après unde ces premiers bains qui les laissaient si rieurs, ils s’étaientempoignés par la taille, sur une bande de sable, et pendant delongues minutes, ils avaient lutté, sans que Silvère parvînt àrenverser Miette&|160;; puis le jeune homme, ayant perdul’équilibre, c’était l’enfant qui était restée debout. Son amoureuxla traitait en garçon, et ce furent ces marches forcées, cescourses folles à travers les prés, ces nids dénichés à la cime desarbres, ces luttes, tous ces jeux violents, qui les protégèrent silongtemps et les empêchèrent de salir leurs tendresses. Il y avaitencore dans l’amour de Silvère, outre son admiration pour lacrânerie de son amoureuse, les douceurs de son cœur tendre auxmalheureux. Lui qui ne pouvait voir un être abandonné, un pauvrehomme, un enfant marchant nu-pieds dans la poussière des routes,sans éprouver à la gorge un serrement de pitié, il aimait Miette,parce que personne ne l’aimait, parce qu’elle menait une existencerude de paria. Quand il la voyait rire, il était profondément émude cette joie qu’il lui donnait. Puis, l’enfant était une sauvagecomme lui, ils s’entendaient dans la haine des commères dufaubourg. Le rêve qu’il faisait, lorsque, dans la journée, ilcerclait chez son patron les roues des carrioles, à grands coups demarteau, était plein de folie généreuse. Il pensait à Miette enrédempteur. Toutes ses lectures lui remontaient au cerveau&|160;;il voulait épouser un jour son amie pour la relever aux yeux dumonde&|160;; il se donnait une mission sainte, le rachat, le salutde la fille du forçat. Et il avait la tête tellement bourrée decertains plaidoyers, qu’il ne se disait pas ces chosessimplement&|160;; il s’égarait en plein mysticisme social, ilimaginait des réhabilitations d’apothéose, il voyait Miette assisesur un trône, au bout du cours Sauvaire, et toute la villes’inclinant, demandant pardon, chantant des louanges. Heureusementqu’il oubliait ces belles choses, dès que Miette sautait son mur etqu’elle lui disait sur la grande route&|160;:

«&|160;Courons, veux-tu&|160;? je parie que tu ne m’attraperaspas.&|160;»

Mais si le jeune homme rêvait tout éveillé la glorification deson amoureuse, il avait de tels besoins de justice, qu’il lafaisait souvent pleurer en lui parlant de son père. Malgré lesattendrissements profonds que l’amitié de Silvère avait mis enelle, elle avait encore de loin en loin des réveils brusques, desheures mauvaises, où les entêtements, les rébellions de sa naturesanguine la roidissaient, les yeux durs, les lèvres serrées. Alorselle soutenait que son père avait bien fait de tuer le gendarme,que la terre appartient à tout le monde, qu’on a le droit de tirerdes coups de fusil où l’on veut et quand on veut. Et Silvère, de savoix grave, lui expliquait le code comme il le comprenait, avec descommentaires étranges qui auraient fait bondir toute lamagistrature de Plassans. Ces causeries avaient lieu, le plussouvent, dans quelque coin perdu des prés Sainte-Claire. Les tapisd’herbe, d’un noir verdâtre, s’étendaient à perte de vue, sansqu’un seul arbre tachât l’immense nappe, et le ciel semblaiténorme, emplissant de ses étoiles la rondeur nue de l’horizon. Lesenfants étaient comme bercés dans cette mer de verdure. Mietteluttait longtemps&|160;; elle demandait à Silvère s’il eût mieuxvalu que son père se laissât tuer par le gendarme, et Silvèregardait un instant le silence&|160;; puis il disait que, dans untel cas, il valait mieux être la victime que le meurtrier, et quec’était un grand malheur, lorsqu’on tuait son semblable, même enétat de légitime défense. Pour lui, la loi était chose sainte, lesjuges avaient eu raison d’envoyer Chantegreil au bagne. La jeunefille s’emportait, elle aurait battu son ami, elle lui criait qu’ilavait aussi mauvais cœur que les autres. Et comme il continuait àdéfendre fermement ses idées de justice, elle finissait par éclateren sanglots, en balbutiant qu’il rougissait sans doute d’elle,puisqu’il lui rappelait toujours le crime de son père. Cesdiscussions se terminaient dans les larmes, dans une émotioncommune. Mais l’enfant avait beau pleurer, reconnaître qu’elleavait peut-être tort, elle gardait tout au fond d’elle sasauvagerie, son emportement sanguin. Une fois, elle raconta avec delongs rires comment un gendarme devant elle, en tombant de cheval,s’était cassé la jambe. D’ailleurs Miette ne vivait plus que pourSilvère. Quand celui-ci la questionnait sur son oncle et sur soncousin, elle répondait «&|160;qu’elle ne savait pas&|160;», et s’ilinsistait, par crainte qu’on la rendît trop malheureuse auJas-Meiffren, elle disait qu’elle travaillait beaucoup, que rienn’était changé. Elle croyait pourtant que Justin avait fini parsavoir ce qui la faisait chanter le matin et lui mettait de ladouceur plein les yeux. Mais elle ajoutait&|160;:

«&|160;Qu’est-ce que ça fait&|160;? S’il vient jamais nousdéranger, nous le recevrons, n’est-ce pas, de telle façon, qu’iln’aura plus l’envie de se mêler de nos affaires.&|160;»

