La Main froide

Chapitre 6

 

 

Elle parut longue à Paul Cormier, cette nuitqu’il passa tout entière à s’agiter dans son lit sans pouvoirtrouver le sommeil qui le fuyait, et dont il aurait eu grand besoinpour remettre un peu d’ordre dans ses idées.

Le jour était levé depuis longtemps, lorsqu’ilput fermer l’œil, et il fut réveillé par sa femme de ménage quivint lui dire que deux messieurs demandaient à le voir.

Elle ne les connaissait pas et ils n’avaientpas voulu dire leurs noms.

En d’autres circonstances, Paul auraitabsolument refusé de les recevoir ; mais il était dans le casde ne pas renvoyer les gens, sans savoir ce qu’ils luivoulaient.

Il leur fit dire d’attendre qu’il fût levé etil sauta en bas du lit pour s’habiller rapidement.

Son logement n’était pas si grand que lesvisiteurs qui se présentaient fussent hors de portée d’entendre cequi se passait dans la chambre où il couchait.

La femme de ménage avait d’ailleurs négligé defermer les portes de communication.

Si bien qu’une voix s’éleva, voix que Paulreconnut et qui disait :

– Ne fais pas tant de façons. C’est moi,Bardin, et je suis avec un ami qui te dispense de toute cérémonie.Tu peux nous recevoir en chemise, si tu veux.

– Entrez alors, cria Paul, tout en sedemandant qui Bardin lui amenait.

Dans la situation où il était, toutl’inquiétait.

Il se rassura en voyant Lestrigou, mais il nedevina pas ce que venaient faire chez lui, si matin, les deux vieuxavocats qu’il avait quittés la veille au soir.

– Encore au lit, june homme ?lui dit le ci-devant bâtonnier.

– Quelle heure est-il donc ? demanda Paulen passant un pantalon.

– Midi passé et très passé, mon garçon,répondit Bardin.

À quoi donc as-tu employé ta nuit, que tu teréveilles si tard ?… Est-ce que tu as encore fait desbêtises ?

– Oh ! non…, à minuit, j’étais au lit…,seulement j’ai eu beaucoup de peine à m’endormir.

– Parce tu as l’habitude de te coucher à desheures indues. Lestrigou et moi, ce matin, nous étions debout dèsl’aurore… et pourtant Lestrigou avait passé l’autre nuit en cheminde fer.

Tu ne te doutes pas d’où nousvenons ?

– Pas du tout.

– Nous venons de l’avenue Montaigne. Lestrigouavait hâte de voir cette marquise de Ganges pour lui demanderl’adresse de l’héritière. J’ai eu beau lui dire qu’il ne fait pasjour chez les marquises avant quatre heures du soir, il a vouluabsolument se présenter chez elle, le matin.

– Et elle vous a reçus ?

– Ah ! bien, oui !… nous nous sommesheurtés à un grand laquais galonné sur toutes les coutures, qui acommencé par nous répondre que sa maîtresse n’était pas visible.Nous avons insisté. Lestrigou a donné sa carte sur laquelle ilavait écrit quelques mots pour indiquer le but de sa visite. Lelaquais a refusé de s’en charger. Et comme je me fâchais, il a finipar me dire que madame la marquise était en voyage.

– C’est peut-être vrai, murmura Paul.

Madame de Ganges, la dernière fois qu’ill’avait vue, lui avait annoncé qu’elle était à peu près décidée àquitter Paris.

– Je n’en ai pas cru un mot, reprit Bardin.Lestrigou non plus. Quelles raisons a cette dame pour secacher ? Nous n’en savons rien, mais certainement elle secache. Nous pouvons nous passer d’elle, mais il nous fautl’héritière ; et je viens de décider Lestrigou à s’adresser àla préfecture de police qui saura bien la retrouver.

– Vous ne ferez pas cela ! s’écriaPaul.

– Et pourquoi pas ?

– Parce que vous compromettriez une femme quin’a peut-être rien à se reprocher.

– Qu’en sais-tu ? Est-ce que tu laconnais ?

– Non… mais elle est très honorablement connueà Paris, et si vous faisiez intervenir la police dans une affaireoù son nom serait mêlé, vous lui feriez le plus grand tort.

– J’en serais bien fâché, dit Lestrigou. Jesuis un vieil ami de la famille, et quand elle était jeune fille,je n’ai jamais eu qu’à me louer d’elle. Le diable, c’est que je nesais comment m’y prendre pour mettre la main sur Bernadette.

– Bernadette ! répéta Paul, qui entendaitpour la première fois prononcer ce nom-là.

– Eh ! oui… Bernadette Lamalou…l’orpheline que mademoiselle de Marsillargues a recueillie àFabrègues et qui ne l’a pas quittée depuis cinq ou six ans…Celle-là aussi m’intéresse, et il me tarde de m’aboucher avec elle…si je connaissais un moyen d’y parvenir, sans mettre sa protectriceen cause…

– Voulez-vous que j’essaie, moi ? demandabrusquement Cormier.

– Vous, june homme !… eh !mais, ça né sérait pas dé refus, si jécroyais qué…

– Perds-tu l’esprit ? s’écria Bardin.Comment feras-tu pour…

– Ne me demandez pas d’explication. Je nepourrais pas vous en donner. Mais je m’engage à vous dire ce soirsi la marquise de Ganges est encore à Paris et si sa protégéehabite avec elle.

Bardin consulta d’un coup d’œil son amiLestrigou qui approuva d’un signe de tête.

– Quand les sages sont à bout de leur latin,dit en haussant les épaules le vieil ami de madame Cormier, cequ’ils ont de mieux à faire c’est de passer la main à un fou. Vadonc, mon garçon. Tu as carte blanche, jusqu’à demain. Nousattendrons ton rapport avant de commencer des démarchesofficielles… nous l’attendrons chez moi, jusqu’à midi… Etmaintenant, sois libre de ton temps… tu n’en as pas à perdre, si tuveux réussir… J’étais venu te chercher pour m’aider à faire àLestrigou les honneurs de ton quartier Latin qu’il veut absolumentrevoir, mais je les lui ferai sans toi. Au revoir !… à demainmatin !

Lestrigou n’ajouta rien ; il s’était missous la direction de Bardin, et il ne voyait plus que par ses yeux.À Montpellier, c’eût été l’inverse ; mais à Paris, l’ancienbâtonnier se trouvait tout dépaysé et il sentait la nécessité de selaisser guider par son vieil ami.

Cormier les laissa partir bien volontiers. Ilsl’auraient gêné ; ils le gênaient déjà. Mais il ne regrettaitpas de les avoir vus. Leur arrivée l’avait tiré de la torpeur où ilétait après une mauvaise nuit, comme un coup de fouet remet le cœurau ventre à un bon cheval accablé de fatigue. Son esprit, engourdipar un lourd sommeil succédant à une longue insomnie, s’étaitréveillé tout à coup ; ses idées s’étaient éclaircies, et ilvoyait enfin la situation telle qu’elle était.

Il ne s’agissait plus de chercher descombinaisons pour arriver à pénétrer les secrets de la marquise. Ils’agissait de la voir à tout prix, qu’elle le voulût ou non, etd’avoir avec elle une explication décisive, pas pour l’accabler dereproches, comme il l’avait résolu la veille, mais pour exigerd’elle la vérité sur tous les points et pour rompre, s’il acquéraitla certitude qu’elle s’était moquée de lui.

Il ne croyait pas à son départ précipité et ilse promettait de faire, s’il le fallait, le siège de son hôteljusqu’à ce qu’elle consentît à l’entendre.

Autrement, il n’avait pas de plan arrêté. Ilcomptait s’inspirer des circonstances.

Il acheva de s’habiller et il déjeuna en toutehâte, comme il l’avait fait le jour de sa première visite à madamede Ganges, le lendemain du duel.

Et, cette fois, quand il descendit dans larue, il n’y aperçut pas de fiacre suspect.

Brunachon semblait avoir désarmé, car iln’avait plus donné signe de vie à Cormier, depuis qu’ils s’étaienttrouvés face à face dans le cabinet du juge d’instruction.

Peut-être comptait-il sur l’appui du vicomtede Servon pour monter une agence de renseignements.

Et quoi qu’il en fût, Paul n’avait plus à sepréoccuper des attaques de ce maître chanteur, car Paul n’avaitplus rien à cacher de ce qui le concernait personnellement, et ilne se croyait plus tenu de préserver madame de Ganges d’unedénonciation.

En descendant de voiture à l’entrée del’avenue Montaigne, il s’assura d’un coup d’œil que ce drôle nerôdait pas aux abords de l’hôtel et il se glissa en rasant lesmaisons jusqu’à la porte cochère qu’il s’attendait à trouverfermée.

À sa grande surprise, il la trouva, non pasouverte, mais largement entrebâillée.

C’était une heureuse chance et il n’hésita pasà en profiter pour entrer sans sonner.

Il prévoyait qu’il n’irait pas loin sans avoirmaille à partir avec le valet récalcitrant qui lui avait barré lepassage, lors de sa première et unique visite.

Il ne vit personne, et au lieu de manifestersa présence en appelant, il traversa vivement la cour et pénétradans le jardin où la marquise l’avait reçu.

Si elle y était, il allait la surprendre etelle ne pourrait pas lui échapper.

Il ne souhaitait rien de mieux, car le lieuétait propice entre tous à une explication décisive qui pouvaitdevenir orageuse.

La marquise n’y était pas.

Il fit le tour du jardin sans la rencontrer etsans qu’aucun domestique se montrât.

Paul se demanda si l’hôtel était abandonné etil fut tenté de croire que madame de Ganges avait vraiment quittéParis, en emmenant tout le personnel de sa maison.

Une découverte qu’il fit changea le cours deses idées.

