Le Retour de Sherlock Holmes

– Du point de vue de l’expert en criminologie, commença Mr.Sherlock Holmes, Londres est devenue une ville singulièrement  inintéressante depuis la mort du regretté professeur Moriarty.

– J’ai du mal à croire que vous trouverez beaucoup de citoyens honnêtes de cet avis, répliquai-je.

– Soit, je ne dois pas me montrer égoïste, poursuivit-il avec un  sourire en repoussant sa chaise de la table du petit déjeuner. La  communauté est certainement gagnante et personne n’y perd à  l’exception du pauvre spécialiste désœuvré. Avec cet homme dans la  nature, les journaux du matin offraient d’infinies possibilités. Il ne s’agissait souvent que d’une piste infime, Watson, du plus  faible indice mais, comme les plus imperceptibles frémissements du  rebord de la toile rappellent l’immonde araignée tapie en son  centre, il suffisait pourtant à me dire que le remarquable cerveau  malfaisant était là. Vols insignifiants, agressions gratuites,violences inutiles – pour celui qui détenait toutes les clefs,l’ensemble répondait à une logique. Pour l’étudiant en science du  monde criminel, aucune capitale d’Europe n’offrait les avantages  que Londres possédait alors. Mais aujourd’hui…

Il haussa les épaules, désapprouvant non sans humour un état de fait auquel il avait largement contribué.

À cette époque, Holmes était de retour depuis quelques mois et j’avais, à sa demande, vendu ma clientèle pour revenir partager  notre vieux domicile de Baker Street. Un jeune médecin, du nom de Verner, avait acquis mon petit cabinet de Kensington, acceptant  curieusement sans objecter le prix exorbitant que j’avais osé en  réclamer – un détail qui ne s’expliqua que plusieurs années plus  tard, lorsque je découvris que ce Verner était un parent éloigné de  Holmes et que c’était mon ami qui avait en réalité offert cette somme.

Contrairement à ce qu’il déclarait, ces mois de collaboration  n’avaient pas été si tranquilles. En parcourant mes notes, je  découvre en effet que cette période inclut l’affaire des papiers de  l’ex-Président Murillo ainsi que l’épouvantable affaire du paquebot  hollandais, le Friesland, qui faillit nous coûter la vie.Quoi qu’il en soit, son tempérament posé et orgueilleux éprouvait toujours la même aversion pour tout ce qui ressemblait à des  acclamations publiques et il m’avait contraint, en des termes des  plus impérieux, à ne plus dire un mot de lui, de ses méthodes ou de  ses succès – interdiction qui, comme je l’ai expliqué, vient seulement d’être levée.

Après sa critique saugrenue, Mr. Sherlock Holmes s’adossait dans  son fauteuil et dépliait tranquillement son journal du matin  lorsque notre attention fut retenue par une sonnerie retentissante,immédiatement suivie de coups sourds, comme si quelqu’un frappait  contre la porte d’entrée avec son poing. Alors qu’elle s’ouvrait,nous entendîmes le tumulte d’une bousculade dans l’entrée, des pas  rapides grimper bruyamment les marches de l’escalier et, une  seconde plus tard, un jeune homme paniqué, au regard fou, pâle,échevelé et palpitant, surgit dans la pièce. Il nous regarda à tour  de rôle et, devant notre air interrogateur, prit conscience que  cette brusque intrusion méritait des excuses.

– Je suis désolé, Mr. Holmes, s’écria-t-il. Ne m’en veuillez pas. Je ne sais vraiment plus où j’en suis. Mr. Holmes, je suis  l’infortuné John Hector Mc Farlane.

Il fit cette déclaration comme si son seul nom expliquait sa visite et ses manières mais je voyais, au visage impassible de mon  compagnon, que cela ne lui en disait pas plus qu’à moi.

– Prenez une cigarette, Mr. Mc  Farlane, proposa-t-il en  présentant son étui. Je ne doute pas qu’avec ces symptômes, mon ami le docteur Watson, ici présent, ne vous prescrive un sédatif. Le  temps a été si chaud ces derniers jours. Bien, si vous vous sentez  un peu plus calme, je serais heureux que vous preniez ce siège et  que vous nous racontiez très lentement et tranquillement qui vous  êtes et ce que vous désirez. Vous avez mentionné votre nom, comme  si je devais le reconnaître, mais je vous assure qu’en dehors du  fait évident que vous êtes célibataire, notaire, franc-maçon et  asthmatique, je ne sais strictement rien vous concernant.

Coutumier comme je l’étais des méthodes de mon ami, il ne me fut  pas très difficile de suivre ses déductions et d’observer le  désordre de sa tenue, la liasse de documents juridiques, la montre  ornée de symboles et le souffle rauque qui l’avaient poussé  jusqu’ici. Quoi qu’il en soit, notre client écarquillait des yeux  stupéfaits.

– Oui, je suis tout cela, Mr. Holmes ; et de plus, l’homme  le plus infortuné de Londres. Pour l’amour de Dieu, ne m’abandonnez  pas, Mr. Holmes ! S’ils viennent m’arrêter avant que j’aie terminé mon récit, dites-leur de me laisser le temps de vous  raconter toute la vérité. J’irai en prison heureux si je sais que,dehors, vous travaillez pour moi.

– Vous arrêter ! fit Holmes. Voilà qui est réellement fort  intéressant. Sous quel chef d’accusation pensez-vous être  arrêté ?

– Pour le meurtre de Mr. Jonas Oldacre de Lower Norwood.

Le visage expressif de mon compagnon afficha une sympathie qui n’était, je le crains, pas totalement exempte de contentement.

– Mon cher, fit-il, et dire que je soutenais justement au petit  déjeuner à mon ami, le docteur Watson, que les affaires  sensationnelles avaient déserté nos journaux.

Notre visiteur tendit une main tremblante et s’empara du DaIl y Telegraph resté sur les genoux de Holmes.

– Si vous l’aviez lu, monsieur, vous auriez tout de suite vu  pour quelle raison je devais venir chez vous ce matin. J’ai  l’impression que mon nom et mon infortune sont sur toutes les  bouches.

Il le tourna pour nous présenter la page centrale.

– C’est là et, avec votre permission, je vais vous le lire.Écoutez ça, Mr. Holmes. Les gros titres sont :« Mystérieuse affaire à Lower  Norwood. Disparition d’un  entrepreneur bien connu. Présomption de meurtre et d’incendie  criminel. Sur la piste du meurtrier. » C’est la piste qu’ils  sont déjà en train de suivre, Mr. Holmes, et je sais qu’elle  conduit infailliblement à moi. Je suis suivi depuis la station du  Pont-de-Londres et je suis sûr qu’ils n’attendent que le mandat  pour m’arrêter. Ma mère en aura le cœur brisé !

Il se tordit les mains au supplice de l’inquiétude et se balança  sur son siège d’avant en arrière.

J’examinais avec intérêt cet homme accusé d’être l’auteur d’un  crime violent. Il était blond et élégant, bien qu’à contre-courant  des critères habituels, avec des yeux bleus effrayés, un visage  bien rasé et une bouche délicate et tombante. Il pouvait avoir  vingt-sept ans, ses vêtements et son allure étaient ceux d’un  gentleman. De la poche de son léger manteau d’été dépassait la liasse de documents officiels qui confirmaient sa profession.

– Nous devons profiter du temps dont nous disposons, déclara  Holmes. Watson, auriez-vous l’amabilité de prendre le journal et de nous lire l’article en question ?