Cependant, la campagne libre, les longues marches en plein air,les lassaient parfois. Ils revenaient toujours à l’aireSaint-Mittre, à l’allée étroite, d’où les avaient chassés lessoirées d’été bruyantes, les odeurs trop fortes des herbes foulées,les souffles chauds et troublants. Mais, certains soirs, l’allée sefaisait plus douce, des vents la rafraîchissaient, ils pouvaientdemeurer là sans éprouver de vertige. Ils goûtaient alors des reposdélicieux. Assis sur la pierre tombale, l’oreille fermée au tapagedes enfants et des bohémiens, ils se retrouvaient chez eux. Silvèreavait ramassé à plusieurs reprises des fragments d’os, des débrisde crâne, et ils aimaient à parler de l’ancien cimetière.Vaguement, avec leur imagination vive, ils se disaient que leuramour avait poussé, comme une belle plante robuste et grasse, dansce terreau, dans ce coin de terre fertilisé par la mort. Il y avaitgrandi ainsi que ces herbes folles&|160;; il y avait fleuri commeces coquelicots que la moindre brise faisait battre sur leurstiges, pareils à des cœurs ouverts et saignants. Et ilss’expliquaient les haleines tièdes passant sur leur front, leschuchotements entendus dans l’ombre, le long frisson qui secouaitl’allée&|160;: c’étaient les morts qui leur soufflaient leurspassions disparues au visage, les morts qui leur contaient leurnuit de noces, les morts qui se retournaient dans la terre, pris dufurieux désir d’aimer, de recommencer l’amour. Ces ossements, ilsle sentaient bien, étaient pleins de tendresse pour eux&|160;; lescrânes brisés se réchauffaient aux flammes de leur jeunesse, lesmoindres débris les entouraient d’un murmure ravi, d’unesollicitude inquiète, d’une jalousie frémissante. Et quand ilss’éloignaient, l’ancien cimetière pleurait. Ces herbes, qui leurliaient les pieds par les nuits de feu, et qui les faisaientvaciller, c’étaient des doigts minces, effilés par la tombe, sortisde terre pour les retenir, pour les jeter aux bras l’un de l’autre.Cette odeur âcre et pénétrante qu’exhalaient les tiges brisées,c’était la senteur fécondante, le suc puissant de la vie,qu’élaborent lentement les cercueils et qui grisent de désirs lesamants égarés dans la solitude des sentiers. Les morts, les vieuxmorts, voulaient les noces de Miette et de Silvère.

Jamais les enfants ne furent pris d’effroi. La tendresseflottante qu’ils devinaient autour d’eux les touchait, leur faisaitaimer les êtres invisibles dont ils croyaient souvent sentir lefrôlement, pareil à un léger battement d’ailes. Ils étaientsimplement attristés parfois d’une tristesse douce, et ils necomprenaient pas ce que les morts voulaient d’eux. Ils continuaientà vivre leurs amours ignorantes, au milieu de ce flot de sève, dansce bout de cimetière abandonné, où la terre engraissée suait lavie, et qui exigeait impérieusement leur union. Les voixbourdonnantes qui faisaient sonner leurs oreilles, les chaleurssubites qui leur poussaient tout le sang au visage, ne leurdisaient rien de distinct. Il y avait des jours où la clameur desmorts devenait si haute, que Miette, fiévreuse, alanguie, couchée àdemi sur la pierre tombale, regardait Silvère de ses yeux noyés,comme pour lui dire&|160;: «&|160;Que demandent-ils donc&|160;?pourquoi soufflent-ils ainsi de la flamme dans mesveines&|160;?&|160;» Et Silvère, brisé, éperdu, n’osait répondre,n’osait répéter les mots ardents qu’il croyait saisir dans l’air,les conseils fous que lui donnaient les grandes herbes, lessupplications de l’allée entière, des tombes mal fermées brûlant deservir de couche aux amours de ces deux enfants.

Ils se questionnaient souvent sur les ossements qu’ilsdécouvraient. Miette, avec son instinct de femme, adorait lessujets lugubres. À chaque nouvelle trouvaille, c’étaient dessuppositions sans fin. Si l’os était petit, elle parlait d’unebelle jeune fille poitrinaire, ou emportée par une fièvre la veillede son mariage&|160;; si l’os était gros, elle rêvait quelque grandvieillard, un soldat, un juge, quelque homme terrible. La pierretombale surtout les occupa longtemps. Par un beau clair de lune,Miette avait distingué, sur une des faces, des caractères à demirongés. Il fallut que Silvère, avec son couteau, enlevât la mousse.Alors ils lurent l’inscription tronquée&|160;:&|160;Cy gist…Marie… morte…&|160;Et Miette, en trouvant son nom sur cettepierre, était restée toute saisie. Silvère l’appela «&|160;grossebête&|160;». Mais elle ne put retenir ses larmes. Elle dit qu’elleavait reçu un coup dans la poitrine, qu’elle mourrait bientôt, quecette pierre était pour elle. Le jeune homme se sentit glacé à sontour. Cependant il réussit à faire honte à l’enfant. Comment&|160;!elle, si courageuse, rêvait de pareils enfantillages&|160;! Ilsfinirent par rire. Puis ils évitèrent de reparler de cela. Mais,aux heures de mélancolie, lorsque le ciel voilé attristait l’allée,Miette ne pouvait s’empêcher de nommer cette morte, cette Marieinconnue dont la tombe avait si longtemps facilité leursrendez-vous. Les os de la pauvre fille étaient peut-être encore là.Elle eut un soir l’étrange fantaisie de vouloir que Silvèreretournât la pierre pour voir ce qu’il y avait dessous. Il s’yrefusa comme à un sacrilège, et ce refus entretint les rêveries deMiette sur le cher fantôme qui portait son nom. Elle voulaitabsolument qu’elle fût morte à son âge, à treize ans, en pleinetendresse. Elle s’apitoyait jusque sur la pierre, cette pierrequ’elle enjambait si lestement, où ils s’étaient tant de foisassis, pierre glacée par la mort et qu’ils avaient réchauffée deleur amour. Elle ajoutait&|160;:

«&|160;Tu verras, ça nous portera malheur… Moi, si tu mourais,je viendrais mourir ici, et je voudrais qu’on roulât ce bloc surmon corps.&|160;»

Silvère, la gorge serrée, la grondait de songer à des chosestristes.