Sur le banc où il l’avait vue assise, au piedd’un acacia, il aperçut un sabre, une giberne et un fusilminuscules : tout l’attirail d’un petit garçon qui aime àjouer au soldat.

– Ah ! murmura-t-il, en pâlissant,l’enfant est à elle.

Il n’y avait guère moyen d’en douter.

Ces jouets oubliés là attestaient que lejardin de l’hôtel servait aux ébats d’un enfant, et que cet enfantétait un garçon ; car les petites filles n’ont pas coutume des’amuser avec des réductions d’ustensiles militaires. Les petitesfilles s’amusent avec des poupées.

Et ce garçon ne pouvait être que le belliqueuxgamin qui s’était si bien gendarmé, la veille, contre un gardien duLuxembourg.

En fait de joujoux, celui-là devait préférerles sabres.

Et si la marquise venait de quitter Paris, ilétait permis de supposer qu’elle l’avait laissé pour compte àMirande.

Son garde-du-corps, Coussergues, était restépour veiller à ce que Mirande ne se débarrassât pas du petit, en ledéposant à la Préfecture de police comme il aurait déposé unparapluie trouvé dans la rue.

Tout s’expliquait ainsi ; et madame deGanges, qui n’avait pas cessé de mentir à Paul Cormier depuisqu’elle le connaissait, madame de Ganges, fille-mère ou épouseinfidèle, ne méritait pas que Paul la défendît.

Ses indignations le reprirent, et cette fois,il ne se donna pas la peine d’examiner le pour et le contre, nimême de chercher un valet qui le renseignât sur le brusque départde la dame.

Il ne pensa qu’à sortir de cet hôtel où il sejurait de ne plus remettre les pieds.

Que lui importait maintenant l’héritière auxsix millions ? Il avait promis à Bardin et à Lestrigou de leurdire où ils trouveraient cette protégée introuvable ; mais àl’impossible, nul n’est tenu. Il leur dirait qu’elle avaitprobablement quitté Paris avec sa protectrice et il ne se gêneraitplus pour leur dire tout ce qu’il savait sur la marquise.

Ah ! Lestrigou, maintenant, pouvait biens’adresser à la police ! Paul n’interviendrait pas pour l’enempêcher.

Il s’en alla comme il était venu, sansrencontrer personne, et il trouva la porte entrouverte comme ill’avait laissée.

Rien ne bougea dans cette vaste demeure où lesdomestiques étaient nombreux. On eût dit le château de la Belle aubois dormant.

Paul, une fois dehors, se demanda comment ilemploierait le reste de sa journée.

Il serait bien allé rue des Arquebusiers, àseule fin de renseigner ses vieux amis, mais il n’espérait pas lesy trouver.

Ils avaient annoncé l’intention de parcourirle quartier Latin, en quête de leurs anciens souvenirs, et cettetournée rétrospective les retiendrait probablement plusieursheures.

Mieux valait que Paul attendît au lendemainpour leur faire son rapport.

Et comme il éprouvait le besoin de confier sespeines à un ami, il songea aussitôt à se rendre chez Mirande et àlui dire tout ce qu’il avait sur le cœur.

Il cherchait des yeux une voiture, lorsqu’ilvit venir à lui le vicomte de Servon.

Ce gentilhomme arrivait du côté desChamps-Élysées et il avait tout l’air d’aller faire une visite à lamarquise.

Il l’avait à peu près annoncée, la veille,cette visite, en causant avec Paul, au café Soufflot, et il étaittout naturel qu’il la fît.

Paul aurait voulu l’éviter, car il n’était pasdisposé à le prendre pour confident ; mais le vicomte l’avaitaperçu de très loin et Paul n’avait plus le temps de sedérober.

Ils s’abordèrent poliment et le premier mot deM. de Servon fut :

– Vous venez de voir madame de Ganges, jesuppose ?

– Je n’ai pas été reçu, répondit évasivementCormier. Peut-être, monsieur, serez-vous plus heureux que moi.

– Ma foi ! je vais essayer… et comme j’aieu l’honneur de vous le dire, hier, je me propose de lui signalerles manœuvres de l’homme qui vous a dénoncé et qui pourrait lacalomnier, si on n’y met ordre.

– C’est ce que j’aurais fait si je l’avaisvue… mais vous êtes mieux à même que moi d’agir contre cemisérable, puisque vous connaissez tous ses antécédents.

M. de Servon avait cette finesse quedonne la pratique du monde et des hommes. Il remarqua très bien quel’étudiant paraissait ne plus s’intéresser autant à madame deGanges, et pour savoir à quoi s’en tenir sur les sentiments qu’ellelui inspirait, il se mit à parler d’elle sur un ton plus dégagé querespectueux.

– C’est, en vérité, une étrange personne quecette marquise, dit-il en souriant. On lui pardonne tout, parcequ’elle est adorablement jolie, mais il faut convenir qu’elle afait tout ce qu’il fallait pour se déclasser. Toute autre qu’elle yaurait réussi depuis longtemps ; mais le monde a de cesindulgences pour les femmes qui savent se bien poser dès le début.Décidément, elle est très forte.

Paul aurait volontiers fait chorus avecM. de Servon, mais il lui déplut de l’entendre traiter silégèrement madame de Ganges et, de par son instinct d’amoureux malguéri, il essaya de la défendre.

– J’ignorais qu’on médît d’elle dans lessalons où on la reçoit, répliqua-t-il assez sèchement.

– Oh ! pas dans ceux-là…, mais elle netient pas à Paris le rang auquel son nom et sa fortune luipermettraient de prétendre…

Et lorsqu’on saura comment son mari est mort,elle va se trouver dans une situation difficile. Mais nous sommes,vous et moi, disposés à la soutenir et tout s’arrangera, j’en suispersuadé.

Paul ne répondit pas. Il cherchait unetransition pour prendre congé sans brusquerie de ce causeurmalveillant.

– Elle est singulière en tout, repritl’indiscret vicomte. Avez-vous remarqué, cher monsieur, qu’elle nese dégante jamais ?

– Non, balbutia Cormier, je l’ai si peuvue…

– Elle a encore une autre manie : cellede ne jamais permettre qu’on lui serre la main… pas même le boutdes doigts.

Paul s’en était aperçu deux fois, mais il nelui convenait pas de le dire et il prit un air étonné qui n’arrêtapas le cours des médisances du vicomte, car il ajouta :

– Il paraît qu’elle est affligée d’uneinfirmité bizarre. La peau de ses mains est glacée comme la peaud’un serpent. Quand elle était jeune fille, ses compagnesl’appelaient la Main-Froide. Si jamais elle faisait une exceptionen ma faveur, je me figure qu’en la touchant, j’éprouverais uneimpression désagréable.

Et comme Paul persistait à ne pas répondre,M. de Servon reprit gaiement :

– Je ne sais pourquoi je vous parle de cela,cher monsieur. Ce sont des bruits de salon qui ne valent pas qu’onles rapporte ; et, qu’ils soient fondés ou non, madame deGanges est charmante.

Et puis, il y a le dicton : main froide,chaudes amours… J’incline à croire qu’il s’applique très bien à lamarquise… je voudrais qu’il me fût donné d’en faire l’expérience,mais je ne l’espère pas… et je vous quitte pour aller lui présentermes hommages très platoniques… si elle veut bien ne pas me fermersa porte.

Au revoir, et toutes mes excuses de vous avoirretenu si longtemps.

Cormier se garda de le retenir. Ce gentilhommel’agaçait avec ses insinuations et son persifflage dont iln’apercevait pas le but.

Cormier voulait bien maudire madame de Ganges,mais il avait souffert impatiemment qu’un autre en dît du maldevant lui, et il ne pensa qu’à s’éloigner pour éviter derencontrer de nouveau M. de Servon, quand il sortirait del’hôtel de la marquise absente.

Il tourna donc à droite et il se jeta sous lesarbres, afin de gagner le quai en passant derrière le Palais del’Industrie[67].

Là, il sauta dans une voiture et il se fitconduire au boulevard Saint-Germain.

Il en fut pour sa course. Mirande était sortiavec le petit garçon. Paul l’avait manqué d’un quart d’heure. Leconcierge lui dit qu’il était sorti à pied. Paul pensa qu’il devaitêtre allé au Luxembourg comme il le lui avait annoncé la veille, etPaul remonta en fiacre pour l’y aller rejoindre.

Il savait ce que son camarade y allaitfaire : chercher la mère de l’enfant perdu ou plutôt l’yattendre.

C’était une raison pour que Paul qui lacherchait aussi, et qui croyait la connaître, se rendît là où illui restait quelque chance de la rencontrer.

Il descendit devant la grille qui borde la ruede Vaugirard, à la hauteur de la rue Féron, paya son cocher etentra dans le jardin, bien décidé à n’en pas sortir avant d’avoirtrouvé son camarade.

Mirande venait là comme un pêcheur va tendreses filets. L’enfant allait lui servir d’appât pour attirer lamère. Mirande avait dû s’établir à la place où la mère avait laisséla veille ce singulier petit garçon.

Paul commença donc sa tournée par ce bout dela terrasse. Il reconnut la boutique à joujoux près de laquelle legamin s’était retranché pour résister à l’adjudant qui voulaitl’emmener ; mais il ne vit ni Mirande ni le jeune Roch. Sansdoute, il les avait devancés et ils n’allaient pas tarder àparaître.

L’idée lui vint d’interroger la marchande enlui expliquant comment l’enfant était habillé, et cette femme luirépondit qu’il venait à peu près tous les jours avec sa mère, versquatre heures.

Elle l’avait encore vu la veille et comme elleavait fermé boutique de bonne heure, elle n’avait pas assisté à lascène avec le gardien.

