L’Assommoir

Chapitre 3

 

Gervaise ne voulait pas de noce. À quoi bon dépenser del’argent ? Puis, elle restait un peu honteuse ; il luisemblait inutile d’étaler le mariage devant tout le quartier. MaisCoupeau se récriait : on ne pouvait pas se marier comme ça,sans manger un morceau ensemble. Lui, se battait joliment l’œil duquartier ! Oh ! quelque chose de tout simple, un petittour de balade l’après-midi, en attendant d’aller tordre le cou àun lapin, au premier gargot venu. Et pas de musique au dessert,bien sûr, pas de clarinette pour secouer le panier aux crottes desdames. Histoire de trinquer seulement, avant de revenir faire dodochacun chez soi.

Le zingueur, plaisantant, rigolant, décida la jeune femme,lorsqu’il lui eut juré qu’on ne s’amuserait pas. Il aurait l’œilsur les verres, pour empêcher les coups de soleil. Alors, ilorganisa un pique-nique à cent sous par tête, chez Auguste, auMoulin-d’Argent, boulevard de la Chapelle. C’était unpetit marchand de vin dans les prix doux, qui avait un bastringueau fond de son arrière-boutique, sous les trois acacias de sa cour.Au premier, on serait parfaitement bien. Pendant dix jours, ilracola des convives, dans la maison de sa sœur, rue de laGoutte-d’Or : M. Madinier, mademoiselle Remanjou, madameGaudron et son mari. Il finit même par faire accepter à Gervaisedeux camarades, Bibi-la-Grillade et Mes-Bottes ; sans douteMes-Bottes levait le coude, mais il avait un appétit si farce,qu’on l’invitait toujours dans les pique-niques, à cause de la têtedu marchand de soupe en voyant ce sacré trou-là avaler ses douzelivres de pain. La jeune femme, de son côté, promit d’amener sapatronne, madame Fauconnier, et les Boche, de très braves gens.Tout compte fait, on se trouverait quinze à table, c’était assez.Quand on est trop de monde, ça se termine toujours par desdisputes.

Cependant, Coupeau n’avait pas le sou. Sans chercher à crâner,il entendait agir en homme propre. Il emprunta cinquante francs àson patron. Là-dessus, il acheta d’abord l’alliance, une allianced’or de douze francs, que Lorilleux lui procura en fabrique pourneuf francs. Il se commanda ensuite une redingote, un pantalon etun gilet, chez un tailleur de la rue Myrrha, auquel il donnaseulement un acompte de vingt-cinq francs ; ses souliersvernis et son bolivar pouvaient encore marcher. Quand il eut mis decôté les dix francs du pique-nique, son écot et celui de Gervaise,les enfants devant passer par-dessus le marché, il lui resta toutjuste six francs, le prix d’une messe à l’autel des pauvres.Certes, il n’aimait pas les corbeaux, ça lui crevait le cœur deporter ses six francs à ces galfatres-là, qui n’en avaient pasbesoin pour se tenir le gosier frais. Mais un mariage sans messe,on avait beau dire, ce n’était pas un mariage. Il alla lui-même àl’église marchander ; et, pendant une heure, il s’attrapa avecun vieux petit prêtre, en soutane sale, voleur comme une fruitière.Il avait envie de lui ficher des calottes. Puis, par blague, il luidemanda s’il ne trouverait pas, dans sa boutique, une messed’occasion, point trop détériorée, et dont un couple bon enfantferait encore son beurre. Le vieux petit prêtre, tout en grognantque Dieu n’aurait aucun plaisir à bénir son union, finit par luilaisser sa messe à cinq francs. C’était toujours vingt sousd’économie. Il lui restait vingt sous.

Gervaise, elle aussi, tenait à être propre. Dès que le mariagefut décidé, elle s’arrangea, fit des heures en plus, le soir,arriva à mettre trente francs de côté. Elle avait une grosse envied’un petit mantelet de soie, affiché treize francs, rue duFaubourg-Poissonnière. Elle se le paya, puis racheta pour dixfrancs au mari d’une blanchisseuse, morte dans la maison de madameFauconnier, une robe de laine gros bleu, qu’elle refit complètementà sa taille. Avec les sept francs qui restaient, elle eut une pairede gants de coton, une rose pour son bonnet et des souliers pourson aîné Claude. Heureusement les petits avaient des blousespossibles. Elle passa quatre nuits, nettoyant tout, visitantjusqu’aux plus petits trous de ses bas et de sa chemise.

Enfin, le vendredi soir, la veille du grand jour, Gervaise etCoupeau, en rentrant du travail, eurent encore à trimer jusqu’àonze heures. Puis, avant de se coucher chacun chez soi, ilspassèrent une heure ensemble, dans la chambre de la jeune femme,bien contents d’être au bout de cet embarras. Malgré leurrésolution de ne pas se casser les côtes pour le quartier, ilsavaient fini par prendre les choses à cœur et par s’éreinter. Quandils se dirent bonsoir, ils dormaient debout. Mais, tout de même,ils poussaient un gros soupir de soulagement. Maintenant, c’étaitréglé. Coupeau avait pour témoins M. Madinier etBibi-la-Grillade ; Gervaise comptait sur Lorilleux et surBoche. On devait aller tranquillement à la mairie et à l’église,tous les six, sans traîner derrière soi une queue de monde. Lesdeux sœurs du marié avaient même déclaré qu’elles resteraient chezelles, leur présence n’étant pas nécessaire. Seule maman Coupeaus’était mise à pleurer, en disant qu’elle partirait plutôt en avantpour se cacher dans un coin ; et on avait promis de l’emmener.Quant au rendez-vous de toute la société, il était fixé à uneheure, au Moulin-d’Argent. De là, on irait gagner la faim dans laplaine Saint-Denis ; on prendrait le chemin de fer et onretournerait à pattes, le long de la grande route. La parties’annonçait très bien, pas une bosse à tout avaler, mais un brin derigolade, quelque chose de gentil et d’honnête.

Le samedi matin en s’habillant, Coupeau fut pris d’inquiétude,devant sa pièce de vingt sous. Il venait de songer que, parpolitesse, il lui faudrait offrir un verre de vin et une tranche dejambon aux témoins, en attendant le dîner. Puis, il y auraitpeut-être des frais imprévus. Décidément, vingt sous, ça nesuffisait pas. Alors, après s’être chargé de conduire Claude etÉtienne chez madame Boche, qui devait les amener le soir au dîner,il courut rue de la Goutte-d’Or et monta carrément emprunter dixfrancs à Lorilleux. Par exemple, ça lui écorchait le gosier, car ils’attendait à la grimace de son beau-frère. Celui-ci grogna, ricanad’un air de mauvaise bête, et finalement prêta les deux pièces decent sous. Mais Coupeau entendit sa sœur qui disait entre ses dentsque « ça commençait bien ».

Le mariage à la mairie était pour dix heures et demie. Ilfaisait très beau, un soleil du tonnerre, rôtissant les rues. Pourne pas être regardés, les mariés, la maman et les quatre témoins seséparèrent en deux bandes. En avant, Gervaise marchait au bras deLorilleux, tandis que M. Madinier conduisait mamanCoupeau ; puis, à vingt pas, sur l’autre trottoir, venaientCoupeau, Boche et Bibi-la-Grillade. Ces trois-là étaient enredingote noire, le dos rond, les bras ballants ; Boche avaitun pantalon jaune ; Bibi-la-Grillade, boutonné jusqu’au cou,sans gilet, laissait passer seulement un coin de cravate roulé encorde. Seul, M. Madinier portait un habit, un grand habit àqueue carrée ; et les passants s’arrêtaient pour voir cemonsieur promenant la grosse mère Coupeau, en châle vert, en bonnetnoir, avec des rubans rouges. Gervaise, très douce, gaie, dans sarobe d’un bleu dur, les épaules serrées sous son étroit mantelet,écoutait complaisamment les ricanements de Lorilleux, perdu au fondd’un immense paletot sac, malgré la chaleur ; puis, de temps àautre, au coude des rues, elle tournait un peu la tête, jetait unfin sourire à Coupeau, que ses vêtements neufs, luisant au soleil,gênaient.

Tout en marchant très lentement, ils arrivèrent à la mairie unegrande demi-heure trop tôt. Et, comme le maire fut en retard, leurtour vint seulement vers onze heures. Ils attendirent sur deschaises, dans un coin de la salle, regardant le haut plafond et lasévérité des murs, parlant bas, reculant leurs sièges par excès depolitesse, chaque fois qu’un garçon de bureau passait. Pourtant, àdemi-voix, ils traitaient le maire de fainéant ; il devaitêtre pour sûr chez sa blonde, à frictionner sa goutte ;peut-être bien aussi qu’il avait avalé son écharpe. Mais, quand lemagistrat parut, ils se levèrent respectueusement. On les fitrasseoir. Alors, ils assistèrent à trois mariages, perdus danstrois noces bourgeoises, avec des mariés en blanc, des fillettesfrisées, des demoiselles à ceintures roses, des cortègesinterminables de messieurs et de dames sur leur trente-et-un, l’airtrès comme il faut. Puis, quand on les appela, ils faillirent nepas être mariés, Bibi-la-Grillade ayant disparu. Boche le retrouvaen bas, sur la place, fumant une pipe. Aussi, ils étaient encore dejolis cocos dans cette boîte, de se ficher du monde, parce qu’onn’avait pas de gants beurre frais à leur mettre sous le nez !Et les formalités, la lecture du Code, les questions posées, lasignature des pièces, furent expédiées si rondement, qu’ils seregardèrent, se croyant volés d’une bonne moitié de la cérémonie.Gervaise, étourdie, le cœur gonflé, appuyait son mouchoir sur seslèvres. Maman Coupeau pleurait à chaudes larmes. Tous s’étaientappliqués sur le registre, dessinant leurs noms en grosses lettresboiteuses, sauf le marié qui avait tracé une croix, ne sachant pasécrire. Ils donnèrent chacun quatre sous pour les pauvres. Lorsquele garçon remit à Coupeau le certificat de mariage, celui-ci, lecoude poussé par Gervaise, se décida à sortir encore cinq sous.

