La Maison Tellier

Chapitre 5En Famille

Le tramway de Neuilly venait de passer la porte Maillot et ilfilait maintenant tout le long de la grande avenue qui aboutit à laSeine. La petite machine, attelée à son wagon, cornait pour éviterles obstacles, crachait sa vapeur, haletait comme une personneessoufflée qui court ; et ses pistons faisaient un bruitprécipité de jambes de fer en mouvement. La lourde chaleur d’unefin de journée d’été tombait sur la route d’où s’élevait, bienqu’aucune brise ne soufflât, une poussière blanche, crayeuse,opaque, suffocante et chaude, qui se collait sur la peau moite,emplissait les yeux, entrait dans les poumons.

Des gens venaient sur leurs portes, cherchant de l’air.

Les glaces de la voiture étaient baissées et tous les rideauxflottaient, agités par la course rapide. Quelques personnesseulement occupaient l’intérieur (car on préférait, par ces jourschauds, l’impériale ou les plates-formes). C’étaient de grossesdames aux toilettes farces, de ces bourgeoises de banlieue quiremplacent la distinction dont elles manquent par une dignitéintempestive ; des messieurs las du bureau, la figure jaunie,la taille tournée, une épaule un peu remontée par les longs travauxcourbés sur les tables. Leurs faces inquiètes et tristes disaientencore les soucis domestiques, les incessants besoins d’argent, lesanciennes espérances définitivement déçues ; car tousappartenaient à cette armée de pauvres diables râpés qui végètentéconomiquement dans une chétive maison de plâtre, avec uneplate-bande pour jardin, au milieu de cette campagne à dépotoirsqui borde Paris.

Tout près de la portière, un homme petit et gros, la figurebouffie, le ventre tombant entre ses jambes ouvertes, tout habilléde noir et décoré, causait avec un grand maigre d’aspect débraillé,vêtu de coutil blanc très sale et coiffé d’un vieux panama. Lepremier parlait lentement, avec des hésitations qui le faisaientparfois paraître bègue ; c’était M. Caravan, commis principalau Ministère de la marine. L’autre, ancien officier de santé à bordd’un bâtiment de commerce, avait fini par s’établir au rond-pointde Courbevoie où il appliquait sur la misérable population de celieu les vagues connaissances médicales qui lui restaient après unevie aventureuse. Il se nommait Chenet et se faisait appelerdocteur. Des rumeurs couraient sur sa moralité.

M. Caravan avait toujours mené l’existence normale desbureaucrates. Depuis trente ans, il venait invariablement à sonbureau, chaque matin, par la même route, rencontrant, à la mêmeheure, aux mêmes endroits, les mêmes figures d’hommes allant àleurs affaires ; et il s’en retournait, chaque soir, par lemême chemin où il retrouvait encore les mêmes visages qu’il avaitvus vieillir.

Tous les jours, après avoir acheté sa feuille d’un sou àl’encoignure du faubourg Saint-Honoré, il allait chercher ses deuxpetits pains, puis il entrait au ministère à la façon d’un coupablequi se constitue prisonnier ; et il gagnait son bureauvivement, le cœur plein d’inquiétude, dans l’attente éternelled’une réprimande pour quelque négligence qu’il aurait pucommettre.

Rien n’était jamais venu modifier l’ordre monotone de sonexistence ; car aucun événement ne le touchait en dehors desaffaires du bureau, des avancements et des gratifications. Soitqu’il fût au ministère, soit qu’il fût dans sa famille (car ilavait épousé, sans dot, la fille d’un collègue), il ne parlaitjamais que du service. Jamais son esprit atrophié par la besogneabêtissante et quotidienne n’avait d’autres pensées, d’autresespoirs, d’autres rêves, que ceux relatifs à son ministère. Maisune amertume gâtait toujours ses satisfactions d’employé : l’accèsdes commissaires de marine, des ferblantiers, comme on disait àcause de leurs galons d’argent, aux emplois de sous-chef et dechef ; et chaque soir, en dînant, il argumentait fortementdevant sa femme, qui partageait ses haines, pour prouver qu’il estinique à tous égards de donner des places à Paris aux gens destinésà la navigation.

Il était vieux maintenant, n’ayant point senti passer sa vie,car le collège, sans transition, avait été continué par le bureau,et les pions, devant qui il tremblait autrefois, étaientaujourd’hui remplacés par les chefs qu’il redoutait effroyablement.Le seuil de ces despotes en chambre le faisait frémir des pieds àla tête ; et de cette continuelle épouvante il gardait unemanière gauche de se présenter, une attitude humble et une sorte debégaiement nerveux.

Il ne connaissait pas plus Paris que ne le peut connaître unaveugle conduit par son chien, chaque jour, sous la mêmeporte ; et s’il lisait dans son journal d’un sou lesévénements et les scandales, il les percevait comme des contesfantaisistes inventés à plaisir pour distraire les petits employés.Homme d’ordre, réactionnaire sans parti déterminé, mais ennemi des« nouveautés », il passait les faits politiques que sa feuille, dureste, défigurait toujours pour les besoins payés d’unecause ; et quand il remontait tous les soirs l’avenue desChamps-Élysées, il considérait la foule houleuse des promeneurs etle flot roulant des équipages à la façon d’un voyageur dépaysé quitraverserait des contrées lointaines.

Ayant complété, cette année même, ses trente années de serviceobligatoire, on lui avait remis, au 1er janvier, la croix de laLégion d’honneur, qui récompense, dans ces administrationsmilitarisées, la longue et misérable servitude – on dit : loyauxservices – de ces tristes forçats rivés au carton vert. Cettedignité inattendue, lui donnant de sa capacité une idée haute etnouvelle, avait en tout changé ses mœurs. Il avait dès lorssupprimé les pantalons de couleur et les vestons de fantaisie,porté des culottes noires et de longues redingotes où son ruban,très large, faisait mieux ; et, rasé tous les matins, écurantses ongles avec plus de soin, changeant de linge tous les deuxjours par un légitime sentiment de convenances et de respect pourl’Ordre national dont il faisait partie, il était devenu, du jourau lendemain, un autre Caravan, rincé, majestueux etcondescendant.

Chez lui, il disait « ma croix » à tout propos. Un tel orgueillui était venu qu’il ne pouvait plus même souffrir à la boutonnièredes autres aucun ruban d’aucune sorte. Il s’exaspérait surtout à lavue des ordres étrangers – « qu’on ne devrait pas laisser porter enFrance » ; et il en voulait particulièrement au docteur Chenetqu’il retrouvait tous les soirs au tramway, orné d’une décorationquelconque, blanche, bleue, orange ou verte.

La conversation des deux hommes, depuis l’Arc de Triomphejusqu’à Neuilly, était, du reste, toujours la même ; et, cejour-là comme les précédents, ils s’occupèrent d’abord dedifférents abus locaux qui les choquaient l’un et l’autre, le mairede Neuilly en prenant à son aise. Puis, comme il arriveinfailliblement en compagnie d’un médecin, Caravan aborda lechapitre des maladies, espérant de cette façon glaner quelquespetits conseils gratuits ou même une consultation, en s’y prenantbien, sans laisser voir la ficelle. Sa mère, du reste, l’inquiétaitdepuis quelque temps. Elle avait des syncopes fréquentes etprolongées ; et, bien que vieille de quatre-vingt-dix ans,elle ne consentait point à se soigner.