Sous les titres accrocheurs que notre client avait cités, je lus  le récit suivant :

 

Nous avons toutes les raisons de craindre qu’un incident  survenu tard la nuit dernière, ou tôt ce matin, à Lower Norwood n’ indique qu’un crime grave y a été commis. Mr Jonas Oldacre est un  habitant très connu de ce faubourg où son entreprise de  construction est installée depuis de nombreuses années. M Oldacre,célibataire de cinquante-deux ans, habitant Deep Dene House, au  bout de la rue Syndenham, avait la réputation d’être un homme  excentrique et secret. Depuis quelques années, il s’était  pratiquement retiré des affaires qui lui avaient permis, dit-on,d’amasser une fortune considérable. Quoi qu’il en soit, un petit  chantier de bois existe toujours derrière sa résidence et, la nuit  dernière, aux alentours de minuit, une des piles a pris feu. Les  pompiers sont arrivés très vite sur les lieux mais le bois sec  brûlait avec une telle violence qu’il fut impossible d’arrêter  l’incendie avant qu’il ne soit entièrement consumé. Jusque-là,l’incident offrait toutes les apparences d’un banal accident. Mais  de nouveaux indices ont révélé un crime grave. L’absence du chef  d’entreprise sur les lieux de l’incendie éveilla la curiosité et  déclencha une enquête dont la conclusion fut qu’il avait disparu de  son domicile. Un examen de sa chambre à coucher révéla que le lit  n’avait pas été défait, que le coffre installé à l’intérieur avait  été ouvert, qu’un nombre important de documents étaient épars dans  la pièce et finalement qu’il y avait des signes d’une lutte  meurtrière, de minuscules traces de sang ayant été découvertes ainsi qu’une canne de chêne dont le manche portait également des  traces sanglantes. On sait que Mr Jonas Oldacre recevait un visiteur tardif dans sa chambre ce soir-là et la canne découverte  sur les lieux a été identifiée comme appartenant à cette personne,un jeune notaire de Londres répondant au nom de John Hector Mc Farlane, jeune associé du cabinet Graham et Mc  Farlane, 426,Gresham Buildings, E. C. La police estime avoir en sa possession  les preuves fournissant un mobile des plus convaincants. Nous ne  pouvons douter des développements sensationnels de  l’affaire.

PLUS TARD. Au moment de mettre sous presse, il semblerait  que Mr. John Hector Mc  Farlane ait été arrêté sous l’inculpation du  meurtre de Mr. Jonas Oldacre. Il est en tout cas certain qu’un  mandat a été lancé contre lui. L’enquête à Norwood a livré de plus  amples et sinistres informations. En dehors des signes de lutte  dans la chambre du malheureux entrepreneur nous savons maintenant  que la porte-fenêtre de sa chambre (située au rez-de-chaussée)était ouverte et qu’elle présentait des traces suspectes comme si  un objet volumineux avait été sorti par là jusqu’à la pile de bois.Il est maintenant avéré que des restes carbonisés ont été retrouvés  parmi les cendres. Selon la police, un crime des plus sensationnel  sa été commis. La victime a été matraquée à mort dans sa chambre,des papiers ont été volés, et son corps a été traîné jusqu’au  bûcher allumé pour effacer toute trace du crime. La conduite de  l’enquête criminelle a été confiée aux mains expérimentées de  l’inspecteur Lestrade de Scotland Yard, qui suit toutes les pistes  avec son énergie et sa sagacité habituelles.

 

Sherlock Holmes écouta ce brillant récit les yeux fermés et les  mains jointes.

– L’affaire offre certainement quelques détails fort  intéressants, commenta-t-il avec sa langueur coutumière. Puis-je,avant tout, vous demander, Mr. Mc  Farlane, comment il se fait que  vous soyez toujours en liberté alors qu’il y a suffisamment de  preuves pour justifier votre arrestation ?

– J’habite à Torrington Lodge, Blackheath, avec mes parents, Mr.Holmes, mais la nuit dernière, ayant des affaires tardives à  traiter avec Mr. Jonas Oldacre, je suis descendu dans un hôtel de  Norwood d’où je me suis rendu à mon travail ce matin. Je ne savais  rien de cette affaire jusqu’à ce que je monte dans le train où j’ai  lu ce que vous venez d’entendre. J’ai immédiatement vu l’affreux  danger de ma situation et je me suis dépêché de venir mettre  l’affaire entre vos mains. J’aurais sans aucun doute été déjà  arrêté à mon bureau en ville ou chez moi. Un homme m’a suivi depuis  la station du Pont-de-Londres et je suis sûr… Mon Dieu !Qu’est-ce que c’est ?

C’était le tintement métallique de la sonnette instantanément  suivi de pas lourds sur les escaliers. Une seconde plus tard, notre  vieil ami Lestrade apparaissait sur le seuil. Par-dessus son  épaule, j’apercevais un ou deux policiers en uniforme.

– Mr. John Hector Mc Farlane ? demanda Lestrade.

Le visage livide, notre infortuné client se leva.

– Je vous arrête pour le meurtre avec préméditation de Mr. Jonas  Oldacre, de Lower Norwood.

Mc  Farlane se tourna vers nous avec un geste de désespoir avant  de s’effondrer une nouvelle fois dans son siège comme s’il avait  été broyé.

– Une seconde, Lestrade, intervint Holmes. Une demi-heure de  plus ou de moins ne changera pas grand-chose pour vous. Ce  gentleman était sur le point de nous faire le récit de cette  passionnante affaire, ce qui ne manquera certainement pas de nous  aider à l’éclaircir.

– Je crois qu’il n’y aura aucune difficulté à l’éclaircir,rétorqua Lestrade, bourru.

– Toutefois, avec votre permission, je serais très curieux  d’écouter son récit.

– Eh bien, Mr. Holmes, il m’est difficile de vous refuser quoique ce soit. Vous nous avez été de quelque utilité une ou deux fois  dans le passé et nous vous devons un service à Scotland Yard, fit  Lestrade. Mais je dois rester avec mon prisonnier et je suis tenu  de lui dire que tout ce qu’il pourra dire pourra être utilisé  contre lui.

– Je n’en désire pas plus, fit notre client. Tout ce que je vous  demande, c’est d’écouter et de reconnaître l’absolue vérité.

Lestrade jeta un coup d’œil à sa montre.

– Je vous donne une demi-heure, lâcha-t-il.

– Je dois d’abord préciser, commença Mc  Farlane, que je ne savais  rien de Jonas Oldacre. Son nom m’était familier, car il y a d  nombreuses années, mes parents le fréquentaient, mais ils se sont éloignés les uns des autres. C’est pourquoi je fus très étonné  lorsqu’ hier, vers trois heures de l’après-midi, il se présenta à  mon bureau. Mais je fus encore plus stupéfait lorsqu’il me dévoila  l’objet de sa visite. Il avait à la main plusieurs feuilles de cahier recouvertes d’une écriture griffonnée – les voici – qu’il  posa sur mon bureau.