La trotte était bonne de la mairie à l’église. En chemin, leshommes prirent de la bière, maman Coupeau et Gervaise du cassisavec de l’eau. Et ils eurent à suivre une longue rue, où le soleiltombait d’aplomb, sans un filet d’ombre. Le bedeau les attendait aumilieu de l’église vide ; il les poussa vers une petitechapelle, en leur demandant furieusement si c’était pour se moquerde la religion qu’ils arrivaient en retard. Un prêtre vint àgrandes enjambées, l’air maussade, la face pâle de faim, précédépar un clerc en surplis sale qui trottinait. Il dépêcha sa messe,mangeant les phrases latines, se tournant, se baissant, élargissantles bras, en hâte, avec des regards obliques sur les mariés et surles témoins. Les mariés, devant l’autel, très embarrassés, nesachant pas quand il fallait s’agenouiller, se lever, s’asseoir,attendaient un geste du clerc. Les témoins, pour être convenables,se tenaient debout tout le temps ; tandis que maman Coupeau,reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu’elleavait emprunté à une voisine. Cependant, midi avait sonné, ladernière messe était dite, l’église s’emplissait du piétinement dessacristains, du vacarme, des chaises remises en place. On devaitpréparer le maître-autel pour quelque fête, car on entendait lemarteau des tapissiers clouant des tentures. Et, au fond de lachapelle perdue, dans la poussière d’un coup de balai donné par lebedeau, le prêtre à l’air maussade promenait vivement ses mainssèches sur les têtes inclinées de Gervaise et de Coupeau, semblaitles unir au milieu d’un déménagement, pendant une absence du bonDieu, entre deux messes sérieuses. Quand la noce eut de nouveausigné sur un registre, à la sacristie, et qu’elle se retrouva enplein soleil, sous le porche, elle resta un instant là, ahurie etessoufflée d’avoir été menée au galop.

– Voilà ! dit Coupeau, avec un rire gêné.

Il se dandinait, il ne trouvait rien de rigolo. Pourtant, ilajouta :

– Ah bien ! ça ne traîne pas. Ils vous envoient ça enquatre mouvements… C’est comme chez les dentistes : on n’a pasle temps de crier ouf ! ils marient sans douleur.

– Oui, oui, de la belle ouvrage, murmura Lorilleux enricanant. Ça se bâcle en cinq minutes et ça tient bon toute la vie…Ah ! ce pauvre Cadet-Cassis, va !

Et les quatre témoins donnèrent des tapes sur les épaules duzingueur qui faisait le gros dos. Pendant ce temps, Gervaiseembrassait maman Coupeau, souriante, les yeux humides pourtant.Elle répondait aux paroles entrecoupées de la vieillefemme :

– N’ayez pas peur, je ferai mon possible. Si ça tournaitmal, ça ne serait pas de ma faute. Non, bien sûr, j’ai trop envied’être heureuse… Enfin, c’est fait, n’est-ce pas ? C’est à luiet à moi de nous entendre et d’y mettre du nôtre.

Alors, on alla droit au Moulin-d’Argent. Coupeau avaitpris le bras de sa femme. Ils marchaient vite, riant, commeemportés, à deux cents pas devant les autres, sans voir lesmaisons, ni les passants, ni les voitures. Les bruitsassourdissants du faubourg sonnaient des cloches à leurs oreilles.Quand ils arrivèrent chez le marchand de vin, Coupeau commanda toutde suite deux litres, du pain et des tranches de jambon, dans lepetit cabinet vitré du rez-de-chaussée, sans assiettes ni nappe,simplement pour casser une croûte. Puis, voyant Boche etBibi-la-Grillade montrer un appétit sérieux, il fit venir untroisième litre et un morceau de brie. Maman Coupeau n’avait pasfaim, était trop suffoquée pour manger. Gervaise, qui mourait desoif, buvait de grands verres d’eau à peine rougie.

– Ça me regarde, dit Coupeau, en passant immédiatement aucomptoir, où il paya quatre francs cinq sous.

Cependant, il était une heure, les invités arrivaient. MadameFauconnier, une femme grasse, belle encore, parut lapremière ; elle avait une robe écrue, à fleurs imprimées, avecune cravate rose et un bonnet très chargé de fleurs. Ensuitevinrent ensemble mademoiselle Remanjou, toute fluette dansl’éternelle robe noire qu’elle semblait garder même pour secoucher, et le ménage Gaudron, le mari, d’une lourdeur de brute,faisant craquer sa veste brune au moindre geste, la femme, énorme,étalant son ventre de femme enceinte, dont sa jupe, d’un violetcru, élargissait encore la rondeur. Coupeau expliqua qu’il nefaudrait pas attendre Mes-Bottes ; le camarade devaitretrouver la noce sur la route de Saint-Denis.

– Ah bien ! s’écria madame Lerat en entrant, nousallons avoir une jolie saucée ! Ça va être drôle !

Et elle appela la société sur la porte du marchand de vin, pourvoir les nuages, un orage d’un noir d’encre qui montait rapidementau sud de Paris. Madame Lerat, l’aînée des Coupeau, était unegrande femme, sèche, masculine, parlant du nez, fagotée dans unerobe puce trop large, dont les longs effilés la faisaientressembler à un caniche maigre sortant de l’eau. Elle jouait avecson ombrelle comme avec un bâton. Quand elle eut embrassé Gervaise,elle reprit :

– Vous n’avez pas idée, on reçoit un soufflet dans la rue…On dirait qu’on vous jette du feu à la figure.

Tout le monde déclara alors sentir l’orage depuis longtemps.Quand on était sorti de l’église, M. Madinier avait bien vu cedont il retournait. Lorilleux racontait que ses cors l’avaientempêché de dormir, à partir de trois heures du matin. D’ailleurs,ça ne pouvait pas finir autrement ; voilà trois jours qu’ilfaisait vraiment trop chaud.

– Oh ! ça va peut-être couler, répétait Coupeau,debout à la porte, interrogeant le ciel d’un regard inquiet. Onn’attend plus que ma sœur, on pourrait tout de même partir, si ellearrivait.

Madame Lorilleux, en effet, était en retard. Madame Lerat venaitde passer chez elle, pour la prendre ; mais comme elle l’avaittrouvée en train de mettre son corset, elles s’étaient disputéestoutes les deux. La grande veuve ajouta à l’oreille de sonfrère :

– Je l’ai plantée là. Elle est d’une humeur !… Tuverras quelle tête !

Et la noce dut patienter un quart d’heure encore, piétinant dansla boutique du marchand de vin, coudoyée, bousculée, au milieu deshommes qui entraient boire un canon sur le comptoir. Par moments,Boche, ou madame Fauconnier, ou Bibi-la-Grillade, se détachaient,s’avançaient au bord du trottoir, les yeux en l’air. Ça ne coulaitpas du tout ; le jour baissait, des souffles de vent, rasantle sol, enlevaient de petits tourbillons de poussière blanche. Aupremier coup de tonnerre, mademoiselle Remanjou se signa. Tous lesregards se portaient avec anxiété sur l’œil-de-bœuf, au-dessus dela glace : il était déjà deux heures moins vingt.

– Allez-y ! cria Coupeau. Voilà les Anges quipleurent.

Une rafale de pluie balayait la chaussée, où des femmes fuyaienten tenant leurs jupes à deux mains. Et ce fut sous cette premièreondée que madame Lorilleux arriva enfin, essoufflée, furibonde, sebattant sur le seuil avec son parapluie qui ne voulait pas sefermer.

– A-t-on jamais vu ! bégayait-elle. Ça m’a pris justeà la porte. J’avais envie de remonter et de me déshabiller.J’aurais rudement bien fait… Ah ! elle est jolie, lanoce ! Je le disais, je voulais tout renvoyer à samediprochain. Et il pleut parce qu’on ne m’a pas écoutée ! Tantmieux ! tant mieux ! que le ciel crève !

Coupeau essaya de la calmer. Mais elle l’envoya coucher. Ce neserait pas lui qui payerait sa robe, si elle était perdue. Elleavait une robe de soie noire, dans laquelle elle étouffait ;le corsage, trop étroit, tirait sur les boutonnières, la coupaitaux épaules ; et la jupe, taillée en fourreau, lui serrait sifort les cuisses, qu’elle devait marcher à tout petits pas.Pourtant, les dames de la société la regardaient, les lèvrespincées, l’air ému de sa toilette. Elle ne parut même pas voirGervaise, assise à côté de maman Coupeau. Elle appela Lorilleux,lui demanda son mouchoir ; puis, dans un coin de la boutique,soigneusement, elle essuya une à une les gouttes de pluie rouléessur la soie.