Et ce fut ainsi que, pendant près de deux années, ils s’aimèrentdans l’allée étroite, dans la campagne large. Leur idylle traversales pluies glacées de décembre et les brûlantes sollicitations dejuillet, sans glisser à la honte des amours communes&|160;; ellegarda son charme exquis de conte grec, son ardente pureté, tous sesbalbutiements naïfs de la chair qui désire et qui ignore. Lesmorts, les vieux morts eux-mêmes, chuchotèrent vainement à leursoreilles. Et ils n’emportèrent de l’ancien cimetière qu’unemélancolie attendrie, que le pressentiment vague d’une viecourte&|160;; une voix leur disait qu’ils s’en iraient, avec leurstendresses vierges, avant les noces, le jour où ils voudraient sedonner l’un à l’autre. Sans doute ce fut là, sur la pierre tombale,au milieu des ossements cachés sous les herbes grasses, qu’ilsrespirèrent leur amour de la mort, cet âpre désir de se coucherensemble dans la terre, qui les faisait balbutier au bord de laroute d’Orchères, par cette nuit de décembre, tandis que les deuxcloches se renvoyaient leurs appels lamentables.

Miette dormait paisible, la tête sur la poitrine de Silvère,pendant qu’il rêvait aux rendez-vous lointains, à ces belles annéesde continuel enchantement. Au jour, l’enfant se réveilla. Devanteux, la vallée s’étendait toute claire sous le ciel blanc. Lesoleil était encore derrière les coteaux. Une clarté de cristal,limpide et glacée comme une eau de source, coulait des horizonspâles. Au loin, la Viorne, pareille à un ruban de satin blanc, seperdait au milieu des terres rouges et jaunes. C’était une échappéesans bornes, des mers grises d’oliviers, des vignobles pareils à devastes pièces d’étoffe rayée, toute une contrée agrandie par lanetteté de l’air et la paix du froid. Le vent qui soufflait parcourtes brises avait glacé le visage des enfants. Ils se levèrentvivement, ragaillardis, heureux des blancheurs de la matinée. Et,la nuit ayant emporté leurs tristesses effrayées, ils regardaientd’un œil ravi le cercle immense de la plaine, ils écoutaient lestintements des deux cloches, qui leur semblaient sonner joyeusementl’aube d’un jour de fête.

«&|160;Ah&|160;! que j’ai bien dormi&|160;! s’écria Miette. J’airêvé que tu m’embrassais… Est-ce que tu m’as embrassée,dis&|160;?

–&|160;C’est bien possible, répondit Silvère en riant. Jen’avais pas chaud. Il fait un froid de loup.

–&|160;Moi, je n’ai froid qu’aux pieds.

–&|160;Eh bien&|160;! courons… Nous avons deux bonnes lieues àfaire. Tu te réchaufferas.&|160;»

Et ils descendirent la côte, ils regagnèrent la route encourant. Puis, quand ils furent en bas, ils levèrent la tête, commepour dire adieu à cette roche sur laquelle ils avaient pleuré, ense brûlant les lèvres d’un baiser. Mais ils ne reparlèrent point decette caresse ardente qui avait mis dans leur tendresse un besoinnouveau, vague encore, et qu’ils n’osaient formuler. Ils ne sedonnèrent même pas le bras, sous prétexte de marcher plus vite. Etils marchaient gaiement, un peu confus, sans savoir pourquoi, quandils venaient à se regarder. Autour d’eux, le jour grandissait. Lejeune homme, que son patron envoyait parfois à Orchères,choisissait sans hésiter les bons sentiers, les plus directs. Ilsfirent ainsi plus de deux lieues, dans des chemins creux, le longde haies et de murailles interminables. Miette accusait Silvère del’avoir égarée. Souvent, pendant des quarts d’heure entiers, ils nevoyaient pas un bout du pays, ils n’apercevaient, au-dessus desmurailles et des haies, que de longues files d’amandiers dont lesbranches maigres se détachaient sur la pâleur du ciel.

Brusquement, ils débouchèrent juste en face d’Orchères. Degrands cris de joie, des brouhahas de foule leur arrivaient, clairsdans l’air limpide. La bande insurrectionnelle entrait à peine dansla ville. Miette et Silvère y pénétrèrent avec les traînards.Jamais ils n’avaient vu un enthousiasme pareil. Dans les rues, oneût dit un jour de procession, lorsque le passage du dais met lesplus belles draperies aux fenêtres. On fêtait les insurgés comme onfête des libérateurs. Les hommes les embrassaient, les femmes leurapportaient des vivres. Et il y avait, sur les portes, desvieillards qui pleuraient. Allégresse toute méridionale quis’épanchait d’une façon bruyante, chantant, dansant, gesticulant.Comme Miette passait, elle fut prise dans une immense farandole quitournait sur la Grand-Place. Silvère la suivit. Ses idées de mort,de découragement, étaient loin à cette heure. Il voulait se battre,vendre du moins chèrement sa vie. L’idée de la lutte le grisait denouveau. Il rêvait la victoire, la vie heureuse avec Miette, dansla grande paix de la République universelle.