« – Voici mes dernières volontés, annonça-t-il. Je veux,Mr. Mc Farlane, que vous les rédigiez au propre et de façon légale.J’attendrai ici que vous ayez terminé. »

« Je me suis installé pour en faire la copie et vous pouvez  imaginer ma stupeur quand je découvris, avec certaines réserves,qu’il me léguait tous ses biens. C’était un étrange petit bonhomme  qui, avec ses cils blancs, ressemblait à un furet. Et quand je  relevais la tête vers lui, je vis ses yeux gris au regard pénétrant  fixés sur moi avec une expression amusée. J’avais du mal à croire  les termes du testament mais il m’expliqua qu’il était célibataire,qu’il n’avait pratiquement pas de parents en vie, qu’il avait connu  les miens dans sa jeunesse et toujours entendu parler de moi comme  d’un jeune homme très méritant. Il était sûr, ainsi, que son argent serait en des mains respectables. Je ne pouvais, naturellement, que lui bégayer ma gratitude. Le testament fut dûment terminé, signé et attesté par mon clerc. Le voici sur papier bleu et ces feuilles,comme je vous l’expliquais, sont les brouillons. Mr. Jonas Oldacre m’a alors annoncé qu’il y avait un certain nombre de documents –baux, titres de propriété, hypothèques, actions, et autres – qu’il était nécessaire que je voie et comprenne. Il me dit qu’il n’aurait  pas l’esprit tranquille tant que tout ne serait pas réglé et me pria de venir le soir même chez lui à Norwood et d’apporter le  testament avec moi. “Et n’oubliez pas, mon garçon, pas un mot de  toute cette affaire à vos parents avant qu’elle ne soit entièrement  réglée. Ce sera notre petite surprise pour eux.” Il a beaucoup  insisté là-dessus et m’a demandé ma parole.

« Vous pouvez imaginer ; Mr. Holmes, que je n’étais  pas d’humeur à lui refuser quoi que ce soit. Il était mon  bienfaiteur et je ne souhaitais que satisfaire ses désirs, même les  plus exigeants. J’ai donc télégraphié chez moi pour dire que  j’avais un travail important à terminer et qu’il m’était impossible de dire l’heure à laquelle je rentrerais. Mr. Oldacre m’avait dit qu’il aimerait m’avoir à dîner pour neuf heures et qu’il ne serait pas chez lui avant cette heure. J’ai eu quelques difficultés à trouver sa maison et il était presque la demie quand j’arrivai. Je le trouvai…

– Un instant ! l’interrompit Holmes. Qui a ouvert la porte ?

– Une femme d’âge moyen, qui devait être, j’imagine, sa gouvernante.

– Et c’est elle, je présume, qui a donné votre nom ?

– Exactement, répondit Mc Farlane.

– Je vous en prie, poursuivez.

Mc Farlane essuya son front moite et poursuivit son récit.

– Cette femme m’introduisit dans un salon où un frugal repas nous fut servi. Après cela, Mr. Jonas Oldacre me conduisit dans sa chambre où se trouvait un imposant coffre-fort. Il l’ouvrit et en sortit une masse de documents que nous parcourûmes ensemble. Il était entre onze heures et minuit lorsque nous terminâmes. Il fit la remarque que nous ne devions pas déranger la gouvernante et me fit sortir par la porte-fenêtre de sa chambre qui était restée ouverte toute la soirée.

– Le store était-il baissé ? demanda Holmes.

– Je n’en suis pas sûr mais je crois qu’il l’était à moitié.Oui, je me souviens qu’il l’a relevé pour ouvrir largement la  fenêtre. Je n’arrivais pas à trouver ma canne et il m’a dit :“Peu importe, mon garçon, j’espère vous voir souvent maintenant et  je la garderai jusqu’à ce que vous veniez me la réclamer.” Je l’ai laissé là, le coffre ouvert, ses papiers en petits tas sur sa  table. Il était trop tard pour que je rentre à Blackheath, alors j’ai passé la nuit au Anerley Arms et je n’ai rien su avant de lire  cette affreuse histoire ce matin.

– Vous vouliez savoir autre chose, Mr. Holmes ? coupa  Lestrade dont les sourcils s’étaient dressés à une ou deux reprises  durant cette brillante explication.

– Pas avant que je ne sois allé à Blackheath.

– Vous voulez dire à Norwood, corrigea Lestrade.

– Oh, oui, c’est certainement ce que j’ai voulu dire, répliqua  Holmes avec son sourire énigmatique.

Lestrade avait d’expérience, appris à reconnaître que ce cerveau  effilé comme un rasoir était capable de trancher dans ce qui lui  restait impénétrable. Je le vis observer étrangement mon  camarade.

– J’aimerais vous dire un mot, Mr. Sherlock Holmes, fit-il. Mr  Mc

Farlane, deux de mes agents sont à la porte avec une voiture.

Le misérable jeune homme se leva et, avec un dernier regard  suppliant dans notre direction, traversa la pièce. Les agents le conduisirent vers le fiacre mais Lestrade resta avec nous.

Holmes avait ramassé les pages qui constituaient le brouillon du  testament et il les étudiait. Le plus vif intérêt se lisait sur son  visage.

– Il y a quelques détails intéressants dans ces documents,Lestrade, vous ne croyez pas ? fit-il en les poussant vers lui.

Le fonctionnaire les parcourut avec perplexité.

– Je peux lire les premières lignes, comme celles du milieu de la seconde page ainsi qu’une ou deux à la fin. Celles-ci sont  parfaitement lisibles, fit-il, mais le reste est extrêmement mal  écrit. Et à trois endroits, je suis même incapable de déchiffrer  quoi que ce soit.

– Qu’en déduisez-vous ? interrogea Holmes.

– Eh bien, et vous, qu’en déduisez-vous ?

– Que cela a été rédigé dans un train. La bonne écriture  correspond aux arrêts en gare, la mauvaise, aux mouvements du train  et la très mauvaise aux passages à niveau. Un expert scientifique  affirmerait sans hésitation que ces documents ont été rédigés sur  une ligne de banlieue, car nulle part en dehors des environs immédiats d’une grande ville, ne peut se trouver une succession de  gares aussi rapide. Si l’on admet que tout son voyage a été  consacré à la rédaction de son testament, alors le train était un express qui ne s’est arrêté qu’une seule fois entre Norwood et le  Pont-de-Londres.

Lestrade commença à rire.

– Vous êtes trop obscur pour moi quand vous vous lancez dans vos théories, Mr. Holmes, répliqua-t-il. Quel rapport avec  l’affaire ?

– Cela corrobore le récit du jeune homme dans la mesure où le  testament a été rédigé par Jonas Oldacre au cours de son voyage  hier. Ne trouvez-vous pas étrange qu’un homme rédige un document  aussi important dans des conditions aussi hasardeuses ? Ce qui  suggère qu’il ne le jugeait pas d’une grande importance. Si un  homme voulait rédiger un testament qu’il n’a en aucun cas  l’intention de valider, il n’agirait pas autrement.

– Il a donc signé son arrêt de mort en même temps, trancha  Lestrade.

– Oh, c’est ce que vous croyez ?

– Pas vous ?

– Disons que c’est possible mais l’affaire ne me semble pas  encore claire.

– Pas claire ? Si ça n’est pas clair, qu’est-ce qui peut  l’être ? Voilà un jeune homme qui apprend brusquement que, si  un certain homme plus âgé meurt, il héritera d’une fortune. Que  fait-il ? Il ne dit rien à personne mais il invente un  prétexte quelconque pour sortir et voir son client ce soir-là. Il  attend jusqu’à ce que la seule personne de la maison soit au lit  et, dans la solitude d’une chambre à coucher, il tue cet homme,brûle son corps sur une pile de bois et s’en va dans un hôtel du  voisinage. Les taches de sang dans la chambre et sur la canne sont  minuscules. Il a probablement imaginé que son crime se ferait sans  effusion de sang et il espérait que le corps, une fois consumé, ne  laisserait aucun indice sur sa mort – indices qui, pour une raison  ou une autre, l’auraient directement mis en cause. Tout cela  n’est-il pas évident ?