Paul, ainsi renseigné, poussa plus loin sur laterrasse, dans la direction de la Pépinière, afin de s’assurer queMirande ne se promenait pas de ce côté-là.

Il ne le rencontra point et il rebroussachemin, dans l’intention de revenir à son point de départ et d’yrester.

Ce n’était pas dimanche et le temps n’étaitpas très sûr. Il y avait peu de monde sur la terrasse :quelques femmes assises, par ci, par là, sur des chaises.

Paul, avant de revenir sur ses pas, se mit àles passer en revue, et resta pétrifié en apercevant la marquise deGanges.

Elle s’était assise à la place qu’elleoccupait déjà le jour où il l’avait rencontrée pour la premièrefois, au bout de la terrasse du côté de l’allée de l’Observatoire,adossée au piédestal d’une statue – la même – et absolumentseule.

Elle ne voyait pas Paul Cormier, et elle nel’avait pas remarqué lorsqu’il avait passé devant elle, pas plusqu’il ne l’avait remarquée.

Ce n’était pas elle qu’il cherchait, c’étaitMirande et le petit garçon.

Mais il suffit qu’il aperçût madame de Gangespour qu’il oubliât ce qu’il était venu faire au Luxembourg.

Il la retrouvait enfin, cette marquiseintrouvable qui faisait dire par ses gens qu’elle avait quittéParis.

L’occasion était belle pour lui demander uneexplication qu’elle lui devait bien et il alla droit à elle, résoluà en finir et à ne pas la ménager.

Il fut presque brutal.

Au lieu de la saluer, en l’abordant, il fit ceque Mirande avait fait, le dimanche de la première rencontre.

Il s’empara d’une chaise et il s’assit en faced’elle, sans prononcer une parole.

Elle pâlit et fut sur le point de se lever,mais elle resta et elle lui dit d’une voix altérée parl’émotion :

– Je vous en supplie, monsieur,laissez-moi.

– Désolé de vous refuser, répliqua-t-ildurement. Je me suis présenté chez vous et vous n’y étiez pas.Puisque je vous rencontre, il faut absolument que je vousparle.

– Pas maintenant. Je vous recevrai quand vousvoudrez ; mais en ce moment, je ne puis pas vous entendre.

– Vous m’entendrez, pourtant ; car jevous préviens que si vous quittez la place, je vais vous suivre. Cesera, si vous voulez, une nouvelle promenade en fiacre, mais cettefois je ne descendrai pas en route pour vous être agréable.

– Que vous ai-je fait pour que vous preniez ceton avec moi ? demanda madame de Ganges qui se remettait peu àpeu de son trouble.

– Vous vous êtes moquée de moi… vous avezmenti… il faut bien que j’appelle les choses par leur nom…

– Je n’ai jamais menti de ma vie, interrompitfroidement la marquise.

– Excepté le jour où vous m’avez juré que monami, Jean de Mirande, vous était indifférent.

– Vous vous trompez. Je vous ai dit que je nel’aimais pas et que je ne pouvais pas l’aimer, voilà tout.

– Oh ! je ne viens pas vous faire unescène de jalousie !

– Vous n’en avez pas le droit, dit avecbeaucoup de dignité madame de Ganges. Il vous a plu de me déclarerque vous m’aimiez, moi que vous connaissiez à peine. Je ne vous yai pas encouragé, et surtout je ne vous ai rien promis. Que mereprochez-vous ?

– D’avoir essayé de me faire jouer un rôleridicule, en vous servant de moi pour en venir à vos fins.

– Je ne comprends pas.

– Vous comprenez très bien. Votre but, je nel’ai pas encore deviné, mais je suis certain que vous n’oseriez pasl’avouer… et tenez ! je voudrais que Mirande fût ici…peut-être vous décideriez-vous à jouer cartes sur table… Il yviendra, du reste…

Madame de Ganges tressaillit, mais elle ne ditmot.

– Oui, madame, je comptais l’y trouver et jevais l’attendre.

– Comme il vous plaira, monsieur. Vous êteslibre de rester, et je suis libre de partir.

– Pas seule.

– Est-ce à dire que vous prétendez me suivre,malgré ma volonté ?

– Je prétends que vous m’écoutiez jusqu’aubout.

– Hâtez-vous alors et parlez clairement. Quevoulez-vous de moi ?

– Je veux la vérité.

– Sur quoi ?

Paul hésita, retenu par un reste dedélicatesse qui l’empêchait de blesser une femme qu’il aimait enlui posant à brûle-pourpoint une question qu’il avait sur leslèvres.

La passion l’emporta et il lui ditbrusquement :

– Vous n’avez jamais eu d’enfants ?…

Cette fois, la grossièreté était si forte queles larmes vinrent aux yeux de madame de Ganges ; mais elleresta maîtresse d’elle-même et ce fut avec calme qu’ellerépondit :

– Jamais, monsieur. Pourquoi me demandez-vouscela ?

– Parce que je croyais que vous en aviezun.

– Et sur quoi fondiez-vous cette suppositionoffensante pour moi.

– Offensante ? mais non, puisque vousn’êtes veuve que depuis trois jours. Vous étiez mariée, je pense,depuis plusieurs années. Vous pouvez bien avoir eu un enfant devotre mari.

– Si j’en avais un, il ne me quitterait pas,et vous ne l’avez jamais vu avec moi.

– Non… je n’ai vu que ses joujoux qu’il aoubliés sur un banc de votre jardin. J’y suis entré aujourd’hui,dans ce jardin. La porte de votre hôtel était ouverte, et je n’aipas trouvé un de vos gens pour me répondre.

– Et de ce qu’un enfant a laissé ses jouetschez moi, vous concluez que je suis sa mère ?

– J’ai d’autres preuves.

– Lesquelles, je vous prie ?

– Comment vous appelez-vous de votre petitnom ?

– Marcelle, répondit sans hésiter lamarquise.

– Vous avez donc deux noms ?… L’autre,c’est Jacqueline… vous me l’avez dit, en voiture, dimanchedernier.

– C’est vrai. Je m’en souviens. Vous mepressiez de vous l’apprendre et à ce moment-là, je ne savais pasencore si je vous reverrais jamais. Je vous ai donné le premier nomqui m’est venu à l’esprit.

Du reste, un quart d’heure après, vous avez puentendre mon amie madame Dozulé me nommer Marcelle.

– Marcelle de Marsillargues, alors ?

– Oui, je suis née de Marsillargues. Commentle savez-vous ?… je ne vous l’ai jamais dit.

– Qu’importe comment je le sais ?

– Par mon mari ; peut-être, balbutiamadame de Ganges, légèrement troublée.

– Non, madame, ce n’est pas votre mari qui m’arenseignée.

– Qui donc alors ?

– Connaissez-vous, à Montpellier, MeLestrigou ?

– L’ancien bâtonnier !… oui, certes… ilétait l’ami et le conseil de mon père… mais il y a plusieurs annéesque je ne l’ai vu.

– Il ne tiendra qu’à vous de le voir.

– Je le voudrais… mais il est si âgé qu’il nese déplace plus.

– Il est à Paris.

– Depuis quand ? demanda la marquise,tout étonnée.

– Depuis hier soir. Il est venu tout exprèspour vous.

– Pour moi !… que ne m’a-t-ilécrit !… il se serait épargné la fatigue de ce longvoyage.

– Il ignorait votre adresse. Il l’a apprisetout récemment… Et il s’est présenté ce matin à votre hôtel. Vousavez refusé de le recevoir.

– Je n’étais pas chez moi, dit vivement madamede Ganges. Et si je savais où il loge à Paris…

– Je le sais moi, et je vous le dirai… quandvous aurez répondu aux questions que je vais vous adresser.

– Parlez, monsieur !

Paul prit un temps, pour préparer son effet,et quand il lut dans les yeux de madame de Ganges une inquiétudequi ressemblait fort à de l’anxiété, il commença ainsi :

– Vous souvenez-vous des séjours que vousfaisiez au château de Fabrègues, avant votre mariage ?

– Oui, certes, répondit sans hésiter lamarquise.

– Alors, vous vous souvenez aussi d’une petitepaysanne… une orpheline, à laquelle vous vousintéressiez ?…

– Et à laquelle je m’intéresse encore ;oui, monsieur.

– Eh ! bien, M. Lestrigou lacherche. Il ignore où elle est et il pense que vous ne l’ignorezpas.

– Pourquoi la cherche-t-il ?

– Pour lui annoncer une bonne nouvelle.

– Je ne comprends pas. Expliquez-vous,monsieur, je vous en prie.

– Elle hérite d’une fortune énorme.

– C’est impossible. Ses parents étaientpauvres.

– Son père s’est enrichi en Californie où ilest mort en lui laissant six millions.

– Que dites-vous ? murmura la marquise,très émue.

– La vérité, madame. La succession estliquide, M. Lestrigou a fait toutes les démarches nécessaires.Votre protégée n’a qu’à entrer en possession. Seulement, il fautqu’elle se montre. Et si elle ne se montre pas, le brave homme quila cherche va s’adresser à la police qui saura bien la trouver.

– Moi, je la trouverai et M. Lestrigou laverra… chez moi.

– Quand ?

– Quand il lui plaira.

– Cela suffit, madame. M. Lestrigou estdescendu à Paris chez un de ses anciens amis, qui est aussi unvieil ami de ma famille. Je ne suis pas certain de le rencontreraujourd’hui, mais j’irai demain matin lui annoncer que vous êtesprête à le mettre en présence de Bernadette Lamalou.

– Vous savez son nom ! s’écria madame deGanges.

– Pourquoi M. Lestrigou me l’aurait-ilcaché ?… Il a confiance en moi et il m’a raconté toutel’histoire de cette jeune fille…

– Que vous a-t-il dit d’elle ? demandavivement la marquise.