Cependant, l’ondée avait brusquement cessé. Le jour baissaitencore, il faisait presque nuit, une nuit livide traversée par delarges éclairs. Bibi-la-Grillade répétait en riant qu’il allaittomber des curés, bien sûr. Alors, l’orage éclata avec une extrêmeviolence. Pendant une demi-heure, l’eau tomba à seaux, la foudregronda sans relâche. Les hommes, debout devant la porte,contemplaient le voile gris de l’averse, les ruisseaux grossis, lapoussière d’eau volante montant du clapotement des flaques. Lesfemmes s’étaient assises, effrayées, les mains aux yeux. On necausait plus, la gorge un peu serrée. Une plaisanterie faite sur letonnerre par Boche, disant que saint Pierre éternuait là-haut, nefit sourire personne. Mais, quand la foudre espaça ses coups, seperdit au loin, la société recommença à s’impatienter, se fâchacontre l’orage, jurant et montrant le poing aux nuées. Maintenant,du ciel couleur de cendre, une pluie fine tombait,interminable.

– Il est deux heures passées, cria madame Lorilleux. Nousne pouvons pourtant pas coucher ici !

Mademoiselle Remanjou ayant parlé d’aller à la campagne tout demême, quand on devrait s’arrêter dans le fossé des fortifications,la noce se récria : les chemins devaient être jolis, on nepourrait seulement pas s’asseoir sur l’herbe ; puis, ça neparaissait pas fini, il reviendrait peut-être une saucée. Coupeau,qui suivait des yeux un ouvrier trempé marchant tranquillement sousla pluie, murmura :

– Si cet animal de Mes-Bottes nous attend sur la route deSaint-Denis, il n’attrapera pas un coup de soleil.

Cela fit rire. Mais la mauvaise humeur grandissait. Ça devenaitcrevant à la fin. Il fallait décider quelque chose. On ne comptaitpas sans doute se regarder comme ça le blanc des yeux jusqu’audîner. Alors, pendant un quart d’heure, en face de l’averseentêtée, on se creusa le cerveau. Bibi-la-Grillade proposait dejouer aux cartes ; Boche, de tempérament polisson et sournois,savait un petit jeu bien drôle, le jeu du confesseur ; madameGaudron parlait d’aller manger de la tarte aux oignons, chausséeClignancourt ; madame Lerat aurait souhaité qu’on racontât deshistoires ; Gaudron ne s’embêtait pas, se trouvait bien là,offrait seulement de se mettre à table tout de suite. Et, à chaqueproposition, on discutait, on se fâchait : c’était bête, çaendormirait tout le monde, on les prendrait pour des moutards.Puis, comme Lorilleux, voulant dire son mot, trouvait quelque chosede bien simple, une promenade sur les boulevards extérieursjusqu’au Père-Lachaise, où l’on pourrait entrer voir le tombeaud’Héloïse et d’Abélard, si l’on avait le temps, madame Lorilleux,ne se contenant plus, éclata. Elle fichait le camp, elle !Voilà ce qu’elle faisait ! Est-ce qu’on se moquait dumonde ? Elle s’habillait, elle recevait la pluie, et c’étaitpour s’enfermer chez un marchand de vin ! Non, non, elle enavait assez d’une noce comme ça, elle préférait son chez elle.Coupeau et Lorilleux durent barrer la porte. Ellerépétait :

– Ôtez-vous de là ! Je vous dis que je m’envais !

Son mari ayant réussi à la calmer, Coupeau s’approcha deGervaise, toujours tranquille dans son coin, causant avec sabelle-mère et madame Fauconnier.

– Mais vous ne proposez rien, vous ! dit-il, sans oserencore la tutoyer.

– Oh ! tout ce qu’on voudra, répondit-elle en riant.Je ne suis pas difficile. Sortons, ne sortons pas, ça m’est égal.Je me sens très bien, je n’en demande pas plus.

Et elle avait, en effet, la figure tout éclairée d’une joiepaisible. Depuis que les invités se trouvaient là, elle parlait àchacun d’une voix un peu basse et émue, l’air raisonnable, sans semêler aux disputes. Pendant l’orage, elle était restée les yeuxfixes, regardant les éclairs, comme voyant des choses graves, trèsloin, dans l’avenir, à ces lueurs brusques.

M. Madinier, pourtant, n’avait encore rien proposé. Ilétait appuyé contre le comptoir, les pans de son habit écartés,gardant son importance de patron. Il cracha longuement, roula sesgros yeux.

– Mon Dieu ! dit-il, on pourrait aller au musée…

Et il se caressa le menton, en consultant la société d’unclignement de paupières.

– Il y a des antiquités, des images, des tableaux, un tasde choses. C’est très instructif… Peut-être bien que vous neconnaissez pas ça. Oh ! c’est à voir, au moins une fois.

La noce se regardait, se tâtait. Non Gervaise ne connaissait pasça ; madame Fauconnier non plus, ni Boche, ni les autres,Coupeau croyait bien être monté un dimanche, mais il ne sesouvenait plus bien. On hésitait cependant, lorsque madameLorilleux, sur laquelle l’importance de M. Madinier produisaitune grande impression, trouva l’offre très comme il faut, trèshonnête. Puisqu’on sacrifiait la journée, et qu’on était habillé,autant valait-il visiter quelque chose pour son instruction. Toutle monde approuva. Alors, comme la pluie tombait encore un peu, onemprunta au marchand de vin des parapluies, de vieux parapluies,bleus, verts, marron, oubliés par les clients ; et l’on partitpour le musée.

La noce tourna à droite, descendit dans Paris par le faubourgSaint-Denis. Coupeau et Gervaise marchaient de nouveau en tête,courant, devançant les autres. M. Madinier donnait maintenantle bras à madame Lorilleux, maman Coupeau étant restée chez lemarchand de vin, à cause de ses jambes. Puis venaient Lorilleux etmadame Lerat, Boche et madame Fauconnier, Bibi-la-Grillade etmademoiselle Remanjou, enfin le ménage Gaudron. On était douze. Çafaisait encore une jolie queue sur le trottoir.

– Oh ! nous n’y sommes pour rien, je vous jure,expliquait madame Lorilleux à M. Madinier. Nous ne savons pasoù il l’a prise, ou plutôt nous ne le savons que trop ; maisce n’est pas à nous de parler, n’est-ce pas ?… Mon mari a dûacheter l’alliance. Ce matin, au saut du lit, il a fallu leurprêter dix francs, sans quoi rien ne se faisait plus… Une mariéequi n’amène seulement pas un parent à sa noce ! Elle dit avoirà Paris une sœur charcutière. Pourquoi ne l’a-t-elle pas invitée,alors ?

Elle s’interrompit, pour montrer Gervaise, que la pente dutrottoir faisait fortement boiter.

– Regardez-la ! S’il est permis !… Oh ! labanban !

Et ce mot : la Banban, courut dans la société. Lorilleuxricanait, disait qu’il fallait l’appeler comme ça. Mais madameFauconnier prenait la défense de Gervaise ; on avait tort dese moquer d’elle, elle était propre comme un sou et abattaitfièrement l’ouvrage, quand il le fallait. Madame Lerat, toujourspleine d’allusions polissonnes, appelait la jambe de la petite« une quille d’amour » ; et elle ajoutait quebeaucoup d’hommes aimaient ça, sans vouloir s’expliquerdavantage.

La noce, débouchant de la rue Saint-Denis, traversa leboulevard. Elle attendit un moment, devant le flot desvoitures ; puis, elle se risqua sur la chaussée, changée parl’orage en une mare de boue coulante. L’ondée reprenait, la nocevenait d’ouvrir les parapluies ; et, sous les riflardslamentables, balancés à la main des hommes, les femmes seretroussaient, le défilé s’espaçait dans la crotte, tenant d’untrottoir à l’autre. Alors, deux voyous crièrent à lachienlit ; des promeneurs accoururent ; des boutiquiers,l’air amusé, se haussèrent derrière leurs vitrines. Au milieu dugrouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés duboulevard, les couples en procession mettaient des tachesviolentes, la robe gros bleu de Gervaise, la robe écrue à fleursimprimées de madame Fauconnier, le pantalon jaune canari deBoche ; une raideur de gens endimanchés donnait des drôleriesde carnaval à la redingote luisante de Coupeau et à l’habit carréde M. Madinier ; tandis que la belle toilette de madameLorilleux, les effilés de madame Lerat, les jupes fripées demademoiselle Remanjou, mêlaient les modes, traînaient à la file lesdécrochez-moi-ça du luxe des pauvres. Mais c’étaient surtout leschapeaux des messieurs qui égayaient, de vieux chapeaux conservés,ternis par l’obscurité de l’armoire, avec des formes pleines decomique, hautes, évasées, en pointe, des ailes extraordinaires,retroussées, plates, trop larges ou trop étroites. Et les souriresaugmentaient encore, quand, tout au bout, pour clore le spectacle,madame Gaudron, la cardeuse, s’avançait dans sa robe d’un violetcru, avec son ventre de femme enceinte, qu’elle portait énorme,très en avant. La noce, cependant, ne hâtait point sa marche, bonneenfant, heureuse d’être regardée, s’amusant des plaisanteries.

– Tiens ! la mariée ! cria l’un des voyous, enmontrant madame Gaudron. Ah ! malheur ! elle a avalé unrude pépin !