– Cela me frappe, mon cher Lestrade, comme une évidence un rien  trop évidente, observa Holmes. Vous ne comptez pas l’imagination  parmi vos remarquables qualités mais, si vous pouviez une seconde  vous mettre à la place de ce jeune homme, choisiriez-vous justement  la nuit suivant la rédaction du testament pour commettre votre  crime ? Ne vous semblerait-il pas dangereux de créer un lien  si proche entre les deux événements ? Autre chose,passeriez-vous à l’action alors que votre présence dans la maison  est connue et qu’une domestique vous a ouvert la porte ? Et,enfin, vous donneriez-vous tant de mal pour dissimuler le corps et  laisser votre propre carme, la preuve vous désignant comme étant le  criminel ? Avouez, Lestrade, que tout cela est des plus  inhabituels.

– Pour ce qui est de la canne, Mr. Holmes, vous savez aussi bien  que moi qu’un criminel perd souvent la tête et qu’il adopte  certains comportements qu’un homme de sang-froid éviterait. Il  avait très probablement peur de retourner dans la chambre.Donnez-moi une autre théorie qui corresponde aux faits.

– Je pourrais facilement vous en donner une demi-douzaine,répliqua Holmes. En voici une par exemple parfaitement possible et  même fort probable. Je vous l’offre gracieusement. L’homme le plus  âgé montre des documents d’une valeur manifeste. Un vagabond qui  passe par là les voit par la fenêtre dont le store n’est qu’à  moitié baissé. Le notaire s’en va. Le vagabond arrive ! Il  attrape la canne qu’il a remarquée, tue Oldacre et s’en va après  avoir brûlé le corps.

– Pourquoi aurait-il brûlé le corps ?

– Pourquoi Mc  Farlane l’aurait-il fait ?

– Pour dissimuler une preuve.

– Le vagabond voulait peut-être cacher le fait qu’un meurtre  avait été commis.

– Et pourquoi le vagabond n’a-t-il rien pris ?

– Parce qu’il n’y avait que des papiers qu’il ne pouvait  négocier.

Lestrade hocha la tête, bien que son attitude parût moins  assurée qu’avant.

– Eh bien, Mr. Holmes, cherchez votre vagabond et, en attendant  que vous le trouviez, nous gardons notre homme. L’avenir nous dira  quel est le bon. Notez seulement ceci, Mr. Holmes : pour  autant que nous le sachions, aucun papier n’a été volé et le  prisonnier est le seul homme au monde qui n’avait aucune raison de  les voler parce qu’il en était l’héritier légitime et qu’il  finirait par les obtenir.

Mon ami parut ébranlé par cette remarque.

– Je n’ai pas l’intention de nier que les indices sont, d’une  certaine façon, largement en faveur de votre théorie, fit-il, je   souhaite seulement souligner le fait qu’il y a d’autres théories  possibles. Comme vous le disiez, l’avenir décidera. Bonne  journée ! J’ose affirmer que, dans le cours de la journée, je  ferai un tour à Norwood voir comment vous progressez.

L’inspecteur parti, mon ami se leva et se prépara pour sa  journée de travail avec la légèreté d’un homme qu’attend une tâche  agréable.

– Mon premier geste, Watson, m’expliqua-t-il alors qu’il  enfilait sa redingote d’un air affairé, sera, comme je l’ai dit, en  direction de Blackheath.

– Et pourquoi pas Norwood ?

– Parce que nous avons dans cette affaire un événement singulier  suivi de très près d’un autre événement singulier. La police commet  l’erreur de concentrer son attention sur le second parce qu’il  apparaît comme véritablement criminel. Mais en ce qui me concerne,il est évident que la façon logique d’aborder l’affaire est de  commencer par essayer de jeter quelque lumière sur le premier  événement – l’étrange testament, si soudainement établi et au  bénéfice d’un héritier si inattendu. Cela devrait pouvoir  simplifier ce qui a suivi. Non, mon cher ami, je ne crois pas que  vous puissiez m’aider. Il n’y a aucune menace de danger ou je  n’aurais jamais songé à sortir sans vous. J’espère, lorsque je vous  reverrai ce soir, être en mesure de vous dire que j’ai pu faire  quelque chose pour cet infortuné jeune homme qui s’est jeté sous ma  protection.

Lorsque mon ami revint, il était tard et, comme je pus le  constater par un coup d’œil à son visage défait et inquiet, les espoirs qu’il avait nourris n’avaient pas été comblés. Une heure  durant, il fit bourdonner son violon dans le but de soulager sa  contrariété. Il reposa enfin l’instrument et se lança dans le récit  détaillé de ses mésaventures.

– Tout se présente mal, Watson – aussi mal que possible. J’ai pris un air assuré devant Lestrade mais, grand Dieu, je crois que,pour une fois, notre camarade est sur la bonne piste et nous sur la mauvaise. Toutes mes intuitions vont dans un sens et tous les faits de l’autre. Et je crains sérieusement que les jurés britanniques  n’aient pas encore atteint le degré d’intelligence qui les poussera à préférer mes théories aux faits de Lestrade.

– Êtes-vous allé à Blackheath ?

– Oui, Watson, j’y suis allé et j’ai très vite découvert que feule regretté Oldacre était une fameuse fripouille. Le père était parti à la recherche de son fils. La mère était à la maison – une petite personne douce aux yeux bleus, tremblante de peur et  d’indignation. Elle n’admet naturellement pas la possibilité même de sa culpabilité. Mais elle n’a pas exprimé non plus de surprise  ou de regret concernant le sort de Oldacre. Au contraire, elle a parlé de lui avec une telle dureté qu’elle a inconsciemment  considérablement renforcé les convictions de la police. Car, bien  sûr, si son fils l’a entendue parler du bonhomme de cette façon, il  était prédisposé à la haine et à la violence. « Il ressemblait  plus à une brute fourbe et malveillante qu’à un être humain,m’a-t-elle dit. Et il l’a toujours été, même quand il était jeune. »

« – Vous le connaissiez à cette époque ? lui ai-je  demandé.

« – Oui, je le connaissais très bien. En fait, c’était un  de mes vieux soupirants. Je remercie le ciel d’avoir eu la présence  d’esprit de me détourner de lui et d’épouser un homme plus pauvre  mais meilleur. Nous étions fiancés, Mr. Holmes, lorsque j’appris  sur lui une histoire épouvantable. Il avait lâché un chat dans une  volière. Cette cruauté m’avait tellement horrifiée que j’ai  immédiatement rompu avec lui. »

« Elle a fouillé dans un secrétaire et, au bout d’un  moment, elle m’a montré la photographie d’une femme abominablement  défigurée et mutilée au couteau.

« – C’est une photo de moi, m’a-t-elle expliqué. Il me l’a  envoyée dans cet état avec sa malédiction, le jour de mon  mariage.

« – Eh bien, lui ai-je répondu, il vous a enfin pardonné  puisqu’il a légué toute sa fortune à votre fils.