– Qu’elle a été élevée avec vous, au châteaude Fabrègues, qu’elle vous a suivie à Montpellier, et qu’aprèsvotre mariage, elle ne vous a pas quittée… vous avez fait avec ellede longs voyages ; M. Lestrigou a perdu sa trace et mêmela vôtre.

– Il ne vous a dit que cela ?

– Il m’a dit aussi que vous n’avez pas trouvéle bonheur avec M. de Ganges et que vous avez dû vousattacher encore davantage à votre protégée.

– C’est vrai. Son amitié m’a consolée de biendes chagrins… mais elle a souffert encore plus que moi.

– Eh bien, ses mauvais jours sont passés. Lavoilà riche.

– Ce n’est pas de la pauvreté qu’elle asouffert, murmura la veuve du marquis. La pauvreté n’est rien. J’aitoujours été riche et je n’ai jamais été heureuse.

– Que vous a-t-il donc manqué pourl’être ? demanda Paul, en regardant fixement la marquise.

– Il m’a manqué d’être aimée, répondit-elle,sans hésiter.

– Qu’en savez-vous ?

– Ne me dites pas que vous m’aimez… je nepourrais pas vous croire… et alors même que vous ne vous feriez pasillusion sur la nature du sentiment que vous prétendez avoir pourmoi, je ne pourrais pas y répondre… c’est trop tard… ma vie estfinie… je n’ai plus qu’une seule affection… celle que je porte àBernadette… elle aussi, a souffert par le cœur… la blessure qu’ellea reçue saigne encore, et si je parvenais à la guérir, je nedemanderais plus rien à Dieu.

Cette déclaration désespérée qui n’éclairaitpas Paul Cormier sur la situation des deux amies, ne le toucha pascomme elle aurait dû le faire s’il eût été moins prévenu contremadame de Ganges.

L’enfant recueilli par Mirande ne lui sortaitpas de la tête, et les réponses de la marquise ne l’avaient pasconvaincu qu’elle n’était pas la mère de ce garçonnet qui oubliaitses jouets chez elle.

Il n’avait pas poussé à fond l’interrogatoireet il s’était perdu dans des questions accessoires sur le passé demademoiselle de Marsillargues avant de lui parler de l’incident quiavait conduit le petit Roch chez Jean de Mirande.

Mais il n’avait pas renoncé à aborder cesujet, et il était temps d’y arriver, car madame de Ganges allaitse lasser de l’entendre et, quoi qu’il en eût dit, il ne songeaitpas à la retenir de force, si elle se levait pour partir.

Et, emporté par la vivacité du dialogue qu’ilavait entamé avec elle, il oubliait que Jean ne devait pas tarder àarriver sur la terrasse, conduisant l’enfant qui ne manquerait pasde trancher la question en reconnaissant sa mère, si elle étaitlà.

Il ne remarquait pas non plus que la marquisesemblait s’attendre à un événement, car il lui était arrivé plusd’une fois, surtout au début de l’entretien, de regarder au loin,comme si elle eût guetté l’apparition de quelqu’un.

Depuis que Paul s’était mis à la presser dequestions embarrassantes, elle s’occupait moins de ce qui sepassait sur la terrasse. Elle tournait moins souvent la tête etelle ne cessait guère de regarder son interlocuteur en face, sansdoute afin de deviner son arrière-pensée et de se tenir prête à lariposte.

– Madame, reprit Cormier, sans s’apitoyer surles chagrins de cœur de la marquise, je vous ai parlé tout àl’heure d’un enfant que je croyais être à vous. Vous affirmez lecontraire et il se peut que je me sois trompé. Mais je ne vous aipas dit que je l’ai vu hier… que je lui ai parlé… et que je sais oùil est.

Et, comme madame de Ganges ne soufflait mot,et baissait les yeux :

– Il est chez quelqu’un que vous connaissezbien…

À ce moment, Roch, sorti on ne sait d’où,arriva, courant à toutes jambes, et sauta sur les genoux de lamarquise en s’écriant :

– Maman Jacqueline ! Bonjour, mamanJacqueline !

Et sans lui laisser le temps de sereconnaître, il lui jeta ses petits bras autour du cou et il se mità la manger de caresses.

Elle était très troublée et il y avait dequoi, mais elle ne le repoussa pas et elle lui rendit tendrementses baisers.

– Allons ! pensait Cormier, elle avoue,parce qu’elle ne peut faire autrement… L’enfant est bien à elle,car si elle n’était pas sa mère, elle le chasserait.

– Tiens ! s’écria le petit garçon, dèsqu’il se fut rassasié d’embrassades. Bonjour, monsieur !… çava bien depuis hier ?

Il avait tout de suite reconnu Paul, quoiqu’ilne l’eût pas beaucoup vu la veille, et Paul, enchanté del’incident, s’empressa de lui dire :

– Ça va très bien, et vous ? Avez-vousbien dormi chez notre ami ?

– Oh ! oui. Je ne me suis réveillé que cematin, très tard, et j’ai été soigné chez lui comme chez mamanJacqueline. Il m’a mené déjeuner dans un café où il y avait desglaces partout… J’ai mangé des fraises tant que j’en ai voulu… desbelles grosses… Mais je suis joliment content tout de même deretrouver maman Jacqueline.

– Et où est-il, notre ami ?… Il est venuavec vous au Luxembourg ?

– Oui… mais au bas de l’escalier de laterrasse il a rencontré deux vilaines femmes… celles qui ont dînéavec nous, hier… il s’est mis à leur parler… ça m’ennuyait… alorsj’ai monté les marches à cloche-pied… quand j’ai été en haut, j’aivu maman Jacqueline… et me voilà !

– Il doit être inquiet de vous. Vous ferezbien d’aller le chercher. Vous lui direz que je suis là.

– Faut-il, maman ? demanda Roch eninterrogeant des yeux la marquise.

– Va, mon enfant, répondit-elle aveccalme.

Le gamin partit comme une flèche et seprécipita dans l’escalier.

Paul n’attendait que son départ pour entamerl’explication décisive. Madame de Ganges le prévint.

– Eh bien ! monsieur, lui dit-elle, levoilà, cet enfant que vous prétendiez être à moi…

– Mais il me semble qu’il ne peut pas être àune autre.

– Pourquoi ?… Parce qu’il m’appellemaman ?

– Maman Jacqueline… il ne vous connaît sansdoute que sous ce nom-là… le premier qui vous est venu à l’esprit,quand je vous l’ai demandé l’autre jour, disiez-vous tout àl’heure !

– Ce nom est à moi… j’en ai deux, je m’appelleMarcelle-Jacqueline.

– Marcelle, pour le monde… Jacqueline, pourvotre fils ?

– Vous persistez donc à croire que Roch estmon fils ?

– Oseriez-vous encore soutenir lecontraire ?

– Oui, et je vous le prouverai bientôt.

– Alors, c’est un enfant trouvé que vous avezadopté ?… Vous aviez déjà adopté une orpheline… c’est unemanie !…

– La manie d’aimer, murmura la marquise.

Ce fut dit si doucement que Paul fit un retoursur lui-même. Madame de Ganges, au lieu de se fâcher del’accusation qu’il lui jetait à la face, répondait sans s’émouvoiret sans prendre la peine de se justifier. Il recommençait à sedemander si cette attitude résignée qu’il avait prise d’abord pourun aveu n’était pas une preuve d’innocence.

Et il reprit d’un ton moins assuré :

– Il est allé rejoindre un homme que vousconnaissez… Jean de Mirande.

– Je le sais.

– Mais il va revenir… et Mirande ne manquerapas de vous aborder.

– Je m’y attends.

– Que ferez-vous, alors ?

– Vous le verrez. Maintenant, je vous prie derester. Je désire que vous assistiez à l’entretien que j’aurai avecvotre ami. Vous serez libre d’y prendre part.

– Quoi !… en présence del’enfant !

– L’enfant jouera autour de nous. Il necomprendrait pas… et il ne cherchera pas à comprendre. J’espère queM. de Mirande n’amènera pas les femmes qu’il vient derencontrer, ajouta en souriant tristement madame de Ganges.

– Il suffira qu’il vous aperçoive pour qu’ilse débarrasse d’elles. Vous les avez déjà vues… dimanche… ellesétaient ici et elles l’ont emmené…

– Je m’en souviens très bien.

– Mais depuis ce jour-là, il s’est passé deschoses…

– Qui ont changé l’humeur de votre ami. C’estla grâce que je lui souhaite.

– Je ne vous cacherai pas que je comptais letrouver ici… et je savais qu’il y conduirait l’enfant, qui nous adit, hier, que sa mère y venait tous les jours… sa mère ! vousentendez, madame ?

– J’entends très bien… et Roch vous a dit lavérité.

– Alors, c’est moi qui ne comprends plus.Mais, puisque tout va s’éclaircir, nous pouvons parler d’autrechose… De votre protégée, par exemple. Elle ne doit guères’attendre à la nouvelle que vous allez lui apprendre… car jesuppose que vous la verrez avant qu’elle ait vu cet excellentM. Lestrigou qui lui apporte six millions.

– Je la verrai certainement aujourd’hui.

– Et Lestrigou ne la verra que demain. Vousaurez donc le plaisir de lui annoncer qu’elle est millionnaire.Oserai-je vous demander si elle est mariée ?

– Non, monsieur, elle ne l’est pas.

– Elle ne manquera pas de prétendants. Je vaisbien vous étonner en vous disant qu’on m’a mis sur les rangs sansme consulter.

– Vous ! murmura madame de Ganges enrougissant un peu.

– Mon Dieu, oui… et voici comme : l’amide M. Lestrigou s’intéresse beaucoup à moi ; il rêve deme marier, et dès qu’il a su que M. Lestrigou connaissait unehéritière, il s’est mis en tête de me la faire épouser. Il m’aprêché longuement ; il m’a menacé de me donner sa malédictionsi je me dérobais.