Toute la société éclata de rire. Bibi-la-Grillade, se tournant,dit que le gosse avait bien envoyé ça. La cardeuse riait le plusfort, s’étalait ; ça n’était pas déshonorant, aucontraire ; il y avait plus d’une dame qui louchait en passantet qui aurait voulu être comme elle.

On s’était engagé dans la rue de Cléry. Ensuite, on prit la ruedu Mail. Sur la place des Victoires, il y eut un arrêt. La mariéeavait le cordon de son soulier gauche dénoué ; et, comme ellele rattachait, au pied de la statue de Louis XIV, les couplesse serrèrent derrière elle, attendant, plaisantant sur le bout demollet qu’elle montrait. Enfin, après avoir descendu la rueCroix-des-Petits-Champs, on arriva au Louvre.

M. Madinier, poliment, demanda à prendre la tête ducortège. C’était très grand, on pouvait se perdre ; et lui,d’ailleurs, connaissait les beaux endroits, parce qu’il étaitsouvent venu avec un artiste, un garçon bien intelligent, auquelune grande maison de cartonnage achetait des dessins, pour lesmettre sur des boîtes. En bas, quand la noce se fut engagée dans lemusée assyrien, elle eut un petit frisson. Fichtre ! il nefaisait pas chaud ; la salle aurait fait une fameuse cave. Et,lentement, les couples avançaient, le menton levé, les paupièresbattantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noirmuets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitiéchattes et moitié femmes, avec des figures de mortes, le nezaminci, les lèvres gonflées. Ils trouvaient tout ça très vilain. Ontravaillait joliment mieux la pierre au jour d’aujourd’hui. Uneinscription en caractères phéniciens les stupéfia. Ce n’était paspossible, personne n’avait jamais lu ce grimoire. MaisM. Madinier, déjà sur le premier palier avec madame Lorilleux,les appelait, criant sous les voûtes :

– Venez donc. Ce n’est rien, ces machines… C’est au premierqu’il faut voir.

La nudité sévère de l’escalier les rendit graves. Un huissiersuperbe, en gilet rouge, la livrée galonnée d’or, qui semblait lesattendre sur le palier, redoubla leur émotion. Ce fut avec un grandrespect, marchant le plus doucement possible, qu’ils entrèrent dansla galerie française.

Alors, sans s’arrêter, les yeux emplis de l’or des cadres, ilssuivirent l’enfilade des petits salons, regardant passer lesimages, trop nombreuses pour être bien vues. Il aurait fallu uneheure devant chacune, si l’on avait voulu comprendre. Que detableaux, sacredié ! ça ne finissait pas. Il devait y en avoirpour de l’argent. Puis, au bout, M. Madinier les arrêtabrusquement devant le Radeau de la Méduse ; et illeur expliqua le sujet. Tous, saisis, immobiles, ne disaient rien.Quand on se remit à marcher, Boche résuma le sentimentgénéral : c’était tapé.

Dans la galerie d’Apollon, le parquet surtout émerveilla lasociété, un parquet luisant, clair comme un miroir, où les piedsdes banquettes se reflétaient. Mademoiselle Remanjou fermait lesyeux, parce qu’elle croyait marcher sur de l’eau. On criait àmadame Gaudron de poser ses souliers à plat, à cause de saposition. M. Madinier voulait leur montrer les dorures et lespeintures du plafond ; mais ça leur cassait le cou, et ils nedistinguaient rien. Alors, avant d’entrer dans le salon carré, ilindiqua une fenêtre du geste, en disant :

– Voilà le balcon d’où Charles IX a tiré sur lepeuple.

Cependant, il surveillait la queue du cortège. D’un geste, ilcommanda une halte, au milieu du salon carré. Il n’y avait là quedes chefs-d’œuvre, murmurait-il à demi-voix, comme dans une église.On fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces deCana ; c’était bête de ne pas écrire les sujets sur lescadres. Coupeau s’arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouvaune ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi-la-Grilladericanaient, en se montrant du coin de l’œil les femmes nues ;les cuisses de l’Antiope surtout leur causèrent un saisissement.Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l’homme la bouche ouverte, lafemme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris etstupides, en face de la Vierge de Murillo.

Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu’onrecommençât ; ça en valait la peine. Il s’occupait beaucoup demadame Lorilleux, à cause de sa robe de soie ; et, chaque foisqu’elle l’interrogeait, il répondait gravement, avec un grandaplomb. Comme elle s’intéressait à la maîtresse du Titien, dontelle trouvait la chevelure jaune pareille à la sienne, il la luidonna pour la Belle Ferronnière, une maîtresse d’Henri IV, surlaquelle on avait joué un drame, à l’Ambigu.

Puis, la noce se lança dans la longue galerie où sont les écolesitaliennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours destableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figuresqu’on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtesdevenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violenttapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête.M. Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortège, quile suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en l’air. Dessiècles d’art passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheressefine des primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse etbelle de lumière des Hollandais. Mais ce qui les intéressait leplus, c’étaient encore les copistes, avec leurs chevalets installésparmi le monde, peignant sans gêne ; une vieille dame, montéesur une grande échelle, promenant un pinceau à badigeon dans leciel tendre d’une immense toile, les frappa d’une façonparticulière. Peu à peu, pourtant, le bruit avait dû se répandrequ’une noce visitait le Louvre ; des peintres accouraient, labouche fendue d’un rire ; des curieux s’asseyaient à l’avancesur des banquettes, pour assister commodément au défilé ;tandis que les gardiens, les lèvres pincées, retenaient des motsd’esprit. Et la noce, déjà lasse, perdant de son respect, traînaitses souliers à clous, tapait ses talons sur les parquets sonores,avec le piétinement d’un troupeau débandé, lâché au milieu de lapropreté nue et recueillie des salles.

M. Madinier se taisait pour ménager un effet. Il alla droità la Kermesse de Rubens. Là, il ne dit toujours rien, ilse contenta d’indiquer la toile, d’un coup d’œil égrillard. Lesdames, quand elles eurent le nez sur la peinture, poussèrent depetits cris ; puis, elles se détournèrent, très rouges. Leshommes les retinrent, rigolant, cherchant les détailsorduriers.

– Voyez donc ! répétait Boche, ça vaut l’argent. Envoilà un qui dégobille. Et celui-là, il arrose les pissenlits. Etcelui-là, oh ! celui-là… Ah bien ! ils sont propres,ici !

– Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succès.Il n’y a plus rien à voir de ce côté.

La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau le salon carréet la galerie d’Apollon. Madame Lerat et mademoiselle Remanjou seplaignaient, déclarant que les jambes leur rentraient dans lecorps. Mais le cartonnier voulait montrer à Lorilleux les bijouxanciens. Ça se trouvait à côté, au fond d’une petite pièce, où ilserait allé les yeux fermés. Pourtant, il se trompa, égara la nocele long de sept ou huit salles, désertes, froides, garniesseulement de vitrines sévères où s’alignaient une quantitéinnombrable de pots cassés et de bonshommes très laids. La nocefrissonnait, s’ennuyait ferme. Puis, comme elle cherchait uneporte, elle tomba dans les dessins. Ce fut une nouvelle courseimmense ; les dessins n’en finissaient pas, les salonssuccédaient aux salons, sans rien de drôle, avec des feuilles depapier gribouillées, sous des vitres, contre les murs.M. Madinier, perdant la tête, ne voulant point avouer qu’ilétait perdu, enfila un escalier, fit monter un étage à la noce.Cette fois, elle voyageait au milieu du musée de la marine, parmides modèles d’instruments et de canons, des plans en relief, desvaisseaux grands comme des joujoux. Un autre escalier se rencontra,très loin, au bout d’un quart d’heure de marche. Et, l’ayantdescendu, elle se retrouva en plein dans les dessins. Alors, ledésespoir la prit, elle roula au hasard des salles, les couplestoujours à la file, suivant M. Madinier qui s’épongeait lefront, hors de lui, furieux contre l’administration, qu’il accusaitd’avoir changé les portes de place. Les gardiens et les visiteursla regardaient passer, pleins d’étonnement. En moins de vingtminutes, on la revit au salon carré, dans la galerie française, lelong des vitrines où dorment les petits dieux de l’Orient. Jamaisplus elle ne sortirait. Les jambes cassées, s’abandonnant, la nocefaisait un vacarme énorme, laissant dans sa course le ventre demadame Gaudron en arrière.

– On ferme ! on ferme ! crièrent les voixpuissantes des gardiens.

Et elle faillit se laisser enfermer. Il fallut qu’un gardien semît à sa tête, la reconduisit jusqu’à une porte. Puis, dans la courdu Louvre, lorsqu’elle eut repris ses parapluies au vestiaire, ellerespira. M. Madinier retrouvait son aplomb ; il avait eutort de ne pas tourner à gauche ; maintenant, il se souvenaitque les bijoux étaient à gauche. Toute la société, d’ailleurs,affectait d’être contente d’avoir vu ça.