« – Ni mon fils ni moi ne voulons rien de Jonas Oldacre,mort ou vivant ! s’écria-t-elle avec la plus vive énergie. Ily a un Dieu au ciel, Mr. Holmes et ce Dieu qui a puni cet homme malfaisant montrera, à l’heure qu’Il aura choisie, que les mains demon fils n’ont jamais versé son sang. »

« J’ai fait une ou deux tentatives. Je n’ai rien obtenu qui puisse renforcer nos hypothèses mais plusieurs points contre elles.J’ai fini par abandonner et je suis allé à Norwood.

« Cet endroit, Deep Dene House, est une imposante villa  moderne et voyante bâtie au fond d’un terrain bordé de massifs de  lauriers. Sur la droite et à quelque distance de la rue, se trouve  le chantier de bois où s’est déroulé l’incendie. Voici un plan  grossièrement dessiné sur une feuille de mon calepin. Cette fenêtre  sur la gauche est celle qui donne dans la chambre de Oldacre. Comme  vous le constatez, on la voit de la rue. C’est à peu près ma seule consolation de la journée. Lestrade n’était pas là mais son  sergent-chef m’a fait les honneurs de la maison. Ils venaient juste de découvrir un trésor. Ils ont passé la matinée à ratisser les cendres de la pile de bois carbonisée et, en dehors des restes d’origine organique, ils ont retrouvé plusieurs disques de métal  décoloré. Je les ai examinés avec attention et il ne fait aucun doute qu’il s’agit de boutons de pantalon. J’ai même remarqué que  l’un d’entre eux était frappé au nom de “Hyams”, le tailleur de  Oldacre. J’ai ensuite longuement étudié la pelouse à la recherche  d’indices ou de signes quelconques mais cette sécheresse a rendu le  sol aussi dur que de l’acier. Il n’y avait rien à découvrir sauf qu’un corps ou un paquet a été tiré à travers une basse haie de  troènes qui longe la pile de bois. Tout cela, bien sûr, cadre avec  la théorie officielle. J’ai rampé sur la pelouse, le dos exposé au  soleil d’août, mais je me suis relevé une heure plus tard tout  aussi ignorant.

« Après ce fiasco, je suis allé dans la chambre que j’ai  également examinée. Les taches de sang étaient minuscules, de  simples salissures décolorées, mais fraîches sans aucun doute. La  canne avait été enlevée mais là aussi les marques étaient à peine  visibles. Il ne fait aucun doute que la canne appartient à notre  client. Il l’a reconnu. Des empreintes de pas de deux hommes  peuvent être relevées sur le tapis mais aucune trace d’un troisième  individu, encore un pli pour l’adversaire. Ils accumulent les  points et nous sommes en plein marasme.

« Je n’ai qu’une lueur d’espoir, mais elle ne mène encore à  rien. J’ai étudié le contenu du coffre dont la majeure partie était  sortie et étalée sur la table. Les documents ont été rassemblés  dans des enveloppes cachetées, dont une ou deux ont été ouvertes  par la police. Tous ces documents n’étaient pas, pour autant que je  pus en juger, d’une grande valeur pas plus que le carnet de banque  ne montre que Mr. Oldacre vivait dans l’opulence. Mais il m’a paru  que l’ensemble des papiers n’était pas là. Il y avait des allusions  à des actions – certainement celles de plus grande valeur – que je n’ai pu trouver. Cela, naturellement, et si nous pouvons le prouver  sans ambiguïté, retournerait les arguments de Lestrade contre lui.Car qui volerait une chose dont il sait qu’il en héritera  bientôt ?

« Finalement, après avoir fouillé tous les recoins sans  découvrir aucune piste, j’ai tenté ma chance avec la gouvernante.Elle s’appelle Mrs. Lexington. C’est une petite femme brune,silencieuse, dotée d’un regard oblique et soupçonneux. Elle  pourrait nous faire des révélations si elle le voulait, j’en suis  convaincu. Mais elle s’est montrée aussi hermétique qu’une huître.Oui, elle avait introduit Mr. Mc  Farlane à neuf heures et demie.Elle aurait préféré perdre la main que d’avoir fait une chose  pareille. Elle était allée se coucher à dix heures trente. Sa  chambre était de l’autre côté de la maison et elle n’a rien entendu  de ce qui s’est passé. Mr. Mc  Farlane avait oublié son chapeau et,pour autant qu’elle le sache, sa canne, dans l’entrée. Elle avait  été réveillée par les sirènes des pompiers. Son pauvre cher maître  avait certainement été assassiné. Avait-il des ennemis ? Eh  bien, tout le monde a des ennemis mais Mr. Oldacre se tenait très à  l’écart et ne rencontrait les gens que pour affaires. Elle avait vu  les boutons et était certaine qu’ils venaient des vêtements qu’il  portait la veille. La pile de bois était très sèche parce qu’il  n’avait pas plu depuis un mois. Elle avait brûlé comme de la paille  et, le temps qu’elle arrive sur les lieux, on ne voyait rien  d’autre que les flammes. Elle et tous les pompiers avaient senti  l’odeur de chair brûlée qui s’en dégageait. Elle ne savait rien des  papiers pas plus que des affaires personnelles de Mr. Oldacre.

« Voici, mon cher Watson, le récit de mon échec. Et  pourtant, et pourtant…

Il serra ses mains fines au comble de la certitude.

– Je sais que tout est faux. Je le sens. Quelque chose  ne s’est pas encore manifesté et la gouvernante est au courant. Ily avait dans ses yeux le genre de défi revêche qui accompagne des connaissances coupables. Mais rien ne sert d’en parler davantage,Watson ; à moins d’un heureux hasard en notre faveur, je  crains que l’affaire de la disparition de Norwood ne figure jamais  dans cette chronique de nos succès qu’un public résigné devra tôt  ou tard, je le pressens, endurer.

– Gageons, objectai-je avec assurance, que l’apparence de  l’accusé jouera en sa faveur auprès des jurés.

– C’est un argument dangereux, mon cher Watson. Vous vous  souvenez de cet affreux meurtrier, Bert Stevens, qui voulait que  nous le fassions acquitter en 87 ? A-t-il jamais existé de  jeune homme au plus doux tempérament ?

– C’est vrai.

– À moins que ne nous ne réussissions à établir une autre  théorie, l’homme est perdu. Vous aurez du mal à trouver un détail  dans cette affaire qui ne se tourne contre lui et toute  investigation supplémentaire n’a servi qu’à l’étrangler davantage.À ce propos, il y a un curieux petit détail au sujet de ces papiers  qui pourrait nous servir comme point de départ pour une enquête. En  étudiant le livre de banque, j’ai constaté que le niveau peu élevé  de la balance était principalement dû à des chèques importants  établis au cours de l’année dernière au nom d’un Mr. Cornelius. Je dois dire qu’il serait intéressant de savoir qui est ce Mr.Cornelius pour avoir des transactions aussi importantes avec un  entrepreneur à la retraite. Peut-être a-t-il quelque chose à voir  avec le meurtre ? Cornelius est peut-être un courtier mais  nous n’avons découvert aucun titre qui corresponde à ces montants  élevés. À défaut d’autres indices, mes recherches doivent à présent  se tourner vers une enquête auprès de la banque pour découvrir qui  est le gentleman qui a touché ces chèques. Mais j’ai bien peur, mon  cher camarade, que l’affaire ne se termine peu glorieusement sur la  pendaison de notre client par Lestrade, ce qui constituera sans  aucun doute un triomphe pour Scotland Yard.