Cette réception fraternelle des habitants d’Orchères fut ladernière joie des insurgés. Ils passèrent la journée dans uneconfiance rayonnante, dans un espoir sans bornes. Les prisonniers,le commandant Sicardot, MM.&|160;Garçonnet, Peirotte et les autres,qu’on avait enfermés dans une salle de la mairie, dont les fenêtresdonnaient sur la Grand-Place, regardaient, avec une surpriseeffrayée, ces farandoles, ces grands courants d’enthousiasme quipassaient devant eux.

«&|160;Quels gueux&|160;! murmurait le commandant, appuyé à larampe d’une fenêtre, comme sur le velours d’une loge dethéâtre&|160;; et dire qu’il ne viendra pas une ou deux batteriespour me nettoyer toute cette canaille&|160;!&|160;»

Puis il aperçut Miette, il ajouta, en s’adressant àM.&|160;Garçonnet&|160;:

«&|160;Voyez donc, monsieur le maire, cette grande fille rouge,là-bas. C’est une honte. Ils ont traîné leurs créatures avec eux.Pour peu que cela continue, nous allons assister à de belleschoses.&|160;»

M.&|160;Garçonnet hochait la tête, parlant «&|160;des passionsdéchaînées&|160;» et «&|160;des plus mauvais jours de notrehistoire&|160;». M.&|160;Peirotte, blanc comme un linge, restaitsilencieux&|160;; il ouvrit une seule fois les lèvres, pour dire àSicardot, qui continuait à déblatérer amèrement&|160;:

«&|160;Plus bas donc, monsieur&|160;! vous allez nous fairemassacrer.&|160;»

La vérité était que les insurgés traitaient ces messieurs avecla plus grande douceur. Ils leur firent même servir, le soir, unexcellent dîner. Mais, pour des trembleurs comme le receveurparticulier, de pareilles attentions devenaient effrayantes&|160;:les insurgés ne devaient les traiter si bien que dans le but de lestrouver plus gras et plus tendres, le jour où ils lesmangeraient.

Au crépuscule, Silvère se rencontra face à face avec son cousin,le docteur Pascal. Le savant avait suivi la bande à pied, causantau milieu des ouvriers, qui le vénéraient. Il s’était d’abordefforcé de les détourner de la lutte&|160;; puis, comme gagné parleurs discours&|160;:

«&|160;Vous avez peut-être raison, mes amis, leur avait-il ditavec son sourire d’indifférent affectueux&|160;; battez-vous, jesuis là pour vous raccommoder les bras et les jambes.&|160;»

Et, le matin, il s’était tranquillement mis à ramasser le longde la route des cailloux et des plantes. Il se désespérait de nepas avoir emporté son marteau de géologue et sa boîte à herboriser.À cette heure, ses poches, pleines de pierres, crevaient, et satrousse, qu’il tenait sous le bras, laissait passer des paquets delongues herbes.

«&|160;Tiens, c’est toi, mon garçon&|160;! s’écria-t-il enapercevant Silvère. Je croyais être ici le seul de lafamille.&|160;»

Il prononça ces derniers mots avec quelque ironie, raillantdoucement les menées de son père et de l’oncle Antoine. Silvère futheureux de rencontrer son cousin&|160;; le docteur était le seuldes Rougon qui lui serrât la main dans les rues et qui luitémoignât une sincère amitié. Aussi, en le voyant couvert encore dela poussière de la route, et le croyant acquis à la causerépublicaine, le jeune homme montra-t-il une vive joie. Il luiparla des droits du peuple, de sa cause sainte, de son triompheassuré, avec une emphase juvénile. Pascal l’écoutait ensouriant&|160;; il examinait avec curiosité ses gestes, les jeuxardents de sa physionomie, comme s’il eût étudié un sujet, disséquéun enthousiasme, pour voir ce qu’il y a au fond de cette fièvregénéreuse.

«&|160;Comme tu vas&|160;! comme tu vas&|160;! Ah&|160;! que tues bien le petit-fils de ta grand-mère&|160;!&|160;»

Et il ajouta, à voix basse, du ton d’un chimiste qui prend desnotes&|160;:

«&|160;Hystérie ou enthousiasme, folie honteuse ou foliesublime. Toujours ces diables de nerfs&|160;!&|160;»

Puis, concluant tout haut, résumant sa pensée&|160;:

«&|160;La famille est complète, reprit-il. Elle aura unhéros.&|160;»

Silvère n’avait pas entendu. Il continuait à parler de sa chèreRépublique. À quelques pas, Miette s’était arrêtée, toujours vêtuede sa grande pelisse rouge&|160;; elle ne quittait plus Silvère,ils avaient couru la ville aux bras l’un de l’autre. Cette grandefille rouge finit par intriguer Pascal&|160;; il interrompitbrusquement son cousin, il lui demanda&|160;:

«&|160;Quelle est cette enfant qui est avec toi&|160;?

–&|160;C’est ma femme&|160;», répondit gravement Silvère.

Le docteur ouvrit de grands yeux. Il ne comprit pas. Et, commeil était timide avec les femmes, il envoya à Miette, ens’éloignant, un large coup de chapeau.