Quatre heures sonnaient. On avait encore deux heures à employeravant le dîner. On résolut de faire un tour, pour tuer le temps.Les dames, très lasses, auraient bien voulu s’asseoir ; mais,comme personne n’offrait des consommations, on se remit en marche,on suivit le quai. Là, une nouvelle averse arriva, si drue que,malgré les parapluies, les toilettes des dames s’abîmaient. MadameLorilleux, le cœur noyé à chaque goutte qui mouillait sa robe,proposa de se réfugier sous le Pont-Royal ; d’ailleurs, si onne la suivait pas, elle menaçait d’y descendre toute seule. Et lecortège alla sous le Pont-Royal. On y était joliment bien. Parexemple, on pouvait appeler ça une idée chouette ! Les damesétalèrent leurs mouchoirs sur les pavés, se reposèrent là, lesgenoux écartés, arrachant des deux mains les brins d’herbe poussésentre les pierres, regardant couler l’eau noire, comme si elles setrouvaient à la campagne. Les hommes s’amusèrent à crier très fort,pour éveiller l’écho de l’arche, en face d’eux ; Boche etBibi-la-Grillade, l’un après l’autre, injuriaient le vide, luilançaient à toute volée : « Cochon ! » etriaient beaucoup, quand l’écho leur renvoyait le mot ; puis,la gorge enrouée, ils prirent des cailloux plats et jouèrent àfaire des ricochets. L’averse avait cessé, mais la société setrouvait si bien, qu’elle ne songeait plus à s’en aller. La Seinecharriait des nappes grasses, de vieux bouchons et des épluchuresde légumes, un tas d’ordures qu’un tourbillon retenait un instant,dans l’eau inquiétante, tout assombrie par l’ombre de lavoûte ; tandis que, sur le pont, passait le roulement desomnibus et des fiacres, la cohue de Paris, dont on apercevaitseulement les toits, à droite et à gauche, comme du fond d’un trou.Mademoiselle Remanjou soupirait ; s’il y avait eu desfeuilles, ça lui aurait rappelé, disait-elle, un coin de la Marne,où elle allait, vers 1817, avec un jeune homme qu’elle pleuraitencore.

Cependant, M. Madinier donna le signal du départ. Ontraversa le jardin des Tuileries, au milieu d’un petit peupled’enfants dont les cerceaux et les ballons dérangèrent le bel ordredes couples. Puis, comme la noce, arrivée sur la place Vendôme,regardait la colonne, M. Madinier songea à faire unegalanterie aux dames ; il leur offrit de monter dans lacolonne, pour voir Paris. Son offre parut très farce. Oui, oui, ilfallait monter, on en rirait longtemps. D’ailleurs, ça ne manquaitpas d’intérêt pour les personnes qui n’avaient jamais quitté leplancher aux vaches.

– Si vous croyez que la Banban va se risquer là-dedans,avec sa quille ! murmurait madame Lorilleux.

– Moi, je monterais volontiers, disait madame Lerat, maisje ne veux pas qu’il y ait d’homme derrière moi.

Et la noce monta. Dans l’étroite spirale de l’escalier, lesdouze grimpaient à la file, butant contre les marches usées, setenant aux murs. Puis, quand l’obscurité devint complète, ce futune bosse de rires. Les dames poussaient de petits cris. Lesmessieurs les chatouillaient, leur pinçaient les jambes. Mais ellesétaient bien bêtes de causer ! on a l’air de croire que cesont des souris. D’ailleurs, ça restait sans conséquence ; ilssavaient s’arrêter où il fallait, pour l’honnêteté. Puis, Bochetrouva une plaisanterie que toute la société répéta. On appelaitmadame Gaudron, comme si elle était restée en chemin, et on luidemandait si son ventre passait. Songez donc ! si elle s’étaittrouvée prise là, sans pouvoir monter ni descendre, elle auraitbouché le trou, on n’aurait jamais su comment s’en aller. Et l’onriait de ce ventre de femme enceinte, avec une gaieté formidablequi secouait la colonne. Ensuite, Boche, tout à fait lancé, déclaraqu’on se faisait vieux, dans ce tuyau de cheminée ; ça nefinissait donc pas, on allait donc au ciel ? Et il cherchait àeffrayer les dames, en criant que ça remuait. Cependant, Coupeau nedisait rien ; il venait derrière Gervaise, la tenait à lataille, la sentait s’abandonner. Lorsque, brusquement, on rentradans le jour, il était juste en train de lui embrasser le cou.

– Eh bien ! vous êtes propres, ne vous gênez pas tousles deux ! dit madame Lorilleux d’un air scandalisé.

Bibi-la-Grillade paraissait furieux. Il répétait entre sesdents :

– Vous en avez fait un bruit ! Je n’ai pas seulementpu compter les marches.

Mais M. Madinier, sur la plate-forme, montrait déjà lesmonuments. Jamais madame Fauconnier ni mademoiselle Remanjou nevoulurent sortir de l’escalier ; la pensée seule du pavé, enbas, leur tournait les sangs ; et elles se contentaient derisquer des coups d’œil par la petite porte. Madame Lerat, pluscrâne, faisait le tour de l’étroite terrasse, en se collant contrele bronze du dôme. Mais c’était tout de même rudement émotionnant,quand on songeait qu’il aurait suffi de passer une jambe. Quelleculbute, sacré Dieu ! Les hommes, un peu pâles, regardaient laplace. On se serait cru en l’air, séparé de tout. Non, décidément,ça vous faisait froid aux boyaux. M. Madinier, pourtant,recommandait de lever les yeux, de les diriger devant soi, trèsloin ; ça empêchait le vertige. Et il continuait à indiquer dudoigt les Invalides, le Panthéon, Notre-Dame, la tourSaint-Jacques, les buttes Montmartre. Puis, madame Lorilleux eutl’idée de demander si l’on apercevait, sur le boulevard de laChapelle, le marchand de vin où l’on allait manger, auMoulin-d’Argent. Alors, pendant dix minutes, on chercha,on se disputa même ; chacun plaçait le marchand de vin à unendroit. Paris, autour d’eux, étendait son immensité grise, auxlointains bleuâtres, ses vallées profondes, où roulait une houle detoitures ; toute la rive droite était dans l’ombre, sous ungrand haillon de nuage cuivré ; et, du bord de ce nuage,frangé d’or, un large rayon coulait, qui allumait les milliers devitres de la rive gauche d’un pétillement d’étincelles, détachanten lumière ce coin de la ville sur un ciel très pur, lavé parl’orage.

– Ce n’était pas la peine de monter pour nous manger lenez, dit Boche, furieux, en reprenant l’escalier.

La noce descendit, muette, boudeuse, avec la seule dégringoladedes souliers sur les marches. En bas, M. Madinier voulaitpayer. Mais Coupeau se récria, se hâta de mettre dans la main dugardien vingt-quatre sous, deux sous par personne. Il était près decinq heures et demie ; on avait tout juste le temps derentrer. Alors, on revint par les boulevards et par le faubourgPoissonnière. Coupeau, pourtant, trouvait que la promenade nepouvait pas se terminer comme ça ; il poussa tout le monde aufond d’un marchand de vin, où l’on prit du vermouth.

Le repas était commandé pour six heures. On attendait la nocedepuis vingt minutes, au Moulin-d’Argent. Madame Boche,qui avait confié sa loge à une dame de la maison, causait avecmaman Coupeau, dans le salon du premier, en face de la tableservie ; et les deux gamins, Claude et Étienne, amenés parelle, jouaient à courir sous la table, au milieu d’une débandade dechaises. Lorsque Gervaise, en entrant, aperçut les petits, qu’ellen’avait pas vus de la journée, elle les prit sur ses genoux, lescaressa, avec de gros baisers.

– Ont-ils été sages ? demanda-t-elle à madame Boche.Ils ne vous ont pas trop fait endêver, au moins ?

Et, comme celle-ci lui racontait les mots à mourir de rire deces vermines-là, pendant l’après-midi, elle les enleva de nouveau,les serra contre elle, prise d’une rage de tendresse.

– C’est drôle pour Coupeau tout de même, disait madameLorilleux aux autres dames, dans le fond du salon.

Gervaise avait gardé sa tranquillité souriante de la matinée.Depuis la promenade pourtant, elle devenait par moments toutetriste, elle regardait son mari et les Lorilleux de son air pensifet raisonnable. Elle trouvait Coupeau lâche devant sa sœur. Laveille encore, il criait fort, il jurait de les remettre à leurplace, ces langues de vipères, s’ils lui manquaient. Mais en faced’eux, elle le voyait bien, il faisait le chien couchant, guettaitsortir leurs paroles, était aux cent coups quand il les croyaitfâchés. Et cela, simplement, inquiétait la jeune femme pourl’avenir.

Cependant, on n’attendait plus que Mes-Bottes, qui n’avait pasencore paru.

– Ah ! zut ! cria Coupeau, mettons-nous à table.Vous allez le voir abouler ; il a le nez creux, il sent laboustifaille de loin… Dites donc, il doit rire, s’il est toujours àfaire le poireau sur la route de Saint-Denis !

Alors, la noce, très égayée, s’attabla avec un grand bruit dechaises. Gervaise était entre Lorilleux et M. Madinier, etCoupeau, entre madame Fauconnier et madame Lorilleux. Les autresconvives se placèrent à leur goût, parce que ça finissait toujourspar des jalousies et des disputes, lorsqu’on indiquait lescouverts. Boche se glissa près de madame Lerat. Bibi-la-Grilladeeut pour voisines mademoiselle Remanjou et madame Gaudron. Quant àmadame Boche et à maman Coupeau, tout au bout, elles gardèrent lesenfants, elles se chargèrent de couper leur viande, de leur verserà boire, surtout pas beaucoup de vin.