Je ne sais pas combien de temps Sherlock Holmes dormit cette  nuit-là mais, en descendant pour le petit déjeuner, je le découvris  pâle et épuisé, ses yeux rendus encore plus brillants par les  cernes qui les entouraient. Autour de son fauteuil, le tapis était  jonché de mégots de cigarette et des premières éditions des  journaux du matin. Un télégramme ouvert était posé sur la  table.

– Que pensez-vous de ça, Watson ? me lança-t-il en le  jetant vers moi.

Il venait de Norwood et était rédigé comme suit :

Nouvelle preuve importante. Culpabilité de Mc Farlane  définitivement établie. Vous conseille abandonner  l’affaire.

Lestrade

– Ça a l’air grave, fis-je.

– Le cocorico victorieux de Lestrade, répondit Holmes avec un  sourire amer. Et pourtant, il serait prématuré d’abandonner l’ affaire. Après tout, une nouvelle preuve importante est à double  tranchant et pourrait couper dans une direction tout à fait  différente de celle imaginée par Lestrade. Prenez votre petit  déjeuner, Watson, puis nous sortirons ensemble voir ce que nous  pouvons faire. Il me semble que j’aurais besoin de votre compagnie  et de votre soutien moral aujourd’hui.

De son côté, mon ami ne prit rien. Dans ces moments de grande  intensité, il avait en effet la particularité de ne s’autoriser  aucune nourriture. Et je l’avais déjà vu présumer de sa volonté de  fer jusqu’à défaillir d’inanition.

– Je ne peux actuellement consacrer aucune énergie ni aucune  force nerveuse à la digestion, répondait-il à mes remontrances  médicales.

Je n’étais donc pas étonné ce matin-là de le voir laisser son  assiette intacte derrière lui pour partir avec moi à Norwood. Une  foule de voyeurs morbides était toujours attroupée autour de Deep Dene House, une villa de banlieue telle que je me l’étais imaginée.Lestrade nous accueillit à l’intérieur, le visage rougi par la  victoire, toute son attitude exprimant un triomphalisme  grossier.

– Eh bien, Mr. Holmes, avez-vous démontré nos erreurs ?Avez-vous mis la main sur votre vagabond ? s’écria-t-il.

– Je n’ai arrêté aucune conclusion, répondit mon camarade.

– Nous avons arrêté les nôtres hier et il se trouve aujourd’hui  qu’elles sont exactes, alors reconnaissez que, cette fois, nous  vous avons légèrement devancé, Mr. Holmes.

– Vous donnez en effet l’impression qu’il s’est passé quelque  chose d’insolite, confirma Holmes.

Lestrade éclata de rire.

– Vous n’aimez pas plus que nous être battu, fit-il. Personne ne  peut s’attendre que les choses se passent toujours comme il  l’entend, n’est-ce pas, Mr. Watson ? Mais venez par ici,messieurs, je vous en prie, et je crois pouvoir vous convaincre une  bonne fois pour toutes que John Mc  Farlane est bien l’auteur de ce  crime.

Il nous conduisit dans une entrée sombre de l’autre côté du  couloir.

– C’est ici que le jeune Mc  Farlane a dû venir récupérer son  chapeau après le crime, nous expliqua-t-il. Tenez, regardez ça.

Avec une soudaineté théâtrale, il frotta une allumette dont la  flamme révéla une tache de sang sur le mur blanc. Comme il  approchait la lumière, je constatai qu’il ne s’agissait pas d’une  simple tache mais de l’empreinte très nette d’un pouce.

– Observez-la avec votre loupe, Mr. Holmes.

– Oui, c’est ce que je m’apprêtais à faire.

– Vous savez qu’il n’existe pas deux empreintes de pouce  identiques ?

– J’ai entendu dire quelque chose comme ça.

– Dans ce cas, voudriez-vous la comparer avec le tirage de cire  que nous avons du pouce droit du jeune Mc  Farlane, réalisé ce matin  selon mes instructions ?

Lorsqu’il approcha l’empreinte de cire de la tache de sang,aucune loupe n’était nécessaire pour voir que les deux provenaient  incontestablement du même pouce. Il était pour moi évident que  notre infortuné client était perdu.

– Voilà qui est sans appel, lâcha Lestrade.

– Oui, sans appel, répétai-je malgré moi en écho.

– Sans appel, confirma Holmes.

Quelque chose dans le ton de sa voix capta mon attention et je  me tournai vers lui pour l’observer. Un changement extraordinaire  était intervenu sur son visage. Il frémissait d’hilarité contenue.Ses yeux brillaient comme deux étoiles. Il me parut qu’il  fournissait des efforts désespérés pour contenir un formidable fou  rire.

– Voyez-vous ça ! Voyez-vous ça ! fit-il enfin. Qui  l’aurait cru ? Comme les apparences peuvent être trompeuses,vraiment ! Un si charmant jeune homme à défendre ! Ne passe fier à notre propre jugement, voilà une admirable leçon pour  nous, n’est-ce pas, Lestrade ?

– Oui, certains d’entre nous ont une tendance un peu trop  prononcée à l’outrecuidance, Mr. Holmes, approuva Lestrade.

Son insolence était exaspérante mais nous ne pouvions faire  autrement que de la supporter.

– Quelle chance providentielle que ce jeune homme ait appuyé son  pouce droit sur le mur en prenant son chapeau accroché à la  patère ! Un geste si naturel aussi, quand on y pense.

Holmes avait l’air calme mais, en parlant, tout son corps  frémissait d’une agitation contenue.

– Au fait, Lestrade, à qui doit-on cette brillante  découverte ?

– C’est la gouvernante, Mrs. Lexington, qui a attiré l’attention  de l’agent de police en service de nuit.

– Où était l’agent en service de nuit ?

– Il montait la garde dans la chambre du crime, pour que rien ne  soit dérangé.

– Mais pourquoi la police n’a-t-elle pas relevé cette empreinte  hier ?

– Eh bien, nous n’avions aucune raison particulière de faire un  examen minutieux du hall. D’ailleurs et comme vous le constatez, ça  n’est pas un endroit très accessible.

– Non, non, bien sûr que non. J’imagine qu’il ne fait aucun  doute que l’empreinte était là hier ?

Lestrade regarda Holmes comme s’il perdait la tête. J’avoue  avoir été moi-même surpris par son comportement hilare et sa  remarque pour le moins extravagante.

– Je ne sais pas si vous croyez que ce Mc  Farlane est sorti de  prison en plein milieu de la nuit pour renforcer les preuves dont  nous disposons contre lui, commença Lestrade, mais je fais  confiance à n’importe quel expert du monde pour prouver qu’il  s’agit bien de l’empreinte de Mc Farlane.

– C’est indubitablement l’empreinte de son pouce.

– Alors c’est suffisant, trancha Lestrade. Je suis un homme  pratique, Mr. Holmes et quand je dispose de preuves, j’en tire les  conclusions. Si vous avez quelque chose à me dire, je vais au salon  rédiger mon rapport.

Holmes avait recouvré sa sérénité malgré les quelques lueurs  d’amusement qui se lisaient encore dans son expression.

– C’est une évolution véritablement attristante, n’est-ce pas,Watson ? me dit-il. Mais elle comporte cependant des points  surprenants qui nous permettent de nourrir quelques espoirs pour  notre client.

– Je suis ravi de l’entendre, fis-je chaleureusement. J’avais  craint que tout ne fût perdu.