Son grand âge attendrissait Caravan, qui répétait sans cesse audocteur Chenet : « En voyez-vous souvent arriver là ? » Et ilse frottait les mains avec bonheur, non qu’il tînt peut-êtrebeaucoup à voir la bonne femme s’éterniser sur terre, mais parceque la longue durée de la vie maternelle était comme une promessepour lui-même.

Il continua : « Oh ! dans ma famille, on va loin ;ainsi, moi, je suis sûr qu’à moins d’accident je mourrai trèsvieux. » L’officier de santé jeta sur lui un regard de pitié ;il considéra une seconde la figure rougeaude de son voisin, son cougraisseux, son bedon tombant entre deux jambes flasques et grasses,toute sa rondeur apoplectique de vieil employé ramolli ; et,relevant d’un coup de main le panama grisâtre qui lui couvrait lechef, il répondit en ricanant : « Pas si sûr que ça, mon bon, votremère est une ascète et vous n’êtes qu’un plein-de-soupe. » Caravan,troublé, se tut.

Mais le tramway arrivait à la station. Les deux compagnonsdescendirent, et M. Chenet offrit le vermouth au café du Globe, enface, où l’un et l’autre avaient leurs habitudes. Le patron, unami, leur allongea deux doigts qu’ils serrèrent par-dessus lesbouteilles du comptoir ; et ils allèrent rejoindre troisamateurs de dominos, attablés là depuis midi. Des paroles cordialesfurent échangées, avec le « Quoi de neuf ? » inévitable.Ensuite les joueurs se remirent à leur partie ; puis on leursouhaita le bonsoir. Ils tendirent leurs mains sans lever latête ; et chacun rentra dîner.

Caravan habitait, auprès du rond-point de Courbevoie, une petitemaison à deux étages dont le rez-de-chaussée était occupé par uncoiffeur.

Deux chambres, une salle à manger et une cuisine où des siègesrecollés erraient de pièce en pièce selon les besoins, formaienttout l’appartement que Mme Caravan passait son temps à nettoyer,tandis que sa fille Marie-Louise, âgée de douze ans, et son filsPhilippe-Auguste, âgé de neuf, galopinaient dans les ruisseaux del’avenue avec tous les polissons du quartier.

Au-dessus de lui, Caravan avait installé sa mère, dont l’avariceétait célèbre aux environs et dont la maigreur faisait dire que leBon Dieu avait appliqué sur elle-même ses propres principes deparcimonie. Toujours de mauvaise humeur, elle ne passait point unjour sans querelles et sans colères furieuses. Elle apostrophait desa fenêtre les voisins sur leurs portes, les marchandes des quatresaisons, les balayeurs et les gamins qui, pour se venger, lasuivaient de loin, quand elle sortait, en criant : « A lachie-en-lit ! »

Une petite bonne normande, incroyablement étourdie, faisait leménage et couchait au second près de la vieille, dans la crainted’un accident.

Lorsque Caravan rentra chez lui, sa femme, atteinte d’unemaladie chronique de nettoyage, faisait reluire avec un morceau deflanelle l’acajou des chaises éparses dans la solitude des pièces.Elle portait toujours des gants de fil, ornait sa tête d’un bonnetà rubans multicolores sans cesse chaviré sur une oreille, etrépétait, chaque fois qu’on la surprenait cirant, brossant,astiquant ou lessivant : « Je ne suis pas riche, chez moi tout estsimple, mais la propreté c’est mon luxe, et celui-là en vaut bienun autre. »

Douée d’un sens pratique opiniâtre, elle était en tout le guidede son mari. Chaque soir, à table, et puis dans leur lit, ilscausaient longuement des affaires du bureau et, bien qu’elle eûtvingt ans de moins que lui, il se confiait à elle comme à undirecteur de conscience, et suivait en tout ses conseils.

Elle n’avait jamais été jolie ; elle était laidemaintenant, de petite taille et maigrelette. L’inhabileté de savêture avait toujours fait disparaître ses faibles attributsféminins qui auraient dû saillir avec art sous un habillage bienentendu. Ses jupes semblaient sans cesse tournées d’un côté ;et elle se grattait souvent, n’importe où, avec indifférence dupublic, par une sorte de manie qui touchait au tic. Le seulornement qu’elle se permît consistait en une profusion de rubans desoie entremêlés sur les bonnets prétentieux qu’elle avait coutumede porter chez elle.

Aussitôt qu’elle aperçut son mari, elle se leva et, l’embrassantsur ses favoris : « As-tu pensé à Potin, mon ami ? » (C’étaitpour une commission qu’il avait promis de faire.). Mais il tombaatterré sur un siège ; il venait encore d’oublier pour laquatrième fois :

« C’est une fatalité, disait-il, c’est une fatalité ; j’aibeau y penser toute la journée, quand le soir vient j’oublietoujours. » Mais comme il semblait désolé, elle le consola :

– Tu y songeras demain, voilà tout. Rien de neuf auministère ?

– Si, une grande nouvelle : encore un ferblantier nommésous-chef.

Elle devint très sérieuse :

– A quel bureau ?

– Au bureau des achats extérieurs.

Elle se fâchait :

– A la place de Ramon alors, juste celle que je voulais pourtoi ; et lui, Ramon ? à la retraite ?

Il balbutia :

– A la retraite.

Elle devint rageuse, le bonnet partit sur l’épaule :

– C’est fini, vois-tu, cette boîte-là, rien à faire là-dedansmaintenant. Et comment s’appelle-t-il, ton commissaire ?

– Bonassot.

Elle prit l’Annuaire de la marine, qu’elle avait toujours sousla main, et chercha : « Bonassot. – Toulon. – Né en 1851. –Élève-commissaire en 1871, Sous-commissaire en 1875. »

– A-t-il navigué celui-là ?

A cette question, Caravan se rasséréna. Une gaieté lui vint quisecouait son ventre : « Comme Balin, juste comme Balin, son chef. »Et il ajouta, dans un rire plus fort, une vieille plaisanterie quetout le ministère trouvait délicieuse : « Il ne faudrait pas lesenvoyer par eau inspecter la station navale du Point-du-Jour, ilsseraient malades sur les bateaux-mouches. »

Mais elle restait grave comme si elle n’avait pas entendu, puiselle murmura en se grattant lentement le menton : « Si seulement onavait un député dans sa manche ? Quand la Chambre saura toutce qui se passe là-dedans, le ministre sautera du coup… »

Des cris éclatèrent dans l’escalier, coupant sa phrase.Marie-Louise et Philippe-Auguste, qui revenaient du ruisseau, seflanquaient, de marche en marche, des gifles et des coups de pied.Leur mère s’élança, furieuse, et, les prenant chacun par un bras,elle les jeta dans l’appartement en les secouant avec vigueur.

Sitôt qu’ils aperçurent leur père, ils se précipitèrent sur lui,et il les embrassa tendrement, longtemps ; puis, s’asseyant,les prit sur ses genoux et fit la causette avec eux.