– Personne ne dit le bénédicité ? demanda Boche,pendant que les dames arrangeaient leurs jupes sous la nappe, parpeur des taches.

Mais madame Lorilleux n’aimait pas ces plaisanteries-là. Et lepotage au vermicelle, presque froid, fut mangé très vite, avec dessifflements de lèvres dans les cuillers. Deux garçons servaient, enpetites vestes graisseuses, en tabliers d’un blanc douteux. Par lesquatre fenêtres ouvertes sur les acacias de la cour, le plein jourentrait, une fin de journée d’orage, lavée et chaude encore. Lereflet des arbres, dans ce coin humide, verdissait la salleenfumée, faisait danser des ombres de feuilles au-dessus de lanappe, mouillée d’une odeur vague de moisi. Il y avait deux glaces,pleines de chiures de mouches, une à chaque bout, qui allongeaientla table à l’infini, couverte de sa vaisselle épaisse, tournant aujaune, où le gras des eaux de l’évier restait en noir dans leségratignures des couteaux. Au fond, chaque fois qu’un garçonremontait de la cuisine, la porte battait, soufflait une odeurforte de graillon.

– Ne parlons pas tous à la fois, dit Boche, comme chacun setaisait, le nez sur son assiette.

Et l’on buvait le premier verre de vin, en suivant des yeux deuxtourtes aux godiveaux, servies par les garçons, lorsque Mes-Bottesentra.

– Eh bien ! vous êtes de la jolie fripouille, vousautres ! cria-t-il. J’ai usé mes plantes pendant trois heuressur la route, même qu’un gendarme m’a demandé mes papiers… Est-cequ’on fait de ces cochonneries-là à un ami ! Fallait au moinsm’envoyer un sapin par un commissionnaire. Ah ! non, voussavez, blague dans le coin, je la trouve raide. Avec ça, ilpleuvait si fort, que j’avais de l’eau dans mes poches. Vrai, on ypêcherait encore une friture.

La société riait, se tordait. Cet animal de Mes-Bottes étaitallumé ; il avait bien déjà ses deux litres ; histoireseulement de ne pas se laisser embêter par tout ce sirop degrenouille que l’orage avait craché sur ses abattis.

– Eh ! le comte de Gigot-Fin ! dit Coupeau, vat’asseoir là-bas, à côté de madame Gaudron. Tu vois, ont’attendait.

Oh ! ça ne l’embarrassait pas, il rattraperait lesautres ; et il redemanda trois fois du potage, des assiettesde vermicelle, dans lesquelles il coupait d’énormes tranches depain. Alors, quand on eut attaqué les tourtes, il devint laprofonde admiration de toute la table. Comme il bâfrait ! Lesgarçons effarés faisaient la chaîne pour lui passer du pain, desmorceaux finement coupés qu’il avalait d’une bouchée. Il finit parse fâcher ; il voulait un pain à côté de lui. Le marchand devin, très inquiet, se montra un instant sur le seuil de la salle.La société, qui l’attendait, se tordit de nouveau. Ça la luicoupait au gargotier ! Quel sacré zig tout de même, ceMes-Bottes ! Est-ce qu’un jour il n’avait pas mangé douze œufsdurs et bu douze verres de vin, pendant que les douze coups de midisonnaient ! On n’en rencontre pas beaucoup de cette force-là.Et mademoiselle Remanjou, attendrie, regardait Mes-Bottes mâcher,tandis que M. Madinier, cherchant un mot pour exprimer sonétonnement presque respectueux, déclara une telle capacitéextraordinaire.

Il y eut un silence. Un garçon venait de poser sur la table unegibelotte de lapin, dans un vaste plat, creux comme un saladier.Coupeau, très blagueur, en lança une bonne.

– Dites donc, garçon, c’est du lapin de gouttière, ça… Ilmiaule encore.

En effet, un léger miaulement, parfaitement imité, semblaitsortir du plat. C’était Coupeau, qui faisait ça avec la gorge, sansremuer les lèvres ; un talent de société d’un succès certain,si bien qu’il ne mangeait jamais dehors sans commander unegibelotte. Ensuite, il ronronna. Les dames se tamponnaient lafigure avec leurs serviettes, parce quelles riaient trop.

Madame Fauconnier demanda la tête ; elle n’aimait que latête. Mademoiselle Remanjou adorait les lardons. Et, comme Bochedisait préférer les petits oignons, quand ils étaient bien revenus,madame Lerat pinça les lèvres, en murmurant :

– Je comprends ça.

Elle était sèche comme un échalas, menait une vie d’ouvrièrecloîtrée dans son train-train, n’avait pas vu le nez d’un hommechez elle depuis son veuvage, tout en montrant une préoccupationcontinuelle de l’ordure, une manie de mots à double entente etd’allusions polissonnes, d’une telle profondeur, qu’elle seule secomprenait. Boche, se penchant et réclamant une explication, toutbas, à l’oreille, elle reprit :

– Sans doute les petits oignons… Ça suffit, je pense.

Mais la conversation devenait sérieuse. Chacun parlait de sonmétier. M. Madinier exaltait le cartonnage ; il y avaitde vrais artistes, dans la partie ; ainsi, il citait desboîtes d’étrennes, dont il connaissait les modèles, des merveillesde luxe. Lorilleux, pourtant, ricanait ; il était trèsvaniteux de travailler l’or, il en voyait comme un reflet sur sesdoigts et sur toute sa personne. Enfin, disait-il souvent, lesbijoutiers, au temps jadis, portaient l’épée ; et il citaitBernard Palissy, sans savoir. Coupeau, lui, racontait unegirouette, un chef-d’œuvre d’un de ses camarades ; ça secomposait d’une colonne, puis d’une gerbe, puis d’une corbeille defruits, puis d’un drapeau ; le tout, très bien reproduit, faitrien qu’avec des morceaux de zinc découpés et soudés. Madame Leratmontrait à Bibi-la-Grillade comment on tournait une queue de rose,en roulant le manche de son couteau entre ses doigts osseux.Cependant, les voix montaient, se croisaient ; on entendait,dans le bruit, des mots lancés très haut par madame Fauconnier, entrain de se plaindre de ses ouvrières, d’un petit chaussond’apprentie qui lui avait encore brûlé, la veille, une paire dedraps.

– Vous avez beau dire, cria Lorilleux en donnant un coup depoing sur la table, l’or, c’est de l’or.

Et, au milieu du silence causé par cette vérité, il n’y eut plusque la voix fluette de mademoiselle Remanjou, continuant :

– Alors, je leur relève la jupe, je couds en dedans… Jeleur plante une épingle dans la tête pour tenir le bonnet… Et c’estfait, on les vend treize sous.

Elle expliquait ses poupées à Mes-Bottes, dont les mâchoires,lentement, roulaient comme des meules. Il n’écoutait pas, ilhochait la tête, guettant les garçons, pour ne pas leur laisseremporter les plats sans les avoir torchés. On avait mangé unfricandeau au jus et des haricots verts. On apportait le rôti, deuxpoulets maigres, couchés sur un lit de cresson, fané et cuit par lefour. Au-dehors, le soleil mourait sur les branches hautes desacacias. Dans la salle, le reflet verdâtre s’épaississait des buéesmontant de la table, tachée de vin et de sauce, encombrée de ladébâcle du couvert ; et, le long du mur, des assiettes sales,des litres vides, posés là par les garçons, semblaient les orduresbalayées et culbutées de la nappe. Il faisait très chaud. Leshommes retirèrent leurs redingotes et continuèrent à manger enmanches de chemise.

– Madame Boche, je vous en prie, ne les bourrez pas tant,dit Gervaise, qui parlait peu, surveillant de loin Claude etÉtienne.

Elle se leva, alla causer un instant, debout derrière leschaises des petits. Les enfants, ça n’avait pas de raison, çamangeait toute une journée sans refuser les morceaux ; et elleleur servit elle-même du poulet, un peu de blanc. Mais mamanCoupeau dit qu’ils pouvaient bien, pour une fois, se donner uneindigestion. Madame Boche, à voix basse, accusa Boche de pincer lesgenoux de madame Lerat. Oh ! c’était un sournois, ilgodaillait. Elle avait bien vu sa main disparaître. S’ilrecommençait, jour de Dieu ! elle était femme à lui flanquerune carafe à la tête.

Dans le silence, M. Madinier causait politique.

– Leur loi du 31 mai est une abomination. Maintenant, ilfaut deux ans de domicile. Trois millions de citoyens sont rayésdes listes… On m’a dit que Bonaparte, au fond, est très vexé, caril aime le peuple, il en a donné des preuves.

Lui, était républicain ; mais il admirait le prince à causede son oncle, un homme comme il n’en reviendrait jamais plus.Bibi-la-Grillade se fâcha : il avait travaillé à l’Élysée, ilavait vu le Bonaparte comme il voyait Mes-Bottes, là, en face delui ; eh bien ! ce mufle de président ressemblait à unroussin, voilà ! On disait qu’il allait faire un tour du côtéde Lyon ; ce serait un fameux débarras, s’il se cassait le coudans un fossé. Et, comme la discussion tournait au vilain, Coupeaudut intervenir.

– Ah bien ! vous êtes encore innocents de vousattraper pour la politique !… En voilà une blague, lapolitique ! Est-ce que ça existe pour nous ?… On peutbien mettre ce qu’on voudra, un roi, un empereur, rien du tout, çane m’empêchera pas de gagner mes cinq francs, de manger et dedormir, pas vrai ?… Non, c’est trop bête !