La nuit fut inquiète. Il passa un vent de malheur sur lesinsurgés. L’enthousiasme, la confiance de la veille furent commeemportés dans les ténèbres. Au matin, les figures étaientsombres&|160;; il y avait des échanges de regards tristes, dessilences longs de découragement. Des bruits effrayantscouraient&|160;; les mauvaises nouvelles, que les chefs avaientréussi à cacher depuis la veille, s’étaient répandues sans quepersonne eût parlé, soufflées par cette bouche invisible qui jetted’une haleine la panique dans les foules. Des voix disaient queParis était vaincu, que la province avait tendu les pieds et lespoings&|160;; et ces voix ajoutaient que des troupes nombreusesparties de Marseille, sous les ordres du colonel Masson et deM.&|160;de Blériot, le préfet du département, s’avançaient àmarches forcées pour détruire les bandes insurrectionnelles. Ce futun écroulement, un réveil plein de colère et de désespoir. Ceshommes, brûlant la veille de fièvre patriotique, se sentirentfrissonner dans le grand froid de la France soumise, honteusementagenouillée. Eux seuls avaient donc eu l’héroïsme du devoir&|160;!Ils étaient, à cette heure, perdus au milieu de l’épouvante detous, dans le silence de mort du pays&|160;; ils devenaient desrebelles&|160;; on allait les chasser à coups de fusil, comme desbêtes fauves. Et ils avaient rêvé une grande guerre, la révolted’un peuple, la conquête glorieuse du droit&|160;! Alors, dans unetelle déroute, dans un tel abandon, cette poignée d’hommes pleurasa foi morte, son rêve de justice évanoui. Il y en eut qui, eninjuriant la France entière de sa lâcheté, jetèrent leurs armes etallèrent s’asseoir sur le bord des routes&|160;; ils disaientqu’ils attendraient là les balles de la troupe, pour montrercomment mouraient des républicains.

Bien que ces hommes n’eussent plus devant eux que l’exil ou lamort, il y eut peu de désertions. Une admirable solidarité unissaitces bandes. Ce fut contre les chefs que la colère se tourna. Ilsétaient réellement incapables. Des fautes irréparables avaient étécommises&|160;; et maintenant, lâchés, sans discipline, à peineprotégés par quelques sentinelles, sous les ordres d’hommesirrésolus, les insurgés se trouvaient à la merci des premierssoldats qui se présenteraient.

Ils passèrent deux jours encore à Orchères, le mardi et lemercredi, perdant le temps, aggravant leur situation. Le général,l’homme au sabre, que Silvère avait montré à Miette sur la route dePlassans, hésitait, pliait sous la terrible responsabilité quipesait sur lui. Le jeudi, il jugea que décidément la positiond’Orchères était dangereuse. Vers une heure, il donna l’ordre dudépart, il conduisit sa petite armée sur les hauteurs deSainte-Roure. C’était là, d’ailleurs, une position inexpugnable,pour qui aurait su la défendre. Sainte-Roure étage ses maisons surle flanc d’une colline&|160;; derrière la ville, d’énormes blocs derochers ferment l’horizon&|160;; on ne peut monter à cette sorte decitadelle que par la plaine des Nores, qui s’élargit au bas duplateau. Une esplanade, dont on a fait un cours, planté d’ormessuperbes, domine la plaine. Ce fut sur cette esplanade que lesinsurgés campèrent. Les otages eurent pour prison une auberge,l’hôtel de la Mule-Blanche, située au milieu du cours. La nuit sepassa lourde et noire. On parla de trahison. Dès le matin, l’hommeau sabre, qui avait négligé de prendre les plus simplesprécautions, passa une revue. Les contingents étaient alignés,tournant le dos à la plaine, avec le tohu-bohu étrange descostumes, vestes brunes, paletots foncés, blouses bleues, serréespar des ceintures rouges&|160;; les armes, bizarrement mêlées,luisaient au soleil clair, les faux aiguisées de frais, les largespelles de terrassier, les canons brunis des fusils de chasse&|160;:lorsque, au moment où le général improvisé passait à cheval devantla petite armée, une sentinelle, qu’on avait oubliée dans un champd’oliviers, accourut en gesticulant, en criant&|160;:

«&|160;Les soldats&|160;! les soldats&|160;!&|160;»

Ce fut une émotion inexprimable. On crut d’abord à une faussealerte. Les insurgés, oubliant toute discipline, se jetèrent enavant, coururent au bout de l’esplanade, pour voir les soldats. Lesrangs furent rompus. Et quand la ligne sombre de la troupe apparut,correcte, avec le large éclair des baïonnettes, derrière le rideaugrisâtre des oliviers, il y eut un mouvement de recul, uneconfusion qui fit passer un frisson de panique d’un bout à l’autredu plateau.

Cependant, au milieu du cours, La Palud etSaint-Martin-de-Vaulx, s’étant reformés, se tenaient farouches etdebout. Un bûcheron, un géant dont la tête dépassait celle de sescompagnons, criait, en agitant sa cravate rouge&|160;: «&|160;Ànous, Chavanoz, Graille, Poujols, Saint-Eutrope&|160;! à nous, lesTulettes&|160;! à nous, Plassans&|160;!&|160;»

De grands courants de foule traversaient l’esplanade. L’homme ausabre, entouré des gens de Faverolles, s’éloigna, avec plusieurscontingents des campagnes, Vernoux, Corbière, Marsanne, Pruinas,pour tourner l’ennemi et le prendre de flanc. D’autres, Valqueyras,Nazères, Castel-le-Vieux, les Roches-Noires, Murdaran, se jetèrentà gauche, se dispersèrent en tirailleurs dans la plaine desNores.