Philippe-Auguste était un vilain mioche, dépeigné, sale despieds à la tête, avec une figure de crétin. Marie-Louiseressemblait à sa mère déjà, parlait comme elle, répétant sesparoles, l’imitant même en ses gestes. Elle dit aussi : « Quoi deneuf au ministère ? » Il lui répondit gaiement : « Ton amiRamon, qui vient dîner ici tous les mois, va nous quitter, fifille.Il y a un nouveau sous-chef à sa place. » Elle leva les yeux surson père et, avec une commisération d’enfant précoce : « Encore unqui t’a passé sur le dos, alors. »

Il finit de rire et ne répondit pas ; puis, pour fairediversion, s’adressant à sa femme qui nettoyait maintenant lesvitres : « La maman va bien, là-haut ? »

Mme Caravan cessa de frotter, se retourna, redressa son bonnettout à fait parti dans le dos et, la lèvre tremblante : « Ah !oui, parlons-en de ta mère ! Elle m’en a fait une jolie !Figure-toi que tantôt Mme Lebaudin, la femme du coiffeur, estmontée pour m’emprunter un paquet d’amidon, et comme j’étaissortie, ta mère l’a chassée en la traitant de « mendiante ». Aussije l’ai arrangée, la vieille. Elle a fait semblant de ne pasentendre comme toujours quand on lui dit ses vérités, mais ellen’est pas plus sourde que moi, vois-tu ; c’est de la frime,tout ça, et la preuve, c’est qu’elle est remontée dans sa chambre,aussitôt, sans dire un mot. »

Caravan, confus, se taisait, quand la petite bonne se précipitapour annoncer le dîner. Alors, afin de prévenir sa mère, il prit unmanche à balai toujours caché dans un coin et frappa trois coups auplafond. Puis on passa dans la salle et Mme Caravan la jeune servitle potage en attendant la vieille. Elle ne venait pas et la souperefroidissait. Alors on se mit à manger tout doucement ; puis,quand les assiettes furent vides, on attendit encore. Mme Caravan,furieuse, s’en prenait à son mari : « Elle le fait exprès, sais-tu.Aussi tu la soutiens toujours. » Lui, fort perplexe, pris entre lesdeux, envoya Marie-Louise chercher grand’maman, et il demeuraimmobile, les yeux baissés, tandis que sa femme tapait rageusementle pied de son verre avec le bout de son couteau.

Soudain la porte s’ouvrit et l’enfant seule réapparut toutessoufflée et fort pâle ; elle dit très vite : « Grand-mamanest tombée par terre. »

Caravan, d’un bond, fut debout et, jetant sa serviette sur latable, il s’élança dans l’escalier où son pas, lourd et précipité,retentit pendant que sa femme, croyant à une ruse méchante de sabelle-mère, s’en venait plus doucement en haussant avec mépris lesépaules.

La vieille gisait de tout son long sur la face au milieu de lachambre et, lorsque son fils l’eut retournée, elle apparut,immobile et sèche, avec sa peau jaunie, plissée, tannée, ses yeuxclos, ses dents serrées et tout son corps maigre roidi.

Caravan, à genoux près d’elle, gémissait : « Ma pauvre mère, mapauvre mère ! » Mais l’autre Mme Caravan, après l’avoirconsidérée un instant, déclara : « Bah ! elle a encore unesyncope, voilà tout ; c’est pour nous empêcher de dîner,sois-en sûr. »

On porta le corps sur le lit, on le déshabillacomplètement ; et tous, Caravan, sa femme, la bonne, se mirentà la frictionner. Malgré leurs efforts, elle ne reprit pasconnaissance. Alors on envoya Rosalie chercher le docteur Chenet.Il habitait sur le quai, vers Suresnes. C’était loin, l’attente futlongue. Enfin il arriva et, après avoir considéré, palpé, auscultéla vieille femme, il prononça : « C’est la fin. »

Caravan s’abattit sur le corps, secoué par des sanglotsprécipités ; et il baisait convulsivement la figure rigide desa mère en pleurant avec tant d’abondance que de grosses larmestombaient comme des gouttes d’eau sur le visage de la morte.

Mme Caravan la jeune eut une crise convenable de chagrin et,debout derrière son mari, elle poussait de faibles gémissements ense frottant les yeux avec obstination.

Caravan, la face bouffie, ses maigres cheveux en désordre, trèslaid dans sa douleur vraie, se redressa soudain : « Mais… êtes-voussûr, docteur… êtes-vous bien sûr ?… » L’officier de santés’approcha rapidement et, maniant le cadavre avec une dextéritéprofessionnelle, comme un négociant qui ferait valoir samarchandise : « Tenez, mon bon, regardez l’œil. » Il releva lapaupière et le regard de la vieille femme réapparut sous son doigt,nullement changé, avec la pupille un peu plus large peut-être.Caravan reçut un coup dans le cœur et une épouvante lui traversales os. M. Chenet prit le bras crispé, força les doigts pour lesouvrir et, l’air furieux comme en face d’un contradicteur : « Maisregardez-moi cette main, je ne m’y trompe jamais, soyez tranquille.»

Caravan retomba vautré sur le lit, beuglant presque ;tandis que sa femme, pleurnichant toujours, faisait les chosesnécessaires. Elle approcha la table de nuit sur laquelle elleétendit une serviette, posa dessus quatre bougies qu’elle alluma,prit un rameau de buis accroché derrière la glace de la cheminée etle posa entre les bougies dans une assiette qu’elle emplit d’eauclaire, n’ayant point d’eau bénite. Mais, après une réflexionrapide, elle jeta dans cette eau une pincée de sel, s’imaginantsans doute exécuter là une sorte de consécration.

Lorsqu’elle eut terminé la figuration qui doit accompagner laMort, elle resta debout, immobile. Alors l’officier de santé, quil’avait aidée à disposer les objets, lui dit tout bas : « Il fautemmener Caravan. » Elle fit un signe d’assentiment et, s’approchantde son mari qui sanglotait, toujours à genoux, elle le souleva parun bras, pendant que M. Chenet le prenait par l’autre.

On l’assit d’abord sur une chaise et sa femme, le baisant aufront, le sermonna. L’officier de santé appuyait ses raisonnements,conseillant la fermeté, le courage, la résignation, tout ce qu’onne peut garder dans ces malheurs foudroyants. Puis tous deux leprirent de nouveau sous les bras et l’emmenèrent.

Il larmoyait comme un gros enfant, avec des hoquets convulsifs,avachi, les bras pendants, les jambes molles ; et il descenditl’escalier sans savoir ce qu’il faisait, remuant les piedsmachinalement.

On le déposa dans le fauteuil qu’il occupait toujours à table,devant son assiette presque vide où sa cuiller encore trempait dansun reste de soupe. Et il resta là, sans un mouvement, l’œil fixésur son verre, tellement hébété qu’il demeurait même sanspensée.

Mme Caravan, dans un coin, causait avec le docteur, s’informaitdes formalités, demandait tous les renseignements pratiques. À lafin, M. Chenet, qui paraissait attendre quelque chose, prit sonchapeau et, déclarant qu’il n’avait pas dîné, fit un salut pourpartir. Elle s’écria :

– Comment, vous n’avez pas dîné ? Mais restez, docteur,restez donc ! On va vous servir ce que nous avons ; carvous comprenez que nous, nous ne mangerons pas grand’chose.

Il refusa, s’excusant ; elle insistait :

– Comment donc, mais restez. Dans des moments pareils, on estheureux d’avoir des amis près de soi ; et puis, vous déciderezpeut-être mon mari à se réconforter un peu : il a tant besoin deprendre des forces.