Lorilleux hochait la tête. Il était né le même jour que le comtede Chambord, le 29 septembre 1820. Cette coïncidence le frappaitbeaucoup, l’occupait d’un rêve vague, dans lequel il établissaitune relation entre le retour en France du roi et sa fortunepersonnelle. Il ne disait pas nettement ce qu’il espérait, mais ildonnait à entendre qu’il lui arriverait alors quelque chosed’extraordinairement agréable. Aussi, à chacun de ses désirs tropgros pour être contenté, il renvoyait ça à plus tard, « quandle roi reviendrait ».

– D’ailleurs, raconta-t-il, j’ai vu un soir le comte deChambord…

Tous les visages se tournèrent vers lui.

– Parfaitement. Un gros homme en paletot, l’air bon garçon…J’étais chez Péquignot, un de mes amis, qui vend des meubles,Grande-Rue de la Chapelle… Le comte de Chambord avait la veillelaissé là un parapluie. Alors, il est entré, il a dit comme ça,tout simplement : « Voulez-vous bien me rendre monparapluie ? » Mon Dieu ! oui, c’était lui, Péquignotm’a donné sa parole d’honneur.

Aucun des convives n’émit le moindre doute. On était au dessert.Les garçons débarrassaient la table avec un grand bruit devaisselle. Et madame Lorilleux, jusque-là très convenable, trèsdame, laissa échapper un : Sacré salaud ! parce que l’undes garçons, en enlevant un plat, lui avait fait couler quelquechose de mouillé dans le cou. Pour sûr, sa robe de soie étaittachée. M. Madinier dut lui regarder le dos, mais il n’y avaitrien, il le jurait. Maintenant, au milieu de la nappe, s’étalaientdes œufs à la neige dans un saladier, flanqués de deux assiettes defromage et de deux assiettes de fruits. Les œufs à la neige, lesblancs trop cuits nageant sur la crème jaune, causèrent unrecueillement ; on ne les attendait pas, on trouva çadistingué. Mes-Bottes mangeait toujours. Il avait redemandé unpain. Il acheva les deux fromages ; et, comme il restait de lacrème, il se fit passer le saladier, au fond duquel il tailla delarges tranches, comme pour une soupe.

– Monsieur est vraiment bien remarquable, ditM. Madinier retombé dans son admiration.

Alors, les hommes se levèrent pour prendre leurs pipes. Ilsrestèrent un instant derrière Mes-Bottes, à lui donner des tapessur les épaules, en lui demandant si ça allait mieux.Bibi-la-Grillade le souleva avec la chaise ; mais, tonnerre deDieu ! l’animal avait doublé de poids. Coupeau, par blague,racontait que le camarade commençait seulement à se mettre entrain, qu’il allait à présent manger comme ça du pain toute lanuit. Les garçons, épouvantés, disparurent. Boche, descendu depuisun instant, remonta en racontant la bonne tête du marchand de vin,en bas ; il était tout pâle dans son comptoir, la bourgeoiseconsternée venait d’envoyer voir si les boulangers restaientouverts, jusqu’au chat de la maison qui avait l’air ruiné. Vrai,c’était trop cocasse, ça valait l’argent du dîner, il ne pouvaitpas y avoir de pique-nique sans cet avale-tout de Mes-Bottes. Etles hommes, leurs pipes allumées, le couvaient d’un regardjaloux ; car enfin, pour tant manger, il fallait êtresolidement bâti !

– Je ne voudrais pas être chargée de vous nourrir, ditmadame Gaudron. Ah ! non, par exemple !

– Dites donc, la petite mère, faut pas blaguer, réponditMes-Bottes, avec un regard oblique sur le ventre de sa voisine.Vous en avez avalé plus long que moi.

On applaudit, on cria bravo : c’était envoyé. Il faisaitnuit noire, trois becs de gaz flambaient dans la salle, remuant degrandes clartés troubles, au milieu de la fumée des pipes. Lesgarçons, après avoir servi le café et le cognac, venaientd’emporter les dernières piles d’assiettes sales. En bas, sous lestrois acacias, le bastringue commençait, un cornet à pistons etdeux violons jouant très fort, avec des rires de femme, un peurauques dans la nuit chaude.

– Faut faire un brûlot cria Mes-Bottes ; deux litresde casse-poitrine, beaucoup de citron et pas beaucoup desucre !

Mais Coupeau, voyant en face de lui le visage inquiet deGervaise, se leva en déclarant qu’on ne boirait pas davantage. Onavait vidé vingt-cinq litres, chacun son litre et demi, en comptantles enfants comme des grandes personnes ; c’était déjà tropraisonnable. On venait de manger un morceau ensemble, en bonneamitié, sans flafla, parce qu’on avait de l’estime les uns pour lesautres et qu’on désirait célébrer entre soi une fête de famille.Tout se passait très gentiment, on était gai, il ne fallait pasmaintenant se cocarder cochonnément, si l’on voulait respecter lesdames. En un mot, et comme fin finale, on s’était réuni pour porterune santé au conjungo, et non pour se mettre dans lesbrinde-zingues. Ce petit discours, débité d’une voix convaincue parle zingueur, qui posait la main sur sa poitrine à la chute dechaque phrase, eut la vive approbation de Lorilleux et deM. Madinier. Mais les autres, Boche, Gaudron,Bibi-la-Grillade, surtout Mes-Bottes, très allumés tous les quatre,ricanèrent, la langue épaissie, ayant une sacrée coquine de soif,qu’il fallait pourtant arroser.

– Ceux qui ont soif, ont soif, et ceux qui n’ont pas soif,n’ont pas soif, fit remarquer Mes-Bottes. Pour lors, on vacommander le brûlot… On n’esbrouffe personne. Les aristos ferontmonter de l’eau sucrée.

Et comme le zingueur recommençait à prêcher, l’autre, quis’était mis debout, se donna une claque sur la fesse, encriant :

– Ah ! tu sais, baise cadet !… Garçon, deuxlitres de vieille !

Alors, Coupeau dit que c’était très bien, qu’on allait seulementrégler le repas tout de suite. Ça éviterait des disputes. Les gensbien élevés n’avaient pas besoin de payer pour les soûlards. Et,justement, Mes-Bottes, après s’être fouillé longtemps, ne trouvaque trois francs sept sous. Aussi pourquoi l’avait-on laissédroguer sur la route de Saint-Denis ? Il ne pouvait pas selaisser nayer, il avait cassé la pièce de cent sous. Les autresétaient fautifs, voilà ! Enfin, il donna trois francs, gardantles sept sous pour son tabac du lendemain. Coupeau, furieux, auraitcogné, si Gervaise ne l’avait tiré par sa redingote, très effrayée,suppliante. Il se décida à emprunter deux francs à Lorilleux, qui,après les avoir refusés, se cacha pour les prêter, car sa femme,bien sûr, n’aurait jamais voulu.

Cependant, M. Madinier avait pris une assiette. Lesdemoiselles et les dames seules, madame Lerat, madame Fauconnier,mademoiselle Remanjou, déposèrent leur pièce de cent sous lespremières, discrètement. Ensuite, les messieurs s’isolèrent àl’autre bout de la salle, firent les comptes. On étaitquinze ; ça montait donc à soixante-quinze francs. Lorsque lessoixante-quinze francs furent dans l’assiette, chaque homme ajoutacinq sous pour les garçons. Il fallut un quart d’heure de calculslaborieux, avant de tout régler à la satisfaction de chacun.

Mais quand M. Madinier, qui voulait avoir affaire aupatron, eut demandé le marchand de vin, la société resta saisie, enentendant celui-ci dire avec un sourire que ça ne faisait pas dutout son compte. Il y avait des suppléments. Et, comme ce mot de« supplément » était accueilli par des exclamationsfuribondes, il donna le détail : vingt-cinq litres, au lieu devingt, nombre convenu à l’avance ; les œufs à la neige, qu’ilavait ajoutés, en voyant le dessert un peu maigre ; enfin uncarafon de rhum, servi avec le café, dans le cas où des personnesaimeraient le rhum. Alors, une querelle formidable s’engagea.Coupeau, pris à partie, se débattait : jamais il n’avait parléde vingt litres ; quant aux œufs à la neige, ils rentraientdans le dessert, tant pis si le gargotier les avait ajoutés de sonplein gré ; restait le carafon de rhum, une frime, une façonde grossir la note, en glissant sur la table des liqueurs dont onne se méfiait pas.

– Il était sur le plateau au café, criait-il ; ehbien ! il doit être compté avec le café… Fichez-nous la paix.Emportez votre argent, et du tonnerre si nous remettons jamais lespieds dans votre baraque !

– C’est six francs de plus, répétait le marchand de vin.Donnez-moi mes six francs… Et je ne compte pas les trois pains demonsieur, encore !

Toute la société, serrée autour de lui, l’entourait d’une ragede gestes, d’un glapissement de voix que la colère étranglait. Lesfemmes, surtout, sortaient de leur réserve, refusaient d’ajouter uncentime. Ah bien ! merci, elle était jolie, la noce !C’était mademoiselle Remanjou, qui ne se fourrerait plus dans un deces dîners-là ! Madame Fauconnier avait très mal mangé ;chez elle, pour ses quarante sous, elle aurait eu un petit plat àse lécher les doigts. Madame Gaudron se plaignait amèrement d’avoirété poussée au mauvais bout de la table, à côté de Mes-Bottes, quin’avait pas montré le moindre égard. Enfin, ces parties tournaienttoujours mal. Quand on voulait avoir du monde à son mariage, oninvitait les personnes, parbleu ! Et Gervaise, réfugiée auprèsde maman Coupeau, devant une des fenêtres, ne disait rien,honteuse, sentant que toutes ces récriminations retombaient surelle.