– Puis-je savoir ce que vous lui avezrépondu ?

– Que je ne voulais pas de sa millionnaire…qui, très probablement d’ailleurs, ne voudrait pas de moi. Ai-je eutort ?

– Non, monsieur, Bernadette ne veut pas semarier.

– Ni moi non plus. Tout est donc pour le mieuxdans le meilleur des mondes.

– J’envie votre optimisme, soupira madame deGanges.

– Que ne puis-je vous y convertir !

– Il faudrait pour cela des événements… quin’arriveront pas… Mais il me semble que Roch tarde bien… Pourvu queM. de Mirande nous le ramène !

– Vous pouvez y compter… Le petit sait quevous êtes là et Mirande qui l’adore ne le quitterait pas pour unempire.

– Ah ! il s’est déjà attaché àlui ?

– C’est-à-dire qu’il en est fou !… Il adécouvert tout à coup qu’il a une vocation prononcée pour lapaternité… et je parierais qu’il a une peur atroce qu’on luireprenne l’enfant. Si la mère l’avait abandonné, il serait raviparce qu’il pourrait le garder… et si elle voulait le lui vendre,il l’achèterait au poids de l’or.

– Roch n’est pas à vendre.

– Oh ! je le pense bien… mais ils’arrangerait à merveille de vivre avec mon ami. J’étais là, hiersoir, quand Mirande l’a rencontré sur la terrasse. L’enfant étaiten train de se chamailler avec un gardien qui voulait le fairesortir du jardin, parce qu’on allait fermer. Dès que Mirande s’enest mêlé, il est devenu doux comme un mouton et il l’a suivi, sansfaire l’ombre d’une difficulté. Ils se sont entendus tout de suite.Et j’ai pu m’apercevoir qu’ils ont le même caractère. Le petit estaussi rageur que le grand est violent.

– Ce n’est pas peu dire, je crois. Votre amime fait l’effet d’un sauvage qu’on aurait jeté tout à coup aumilieu des civilisés. Il n’obéit qu’à ses passions ou plutôt à sesinstincts… il ne connaît aucun frein. Il marche à travers le mondesans se soucier des victimes qu’il écrase… Il m’effraie.

– Vraiment ? Je croyais que vous vousintéressiez à lui.

– Comme on se préoccupe d’un dangereux ennemi…comme un berger s’inquiète du loup qui rôde autour du troupeau…

– Je vous assure, madame, que Jean vautbeaucoup mieux que vous ne pensez… les brebis qu’il a enlevées nedemandaient qu’à être croquées.

– Qu’en savez-vous ? demanda vivementmadame de Ganges.

– Celles que je connais du moins… desdemoiselles du quartier Latin…

– Il n’a pas toujours vécu à Paris.

– Il n’en est pas sorti depuis qu’il a quittéle collège.

– Je croyais qu’il avait un oncle dans laprovince où je suis née…, en Languedoc.

– Il ne l’a pas vu depuis cinq ans, cet oncle…et il s’est brouillé avec lui pendant un voyage à Montpellier…, leseul qu’il ait fait depuis sa majorité.

– Vous a-t-il parlé quelquefois de cevoyage ?

– Très peu. Il en a gardé un mauvais souveniret c’est un sujet qu’il évite d’aborder. J’ai cru comprendre qu’illui est arrivé là-bas une aventure désagréable, mais il ne me l’ajamais racontée.

– Le contraire m’étonnerait beaucoup.

– Vous la connaissez donc, cetteaventure ?

– Dispensez-moi, monsieur, de vousrépondre.

– Vous préférez répondre à Jean que vous allezvoir bientôt, et qui ne va pas manquer de vous interroger…

– Sur quoi, je vous prie ?

– Mais… quand ce ne serait que sur cet enfantqui, tout à l’heure, viendra se jeter dans vos bras.

– Se jeter dans mes bras ?… non… je necrois pas, murmura madame de Ganges qui, depuis quelques instants,regardait avec persistance du côté où, la veille, les deux amisavaient rencontré le petit Roch.

Mais, reprit-elle, quoi qu’il arrive, jeremercierai M. de Mirande.

– De quoi le remercierez-vous ?… d’avoirété inconvenant, lorsqu’il vous a abordée, dimanche dernier, surcette terrasse ?

– Je le remercierai d’avoir recueilli cepauvre petit.

– Il vous répondra en vous demandant s’il està vous.

– Je dois m’y attendre, puisque vous m’avezadressé la même question.

– Une question qui ne paraît pas vousembarrasser.

– Oh ! pas du tout. Et vous ne tarderezguère, monsieur, à savoir à quoi vous en tenir.

– Qu’attendez-vous pour me dire lavérité ?

– J’attends que votre ami soit là. Il est plusintéressé que vous à la connaître.

– Voilà un commencement d’aveu ! s’écriaCormier ; mais tenez !… Le voici !… ou plutôt lesvoici !

Mirande, en ce moment, apparaissait en haut del’escalier, tenant par la main le petit Roch et délivré de lacompagnie des donzelles qui l’avaient accosté près du bassin.

Sans doute, il venait de les congédier enapprenant de la bouche de l’enfant que l’énigmatique mamanJacqueline était sur la terrasse.

Paul Cormier se leva pour l’appeler du geste.La marquise ne bougea pas, et Roch lâcha la main de Mirande pourcourir à elle ; mais tout à coup, obliquant à droite, il selança à toutes jambes vers les quinconces où ne manquaient ni lesgamins de son âge, ni les femmes assises au pied desmarronniers.

Mirande n’essaya point de le rattraper. Ilavait aperçu son ami et la blonde qui s’était naguère montrée sirevêche à ses galanteries à la hussarde. Il savait par Paul quecette blonde récalcitrante était la marquise de Ganges, mais il nese doutait pas qu’elle était aussi maman Jacqueline, et il nerésista pas à l’envie qui lui prit de s’expliquer avec elle avantde courir après l’enfant.

Il avait tué son mari. Ce n’était pas uneraison pour la fuir, et il vint à elle avec toute la bravacherie deDon Juan invitant à souper la statue du Commandeur qu’il avaitenvoyé dans l’autre monde.

Pâle, mais résolue, madame de Ganges leregardait, sans baisser les yeux. Elle attendait qu’il parlât et cefut Cormier qui dit à son ami :

– Madame te connaît. Il est inutile que je teprésente.

– Parfaitement inutile, appuya Mirande. Jesais que j’ai l’honneur d’être le compatriote de madame quis’appelait autrefois mademoiselle de Marsillargues… et je saisaussi qu’elle m’accuse d’avoir troublé sa vie… c’est à toi qu’ellel’a dit et c’est toi qui me l’as répété.

Et comme la marquise continuait à se taire, ilreprit d’un ton moins assuré :

– Si ce reproche s’appliquait à un malheurrécent que je déplore, je prierais madame de me pardonner… mais, sije ne me trompe, il s’agirait de torts graves que j’aurais eusautrefois…

– Il y a cinq ans, interrompit madame deGanges.

– Envers vous, madame ?… Je pensais vousavoir vue pour la première fois, dimanche dernier, à la place oùvous êtes assise en ce moment.

– Vous avez donc oublié que vous êtes venu àFabrègues ?

– À Fabrègues ! répéta Mirande enfronçant le sourcil.

– Oui… au village près duquel mon père avaitun château.

– Je sais… mais je ne me rappelle pas vousavoir rencontrée pendant le très court séjour que j’ai fait toutprès de là, dans un domaine qui appartient encore à mon oncle.

– Vous y étiez le jour de l’ouverture desvendanges ?

– Oui… je crois…

– Vous croyez ! répéta la marquise ;vous n’êtes pas sûr ?… alors, vous n’avez pas gardé de ce jourun souvenir distinct !… il aurait dû pourtant marquer dansvotre vie.

Paul fut très étonné de voir que Mirandechangeait de visage. Il le fut bien plus encore de l’entendrerépondre :

– C’est vrai… ce jour-là, j’ai commis unemauvaise action.

– Non, monsieur… pas seulement une mauvaiseaction… un crime, car vous pouviez la réparer et vous ne l’avez pasfait.

Paul tombait de son haut. Il se demandait dequelle espèce de crime son camarade avait pu se charger laconscience, en Languedoc. C’était bien assez d’avoir tué le marquissur le boulevard Jourdan.

Il commençait pourtant à deviner qu’il nes’agissait pas d’un autre meurtre et que la première victime deMirande n’était pas un homme.

– Comment l’aurais-je réparée ? balbutiale coupable. Je suis parti le lendemain.

– Et vous n’êtes jamais revenu… et vous nevous êtes jamais inquiété de savoir ce qu’il adviendrait de lamalheureuse enfant que vous aviez indignement trompée !

– Vous pourriez ajouter qu’elle n’a rien faitpour se rappeler à moi.

– Qu’aurait-elle pu faire ?… vous aviezpris un faux nom, parce qu’elle ne vous aurait pas cédé si elleavait su que vous étiez le neveu du comte de Mirande, le plus richepropriétaire du département de l’Hérault. Mais elle a cru à vospromesses de mariage… car vous êtes allé jusqu’à lui jurer del’épouser… et quand elle a connu la vérité… c’est moi qui la lui aiapprise… il était trop tard… elle avait été obligée de m’avouer safaute.

– Elle aurait pu m’écrire.

– Pourquoi ? pour vous demander unsecours ? elle n’y a pas pensé… et si cette pensée lui étaitvenue je l’aurais détournée de tenter une démarche humiliante. Cen’était pas de l’argent qu’elle voulait de vous… qu’en aurait-ellefait d’ailleurs ?… depuis son malheur, je me suis chargéed’elle, et elle n’a jamais eu à souffrir de la misère… c’eût ététrop !… elle a assez souffert par le cœur…

– Oh ! par le cœur !… murmuraironiquement Mirande, déjà las de supporter des reproches sans yrépondre.