Le docteur s’inclina et, déposant son chapeau sur un meuble : «En ce cas, j’accepte, madame. »

Elle donna des ordres à Rosalie affolée, puis elle-même se mit àtable « pour faire semblant de manger, disait-elle, et tenircompagnie au docteur ».

On reprit du potage froid. M. Chenet en redemanda. Puis apparutun plat de gras-double lyonnais qui répandit un parfum d’oignon, etdont Mme Caravan se décida à goûter. « Il est excellent. » dit ledocteur. Elle sourit : « N’est-ce pas ? » Puis, se tournantvers son mari : « Prends-en donc un peu, mon pauvre Alfred,seulement pour te mettre quelque chose dans l’estomac ; songeque tu vas passer la nuit ! »

Il tendit son assiette docilement, comme il aurait été se mettreau lit si on le lui eût commandé, obéissant à tout sans résistanceet sans réflexion. Et il mangea.

Le docteur, se servant lui-même, puisa trois fois dans le plat,tandis que Mme Caravan, de temps en temps, piquait un gros morceauau bout de sa fourchette et l’avalait avec une sorte d’inattentionétudiée.

Quand parut un saladier plein de macaroni. Le docteur murmura :« Bigre ! voilà une bonne chose. » Et Mme Caravan, cette fois,servit tout le monde. Elle remplit même les soucoupes oùbarbotaient les enfants qui, laissés libres, buvaient du vin pur ets’attaquaient déjà, sous la table, à coups de pied.

M. Chenet rappela l’amour de Rossini pour ce mets italien ;puis tout à coup : « Tiens ! mais ça rime ; on pourraitcommencer une pièce de vers :

Le maëstro Rossini

Aimait le macaroni… »

On ne l’écoutait point, Mme Caravan, devenue soudain réfléchie,songeait à toutes les conséquences probables de l’événement ;tandis que son mari roulait des boulettes de pain qu’il déposaitensuite sur la nappe et qu’il regardait fixement d’un air idiot.Comme une soif ardente lui dévorait la gorge, il portait sans cesseà sa bouche son verre tout rempli de vin ; et sa raison,culbutée déjà par la secousse et le chagrin, devenait flottante,lui paraissait danser dans l’étourdissement subit de la digestioncommencée et pénible.

Le docteur, du reste, buvait comme un trou, se grisaitvisiblement ; et Mme Caravan elle-même, subissant la réactionqui suit tout ébranlement nerveux, s’agitait, troublée aussi, bienqu’elle ne prît que de l’eau, et se sentait la tête un peubrouillée.

M. Chenet s’était mis à raconter des histoires de décès qui luiparaissaient drôles. Car dans cette banlieue parisienne, remplied’une population de province, on retrouve cette indifférence dupaysan pour le mort, fût-il son père ou sa mère, cet irrespect,cette férocité inconsciente si communs dans les campagnes et sirares à Paris. Il disait : « Tenez, la semaine dernière, rue dePuteaux, on m’appelle, j’accours ; je trouve le maladetrépassé et, auprès du lit, la famille qui finissait tranquillementune bouteille d’anisette achetée la veille pour satisfaire uncaprice du moribond. »

Mais Mme Caravan n’écoutait pas, songeant toujours àl’héritage ; et Caravan, le cerveau vidé, ne comprenaitrien.

On servit le café, qu’on avait fait très fort pour se soutenirle moral. Chaque tasse, arrosée de cognac, fit monter aux joues unerougeur subite, mêla les dernières idées de ces esprits vacillantsdéjà.

Puis le docteur, s’emparant soudain de la bouteilled’eau-de-vie, versa la « rincette » à tout le monde. Et, sansparler, engourdis dans la chaleur douce de la digestion, saisismalgré eux par ce bien-être animal que donne l’alcool après dîner,ils se gargarisaient lentement avec le cognac sucré qui formait unsirop jaunâtre au fond des tasses.

Les enfants s’étaient endormis et Rosalie les coucha.

Alors Caravan, obéissant machinalement au besoin de s’étourdirqui pousse tous les malheureux, reprit plusieurs fois del’eau-de-vie ; et son œil hébété luisait.

Le docteur enfin se leva pour partir ; et s’emparant dubras de son ami :

– Allons, venez avec moi, dit-il ; un peu d’air vous feradu bien ; quand on a des ennuis, il ne faut pass’immobiliser.

L’autre obéit docilement, mit son chapeau, prit sa canne,sortit ; et tous deux, se tenant par le bras, descendirentvers la Seine sous les claires étoiles.

Des souffles embaumés flottaient dans la nuit chaude, car tousles jardins des environs étaient à cette saison pleins de fleursdont les parfums, endormis pendant le jour, semblaient s’éveiller àl’approche du soir et s’exhalaient, mêlés aux brises légères quipassaient dans l’ombre.

L’avenue large était déserte et silencieuse avec ses deux rangsde becs de gaz allongés jusqu’à l’Arc de Triomphe. Mais là-basParis bruissait dans une buée rouge. C’était une sorte de roulementcontinu auquel paraissait répondre parfois au loin, dans la plaine,le sifflet d’un train accourant à toute vapeur, ou bien fuyant, àtravers la province, vers l’Océan.

L’air du dehors, frappant les deux hommes au visage, les surpritd’abord, ébranla l’équilibre du docteur, et accentua chez Caravanles vertiges qui l’envahissaient depuis le dîner. Il allait commedans un songe, l’esprit engourdi, paralysé, sans chagrin vibrant,saisi par une sorte d’engourdissement moral qui l’empêchait desouffrir, éprouvant même un allégement qu’augmentaient lesexhalaisons tièdes épandues dans la nuit.

Quand ils furent au pont, ils tournèrent à droite, et la rivièreleur jeta à la face un souffle frais. Elle coulait, mélancolique ettranquille, devant un rideau de hauts peupliers ; et desétoiles semblaient nager sur l’eau, remuées par le courant. Unebrume fine et blanchâtre, qui flottait sur la berge de l’autre côtéapportait aux poumons une senteur humide ; et Caravan s’arrêtabrusquement, frappé par cette odeur de fleuve qui remuait dans soncœur des souvenirs très vieux.

Et il revit soudain sa mère, autrefois, dans son enfance à lui,courbée à genoux devant leur porte, là-bas, en Picardie, et lavantau mince cours d’eau qui traversait le jardin le linge en tas àcôté d’elle. Il entendait son battoir dans le silence tranquille dela campagne, sa voix qui criait : « Alfred, apporte-moi du savon. »Et il sentait cette même odeur d’eau qui coule, cette même brumeenvolée des terres ruisselantes, cette buée marécageuse dont lasaveur était restée en lui, inoubliable, et qu’il retrouvaitjustement ce soir-là même où sa mère venait de mourir.

Il s’arrêta, roidi dans une reprise de désespoir fougueux. Cefut comme un éclat de lumière illuminant d’un seul coup toutel’étendue de son malheur ; et la rencontre de ce souffleerrant le jeta dans l’abîme noir des douleurs irrémédiables. Ilsentit son cœur déchiré par cette séparation sans fin. Sa vie étaitcoupée au milieu ; et sa jeunesse entière disparaissaitengloutie dans cette mort. Tout l’« autrefois » était fini ;tous les souvenirs d’adolescence s’évanouissaient ; personnene pourrait plus lui parler des choses anciennes, des gens qu’ilavait connus jadis, de son pays, de lui-même, de l’intimité de savie passée ; c’était une partie de son être qui avait finid’exister ; à l’autre de mourir maintenant.