M. Madinier finit par descendre avec le marchand de vin. Onles entendit discuter en bas. Puis, au bout d’une demi-heure, lecartonnier remonta ; il avait réglé, en donnant trois francs.Mais la société restait vexée, exaspérée, revenant sans cesse surla question des suppléments. Et le vacarme s’accrut d’un acte devigueur de madame Boche. Elle guettait toujours Boche, elle le vit,dans un coin, pincer la taille de madame Lerat. Alors, à toutevolée, elle lança une carafe qui s’écrasa contre le mur.

– On voit bien que votre mari est tailleur, madame, dit lagrande veuve, avec son pincement de lèvres plein de sous-entendu.C’est un juponnier numéro un… Je lui ai pourtant allongé de fameuxcoups de pied, sous la table.

La soirée était gâtée. On devint de plus en plus aigre.M. Madinier proposa de chanter ; mais Bibi-la-Grillade,qui avait une belle voix, venait de disparaître ; etmademoiselle Remanjou, accoudée à une fenêtre, l’aperçut, sous lesacacias, faisant sauter une grosse fille en cheveux. Le cornet àpistons et les deux violons jouaient, « le Marchand demoutarde », un quadrille où l’on tapait dans ses mains, àla pastourelle. Alors, il y eut une débandade : Mes-Bottes etle ménage Gaudron descendirent ; Boche lui-même fila. Desfenêtres, on voyait les couples tourner, entre les feuilles,auxquelles les lanternes pendues aux branches donnaient un vertpeint et cru de décor. La nuit dormait, sans une haleine, pâmée parla grosse chaleur. Dans la salle, une conversation sérieuse s’étaitengagée entre Lorilleux et M. Madinier, pendant que les dames,ne sachant plus comment soulager leur besoin de colère, regardaientleurs robes, cherchant si elles n’avaient pas attrapé destaches.

Les effilés de madame Lerat devaient avoir trempé dans le café.La robe écrue de madame Fauconnier était pleine de sauce. Le châlevert de maman Coupeau, tombé d’une chaise, venait d’être retrouvédans un coin, roulé et piétiné. Mais c’était surtout madameLorilleux qui ne décolérait pas. Elle avait une tache dans le dos,on avait beau lui jurer que non, elle la sentait. Et elle finit, ense tordant devant une glace, par l’apercevoir.

– Qu’est-ce que je disais ? cria-t-elle. C’est du jusde poulet. Le garçon payera la robe. Je lui ferai plutôt un procès…Ah ! la journée est complète. J’aurais mieux fait de restercouchée… Je m’en vais, d’abord. J’en ai assez, de leur fichuenoce !

Elle partit rageusement, en faisant trembler l’escalier sous lescoups de ses talons. Lorilleux courut derrière elle. Mais tout cequ’il put obtenir, ce fut qu’elle attendrait cinq minutes sur letrottoir, si l’on voulait partir ensemble. Elle aurait dû s’enaller après l’orage, comme elle en avait eu l’envie. Coupeau luirevaudrait cette journée-là. Quand ce dernier la sut si furieuse,il parut consterné ; et Gervaise, pour lui éviter des ennuis,consentit à rentrer tout de suite. Alors, on s’embrassa rapidement.M. Madinier se chargea de reconduire maman Coupeau. MadameBoche devait, pour la première nuit, emmener Claude et Étiennecoucher chez elle ; leur mère pouvait être sans crainte, lespetits dormiraient sur des chaises, alourdis par une grosseindigestion d’œufs à la neige. Enfin, les mariés se sauvaient avecLorilleux, laissant le reste de la noce chez le marchand de vin,lorsqu’une bataille s’engagea en bas, dans le bastringue, entreleur société et une autre société ; Boche et Mes-Bottes, quiavaient embrassé une dame, ne voulaient pas la rendre à deuxmilitaires auxquels elle appartenait, et menaçaient de nettoyertout le tremblement, dans le tapage enragé du cornet à pistons etdes deux violons, jouant la polka des Perles.

Il était à peine onze heures. Sur le boulevard de la Chapelle,et dans tout le quartier de la Goutte-d’Or, la paye de grandequinzaine, qui tombait ce samedi-là, mettait un vacarme énorme desoûlerie. Madame Lorilleux attendait à vingt pas duMoulin-d’Argent, debout sous un bec de gaz. Elle prit lebras de Lorilleux, marcha devant, sans se retourner, d’un tel pasque Gervaise et Coupeau s’essoufflaient à les suivre. Par moments,ils descendaient du trottoir, pour laisser la place à un ivrogne,tombé là, les quatre fers en l’air. Lorilleux se retourna,cherchant à raccommoder les choses.

– Nous allons vous conduire à votre porte, dit-il.

Mais madame Lorilleux, élevant la voix, trouvait ça drôle depasser sa nuit de noces dans ce trou infect de l’hôtel Boncœur.Est-ce qu’ils n’auraient pas dû remettre le mariage, économiserquatre sous et acheter des meubles, pour rentrer chez eux, lepremier soir ? Ah ! ils allaient être bien, sous lestoits, empilés tous les deux dans un cabinet de dix francs, où iln’y avait seulement pas d’air.

– J’ai donné congé, nous ne restons pas en haut, objectaCoupeau timidement. Nous gardons la chambre de Gervaise, qui estplus grande.

Madame Lorilleux s’oublia, se tourna d’un mouvement brusque.

– Ça, c’est plus fort ! cria-t-elle. Tu vas coucherdans la chambre à la Banban !

Gervaise devint toute pâle. Ce surnom, qu’elle recevait à laface pour la première fois, la frappait comme un soufflet. Puis,elle entendait bien l’exclamation de sa belle-sœur : lachambre à la Banban, c’était la chambre où elle avait vécu un moisavec Lantier, où les loques de sa vie passée traînaient encore.Coupeau ne comprit pas, fut seulement blessé du surnom.

– Tu as tort de baptiser les autres, répondit-il avechumeur. Tu ne sais pas, toi, qu’on t’appelle Queue-de-Vache, dansle quartier, à cause de tes cheveux. Là, ça ne te fait pas plaisir,n’est-ce pas ?… Pourquoi ne garderions-nous pas la chambre dupremier ? Ce soir, les enfants n’y couchent pas, nous y seronstrès bien.

Madame Lorilleux n’ajouta rien, se renfermant dans sa dignité,horriblement vexée de s’appeler Queue-de-Vache. Coupeau, pourconsoler Gervaise, lui serrait doucement le bras ; et ilréussit même à l’égayer, en lui racontant à l’oreille qu’ilsentraient en ménage avec la somme de sept sous toute ronde, troisgros sous et un petit sou, qu’il faisait sonner de la main dans lapoche de son pantalon. Quand on fut arrivé à l’hôtel Boncœur, on sedit bonsoir d’un air fâché. Et au moment où Coupeau poussait lesdeux femmes au cou l’une de l’autre, en les traitant de bêtes, unpochard, qui semblait vouloir passer à droite, eut un brusquecrochet à gauche, et vint se jeter entre elles.

– Tiens ! c’est le père Bazouge ! dit Lorilleux.Il a son compte, aujourd’hui.

Gervaise, effrayée, se collait contre la porte de l’hôtel. Lepère Bazouge, un croque-mort d’une cinquantaine d’années, avait sonpantalon noir taché de boue, son manteau noir agrafé sur l’épaule,son chapeau de cuir noir cabossé, aplati dans quelque chute.

– N’ayez pas peur, il n’est pas méchant, continuaitLorilleux. C’est un voisin ; la troisième chambre dans lecorridor, avant d’arriver chez nous… Il serait propre, si sonadministration le voyait comme ça !

Cependant, le père Bazouge s’offusquait de la terreur de lajeune femme.

– Eh bien, quoi ! bégaya-t-il, on ne mange personnedans notre partie… J’en vaux un autre, allez, ma petite… Sans douteque j’ai bu un coup ! Quand l’ouvrage donne, faut bien segraisser les roues. Ce n’est pas vous, ni la compagnie, qui auriezdescendu le particulier de six cents livres que nous avons amené àdeux du quatrième sur le trottoir, et sans le casser encore… Moi,j’aime les gens rigolos.

Mais Gervaise se rentrait davantage dans l’angle de la porte,prise d’une grosse envie de pleurer, qui lui gâtait toute sajournée de joie raisonnable. Elle ne songeait plus à embrasser sabelle-sœur, elle suppliait Coupeau d’éloigner l’ivrogne. Alors,Bazouge, en chancelant, eut un geste plein de dédainphilosophique.

– Ça ne vous empêchera pas d’y passer, ma petite… Vousserez peut-être bien contente d’y passer, un jour… Oui, j’enconnais des femmes, qui diraient merci, si on les emportait.

Et, comme les Lorilleux se décidaient à l’emmener, il seretourna, il balbutia une dernière phrase, entre deuxhoquets :

– Quand on est mort… écoutez ça… quand on est mort, c’estpour longtemps.

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