Les fourberies de Scapin de Molière

Scapin

Il est vrai ; mais quoi ? on ne prévoyait pas les choses. De grâce, Monsieur, dépêchez. Géronte

Tiens, voilà la clef de mon armoire.

Scapin

Bon.

Géronte

Tu l’ouvriras.

Scapin

Fort bien.

Géronte

Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier.

Scapin

Oui.

Géronte

Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils.

Scapin, en lui rendant la clef.

Eh ! Monsieur, rêvez-vous ? Je n’aurois pas cent francs de tout ce que vous dites ; et de plus, vous savez le peu de temps qu’on m’a donné. Géronte

Mais que diable alloit-il faire à cette galère ?

Scapin

Oh ! que de paroles perdues ! Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas ! mon pauvre maître, peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu’à l’heure que je parle, on t’emmène esclave en Alger. Mais le Ciel me sera témoin que j’ai fait pour toi tout ce que j’ai pu ; et que si tu manques à être racheté, il n’en faut accuser que le peu d’amitié d’un père.

Géronte

Attends, Scapin, je m’en vais querir cette somme.

Scapin

Dépêchez donc vite, Monsieur, je tremble que l’heure ne sonne.

Géronte

N’est-ce pas quatre cents écus que tu dis ?

Scapin

Non : cinq cents écus.

Géronte

Cinq cents écus ? Scapin

Oui.

Géronte

Que diable alloit-il faire à cette galère ?

Scapin

Vous avez raison, mais hâtez-vous.

Géronte

N’y avait-il point d’autre promenade ?

Scapin

Cela est vrai. Mais faites promptement.

Géronte

Ah ! maudite galère !

Scapin

Cette galère lui tient au coeur.

Géronte

Tiens, Scapin, je ne me souvenois pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyois pas qu’elle dût m’être si tôt ravie. (Il lui présente sa bourse, qu’il ne laisse pourtant pas aller ; et, dans ses transports, il fait aller son bras de côté et d’autre, et Scapin le sien pour avoir la bourse.) Tiens. Va-t’en racheter mon fils. Scapin

Oui, Monsieur.

Géronte

Mais dis à ce Turc que c’est un scélérat.

Scapin

Oui.

Géronte

Un infâme.

Scapin

Oui.

Géronte

Un homme sans foi, un voleur.

Scapin

Laissez-moi faire.

Géronte

Qu’il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit.

Scapin

Oui.

Géronte

Que je ne les lui donne ni à la mort, ni à la vie. Scapin

Fort bien.

Géronte

Et que si jamais je l’attrape, je saurai me venger de lui.

Scapin

Oui.

Géronte, remet la bourse dans sa poche, et s’en va.

Va, va, vite requérir mon fils.

Scapin, allant après lui.

Holà ! Monsieur.

Géronte

Quoi ?

Scapin

Où est donc cet argent ?

Géronte

Ne te l’ai-je pas donné ?

Scapin

Non vraiment, vous l’avez remis dans votre poche.

Géronte

Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit. Scapin

Je le vois bien.

Géronte

Que diable alloit-il faire dans cette galère ? Ah ! maudite galère ! traître de Turc à tous les diables !

Scapin

Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n’est pas quitte envers moi, et je veux qu’il me paye en une autre monnoie l’imposture qu’il m’a faite auprès de son fils. Scène VIII

Octave, Léandre, Scapin

Octave

Hé bien ! Scapin, as-tu réussi pour moi dans ton entreprise ?

Léandre

As-tu fait quelque chose pour tirer mon amour de la peine où il est ?

Scapin

Voilà deux cents pistoles que j’ai tirées de votre père.

Octave

Ah ! que tu me donnes de joie !

Scapin

Pour vous, je n’ai pu faire rien.

Léandre, veut s’en aller.

Il faut donc que j’aille mourir ; et je n’ai que faire de vivre si Zerbinette m’est ôtée.

Scapin

Holà, holà ! tout doucement. Comme diantre vous allez vite !

Léandre se retourne.

Que veux-tu que je devienne ? Scapin

Allez, j’ai votre affaire ici

Léandre revient.

Ah ! tu me redonnes la vie.

Scapin

Mais à condition que vous me permettez à moi une petite vengeance contre votre père, pour le tour qu’il m’a fait.

Léandre

Tout ce que tu voudras.

Scapin

Vous me le promettez devant témoin.

Léandre

Oui.

Scapin

Tenez, voilà cinq cents écus.

Léandre

Allons en promptement acheter celle que j’adore.

LES FOURBERIES DE SCAPIN – MOLIÈRE > ACTE III

Acte III

Scène I

Zerbinette, Hyacinte, Scapin, Silvestre

Silvestre

Oui, vos amants ont arrêté entre eux que vous fussiez ensemble ; et nous nous acquittons de l’ordre qu’ils nous ont donné.

Hyacinte

Un tel ordre n’a rien qui ne me soit fort agréable. Je reçois avec joie une compagnie de la sorte ; et il ne tiendra pas à moi que l’amitié qui est entre les personnes que nous aimons ne se répande entre nous deux.