Et le défilé des évocations commença. Il revoyait la « maman »plus jeune, vêtue de robes usées sur elle, portées si longtempsqu’elles semblaient inséparables de sa personne ; il laretrouvait dans mille circonstances oubliées : avec desphysionomies effacées, ses gestes, ses intonations, ses habitudes,ses manies, ses colères, les plis de sa figure, les mouvements deses doigts maigres, toutes ses attitudes familières qu’ellen’aurait plus.

Et, se cramponnant au docteur, il poussa des gémissements. Sesjambes flasques tremblaient ; toute sa grosse personne étaitsecouée par les sanglots et il balbutiait : « Ma mère, ma pauvremère, ma pauvre mère !… »

Mais son compagnon, toujours ivre, et qui rêvait de finir lasoirée en des lieux qu’il fréquentait secrètement, impatienté parcette crise aiguë de chagrin, le fit asseoir sur l’herbe de larive, et presque aussitôt le quitta sous prétexte de voir unmalade.

Caravan pleura longtemps ; puis, quand il fut à bout delarmes, quand toute sa souffrance eut pour ainsi dire coulé, iléprouva de nouveau un soulagement, un repos, une tranquillitésubite.

La lune s’était levée ; elle baignait l’horizon de salumière placide. Les grands peupliers se dressaient avec desreflets d’argent et le brouillard, sur la plaine, semblait de laneige flottante ; le fleuve, où ne nageaient plus les étoiles,mais qui paraissait couvert de nacre, coulait toujours, ridé pardes frissons brillants. L’air était doux, la brise odorante. Unemollesse passait dans le sommeil de la terre et Caravan buvaitcette douceur de la nuit ; il respirait longuement, croyaitsentir pénétrer jusqu’à l’extrémité de ses membres une fraîcheur,un calme, une consolation surhumaine.

Il résistait toutefois à ce bien-être envahissant, se répétait :« Ma mère, ma pauvre mère », s’excitant à pleurer par une sorte deconscience d’honnête homme ; mais il ne le pouvait plus ;et aucune tristesse même ne l’étreignait aux pensées qui, tout àl’heure encore, l’avaient fait si fort sangloter.

Alors il se leva pour rentrer, revenant à petits pas, enveloppédans la calme indifférence de la nature sereine et le cœur apaisémalgré lui.

Quand il atteignit le pont, il aperçut le fanal du derniertramway prêt à partir et, par derrière, les fenêtres éclairées ducafé du Globe.

Alors un besoin lui vint de raconter la catastrophe à quelqu’un,d’exciter la commisération, de se rendre intéressant. Il prit unephysionomie lamentable, poussa la porte de l’établissement ets’avança vers le comptoir où le patron trônait toujours. Ilcomptait sur un effet, tout le monde allait se lever, venir à luila main tendue : « Tiens, qu’avez-vous ? » Mais personne neremarqua la désolation de son visage. Alors il s’accouda sur lecomptoir et, serrant son front dans ses mains, il murmura : « MonDieu, mon Dieu ! »

Le patron le considéra : « Vous êtes malade, monsieurCaravan ? » Il répondit : « Non, mon pauvre ami ; mais mamère vient de mourir. » L’autre lâcha un « Ah ! »distrait ; et comme un consommateur au fond de l’établissementcriait : « Un bock, s’il vous plaît ! », il répondit aussitôtd’une voix terrible : « Voilà, boum !… on y va.» et s’élançapour servir, laissant Caravan stupéfait.

Sur la même table qu’avant dîner, absorbés et immobiles, lestrois amateurs de dominos jouaient encore. Caravan s’approchad’eux, en quête de commisération. Comme aucun ne paraissait levoir, il se décida à parler : « Depuis tantôt, leur dit-il, ilm’est arrivé un grand malheur. »

Ils levèrent un peu la tête tous les trois en même temps, maisen gardant l’œil fixé sur le jeu qu’ils tenaient en main. « Tiens,quoi donc ? » « Ma mère vient de mourir. » Un d’eux murmura :« Ah ! diable » avec cet air faussement navré que prennent lesindifférents. Un autre, ne trouvant rien à dire, fit entendre, enhochant le front, une sorte de sifflement triste. Le troisième seremit au jeu comme s’il eût pensé : « Ce n’est que ça ! »

Caravan attendait un de ces mots qu’on dit « venus du cœur ». Sevoyant ainsi reçu, il s’éloigna, indigné de leur placidité devantla douleur d’un ami, bien que cette douleur, en ce moment même, fûttellement engourdie qu’il ne la sentait plus guère.

Et il sortit.

Sa femme l’attendait en chemise de nuit, assise sur une chaisebasse auprès de la fenêtre ouverte, et pensant toujours àl’héritage.

– Déshabille-toi, dit-elle : nous allons causer quand nousserons au lit.

Il leva la tête et, montrant le plafond de l’œil :

– Mais… là-haut… il n’y a personne.

– Pardon, Rosalie est auprès d’elle, tu iras la remplacer àtrois heures du matin, quand tu auras fait un somme.

Il resta néanmoins en caleçon afin d’être prêt à tout événement,noua un foulard autour de son crâne, puis rejoignit sa femme quivenait de se glisser dans les draps.

Ils demeurèrent quelque temps assis côte à côte. Ellesongeait.

Sa coiffure, même à cette heure, était agrémentée d’un nœud roseet penchée un peu sur une oreille, comme par suite d’une invinciblehabitude de tous les bonnets qu’elle portait.

Soudain, tournant la tête vers lui : « Sais-tu si ta mère a faitun testament ? » dit-elle. Il hésita : « Je… je… ne crois pas…Non, sans doute, elle n’en a pas fait. » Mme Caravan regarda sonmari dans les yeux et, d’une voix basse et rageuse : « C’est uneindignité, vois-tu ; car enfin voilà dix ans que nous nousdécarcassons à la soigner, que nous la logeons, que nous lanourrissons ! Ce n’est pas ta sœur qui en aurait fait autantpour elle, ni moi non plus si j’avais su comment j’en seraisrécompensée ! Oui, c’est une honte pour sa mémoire ! Tume diras qu’elle payait pension : c’est vrai ; mais les soinsde ses enfants, ce n’est pas avec de l’argent qu’on les paye : onles reconnaît par testament après la mort. Voilà comment seconduisent les gens honorables. Alors, moi, j’en ai été pour mapeine et pour mes tracas ! Ah ! c’est du propre !c’est du propre ! »

Caravan, éperdu, répétait : « Ma chérie, ma chérie, je t’enprie, je t’en supplie. »

À la longue elle se calma et, revenant au ton de chaque jour,elle reprit : « Demain matin, il faudra prévenir ta sœur. »

Il eut un sursaut : « C’est vrai, je n’y avais pas pensé ;dès le jour j’enverrai une dépêche. » Mais elle l’arrêta, en femmequi a tout prévu. « Non, envoie-la seulement de dix à onze, afinque nous ayons le temps de nous retourner avant son arrivée. DeCharenton ici elle en a pour deux heures au plus. Nous dirons quetu as perdu la tête. En prévenant dans la matinée, on ne se mettrapas dans la commise ! »

Mais Caravan se frappa le front et, avec l’intonation timidequ’il prenait toujours en parlant de son chef dont la pensée mêmele faisait trembler : « Il faut aussi prévenir au ministère. »dit-il. Elle répondit :

-Pourquoi prévenir ? Dans des occasions comme ça, on esttoujours excusable d’avoir oublié. Ne préviens pas,crois-moi ; ton chef ne pourra rien dire et tu le mettras dansun rude embarras.