Et, tandis que le cours se vidait, les villes, les villages quele bûcheron avait appelés à l’aide se réunissaient, formaient sousles ormes une masse sombre, irrégulière, groupée en dehors detoutes les règles de la stratégie, mais qui avait roulé là, commeun bloc, pour barrer le chemin ou mourir. Plassans se trouvait aumilieu de ce bataillon héroïque. Dans la teinte grise des blouseset des vestes, dans l’éclat bleuâtre des armes, la pelisse deMiette, qui tenait le drapeau à deux mains, mettait une large tacherouge, une tache de blessure fraîche et saignante.

Il y eut brusquement un grand silence. À une des fenêtres de laMule-Blanche, la tête blafarde de M.&|160;Peirotte apparut. Ilparlait, il faisait des gestes.

«&|160;Rentrez, fermez les volets, crièrent les insurgésfurieusement&|160;; vous allez vous faire tuer.&|160;»

Les volets se fermèrent en toute hâte, et l’on n’entendit plusque les pas cadencés des soldats qui approchaient.

Une minute s’écoula, interminable. La troupe avaitdisparu&|160;; elle était cachée dans un pli de terrain, et bientôtles insurgés aperçurent, du côté de la plaine, au ras du sol, despointes de baïonnettes qui poussaient, grandissaient, roulaientsous le soleil levant, comme un champ de blé aux épis d’acier.Silvère, à ce moment, dans la fièvre qui le secouait, crut voirpasser devant lui l’image du gendarme dont le sang lui avait tachéles mains&|160;; il savait, par les récits de ses compagnons, queRengade n’était pas mort, qu’il avait simplement un œilcrevé&|160;; et il le distinguait nettement, avec son orbite vide,saignant, horrible. La pensée aiguë de cet homme, auquel il n’avaitplus songé depuis son départ de Plassans, lui fut insupportable. Ilcraignit d’avoir peur. Il serrait violemment sa carabine, les yeuxvoilés par un brouillard, brûlant de décharger son arme, de chasserl’image du borgne à coups de feu. Les baïonnettes montaienttoujours, lentement.

Quand les têtes des soldats apparurent au bord de l’esplanade,Silvère, d’un mouvement instinctif, se tourna vers Miette. Elleétait là, grandie, le visage rose, dans les plis du drapeaurouge&|160;; elle se haussait sur la pointe des pieds, pour voir latroupe&|160;; une attente nerveuse faisait battre ses narines,montrait ses dents blanches de jeune loup dans la rougeur de seslèvres. Silvère lui sourit. Et il n’avait pas tourné la tête,qu’une fusillade éclata. Les soldats, dont on ne voyait encore queles épaules, venaient de lâcher leur premier feu. Il lui semblaqu’un grand vent passait sur sa tête, tandis qu’une pluie defeuilles coupées par les balles tombaient des ormes. Un bruit sec,pareil à celui d’une branche morte qui se casse, le fit regarder àsa droite. Il vit par terre le grand bûcheron, celui dont la têtedépassait celles des autres, avec un petit trou noir au milieu dufront. Alors il déchargea sa carabine devant lui, sans viser, puisil rechargea, tira de nouveau. Et cela, toujours, comme un furieux,comme une bête qui ne pense à rien, qui se dépêche de tuer. Il nedistinguait même plus les soldats&|160;; des fumées flottaient sousles ormes, pareilles à des lambeaux de mousseline grise. Lesfeuilles continuaient à pleuvoir sur les insurgés, la troupe tiraittrop haut. Par instants, dans les bruits déchirants de lafusillade, le jeune homme entendait un soupir, un râle sourd&|160;;et il y avait dans la petite bande une poussée, comme pour faire dela place au malheureux qui tombait en se cramponnant aux épaules deses voisins. Pendant dix minutes, le feu dura.

Puis, entre deux décharges, un homme cria&|160;: «&|160;Sauvequi peut&|160;!&|160;» avec un accent terrible de terreur. Il y eutdes grondements, des murmures de rage, qui disaient&|160;:«&|160;Les lâches&|160;! oh&|160;! les lâches&|160;!&|160;» Desphrases sinistres couraient&|160;: le général avait fui&|160;; lacavalerie sabrait les tirailleurs dispersés dans la plaine desNores. Et les coups de feu ne cessaient pas, ils partaientirréguliers, rayant la fumée de flammes brusques. Une voix ruderépétait qu’il fallait mourir là. Mais la voix affolée, la voix deterreur, criait plus haut&|160;: «&|160;Sauve qui peut&|160;! sauvequi peut&|160;!&|160;» Des hommes s’enfuirent, jetant leurs armes,sautant par-dessus les morts. Les autres serrèrent les rangs. Ilresta une dizaine d’insurgés. Deux prirent encore la fuite, et, surles huit autres, trois furent tués d’un coup.

Les deux enfants étaient restés machinalement, sans riencomprendre. À mesure que le bataillon diminuait, Miette élevait ledrapeau davantage&|160;; elle le tenait, comme un grand cierge,devant elle, les poings fermés. Il était criblé de balles. QuandSilvère n’eut plus de cartouches dans les poches, il cessa detirer, il regarda sa carabine d’un air stupide. Ce fut alors qu’uneombre lui passa sur la face, comme si un oiseau colossal eûteffleuré son front d’un battement d’aile. Et, levant les yeux, ilvit le drapeau qui tombait des mains de Miette. L’enfant, les deuxpoings serrés sur sa poitrine, la tête renversée, avec uneexpression atroce de souffrance, tournait lentement sur elle-même.Elle ne poussa pas un cri&|160;; elle s’affaissa en arrière, sur lanappe rouge du drapeau.