– Oui, monsieur, répliqua madame de Ganges.Elle vous aimait et vous l’avez trahie.

– Elle m’aimait, dites-vous ?

– Et elle vous aime encore.

– Singulier amour qui ne lui a pas inspirél’idée si simple de me donner de ses nouvelles. Un silence de cinqans !… j’avais bien le droit de me croire oublié.

– Elle n’a pas cessé un seul instant de penserà vous… mais elle n’était plus en France… elle voyageait avec moi,car elle ne m’a jamais quittée… et elle ne me quittera jamais…

– Elle est donc à Paris ?

– Depuis que j’y suis revenue, oui,monsieur.

– Et elle n’a pas cherché à me voir ?

– Elle vous a vu.

– Sans que je la voie, alors.

– Vous l’avez peut-être vue sans lareconnaître.

– Je ne crois pas… ou il faudrait qu’elle fûtbien changée.

– Elle est aussi belle qu’au temps où onl’appelait : la perle de Fabrègues.

– Eh bien ! pourquoi secache-t-elle ?

– Elle ne se cache pas, répondit madame deGanges qui regardait du côté où le petit Roch avait couru.

Paul Cormier commençait à comprendre.

Depuis l’entrée en scène de son camarade, iln’avait pas dit un mot, mais il avait vu où était allé l’enfant, etil attendait avec anxiété que la marquise se décidât à expliquerune situation qu’il croyait deviner.

– Monsieur, reprit-elle, toujours ens’adressant à Mirande, vous ne nierez plus maintenant que vous aveztroublé ma vie. Je vous ai pardonné le mal que vous m’avez fait. Ilme reste à vous dire que je vous suis reconnaissante d’une bonneaction… Sans vous, Dieu sait ce que serait devenu l’enfant dontvous avez pris soin, depuis hier…

– Quoi !… vous savez…

– Votre ami m’a renseignée.

– Il est ici, cet enfant… Je l’ai amené… Ilvient de me quitter.

– Il n’est pas loin, murmura Paul.

– Et il paraît que sa mère y est aussi… il mel’a dit… et je suppose que l’ayant aperçue, il aura couru larejoindre…

Puis, se reprenant, Mirande ajouta :

– Non, il s’est trompé… ce n’est pas elle, carle voilà qui revient.

Roch arrivait, en effet, lancé à fond detrain, et sans s’inquiéter de son bon ami Jean, comme il l’appelaitdéjà, il sauta d’un bond sur les genoux de madame de Ganges, encriant :

– Ne me gronde pas maman Jacqueline !…c’est petite mère qui m’a retenu.

Le « maman Jacqueline » fit encoreune fois son effet. Mais ce fut Mirande qui reçut le coup.

Comme tout à l’heure Paul Cormier, il crutcomprendre que Roch était le fils de la marquise et cettedécouverte n’était pas faite pour lui plaire. Il n’était pasamoureux de madame de Ganges, lui, et peu lui importait qu’elle eûtcaché la naissance d’un enfant illégitime ; mais il ne pouvaitguère espérer qu’elle le lui laisserait, cet enfant qu’il auraitvoulu garder.

Et il ne se gêna pas pour exprimer tout hautce qu’il ressentait.

– Allons ! dit-il, décidément, je n’aipas de chance ! je m’étais attaché à ce petit et je ne lereverrai plus.

– Qu’en feriez-vous, s’il restait avecvous ? demanda la marquise, en le regardant fixement.

– J’en ferais un homme.

– Un homme à votre image ! soupira mamanJacqueline.

– Non, madame ; un homme qui vaudraitmieux que moi… ce ne serait pas difficile… et je l’aurais adopté,pour qu’il héritât de mon nom et de ma fortune… je cherchais à mepersuader qu’il n’avait personne pour l’aimer… Je vois que je mesuis trompé… c’était un rêve… je tâcherai de l’oublier.

– Vous y parviendrez… vous avez déjà oubliétant de choses !

– Pas tant que vous croyez… mais quevoulez-vous !… il paraît que j’ai la bosse de la paternité etque je n’ai pas la bosse du mariage…

– En d’autres termes, vous avez de lasympathie pour cet enfant, et s’il était orphelin, vous seriezheureux de vous charger de lui…

– Vous devinez ma pensée… mais il a au moinsune mère… et une mère qui ne consentirait pas à se séparer delui.

– Oh ! non, murmura madame de Ganges, enétreignant le petit Roch.

– Vous voyez bien que je n’ai plus qu’àessayer de me consoler. On ne lutte pas contre sa destinée. Ilétait écrit là-haut que je finirais seul… comme mon oncle, qui mènedepuis des années la vie d’un vieux sanglier solitaire… C’est dansle sang des Mirande… personne ne les aime… eux, n’aiment passouvent et quand ça leur arrive, ça ne leur réussit pas… mafoi ! je me résigne.

– C’est dommage ! vous aviez la vocation…il a suffi de quelques heures pour que vous vous attachiez à cetenfant que vous n’aviez jamais vu. Que serait-ce donc s’il étaitvotre fils !

– S’il était mon fils, je le prendrais, quoiqu’on fît pour m’en empêcher ; aucun sacrifice ne mecoûterait…

– Même celui de votre liberté ?

– Oui, madame, j’irais jusqu’à épouser samère… Mais vous savez mieux que personne que c’est impossible.

– Pourquoi mieux que personne ? Cetenfant n’est pas le mien.

Mirande s’inclina en souriant pour exprimerqu’il ne voulait pas donner un démenti à une femme.

– Maman Jacqueline, s’écria tout à coup lepetit Roch, je ne sais pas pourquoi maman Bernadette a du chagrin…elle ne fait que pleurer… allons la consoler veux-tu ?…

Ce nom de Bernadette fit tressaillir les deuxamis.

Paul savait par Lestrigou que c’était celui del’héritière. Il ne l’avait pas prononcé devant Mirande, maisMirande le connaissait de longue date, ce nom, assez répandu dansle midi de la France, et presque ignoré à Paris. Mirande avait eude bonnes raisons pour le retenir, et il s’étonnait de l’entendresortir de la bouche de cet enfant.

– Il parle de sa mère, dit madame de Ganges,et sa mère est ma meilleure amie… je vais le lui ramener.

– Elle est donc ici ? demanda Mirande,fortement troublé.

– Oui, monsieur ; et je me reprocheraisde la priver plus longtemps de son fils.

Madame de Ganges ajouta en selevant :

– Je ne vous empêche pas de me suivre,messieurs.

Ils profitèrent de la permission, sans tropsavoir où elle allait les conduire, car ils n’apercevaient sous lesquinconces que des bandes de gamins et des bonnes qui lessurveillaient.

Roch courait devant la marquise et ils levirent disparaître derrière le tronc d’un gros marronnier qui leurcachait en partie une femme assise à l’ombre de ce vétéran desplantations du Luxembourg.

Ils pressentaient tous les deux qu’ilstouchaient au dénouement d’une situation qui, depuis trois jours nefaisait que se compliquer de plus en plus, et ils étaient trop émuspour échanger leurs impressions, même à voix basse.

Paul fut le premier à apercevoir le profil deBernadette, entre deux embrassades du petit garçon qui la tenaitpar la tête et la couvrait de caresses pour sécher ses larmes.

Et, du premier coup d’œil, Paul reconnut lacharmante jeune femme qu’il avait rencontrée dans le jardin del’hôtel de l’avenue Montaigne, le jour de sa visite à la veuve dumarquis.

La vérité éclatait enfin. L’enfant qui avaitoublié ses jouets sur un banc était l’enfant de l’amie de madame deGanges, qui n’avait pas à rougir d’une maternité clandestine.

Paul se reprochait déjà de l’avoirsoupçonnée.

Mirande reçut un coup au cœur.

Lui aussi, il reconnut Bernadette, et pas pourl’avoir entrevue un instant, l’avant-veille.

C’était Bernadette qu’il avait séduite àFabrègues, pendant ce fatal voyage d’où il avait rapporté lamalédiction de son vieil oncle et le remords d’avoir abusé del’innocence d’une jeune fille sans défense.

Son passé se dressait tout à coup devant lui,et, devant cette apparition, il restait immobile et sans voix.

Il aurait voulu demander pardon à sa victimeet il ne trouvait pas une parole.

Elle le regardait, pâle, éperdue, et elleserrait contre son cœur le petit Roch, comme si elle eût craint queMirande le lui arrachât.

– Il est à vous, monsieur, dit madame deGanges, en montrant l’enfant. L’aimerez-vous moins parce que vousêtes son père ?

Le beau Mirande, le brillant champion desÉcoles, le Don Juan du quartier Latin, passa un cruel moment. Safierté se révoltait encore à la pensée de confesser ses torts et des’humilier devant celle qu’il avait offensée, en la suppliant delui rendre cet enfant qu’il avait abandonné comme il avaitabandonné la mère.

– Demandez-lui donc de choisir entre elle etvous, reprit la marquise.

Et comme il se taisait :

– Roch, demanda-t-elle, veux-tu aller demeurerchez monsieur, ou bien rester avec maman Bernadette ?

– Je veux rester avec maman, répondit sanshésiter l’enfant, mais je veux bien qu’il vienne chez nous, parceque je l’aime bien.

– Il a choisi, dit madame de Ganges. Vous nele verrez plus, car vous ne verrez plus sa mère. Et votre fils, quine portera pas votre nom, aura le droit de vous maudire.

L’orgueil de Mirande ne tint pas contre cetteévocation de l’avenir qui attend les pères coupables.