– Oh ! ça oui, dit-il, et dans une fameuse colère quand ilne me verra point venir. Oui, tu as raison, c’est une riche idée.Quand je lui annoncerai que ma mère est morte, il sera bien forcéde se taire.

Et l’employé, ravi de la farce, se frottait les mains ensongeant à la tête de son chef, tandis qu’au-dessus de lui le corpsde la vieille gisait à côté de la bonne endormie.

Mme Caravan devenait soucieuse, comme obsédée par unepréoccupation difficile à dire. Enfin elle se décida : « Ta mèret’avait bien donné sa pendule, n’est-ce pas, la jeune fille aubilboquet ? » Il chercha dans sa mémoire et répondit : « Oui,oui ; elle m’a dit (mais il y a longtemps de cela, c’est quandelle est venue ici), elle m’a dit : Ce sera pour toi la pendule, situ prends bien soin de moi. »

Mme Caravan, tranquillisée, se rasséréna : « Alors, vois-tu, ilfaut aller la chercher, parce que si nous laissons venir ta sœur,elle nous empêchera de la prendre. » Il hésitait : « Tucrois ?… » Elle se fâcha : « Certainement que je lecrois ; une fois ici, ni vu ni connu : c’est à nous. C’estcomme pour la commode de sa chambre, celle qui a un marbre : elleme l’a donnée, à moi, un jour qu’elle était de bonne humeur. Nousla descendrons en même temps. »

Caravan semblait incrédule. « Mais, ma chère, c’est une granderesponsabilité ! » Elle se tourna vers lui, furieuse : «Ah ! vraiment ! Tu ne changeras donc jamais ? Tulaisserais tes enfants mourir de faim, toi, plutôt que de faire unmouvement. Du moment qu’elle me l’a donnée, cette commode, c’est ànous, n’est-ce pas ? Et si ta sœur n’est pas contente, elle mele dira, à moi ! Je m’en moque bien de ta sœur. Allons,lève-toi, que nous apportions tout de suite ce que ta mère nous adonné. »

Tremblant et vaincu, il sortit du lit, et comme il passait saculotte, elle l’en empêcha : « Ce n’est pas la peine de t’habiller,va, garde ton caleçon, ça suffit ; j’irai bien comme ça, moi.»

Et tous deux, en toilette de nuit, partirent, montèrentl’escalier sans bruit, ouvrirent la porte avec précaution etentrèrent dans la chambre où les quatre bougies allumées autour del’assiette au buis bénit semblaient seules garder la vieille en sonrepos rigide ; car Rosalie, étendue dans son fauteuil, lesjambes allongées, les mains croisées sur sa jupe, la tête tombée decôté, immobile aussi et la bouche ouverte, dormait en ronflant unpeu.

Caravan prit la pendule. C’était un de ces objets grotesquescomme en produisit beaucoup l’art impérial. Une jeune fille enbronze doré, la tête ornée de fleurs diverses, tenait à la main unbilboquet dont la boule servait de balancier. « Donne-moi ça, luidit sa femme, et prends le marbre de la commode. »

Il obéit en soufflant et il percha le marbre sur son épaule avecun effort considérable.

Alors le couple partit. Caravan se baissa sous la porte, se mità descendre en tremblant l’escalier, tandis que sa femme, marchantà reculons, l’éclairait d’une main, ayant la pendule sous l’autrebras.

Lorsqu’ils furent chez eux, elle poussa un grand soupir. « Leplus gros est fait, dit-elle ; allons chercher le reste. »

Mais les tiroirs du meuble étaient tout pleins des hardes de lavieille. Il fallait bien cacher cela quelque part.

Mme Caravan eut une idée : « Va donc prendre le coffre à bois ensapin qui est dans le vestibule ; il ne vaut pas quarantesous, on peut bien le mettre ici. » Et quand le coffre fut arrivé,on commença le transport.

Ils enlevaient, l’un après l’autre, les manchettes, lescollerettes, les chemises, les bonnets, toutes les pauvres nippesde la bonne femme étendue là, derrière eux, et les disposaientméthodiquement dans le coffre à bois de façon à tromper Mme Braux,l’autre enfant de la défunte, qui viendrait le lendemain.

Quand ce fut fini, on descendit d’abord les tiroirs, puis lecorps du meuble en le tenant chacun par un bout ; et tous deuxcherchèrent pendant longtemps à quel endroit il ferait le mieux. Onse décida pour la chambre, en face du lit, entre les deuxfenêtres.

Une fois la commode en place, Mme Caravan l’emplit de son proprelinge. La pendule occupa la cheminée de la salle ; et lecouple considéra l’effet obtenu. Ils en furent aussitôt enchantés :« Ça fait très bien, » dit-elle. Il répondit : « Oui, très bien. »Alors ils se couchèrent. Elle souffla la bougie ; et tout lemonde bientôt dormit aux deux étages de la maison.

Il était déjà grand jour lorsque Caravan rouvrit les yeux. Ilavait l’esprit confus à son réveil, et il ne se rappela l’événementqu’au bout de quelques minutes. Ce souvenir lui donna un grand coupdans la poitrine ; et il sauta du lit, très ému de nouveau,prêt à pleurer.

Il monta bien vite à la chambre au-dessus, où Rosalie dormaitencore, dans la même posture que la veille, n’ayant fait qu’unsomme de toute la nuit. Il la renvoya à son ouvrage, remplaça lesbougies consumées, puis il considéra sa mère en roulant dans soncerveau ces apparences de pensées profondes, ces banalitésreligieuses et philosophiques qui hantent les intelligencesmoyennes en face de la mort.

Mais comme sa femme l’appelait, il descendit. Elle avait dresséune liste des choses à faire dans la matinée, et elle lui remitcette nomenclature dont il fut épouvanté.

Il lut :

1° Faire la déclaration à la mairie ;

2° Demander le médecin des morts ;

3° Commander le cercueil ;

4° Passer à l’église ;

5° Aux pompes funèbres ;

6° A l’imprimerie pour les lettres ;

7° Chez le notaire ;

8° Au télégraphe pour avertir la famille.

Plus une multitude de petites commissions. Alors il prit sonchapeau et s’éloigna.

Or, la nouvelle s’étant répandue, les voisines commençaient àarriver et demandaient à voir la morte.

Chez le coiffeur, au rez-de-chaussée, une scène avait même eulieu à ce sujet entre la femme et le mari pendant qu’il rasait unclient.