– Je n’irais certainement pas jusque-là, mon cher Watson. Le  fait est qu’il y a une anomalie tout à fait majeure dans la preuve  à laquelle notre ami attache une telle importance.

– Vraiment, Holmes ! De quoi s’agit-il ?

– Simplement de ceci : je sais que cette empreinte  n’existait pas quand j’ai examiné cette entrée hier. À présent,Watson, allons faire une petite promenade au soleil.

L’esprit passablement confus mais une petite flamme d’espoir  renaissant au cœur, j’accompagnai mon ami dans sa promenade au  jardin. Holmes prit toutes les façades de la maison à tour de rôle  et les examina avec la plus grande attention. Puis il rentra et  passa le bâtiment en revue, de la cave au grenier. La plupart des  pièces n’étaient pas meublées. Holmes les inspecta néanmoins toutes très minutieusement. Finalement, dans le couloir supérieur ;qui desservait trois chambres inoccupées, il fut saisi d’un nouveau spasme d’hilarité.

– Cette affaire présente vraiment des caractéristiques exceptionnelles, Watson, fit-il. Je crois qu’il est temps à présent de mettre Lestrade dans la confidence. Il a eu son petit moment de bonheur à nos dépens et, si ma lecture du problème se révèle exacte, nous allons peut-être lui rendre la monnaie de sa pièce.Oui, oui, je crois voir comment nous y prendre.

L’inspecteur de Scotland Yard écrivait encore dans le salon lorsque Holmes vint l’interrompre.

– J’ai cru comprendre que vous rédigiez le rapport de cette affaire, fit-il.

– C’est exact.

– Ne croyez-vous pas que ce soit un peu prématuré ? Je ne peux m’empêcher de croire que vos témoignages ne sont pas complets.

Lestrade connaissait trop bien mon ami pour mépriser ses paroles. Il abandonna son stylo et le regarda avec curiosité.

– Que voulez-vous dire, Mr. Holmes ?

– Seulement qu’il y a un témoin important que vous n’avez pas entendu.

– Pouvez-vous le produire ?

– Je crois que oui.

– Alors faites-le.

– Je vais faire de mon mieux. Combien d’agent  savez-vous ?

– Trois à portée de voix.

– Parfait ! s’exclama Holmes. Puis-je vous demander s’ils  sont grands, robustes et pourvus de voix puissantes ?

– Sans aucun doute, bien que je ne voie pas ce que leurs voix  ont à voir là-dedans.

– Peut-être vais-je pouvoir vous éclairer là-dessus comme sur  quelques autres points, poursuivit Holmes. Ayez la gentillesse  d’appeler vos hommes et je vais m’y employer.

Cinq minutes plus tard, trois policiers étaient réunis dans  l’entrée.

– Dans la remise, vous trouverez une quantité considérable de paille, commença Holmes. Je vous demande d’en apporter deux bottes.Je pense qu’elles nous seront d’un grand secours pour produire le  témoin dont j’ai besoin. Merci beaucoup. Je crois que vous avez des  allumettes dans votre poche, Watson. Maintenant, Mr. Lestrade, je  vais vous demander à tous de m’accompagner sur le palier du dernier  étage.

Comme je l’ai dit, il y avait un large couloir qui desservait  trois chambres vides. Sherlock Holmes nous rassembla tous à l’une  des extrémités. Les agents souriaient et Lestrade dévisageait mon  ami, la stupeur, l’expectative et l’ironie se succédant sur ses  traits.

Holmes se planta devant nous avec l’air d’un illusionniste  réalisant un de ses tours.

– Auriez-vous l’amabilité d’envoyer un de vos agents chercher  deux seaux d’eau ? Mettez la paille sur le sol ici, loin des  murs. Bon, à présent, je pense que nous sommes prêts.

La rougeur et la colère commençaient à envahir le visage de  Lestrade.

– Je ne sais pas à quel jeu vous jouez, Mr. Sherlock Holmes,commença-t-il, mais si vous savez quoi que ce soit, vous pouvez  certainement nous le dire sans avoir recours à toutes ces  âneries.

– Je vous assure, mon bon Lestrade, que j’ai une excellente  raison d’agir ainsi. Vous vous souvenez certainement de m’avoir  légèrement taquiné, il y a quelques heures, quand le soleil  semblait illuminer vos plates-bandes, alors ne me tenez pas rigueur  d’un peu de pompe et de cérémonie. Puis-je vous demander, Watson,d’ouvrir cette fenêtre et de mettre le feu à la paille ?

Je m’exécutai et, alors que la paille sèche craquait en  s’enflammant, poussée par le courant d’air, une volute de fumée  grise tourbillonna dans le couloir.

– Voyons à présent si nous pouvons produire votre témoin, Mr.Lestrade. Puis-je vous demander à tous de crier « Au  feu ! » ? Alors allons-y. Un, deux, trois…

– Au feu ! nous écriâmes-nous tous.

– Merci. Je vais vous déranger une nouvelle fois.

– Au feu !

– Juste une dernière fois, messieurs et tous ensemble.

– Au feu !

Le cri avait dû résonner dans tout Norwood.

Il était à peine éteint lorsqu’une chose stupéfiante se produisit. Une porte s’ouvrit à la volée dans ce qui semblait être  un mur épais à l’autre bout du couloir et un petit homme ratatiné  en surgit, comme un lapin de son terrier.

– Prodigieux ! lâcha Holmes sans sourciller. Watson, un  seau d’eau sur la paille. Cela fera l’affaire ! Lestrade,permettez-moi de vous présenter votre principal témoin manquant,Mr. Jonas Oldacre.

L’inspecteur fixait sur l’arrivant un regard stupéfait. Ce  dernier clignait des yeux à la vive lumière du couloir, son regard  interrogateur passant sans comprendre de notre petite troupe aux  restes fumants du brasier. C’était un visage odieux où se lisaient  la ruse, la haine, la malveillance, avec deux yeux clairs, fuyants,et des cils blancs.

– Qu’est-ce que c’est ? s’exclama enfin Lestrade. Qu’est-ce   que vous avez fichu tout ce temps ?

Oldacre lâcha un rire gêné, reculant devant le visage rouge de  fureur de l’inspecteur hors de lui.

– Je n’ai fait aucun mal.

– Aucun mal ? Vous avez fait tout ce que vous avez pu pour  faire pendre un innocent. Si ce gentleman n’avait pas été là, je ne  suis pas sûr que vous n’eussiez pas réussi.

La misérable créature commença à gémir.

– Ce n’était, monsieur, qu’une plaisanterie.

– Oh ! une plaisanterie, n’est-ce pas ? Rira bien qui  rira le dernier, vous pouvez me croire. Faites-le descendre et  enfermez-le au salon jusqu’à mon arrivée. Mr. Holmes, poursuivit-il  lorsqu’ils furent partis, je ne pouvais parler devant les agents,mais peu m’importe de dire devant le docteur Watson que c’est  l’enquête la plus brillante que vous ayez jamais réalisée, bien que  la façon dont vous l’avez résolue reste pour moi un mystère. Vous  avez sauvé la vie d’un innocent et vous avez évité un scandale dont  la gravité aurait ruiné ma réputation dans la police.

Holmes sourit en frappant l’épaule de Lestrade.

– Plutôt que ruinée, mon bon monsieur, vous allez découvrir que  votre réputation va s’en trouver valorisée. Quelques modifications  dans le rapport que vous êtes en train de rédiger et ils  comprendront combien il est difficile de jeter de la poudre aux  yeux de l’inspecteur Lestrade.