Il fléchit le genou, sans se soucier del’étonnement des promeneurs du Luxembourg, où les amoureux nes’agenouillent guère, et prenant la main de Bernadette il luidit :

– Pardonnez-moi et… soyez ma femme.

Les derniers mots se firent un peu attendre,mais il les prononça très distinctement et très résolument.

– Non, répondit Bernadette, c’est trop. Vousregretteriez peut-être de m’avoir épousée. Que notre fils reconnupuisse porter votre nom, et je vous bénirai. Je vous ai déjàpardonné.

– Si je me bornais à le reconnaître, Roch deMirande ne serait que mon fils naturel. Notre mariage lelégitimera.

Madame de Ganges, trop émue pour parler,tendit silencieusement la main à son compatriote qui la prit etqui, en la serrant, ne put pas dissimuler un tressaillement desurprise.

– Oui, dit-elle en souriant tristement, j’aila main froide. Ne le saviez-vous pas, vous qui êtes de monpays ? C’est à cela qu’on reconnaît les filles de ma race… Mamère était ainsi…

– Il y a un proverbe sur les mains glacées,essaya de dire Mirande.

Elle ne le laissa pas achever, et ellereprit :

– Aurez-vous le courage de tenir l’engagementque vous venez de prendre ? Vous êtes noble et Bernadette estdu peuple… vous êtes riche et elle n’a rien…

– Je me moque des préjugés de caste, et jesuis très heureux qu’elle soit pauvre. Si elle était plus riche quemoi, j’hésiterais à l’épouser.

– Non, dit vivement la marquise, vousn’hésiteriez pas. Vous ne renonceriez pas à être heureux parcrainte d’être accusé de vous être mésallié par intérêt. Vous êtesau-dessus d’un tel soupçon et votre ami est témoin que vous ne vousêtes pas occupé de savoir si Bernadette avait de la fortune.

– Petite mère ne pleure plus, interrompitRoch. Veux-tu me permettre d’aller jouer, dis, mamanJacqueline ?

– Va, mon ami, mais ne t’éloigne pas.

L’enfant ne se le fit pas dire deux fois. Ilse précipita pour aller se joindre à une bande de gamins quijouaient à la toupie, et en courant, il se jeta dans les jambes dedeux messieurs qu’il faillit renverser.

Le plus grand trébucha si bien qu’il lâcha desonores jurons ; et comme il jurait en patois languedocien,madame de Ganges et Bernadette se retournèrent pour le regarder,car elles s’étonnaient d’entendre parler la langue d’ocsous les marronniers du Luxembourg.

Paul Cormier se retourna aussi et il ne putretenir un cri de surprise en voyant M. Lestrigou, flanqué deson vieux confrère Bardin.

Les deux vétérans du barreau étaient venusachever au Luxembourg leur tournée à travers le quartier Latin etils s’attendaient un peu à y rencontrer Paul ; mais ils nes’attendaient guère à y rencontrer l’héritière des sixmillions.

Lestrigou la reconnut plus vite qu’elle ne lereconnut ; mais, pour madame de Ganges, il y mit plus detemps, parce qu’elle avait changé, à son avantage, depuis qu’ellen’était plus mademoiselle de Marsillargues.

Il les aborda toutes les deux à la fois :la marquise respectueusement et Bernadette familièrement. Et aprèsde courtes salutations, il entama un exordeex-abrupto :

– Pétite, dit-il en se frottant lesmains, – c’était son tic – jé t’apporte dé quoitrouver un mari à ton goût… tu n’auras qu’à choisir.

Ce début fit froncer le sourcil à Mirande etBernadette rougit jusqu’aux oreilles.

L’ancien bâtonnier venait de mettre, comme ondit, les pieds dans le plat.

– Si tu commençais par me présenter ?interrompit Bardin.

– C’est juste, répondit l’imperturbableLestrigou.

Madame la marquise… et toi pétite…jé vous présente mon ami Bardin, qui fut jadis une deslumières du barreau parisien et qui est aussi l’ami déM. Paul Cormier qué j’ai le plaisir dé voiren votre compagnie… Es-tu content ? demanda d’un air goguenardl’ancien bâtonnier.

– Très content. Il ne me reste qu’à prier Paulde nous mettre en rapport avec monsieur ?

– Monsieur Jean de Mirande, commença Paul, enregardant le vieil avocat dans le blanc des yeux.

Bardin fit la grimace, mais il ne dit plusmot.

– Mais si jé né mé trompe,M. dé Mirande est un compatriote ? repritLestrigou.

– Originaire du Languedoc, oui, monsieur,répondit froidement l’étudiant, qui donnait à tous les diables lesdeux vieux avocats, survenus si mal à propos.

– Tous pays ! s’écria Lestrigou.Jé puis donc parler sans contrainte d’unénouvelle qui va révolutionner notré province. Six millionsqui tombent dans lé tablier d’une honnête fille.

Des cinq personnes qui écoutaient ce bravehomme, Bernadette seule ignorait la grande nouvelle et elle nedevina pas du tout qu’il s’agissait d’elle.

Lestrigou s’empressa de mettre les points surles i.

– Oui, pétite, reprit-il, tévoilà six fois millionnaire.

Cette fois, tous furent étonnés, exceptépeut-être Bardin, qui venait d’entendre, un instant auparavant, sonvieil ami appeler par son nom l’héritière, et Paul Cormier, quisavait depuis le matin que ce nom était celui de la protégée de lamarquise.

– Moi ! murmura Bernadette, ce n’est paspossible !… De qui donc me viendrait cette fortune ?… Jen’ai plus de parents…

– Tu avais encore ton père, il y a six mois,répondit Lestrigou. Tu lé croyais mort parce qu’ilné t’a jamais donné dé ses nouvelles… Ehbien ! il vivait très bien à San-Francisco où il s’étaitenrichi et il y est décédé… subitement… C’est heureux, car il n’apas eu le temps de tester et il t’aurait peut-être déshéritée… laloi américaine lui en donnait lé droit depuis qu’ils’était fait naturaliser citoyen des États-Unis… Mais il n’a paslaissé dé testament et toute la fortune de FrançoisLamalou t’appartient… les formalités ont été remplies là-bas, parl’intermédiaire du consul dé France. Il né resteplus qu’à t’envoyer en possession et cé né sera paslong.

Eh bien ! pétité Bernadette,avais-je raison de té dire tout à l’heure qu’en faitdé maris, tu n’aurais qué l’embarras duchoix.

Depuis qué je suis arrivé à Paris,c’est-à-dire dépuis hier soir, on m’en a déjà recommandéun, ajouta l’ancien bâtonnier on regardant du coin de l’œil PaulCormier, qui le donnait mentalement à tous les diables.

Personne ne comprit l’allusion, si ce n’estcelui qu’elle concernait et aussi le père Bardin qui en futcharmé.

La marquise avait entendu Paul lui dire,quelques instants auparavant, que Bardin rêvait de la marier àl’héritière languedocienne, mais elle n’y pensait déjà plus et ellese hâta de prendre la parole pour couper court aux projets des deuxvieux avocats.

– Bernadette a choisi, messieurs, dit-ellesimplement. Bernadette est fiancée à M. Jean de Mirande queM. Cormier vient de vous présenter.

– Vous badinez ! s’écria Lestrigou.

Badiner ! Madame de Ganges n’y songeaitguère et dans la situation le mot était grotesque ; mais lesméridionaux le mettent à toutes sauces et Lestrigou l’avait dit sinaturellement qu’il n’y avait pas lieu de se fâcher.

– Si vous en doutez, messieurs, reprit lamarquise, interrogez M. de Mirande.

Il était très troublé, Mirande, et il hésitaavant de répondre :

– Quand j’ai demandé la main de mademoiselle,j’ignorais qu’elle avait des millions…

– Et qu’importe qu’elle soit riche !s’écria la marquise.

– Je ne le suis pas assez pour l’épouser.

Bernadette pâlit ; sa protectrice fronçale sourcil et Lestrigou ne manqua pas l’occasion de dire, commeaurait pu le faire en pareil cas le légendaireM. Prud’homme :

– Voilà un trait de désintéressement quidevrait servir d’exemple à la jeunesse d’à-présent.

Bardin approuva du geste la sentence émise parson ami. Il n’avait pas encore renoncé tout à fait à sa toquade demarier Paul aux millions de Bernadette, et il trouvait fort bon queMirande retirât sa candidature.

À ce moment, le conciliabule fut dérangé toutà coup par un survenant qu’on n’attendait pas si tôt.

Roch, après avoir bousculé les deuxvieillards, était allé se mêler à une bande enfantine qui l’avaitmal reçu. Il n’était pas du jeu et on ne voulut pas l’y admettre.Dans le petit monde, c’est comme dans le grand. Il y a descoteries.

Et Roch, repoussé par ces gamins exclusifs, serepliait en courant sur le groupe qui entourait les deux mères.

Il ne s’adressa ni à la vraie, ni à l’autre.Il grimpa aux jambes de Mirande qui ne résista pas à l’envie del’enlever dans ses bras pour l’embrasser.

– Voulez-vous me prêter votre canne ?criait le gamin en se débattant.

– Ma canne ?… et pourquoi faire ?demanda l’étudiant.

– Pour battre les polissons qui jouent là-basà la toupie.

– Elle est plus haute que toi, ma canne… tu nepourrais pas la porter…

– Eh ! bien, alors, venez avec moi etlaissez-moi vous appeler papa devant eux… Ils croiront que vousl’êtes et ils n’oseront plus refuser de jouer avec moi.

– Parbleu ! dit tout bas le bonhommeBardin, ce ferrailleur serait vraiment le père de ce moutard quiparle déjà de rosser les autres, ça ne m’étonnerait pas, car bonsang ne peut mentir.