La femme, tout en tricotant un bas, murmura : « Encore une demoins, et une avare, celle-là, comme il n’y en avait pas beaucoup.Je ne l’aimais guère, c’est vrai ; il faudra tout de même quej’aille la voir. »

Le mari grogna, tout en savonnant le menton de son patient : «En voilà, des fantaisies ! Il n’y a que les femmes pour ça. Cen’est pas assez de vous embêter pendant la vie, elles ne peuventseulement pas vous laisser tranquilles après la mort. » Mais sonépouse, sans se déconcerter, reprit : « C’est plus fort quemoi ; faut que j’y aille. Ça me tient depuis ce matin. Si jene la voyais pas, il me semble que j’y penserais toute ma vie. Maisquand je l’aurai bien regardée pour prendre sa figure, je seraisatisfaite après. »

L’homme au rasoir haussa les épaules et confia au monsieur dontil grattait la joue : « Je vous demande un peu quelles idées çavous a, ces sacrées femelles ! Ce n’est pas moi quim’amuserais à voir un mort ! » Mais sa femme l’avait entendu,et elle répondit sans se troubler : « C’est comme ça, c’est commeça. » Puis, posant son tricot sur le comptoir, elle monta aupremier étage.

Deux voisines étaient déjà venues et causaient de l’accidentavec Mme Caravan, qui racontait les détails.

On se dirigea vers la chambre mortuaire. Les quatre femmesentrèrent à pas de loup, aspergèrent le drap l’une après l’autreavec l’eau salée, s’agenouillèrent, firent le signe de la croix enmarmottant une prière, puis, s’étant relevées, les yeux agrandis,la bouche entrouverte, considérèrent longuement le cadavre, pendantque la belle-fille de la morte, un mouchoir sur la figure, simulaitun hoquet désespéré.

Quand elle se retourna pour sortir, elle aperçut, debout près dela porte, Marie-Louise et Philippe-Auguste, tous deux en chemise,qui regardaient curieusement. Alors, oubliant son chagrin decommande, elle se précipita sur eux, la main levée, en criant d’unevoix rageuse : « Voulez-vous bien filer, bougres depolissons ! »

Étant remontée dix minutes plus tard avec une fournée d’autresvoisines, après avoir de nouveau secoué le buis sur sa belle-mère,prié, larmoyé, accompli tous ses devoirs, elle retrouva ses deuxenfants revenus ensemble derrière elle. Elle les talocha encore parconscience ; mais, la fois suivante, elle n’y prit plusgarde ; et, à chaque retour de visiteurs, les deux miochessuivaient toujours, s’agenouillant aussi dans un coin et répétantinvariablement tout ce qu’ils voyaient faire à leur mère.

Au commencement de l’après-midi, la foule des curieuses diminua.Bientôt il ne vint plus personne. Mme Caravan, rentrée chez elle,s’occupait à tout préparer pour la cérémonie funèbre ; et lamorte resta solitaire.

La fenêtre de la chambre était ouverte. Une chaleur torrideentrait avec des bouffées de poussière, les flammes des quatrebougies s’agitaient auprès du corps immobile ; et sur le drap,sur la face aux yeux fermés, sur les deux mains allongées, despetites mouches grimpaient, allaient, venaient, se promenaient sanscesse, visitaient la vieille, attendant leur heure prochaine.

Mais Marie-Louise et Philippe-Auguste étaient repartisvagabonder dans l’avenue. Ils furent bientôt entourés de camarades,de petites filles surtout, plus éveillées, flairant plus vite tousles mystères de la vie. Et elles interrogeaient comme les grandespersonnes.

– Ta grand’maman est morte ?

– Oui, hier au soir.

-Comment c’est, un mort ?

Et Marie-Louise expliquait, racontait les bougies, le buis, lafigure. Alors une grande curiosité s’éveilla chez tous lesenfants ; et ils demandèrent aussi à monter chez latrépassée.

Aussitôt, Marie-Louise organisa un premier voyage, cinq filleset deux garçons : les plus grands, les plus hardis. Elle les forçaà retirer leurs souliers pour ne point être découverts ; latroupe se faufila dans la maison et monta lestement comme une arméede souris.

Une fois dans la chambre, la fillette, imitant sa mère, régla lecérémonial. Elle guida solennellement ses camarades, s’agenouilla,fit le signe de la croix, remua les lèvres, se releva, aspergea lelit, et pendant que les enfants, en un tas serré, s’approchaient,effrayés, curieux et ravis pour contempler le visage et les mains,elle se mit soudain à simuler des sanglots en se cachant les yeuxdans son petit mouchoir. Puis, consolés brusquement en songeant àceux qui attendaient devant la porte, elle entraîna, en courant,tout son monde pour ramener bientôt un autre groupe, puis untroisième ; car tous les galopins du pays, jusqu’aux petitsmendiants en loques, accouraient à ce plaisir nouveau ; etelle recommençait chaque fois les simagrées maternelles avec uneperfection absolue.

À la longue, elle se fatigua. Un autre jeu entraîna les enfantsau loin ; et la vieille grand’mère demeura seule, oubliée toutà fait, par tout le monde.

L’ombre emplit la chambre, et sur sa figure sèche et ridée laflamme remuante des lumières faisait danser des clartés.

Vers huit heures Caravan monta, ferma la fenêtre et renouvelales bougies. Il entrait maintenant d’une façon tranquille,accoutumé déjà à considérer le cadavre comme s’il était là depuisdes mois. Il constata même qu’aucune décomposition n’apparaissaitencore, et il en fit la remarque à sa femme au moment où ils semettaient à table pour dîner. Elle répondit : « Tiens, elle est enbois ; elle se conserverait un an. »

On mangea le potage sans prononcer une parole. Les enfants,laissés libres tout le jour, exténués de fatigue, sommeillaient surleurs chaises et tout le monde restait silencieux.

Soudain la clarté de la lampe baissa.

Mme Caravan, aussitôt, remonta la clef ; mais l’appareilrendit un son creux, un bruit de gorge prolongé, et la lumières’éteignit. On avait oublié d’acheter de l’huile ! Aller chezl’épicier retarderait le dîner, on chercha des bougies ; maisil n’y en avait plus d’autres que celles allumées en haut sur latable de nuit.

Mme Caravan, prompte en ses décisions, envoya bien viteMarie-Louise en prendre deux, et l’on attendit dansl’obscurité.

On entendait distinctement les pas de la fillette qui montaitl’escalier. Il y eut ensuite un silence de quelques secondes ;puis l’enfant redescendit précipitamment. Elle ouvrit la porte,effarée, plus émue encore que la veille en annonçant lacatastrophe, et elle murmura, suffoquant : « Oh ! papa,grand’maman s’habille. »

Caravan se dressa avec un tel sursaut que sa chaise alla roulercontre le mur. Il balbutia : « Tu dis ?… Qu’est-ce que tu dislà ?… »

Mais Marie-Louise, étranglée par l’émotion, répéta : « Grand’…grand’… grand’maman s’habille… elle va descendre. »

Il s’élança dans l’escalier follement, suivi de sa femmeabasourdie ; mais devant la porte du second il s’arrêta,secoué par l’épouvante, n’osant pas entrer. Qu’allait-ilvoir ? Mme Caravan, plus hardie, tourna la serrure et pénétradans la chambre.

La pièce semblait devenue plus sombre ; et, au milieu, unegrande forme maigre remuait. Elle était debout, la vieille ;et en s’éveillant du sommeil léthargique, avant même que laconnaissance lui fût en plein revenue, se tournant de côté et sesoulevant sur un coude, elle avait soufflé trois des bougies quibrûlaient près du lit mortuaire. Puis, reprenant des forces, elles’était levée pour chercher ses hardes. Sa commode partie l’avaittroublée d’abord, mais peu à peu elle avait retrouvé ses affairestout au fond du coffre à bois, et s’était tranquillement habillée.Ayant ensuite vidé l’assiette remplie d’eau, replacé le buisderrière la glace et remis les chaises à leur place, elle étaitprête à descendre, quand apparurent devant elle son fils et sabelle-fille.