«&|160;Relève-toi, viens vite&|160;», dit Silvère lui tendant lamain, la tête perdue.

Mais elle resta par terre, les yeux tout grands ouverts, sansdire un mot. Il comprit, il se jeta à genoux.

«&|160;Tu es blessée, dis&|160;? Où es-tublessée&|160;?&|160;»

Elle ne disait toujours rien&|160;; elle étouffait&|160;; ellele regardait de ses yeux agrandis, secouée par de courts frissons.Alors il lui écarta les mains.

«&|160;C’est là, n’est-ce pas&|160;? c’est là.&|160;»

Et il déchira son corsage, mit à nu sa poitrine. Il chercha, ilne vit rien. Ses yeux s’emplissaient de larmes. Puis, sous le seingauche, il aperçut un petit trou rose&|160;; une seule goutte desang tachait la plaie.

«&|160;Ça ne sera rien, balbutia-t-il&|160;; je vais allerchercher Pascal, il te guérira. Si tu pouvais te relever… Tu nepeux pas te relever&|160;?&|160;»

Les soldats ne tiraient plus&|160;; ils s’étaient jetés àgauche, sur les contingents emmenés par l’homme au sabre. Au milieude l’esplanade vide, il n’y avait que Silvère agenouillé devant lecorps de Miette. Avec l’entêtement du désespoir, il l’avait prisedans ses bras. Il voulait la mettre debout&|160;; mais l’enfant eutune telle secousse de douleur qu’il la recoucha. Il lasuppliait&|160;:

«&|160;Parle-moi, je t’en prie. Pourquoi ne me dis-turien&|160;?&|160;»

Elle ne pouvait pas. Elle agita les mains, d’un mouvement douxet lent, pour dire que ce n’était pas sa faute. Ses lèvres serréess’amincissaient déjà sous le doigt de la mort. Les cheveux dénoués,la tête roulée dans les plis sanglants du drapeau, elle n’avaitplus que ses yeux de vivants, des yeux noirs, qui luisaient dansson visage blanc. Silvère sanglota. Les regards de ces grands yeuxnavrés lui faisaient mal. Il y voyait un immense regret de la vie.Miette lui disait qu’elle partait seule, avant les noces, qu’elles’en allait sans être sa femme&|160;; elle lui disait encore quec’était lui qui avait voulu cela, qu’il aurait dû l’aimer commetous les garçons aiment les filles. À son agonie, dans cette lutterude que sa nature sanguine livrait à la mort, elle pleurait savirginité. Silvère, penché sur elle, comprit les sanglots amers decette chair ardente. Il entendit au loin les sollicitations desvieux ossements&|160;; il se rappela ces caresses qui avaient brûléleurs lèvres, dans la nuit, au bord de la route&|160;: elle sependait à son cou, elle lui demandait tout l’amour, et lui, iln’avait pas su, il la laissait partir petite fille, désespérée den’avoir pas goûté aux voluptés de la vie. Alors, désolé de la voirn’emporter de lui qu’un souvenir d’écolier et de bon camarade, ilbaisa sa poitrine de vierge, cette gorge pure et chaste qu’ilvenait de découvrir. Il ignorait ce buste frissonnant, cettepuberté admirable. Ses larmes trempaient ses lèvres. Il collait sabouche sanglotante sur la peau de l’enfant. Ces baisers d’amantmirent une dernière joie dans les yeux de Miette. Ils s’aimaient,et leur idylle se dénouait dans la mort.

Mais lui ne pouvait croire qu’elle allait mourir. Ildisait&|160;:

«&|160;Non, tu vas voir, ça n’est rien… Ne parle pas, si tusouffres… Attends, je vais te soulever la tête&|160;; puis je teréchaufferai, tu as les mains glacées.&|160;»

La fusillade reprenait, à gauche, dans les champs d’oliviers.Des galops sourds de cavalerie montaient de la plaine des Nores.Et, par instants, il y avait de grands cris d’hommes qu’on égorge.Des fumées épaisses arrivaient, traînaient sous les ormes del’esplanade. Mais Silvère n’entendait plus, ne voyait plus. Pascal,qui descendait en courant vers la plaine, l’aperçut, vautré àterre, et s’approcha, le croyant blessé. Dès que le jeune hommel’eut reconnu, il se cramponna à lui. Il lui montrait Miette.

«&|160;Voyez donc, disait-il, elle est blessée, là, sous lesein… Ah&|160;! que vous êtes bon d’être venu&|160;; vous lasauverez.&|160;»

À ce moment, la mourante eut une légère convulsion. Une ombredouloureuse passa sur son visage, et, de ses lèvres serrées quis’ouvrirent, sortit un petit souffle. Ses yeux, tout grandsouverts, restèrent fixés sur le jeune homme.

Pascal, qui s’était penché, se releva en disant àdemi-voix&|160;:

«&|160;Elle est morte.&|160;»

Morte&|160;! ce mot fit chanceler Silvère. Il s’était remis àgenoux&|160;; il tomba assis, comme renversé par le petit soufflede Miette.