– Et vous ne voulez pas que votre nom apparaisse ?

– Pas le moins du monde. Le travail est ma seule récompense.Peut-être m’en attribuerai-je quelque mérite un jour lointain,quand j’autoriserai mon historien zélé à rassembler ses feuillets,hein, Watson ? Bien, maintenant allons voir où ce rat était  tapi.

Une cloison de lattes de bois et de plâtre avait été montée en  travers du couloir, à deux mètres du fond, avec une porte  astucieusement dissimulée. L’intérieur était éclairé par des fentes  sous les avant-toits. Quelques meubles, une provision de nourriture  et de l’eau y étaient entreposés ainsi qu’un certain nombre de  livres et de papiers.

– Voilà les avantages d’être entrepreneur, fit Holmes alors que  nous sortions de la pièce. Il pouvait arranger sa propre petite  cachette sans l’aide d’un complice, à l’exception, bien sûr, de sa  précieuse gouvernante, que je ne perdrais pas de temps à fourrer  dans mon sac, Lestrade.

– Je vais suivre votre conseil. Mais comment avez-vous découvert  cet endroit, Mr. Holmes ?

– J’ai décrété que notre camarade se cachait dans la maison.Lorsque j’ai arpenté le couloir et que j’ai découvert qu’il  mesurait deux mètres de moins que celui de l’étage inférieur  l’endroit où il se trouvait était clair. Je me suis dit qu’il  n’aurait pas le cran de résister à une alerte au feu. Nous aurions,bien sûr, pu le débusquer autrement mais cela m’amusait de le  pousser à sortir lui-même de sa cachette. Et puis, je vous devais  une petite mystification, Lestrade, pour votre facétie de la  matinée.

– Eh bien, monsieur, nous sommes quittes. Mais comment diable  avez-vous deviné qu’il était seulement dans la maison ?

– L’empreinte du pouce, Lestrade. Vous disiez que c’était  décisif ; et c’était le cas mais dans un sens bien différent.Je savais qu’elle ne s’y trouvait pas la veille. Je ne néglige  jamais aucun détail, comme vous avez dû le remarquer. J’avais  examiné l’entrée et j’étais sûr que le mur était vierge. Elle avait  donc été apposée au cours de la nuit.

– Mais comment ?

– Très simplement. Quand ces enveloppes ont été scellées, Jonas  Oldacre a demandé à Mc Farlane de bien fermer un des sceaux en  apposant son pouce sur la cire tiède. Cela a dû être fait si vite  et si naturellement que j’ose dire que le jeune homme lui-même n’en  a aucun souvenir. Les choses se sont très probablement passées  comme ça et Oldacre lui-même n’avait aucune idée de ce qu’il  pourrait en faire. Ruminant l’affaire dans son antre, la preuve  absolument accablante qu’il pouvait tirer de l’utilisation de cette  empreinte contre Mc  Farlane lui est brusquement apparue. Faire un  tirage de cire de cette empreinte, l’imbiber avec du sang suite à  une piqûre d’épingle et poser cette marque sur le mur pendant la  nuit, de sa propre main ou de celle de sa gouvernante, tout cela  était d’une extrême simplicité. Si vous examinez les documents  qu’il a emportés dans sa retraite, je vous parie que vous découvrirez le sceau portant l’empreinte.

– Splendide ! s’exclama Lestrade. Splendide ! Vous  l’exprimez de telle manière que tout est clair comme de l’eau de  roche. Mais pourquoi une telle machination, Mr Holmes ?

Je m’amusais de constater combien l’attitude arrogante du  détective avait brusquement changé pour celle d’un enfant  interrogeant son maître.

– Je ne crois pas que cela soit très difficile à expliquer.L’homme qui nous attend en bas est un individu très profondément   méchant et vindicatif. Savez-vous qu’il fut jadis repoussé par la  mère de Mc  Farlane ? Non ! Je vous avais dit d’aller à  Blackheath avant de vous rendre à Norwood. Eh bien, cette injure,c’est ainsi qu’il a considéré la chose, s’est greffée dans son  cerveau méchant et rusé et il a attendu toute sa vie sa vengeance  sans jamais en voir la possibilité. Depuis un an ou deux, ses  affaires ne marchaient pas très bien, je penche pour des  spéculations hasardeuses, et il s’est trouvé en mauvaise posture.Il a décidé d’escroquer ses créditeurs et, dans ce but, a établi  des chèques très élevés à l’ordre d’un certain Mr. Cornelius, qui  n’est autre, j’imagine, que lui-même. Je n’ai pas encore retrouvé  la trace de ces chèques mais je suis sûr qu’ils ont été encaissés  sous ce nom dans quelque ville de province où Oldacre de temps en  temps mène une double vie. Il avait aussi l’intention de changer  complètement de nom, de prendre cet argent et de disparaître pour  recommencer une nouvelle vie ailleurs.

– C’est fort probable.

– Il se disait que sa disparition arrêterait toutes les  poursuites contre lui et lui procurerait du même coup une vengeance  entière et écrasante contre son ancienne bien-aimée s’il pouvait  donner l’impression d’avoir été assassiné par son enfant unique. Un  chef-d’œuvre d’infamie qu’il a dirigé de main de maître. L’idée du  testament, qui donnait un mobile parfait à ce crime, la visite  ignorée de ses propres parents, la rétention de la canne, le sang,les restes animaux et les boutons dans le feu, tout était  admirable. Un filet aux mailles duquel il me semblait, il y a  encore quelques heures, impossible d’échapper. Mais ce don suprême  de l’artiste : savoir quand s’arrêter, lui fait défaut. Il a  voulu améliorer ce qui était déjà parfait, serrer un peu plus la corde autour du cou de son infortunée victime et il a tout ruiné.Descendons, Lestrade. Il y a encore une ou deux questions que  j’aimerais lui poser.

La créature malfaisante était assise dans son propre salon,encadrée par deux policiers.

– C’était une plaisanterie, mon bon monsieur, une simple  plaisanterie, rien de plus, gémissait-il sans cesse. Je vous assure  que je ne me suis caché que pour voir les effets de ma disparition  et je suis sûr que vous n’aurez pas l’injustice de croire que  j’aurais laissé le moindre mal arriver à ce pauvre Mc  Farlane.

– Les jurés en décideront, répliqua Lestrade. Quoi qu’il en  soit, je vous inculpe de complot d’escroquerie sinon de tentative  de meurtre.

– Et vous ne tarderez très probablement pas à découvrir que vos  créditeurs vont saisir le compte bancaire de Mr. Cornelius, ajouta  Holmes.

Le petit homme sursauta et tourna ses yeux mauvais sur mon  ami.

– Je vous dois beaucoup de choses, fit-il, peut-être aurai-je un  jour l’occasion de payer mes dettes.

Holmes sourit avec complaisance.

– Je crois que les quelques prochaines années vont vous trouver  très occupé, fit-il. À propos, qu’avez-vous mis dans le feu en plus  de vos vieux pantalons ? Un chien mort, des lapins, ou  quoi ? Vous ne me le direz pas ? Mon cher, comme c’est  cruel de votre part ! Bien, bien, disons alors qu’un couple de  lapins rendra compte du sang et des restes carbonisés. Si jamais  vous en faites le récit, Watson, des lapins feront l’affaire.

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