Caravan se précipita, lui saisit les mains, l’embrassa, leslarmes aux yeux ; tandis que sa femme, derrière lui, répétaitd’un air hypocrite : « Quel bonheur, oh ! quel bonheur !»

Mais la vieille, sans s’attendrir, sans même avoir l’air decomprendre, roide comme une statue, et l’œil glacé, demandaseulement : « Le dîner est-il bientôt prêt ? » Il balbutia,perdant la tête : « Mais oui, maman, nous t’attendions. » Et, avecun empressement inaccoutumé, il prit son bras, pendant que MmeCaravan la jeune saisissait la bougie, les éclairait, descendantl’escalier devant eux, à reculons et marche à marche, comme elleavait fait, la nuit même, devant son mari qui portait lemarbre.

En arrivant au premier étage, elle faillit se heurter contre desgens qui montaient. C’était la famille de Charenton, Mme Brauxsuivie de son époux.

La femme, grande, grosse, avec un ventre d’hydropique quirejetait le torse en arrière, ouvrait des yeux effarés, prête àfuir. Le mari, un cordonnier socialiste, petit homme poilu jusqu’aunez, tout pareil à un singe, murmura sans s’émouvoir : « Eh bien,quoi ? Elle ressuscite ! »

Aussitôt que Mme Caravan les eut reconnus, elle leur fit dessignes désespérés ; puis, tout haut : « Tiens !comment !… vous voilà ! Quelle bonne surprise !»

Mais Mme Braux, abasourdie, ne comprenait pas ; ellerépondit à demi-voix : « C’est votre dépêche qui nous a fait venir,nous croyions que c’était fini. »

Son mari, derrière elle, la pinçait pour la faire taire. Ilajouta avec un rire malin caché dans sa barbe épaisse : « C’estbien aimable à vous de nous avoir invités. Nous sommes venus toutde suite.», faisant allusion ainsi à l’hostilité qui régnait depuislongtemps entre les deux ménages. Puis, comme la vieille arrivaitaux dernières marches, il s’avança vivement et frotta contre sesjoues le poil qui lui couvrait la face, en criant dans son oreille,à cause de sa surdité : Ça va bien, la mère, toujours solide,hein ? »

Mme Braux, dans sa stupeur de voir bien vivante celle qu’elles’attendait à retrouver morte, n’osait pas même l’embrasser ;et son ventre énorme encombrait tout le palier, empêchant lesautres d’avancer.

La vieille, inquiète et soupçonneuse, mais sans parler jamais,regardait tout ce monde autour d’elle ; et son petit œil gris,scrutateur et dur, se fixait tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre,plein de pensées visibles qui gênaient ses enfants.

Caravan dit, pour expliquer : « Elle a été un peu souffrante,mais elle va bien maintenant, tout à fait bien, n’est-ce pas,mère ? »

Alors, la bonne femme, se remettant en marche, répondit de savoix cassée, comme lointaine : « C’est une syncope ; je vousentendais tout le temps. »

Un silence embarrassé suivit. On pénétra dans la salle ;puis on s’assit devant un dîner improvisé en quelques minutes.

Seul, M. Braux avait gardé son aplomb. Sa figure de gorilleméchant grimaçait ; et il lâchait des mots à double sens quigênaient visiblement tout le monde.

Mais à chaque instant le timbre du vestibule sonnait ; etRosalie, éperdue, venait chercher Caravan qui s’élançait en jetantsa serviette. Son beau-frère lui demanda même si c’était son jourde réception. Il balbutia : « Non, des commissions, rien du tout.»

Puis, comme on apportait un paquet, il l’ouvrit étourdiment, etdes lettres de faire part, encadrées de noir, apparurent. Alors,rougissant jusqu’aux yeux, il referma l’enveloppe et l’engloutitdans son gilet.

Sa mère ne l’avait pas vu ; elle regardait obstinément sapendule dont le bilboquet doré se balançait sur la cheminée. Etl’embarras grandissait au milieu d’un silence glacial.

Alors la vieille, tournant vers sa fille sa face ridée desorcière, eut dans les yeux un frisson de malice et prononça : «Lundi, tu m’amèneras ta petite, je veux la voir. » Mme Braux, lafigure illuminée, cria : « Oui, maman.», tandis que Mme Caravan lajeune, devenue pâle, défaillait d’angoisse.

Cependant, les deux hommes, peu à peu, se mirent à causer ;et ils entamèrent, à propos de rien, une discussion politique.Braux, soutenant les doctrines révolutionnaires et communistes, sedémenait, les yeux allumés dans son visage poilu, criant : « Lapropriété, monsieur, c’est un vol au travailleur ; la terreappartient à tout le monde ; l’héritage est une infamie et unehonte !… » Mais il s’arrêta brusquement, confus comme un hommequi vient de dire une sottise ; puis, d’un ton plus doux, ilajouta : « Mais ce n’est pas le moment de discuter ces choses-là.»

La porte s’ouvrit ; le docteur Chenet parut. Il eut uneseconde d’effarement, puis il reprit contenance, et s’approchant dela vieille femme : « Ah ! ah ! la maman ! ça va bienaujourd’hui. Oh ! je m’en doutais, voyez-vous ; et je medisais à moi-même tout à l’heure, en montant l’escalier : Je pariequ’elle sera debout, l’ancienne. » Et lui tapant doucement dans ledos : « Elle est solide comme le Pont-Neuf ; elle nousenterrera tous, vous verrez. »

Il s’assit, acceptant le café qu’on lui offrait, et se mêlabientôt à la conversation des deux hommes, approuvant Braux, car ilavait été lui-même compromis dans la Commune.

Or la vieille, se sentant fatiguée, voulut partir, Caravan seprécipita. Alors elle le fixa dans les yeux et lui dit : « Toi, tuvas me remonter tout de suite ma commode et ma pendule. » Puis,comme il bégayait : « Oui, maman.», elle prit le bras de sa filleet disparut avec elle.

Les deux Caravan demeurèrent effarés, muets, effondrés dans unaffreux désastre, tandis que Braux se frottait les mains ensirotant son café.

Soudain, Mme Caravan, affolée de colère, s’élança sur lui,hurlant : « Vous êtes un voleur, un gredin, une canaille… Je vouscrache à la figure, je vous… je vous… » Elle ne trouvait rien,suffoquant ; mais lui, riait, buvant toujours.

Puis, comme sa femme revenait justement, elle s’élança vers sabelle-sœur ; et toutes deux, l’une énorme avec son ventremenaçant, l’autre épileptique et maigre, la voix changée, la maintremblante, s’envoyèrent à pleine gueule des hottées d’injures.

Chenet et Braux s’interposèrent, et ce dernier, poussant samoitié par les épaules, la jeta dehors en cirant : « Va donc,bourrique, tu brais trop ! »

Et on les entendit dans la rue qui se chamaillaient ens’éloignant.

M. Chenet prit congé.

Les Caravan restèrent face à face.

Alors l’homme tomba sur une chaise avec une sueur froide auxtempes, et murmura : « Qu’est-ce que je vais dire à mon chef ?»

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