La Main froide

ÉPILOGUE

 

Les dix mois sont passés et madame de Gangesest toujours veuve.

Elle épousera Paul Cormier, mais elle a vouluattendre, pour l’épouser, que la fin tragique de son mari fûtoubliée.

Elle l’est déjà. Le drame où le malheureuxmarquis a trouvé la mort n’a pas eu de retentissement, car il nes’est pas dénoué en cour d’assises.

Après avoir longtemps hésité, Charles Bardin arendu une ordonnance de non-lieu et les conseils de son père ontinfluencé sa décision que, du reste, ses supérieurs hiérarchiquesont approuvée.

Il a démontré jusqu’à l’évidence que le duelavait été loyal. L’acquittement était certain. Les magistrats ontsagement jugé qu’il valait mieux ne point infliger la publicité del’audience à des jeunes gens qui pouvaient invoquer beaucoup decirconstances atténuantes.

Du reste, la marquise n’était pas femme à semarier, au pied levé, par un coup de tête, comme une excentriquelady qui s’éprend d’un ténor.

Paul, dès le jour de leur première rencontre,avait fait sur elle une très vive impression et il ne lui a pasfallu beaucoup de temps pour l’aimer, mais elle a voulu leconnaître avant de lier sa destinée à celle d’un garçon à peineplus âgé qu’elle, et qui n’était ni de sa caste ni de sonmonde.

Elle lui a imposé un stage. Paul n’a pastrouvé la condition trop dure. Marcelle lui en a su gré. Elle saitmaintenant tout ce qu’il vaut et elle est décidée à s’appelermadame Cormier, quand le moment lui paraîtra venu de mettre fin àl’épreuve que son amoureux subit de bonne grâce.

Jean de Mirande et Bernadette Lamalou n’ontpas fait tant de cérémonies pour consacrer leur union.

Mirande a voulu réparer ses torts, et il asauté à pieds joints par-dessus les préjugés sociaux. Son oncle l’adéshérité, mais il s’en moque. Il est assez riche pour se passer desa succession et pour vivre sans toucher aux revenus de safemme.

Il a épousé Bernadette, brûlant ce qu’il avaitadoré, et cette conversion fait du bruit au quartier.

Ce fut, l’année dernière, un beau tapage dansle quartier Latin, quand on y sut que le Roi des Écoles renonçait àla vie d’étudiant pour se réfugier dans le port du mariage.

Ses favorites l’ont regretté, mais elles sesont vite consolées ; et Véra, la nihiliste, a déclaréhautement que Mirande, au fond, n’était qu’un bourgeois.

Il a rompu si brusquement avec ses amis etavec ses habitudes qu’il n’a pas songé un seul instant à enterrersa vie de garçon en offrant à la jeunesse latine un festinpantagruélique.

Bernadette n’a pas tardé à devenir, dans lesdélais de rigueur, la femme légitime du père de son enfant.

Elle n’était plus veuve et elle étaitmère : deux excellentes raisons pour hâter le mariageréparateur.

Roch n’a plus qu’une maman, car petite mère,depuis qu’elle est madame de Mirande, n’habite plus chez mamanJacqueline ; mais il a un père, un vrai, qu’il adore et qui lelui rend bien.

Si jamais homme s’est vu renaître dans sonfils, cet homme, c’est Jean de Mirande.

Roch lui ressemble tant que Bernadette trouvequ’il lui ressemble trop ; car s’il a toutes les qualités desa race paternelle, il en a aussi tous les défauts.

Il est volontaire et querelleur ; iln’obéit qu’à son père et la douce Bernadette s’inquiète déjà del’avenir de ce batailleur en herbe. Mais les tourments qu’il luidonne ne l’empêchent pas de le chérir.

Il sera élevé à la campagne, car elle achèterale château de Marsillargues, et les nouveaux époux comptent passerhuit mois de l’année près de ce village de Fabrègues où ils se sontrencontrés.

Ils y remplaceront la famille de la marquise,et ils seront à leur tour les bienfaiteurs du pays.

Lestrigou est au comble de la joie. Il necesse plus de se frotter les mains depuis qu’ils les a décidés àvenir s’établir en Languedoc.

Il fera leurs affaires pour rien, pour leplaisir.

Coussergues ne quittera pas la marquise quandelle aura changé de nom. Ce fidèle gardien est comme un immeublepar destination. Il fera partie de la maison jusqu’à la fin de sesjours et il vivra en meilleure intelligence avec Paul qu’il n’ajamais vécu avec le défunt marquis.

Marcelle ne s’est brouillée avec personne,parce qu’elle a pris le parti de dire la vérité aux gens de sonmonde. La baronne Dozulé et ses invités du thé de cinq heuressavent maintenant qu’elle devra son bonheur conjugal à une méprised’un domestique.

Le vicomte de Servon, renseigné comme lesautres, a renoncé à consoler la charmante veuve deM. de Ganges.

Il sait que la place est prise et il s’estrallié de bonne grâce aux amis de son rival heureux.

Il a même débarrassé Paul et Mirande del’affreux Brunachon en signalant à la police les méfaits anciens etrécents de ce dangereux drôle.

Bardin ne boude plus le fils de sa vieilleamie, mais il regrette encore – sans le dire – que le sien aitmanqué d’avancer dans la magistrature, faute d’avoir à instruire uncrime célèbre.

Les personnes bien informées assurent que lamarquise de Ganges convolera en secondes noces avant la fin del’hiver.

Elle a et elle aura toujours la main froide,mais pas le cœur, et elle aimera passionnément son nouveaumari.

Le proverbe aura raison, une fois de plus.

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