«&|160;Morte&|160;! morte&|160;! répéta-t-il, ce n’est pas vrai,elle me regarde… Vous voyez bien qu’elle me regarde.&|160;»

Et il saisit le médecin par son vêtement, le conjurant de ne pass’en aller, lui affirmant qu’il se trompait, qu’elle n’était pasmorte, qu’il la sauverait, s’il voulait. Pascal lutta doucement,disant de sa voix affectueuse&|160;:

«&|160;Je ne puis rien, d’autres m’attendent… Laisse, mon pauvreenfant&|160;; elle est bien morte, va.&|160;»

Il lâcha prise, il retomba. Morte&|160;! morte&|160;! encore cemot, qui sonnait comme un glas dans sa tête vide&|160;! Quand ilfut seul, il se traîna auprès du cadavre. Miette le regardaittoujours. Alors il se jeta sur elle, roula sa tête sur sa gorgenue, baigna sa peau de ses larmes. Ce fut un emportement. Il posaitfurieusement les lèvres sur la rondeur naissante de ses seins, illui soufflait dans un baiser toute sa flamme, toute sa vie, commepour la ressusciter. Mais l’enfant devenait froide sous sescaresses. Il sentait ce corps inerte s’abandonner dans ses bras. Ilfut pris d’épouvante&|160;; il s’accroupit, la face bouleversée,les bras pendants, et il resta là, stupide, répétant&|160;:

«&|160;Elle est morte, mais elle me regarde&|160;; elle ne fermepas les yeux, elle me voit toujours.&|160;»

Cette idée l’emplit d’une grande douceur. Il ne bougea plus. Iléchangea avec Miette un long regard, lisant encore, dans ces yeuxque la mort rendait plus profonds, les derniers regrets de l’enfantpleurant sa virginité.

Cependant, la cavalerie sabrait toujours les fuyards, dans laplaine des Nores&|160;; les galops des chevaux, les cris desmourants, s’éloignaient, s’adoucissaient, comme une musiquelointaine, apportée par l’air limpide. Silvère ne savait plus qu’onse battait. Il ne vit pas son cousin, qui remontait la pente et quitraversait de nouveau le cours. En passant, Pascal ramassa lacarabine de Macquart, que Silvère avait jetée&|160;; il laconnaissait pour l’avoir vue pendue à la cheminée de tante Dide, etsongeait à la sauver des mains des vainqueurs. Il était à peineentré dans l’hôtel de la Mule Blanche, où l’on avait porté un grandnombre de blessés, qu’un flot d’insurgés, chassés par la troupecomme une bande de bêtes, envahit l’esplanade. L’homme au sabreavait fui&|160;; c’étaient les derniers contingents des campagnesque l’on traquait. Il y eut là un effroyable massacre. Le colonelMasson et le préfet, M.&|160;de Blériot, pris de pitié, ordonnèrentvainement la retraite. Les soldats, furieux, continuaient à tirerdans le tas, à clouer les fuyards contre les murailles, à coups debaïonnette. Quand ils n’eurent plus d’ennemis devant eux, ilscriblèrent de balles la façade de la Mule-Blanche. Les voletspartaient en éclats&|160;; une fenêtre, laissée entrouverte, futarrachée, avec un bruit retentissant de verre cassé. Des voixlamentables criaient à l’intérieur&|160;: «&|160;Lesprisonniers&|160;! les prisonniers&|160;!&|160;» Mais la troupen’entendait pas, elle tirait toujours. On vit, à un moment, lecommandant Sicardot, exaspéré, paraître sur le seuil, parler enagitant les bras. À côté de lui, le receveur particulier,M.&|160;Peirotte, montra sa taille mince, son visage effaré. Il yeut encore une décharge. Et M.&|160;Peirotte tomba par terre, lenez en avant, comme une masse.

Silvère et Miette se regardaient. Le jeune homme était restépenché sur la morte, au milieu de la fusillade et des hurlementsd’agonie, sans même tourner la tête. Il sentit seulement des hommesautour de lui, et il fut pris d’un sentiment de pudeur&|160;: ilramena les plis du drapeau rouge sur Miette, sur sa gorge nue. Puisils continuèrent à se regarder.

Mais la lutte était finie. Le meurtre du receveur particulieravait assouvi les soldats. Des hommes couraient, battant tous lescoins de l’esplanade, pour ne pas laisser échapper un seul insurgé.Un gendarme, qui aperçut Silvère sous les arbres, accourut&|160;;et, voyant qu’il avait à faire à un enfant&|160;:

«&|160;Que fais-tu là, galopin&|160;?&|160;» luidemanda-t-il.

Silvère, les yeux sur les yeux de Miette, ne répondit pas.

«&|160;Ah&|160;! le bandit, il a les mains noires de poudre,s’écria l’homme, qui s’était baissé. Allons, debout,canaille&|160;! Ton compte est bon.&|160;»

Et comme Silvère, souriant vaguement, ne bougeait pas, l’hommes’aperçut que le cadavre qui se trouvait là, dans le drapeau, étaitun cadavre de femme&|160;:

«&|160;Une belle fille, c’est dommage&|160;! murmura-t-il… Tamaîtresse, hein&|160;? crapule&|160;!&|160;»

Puis il ajouta avec un rire de gendarme&|160;:

«&|160;Allons, debout&|160;!… Maintenant qu’elle est morte, tune veux peut-être pas coucher avec.&|160;»

Il tira violemment Silvère, il le mit debout, il l’emmena commeun chien qu’on traîne par une patte. Silvère se laissa traîner,sans une parole, avec une obéissance d’enfant. Il se retourna, ilregarda Miette. Il était désespéré de la laisser toute seule, sousles arbres. Il la vit de loin, une dernière fois. Elle restait là,chaste, dans le drapeau rouge, la tête légèrement penchée, avec sesgrands yeux qui regardaient en l’air.

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