Mirande faisait la plus singulière figure dumonde.

Après la déclaration qu’il venait de lancer,il aurait dû, pour être conséquent avec lui-même, rendre l’enfant àsa mère, qu’il ne voulait plus épouser, de crainte qu’on nel’accusât de se mésallier par spéculation.

Mais Roch, qui s’était accroché à son cou, nele lâchait pas et criait de sa voix flûtée :

– Papa !… papa !… j’ai retrouvépetite mère, mais je ne veux pas vous quitter… Venez avec nous.

– C’est par délicatesse que vous refusez, ditmadame de Ganges ; vous le croyez ? Eh ! bien, non,c’est par vanité. Si vous aviez du cœur, vous ne penseriez qu’àréparer le mal que vous avez fait, au lieu de vous préoccuper del’opinion du monde. Bernadette en a, elle, du cœur, et je suis sûrequ’elle renoncerait à cet héritage, s’il le fallait, pour légitimerson enfant.

– J’y renonce, murmura la jeune femme.

– Pardon ! s’écria Lestrigou, onné renonce pas comme ça à une succession… il nésuffit pas dé dire : jé né veux pas…

La résolution de Mirande ne tint pas devantcette scène où le petit Roch jouait le principal rôle. Il le portadans les bras de sa mère, et comme le gamin se cramponnait, il luidit :

– N’aie pas peur. Nous serons deux àt’aimer.

En même temps, il baisa la main de Bernadette,sans s’agenouiller cette fois ; mais ce baiser devant quatretémoins, c’était comme s’il lui eût passé au doigt l’anneau desfiançailles.

– Alors, vous allez venir demeurer avecnous ? demanda l’enfant terrible.

Et comme sa mère avait les larmes auxyeux :

– Pourquoi pleures-tu, mamanBernadette ?… mon bon ami nous reste… tu vois bien que mamanJacqueline est contente.

Il n’y avait pas que maman Jacqueline.Bernadette pleurait, mais c’était de joie. Mirande était heureux,comme on l’est quand on vient de se mettre en règle avec saconscience, et Lestrigou se frottait les mains en disant :

– Comme j’ai bien fait de venir àParis !

Relégué au second plan, Paul Cormierapprouvait, mais le père Bardin ne s’associait pas à lasatisfaction générale.

Il n’avait jamais porté Mirande dans son cœuret il trouvait souverainement injuste que ce batailleur couronnâtsa carrière de mauvais sujet en épousant une archi-millionnaire quiaurait très bien pu faire le bonheur de Paul Cormier.

Il oubliait que ce mariage n’était qu’uneréparation, et il ne se doutait pas que son protégé Paul avaitd’autres visées.

– Alors, continua Roch, nous allons tousrentrer chez maman Jacqueline, j’en ai assez, moi, duLuxembourg.

– Il va bien, lé pétit ! dit enriant Lestrigou.

La marquise saisit l’occasion de s’expliquersur un point intéressant pour tout le monde.

– Messieurs, dit-elle, mon amie, BernadetteLamalou, n’a jamais cessé d’habiter chez moi depuis que nous avonsquitté le Languedoc. Elle et son fils y resteront jusqu’au jour oùelle se mariera. En attendant, ma maison vous sera ouverte et jeserai charmée de vous y voir.

L’invitation était collective. Paul crut liredans les yeux de madame de Ganges qu’elle tenait à ce qu’il enprofitât, et il se reprit à espérer que l’avenir le dédommageraitdes pénibles épreuves par lesquelles il venait de passer.

– Tiens ! cria tout à coup Roch qui nerestait jamais en repos bien longtemps, voilà Coussergues. Je vaislui dire bonjour.

Et il partit à toutes jambes pour allerjoindre l’homme que Paul avait surpris, la veille au soir, enfaction devant la maison de Mirande et qui, planté maintenant sousles arbres, à cinquante pas du groupe qui entourait la marquise,semblait monter la garde en attendant qu’on l’appelât.

Et la marquise lui fit signe de venir.

Il vint à pas comptés, ramenant l’enfant, etmadame de Ganges le présenta sans qu’il desserrât les dents.

Elle ne l’avait appelé que pour l’interrogeravant d’entamer une confession que Paul Cormier pressentait.

Aux brèves questions qu’elle lui adressa,M. Coussergues répondit brièvement et la marquise commença ens’adressant à Mirande :

– Monsieur, c’est moi qui ai tout fait. Jen’ai pas pu me résigner à laisser souffrir plus longtempsBernadette. Nous ne pouvions, ni elle, ni moi, tenter une démarchedirecte… surtout après ce qui s’était passé dimanche entre vous etmoi. Et Bernadette ne pouvait pas continuer à vivre comme ellevivait. Alors, j’ai eu une idée. J’ai toujours cru à la voix dusang… j’ai voulu faire un essai… je me suis dit que peut-être, sivous voyiez votre fils, votre cœur parlerait… je ne me trompaispas, puisque vous l’avez recueilli sans le connaître…

– C’est donc volontairement que, hier, vousl’avez laissé sur cette terrasse ? interrompit Mirande.

– Contre l’avis et malgré les prières de samère, oui, monsieur. J’ai eu beaucoup de peine à décider Bernadetteà partir et j’avais pris mes précautions pour qu’il ne mésarrivâtpas à l’enfant. M. Coussergues veillait sur lui. Si vousn’aviez pas parlé à Roch, en passant, M. Coussergues l’auraitreconduit chez moi. Vous vous êtes intéressé à cet enfant, vousl’avez emmené. M. Coussergues vous a suivi. Il y aura bientôtvingt-quatre heures qu’il vous suit.

– Vous aviez donc deviné que je reviendraisaujourd’hui, au Luxembourg, puisque je vous y ai trouvée ?

– Je savais, par M. Cormier, que vous yveniez tous les jours, et je supposais que vous rechercheriez lamère de l’enfant que vous aviez recueilli.

Si vous n’étiez pas venu, je serais alléemoi-même le réclamer chez vous.

– Et lui ?… vous l’aviez mis dans laconfidence ?

– Non, monsieur. Je savais qu’il n’aurait paspeur en se voyant tout seul… Il n’a peur de rien… et je ne doutaispas qu’il ne vous demandât lui-même de le ramener aujourd’hui àl’endroit où vous l’avez trouvé hier.

Tout s’est passé comme je l’avais prévu, etj’ai tout dit.

Il ne me reste plus qu’à vous demander pardond’avoir eu recours à ce moyen.

Mon excuse, c’est que je n’en avais pasd’autre à ma disposition.

Et, ajouta en souriant la marquise, àl’employer, je risquais quelque chose… je risquais de passer pourêtre la mère de Roch !… demandez plutôt à M. Cormier.

Paul rougit et balbutia quelques mots deprotestation, mais madame de Ganges reprit :

– Tout le monde s’y serait trompé. Cet enfantest accoutumé à ne faire aucune différence entre ma chèreBernadette et moi. Il croit qu’il a deux mères.

– Il me l’a dit, murmura Mirande.

– Il ne se trompe qu’à demi, car je l’aimecomme s’il était à moi.

Il n’est pourtant pas sans défaut, ajoutamalicieusement la marquise en regardant d’une certaine façonMirande, qui comprit et qui dit sans hésiter :

– Il a les miens.

– Il a aussi les qualités de sa mère.

– Et je ne suis pas fâché qu’il ait mesdéfauts, dit Mirande, rasséréné.

Puis, à Bernadette :

– Vous l’en guérirez, n’est-ce pas ?… Jeferai de mon mieux pour vous y aider.

Cette déclaration équivalait à une nouvellepromesse de mariage, et, de celle-là, Mirande ne se dédirait plus,sous prétexte que Bernadette était trop riche.

Madame de Ganges pensa qu’il fallait en resterlà.

– Au revoir, messieurs ! dit-elle.

Et elle le dit si bien que tous comprirentqu’ils n’avaient plus qu’à s’éloigner, sans en demanderdavantage.

Cet « au revoir » s’adressait aussibien à Lestrigou qu’aux deux étudiants ; mais Bardin ne leprit pas pour lui, et peut-être n’eut-il pas tort.

Roch ne laissa pas partir Mirande sans luifaire promettre qu’il reviendrait dès le lendemain jouer avec luidans le jardin de maman Jacqueline.

Mirande n’avait garde d’y manquer.

Il prit le bras de Paul qui était plus troubléque satisfait.

Lestrigou s’accrocha au père Bardin.

Et pour ne pas gêner plus longtemps ces damesen restant sur la terrasse où ils les laissaient, ilss’acheminèrent deux par deux vers l’escalier par lequel Mirandeétait arrivé avec le petit Roch.

Les vieux ne se réunirent aux jeunes qu’aubord du bassin central, et ce fut pour se séparer, après avoiréchangé quelques mots.

– Eh bien ! demanda brusquement Mirande,dès qu’il fut seul avec son ami, et la voix du sang ?

– Je commence à y croire, murmura Paul. Cetenfant est le tien. Tu ne peux pas le renier.

– Alors, tu m’approuves de lereconnaître !

– C’est ton devoir. Et je t’approuve aussid’épouser la mère.

– Je l’épouserai, mais toi… n’épouseras-tupersonne ?

– Qui voudrait de moi ?

– La marquise. Elle t’aime.

– Tu te trompes. Je lui suis indifférent, àmoins qu’elle ne me haïsse, et je n’en serais pas surpris.

– Tu n’y entends rien. Je m’y connais, moi, etje t’affirme qu’elle sera ta femme, si tu veux. Nous nous marieronsle même jour.

– Dans dix mois, alors, car il n’y a pasquatre jours qu’elle est veuve… cherche l’article du Code civil… Ceserait trop faire attendre Bernadette.

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