Zerbinette

J’accepte la proposition, et ne suis point personne à reculer, lorsqu’on m’attaque d’amitié.

Scapin

Et lorsque c’est d’amour qu’on vous attaque ?

Zerbinette

Pour l’amour, c’est une autre chose ; on y court un peu plus de risque, et je n’y suis pas si hardie.

Scapin

Vous l’êtes, que je crois, contre mon maître maintenant ; et ce qu’il vient de faire pour vous, doit vous donner du coeur pour répondre comme il faut à sa passion. Zerbinette

Je ne m’y fie encore que de la bonne sorte ; et ce n’est pas assez pour m’assurer entièrement, que ce qu’il vient de faire. J’ai l’humeur enjouée, et sans cesse je ris ; mais tout en riant, je suis sérieuse sur de certains chapitres ; et ton maître s’abusera, s’il croit qu’il lui suffise de m’avoir achetée pour me voir toute à lui. Il doit lui en coûter autre chose que de l’argent ; et pour répondre à son amour de la manière qu’il souhaite, il me faut un don de sa foi qui soit assaisonné de certaines cérémonies qu’on trouve nécessaires.

Scapin

C’est là aussi comme il l’entend. Il ne prétend à vous qu’en tout bien et en tout honneur ; et je n’aurois pas été homme à me mêler de cette affaire, s’il avoit une autre pensée.

Zerbinette

C’est ce que je veux croire, puisque vous me le dites ; mais, du côté du père, j’y prévois des empêchements.

Scapin

Nous trouverons moyen d’accommoder les choses.

Hyacinte

La ressemblance de nos destins doit contribuer encore à faire naître notre amitié ; et nous nous voyons toutes deux dans les mêmes alarmes, toutes deux exposées à la même infortune. Zerbinette

Vous avez cet avantage, au moins, que vous savez de qui vous êtes née ; et que l’appui de vos parents, que vous pouvez faire connoître, est capable d’ajuster tout, peut assurer votre bonheur, et faire donner un consentement au mariage qu’on trouve fait. Mais pour moi, je ne rencontre aucun secours dans ce que je puis être, et l’on me voit dans un état qui n’adoucira pas les volontés d’un père qui ne regarde que le bien.

Hyacinte

Mais aussi avez-vous cet avantage, que l’on ne tente point par un autre parti celui que vous aimez.

Zerbinette

Le changement du coeur d’un amant n’est pas ce qu’on peut le plus craindre. On se peut naturellement croire assez de mérite pour garder sa conquête ; et ce que je vois de plus redoutable dans ces sortes d’affaires, c’est la puissance paternelle, auprès de qui tout le mérite ne sert de rien.

Hyacinte

Hélas ! pourquoi faut-il que de justes inclinations se trouvent traversées ? La douce chose que d’aimer, lorsque l’on ne voit point d’obstacle à ces aimables chaînes dont deux coeurs se lient ensemble ! Scapin

Vous vous moquez : la tranquillité en amour est un calme désagréable ; un bonheur tout uni nous devient ennuyeux ; il faut du haut et du bas dans la vie ; et les difficultés qui se mêlent aux choses réveillent les ardeurs, augmentent les plaisirs.

Zerbinette

Mon Dieu, Scapin, fais-nous un peu ce récit, qu’on m’a dit qui est si plaisant, du stratagème dont tu t’es avisé pour tirer de l’argent de ton vieillard avare. Tu sais qu’on ne perd point sa peine lorsqu’on me fait un conte, et que je le paye assez bien par la joie qu’on m’y voit prendre.

Scapin

Voilà Silvestre qui s’en acquittera aussi bien que moi. J’ai dans la tête certaine petite vengeance, dont je vais goûter le plaisir.

Silvestre

Pourquoi, de gaieté de coeur, veux-tu chercher à t’attirer de méchantes affaires ?

Scapin

Je me plais à tenter des entreprises hasardeuses.

Silvestre

Je te l’ai déjà dit, tu quitterois le dessein que tu as, si tu m’en voulois croire. Scapin

Oui, mais c’est moi que j’en croirai.

Silvestre

A quoi diable te vas-tu amuser ?

Scapin

De quoi diable te mets-tu en peine ?

Silvestre

C’est que je vois que, sans nécessité, tu vas courir risque de t’attirer une venue de coups de bâton.

Scapin

Hé bien ! c’est aux dépens de mon dos, et non pas du tien.

Silvestre

Il est vrai que tu es maître de tes épaules, et tu en disposeras comme il te plaira.

Scapin

Ces sortes de périls ne m’ont jamais arrêté, et je hais ces coeurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les suites des choses, n’osent rien entreprendre.

Zerbinette

Nous aurons besoin de tes soins. Scapin

Allez : je vous irai bientôt rejoindre. Il ne sera pas dit qu’impunément on m’ait mis en état de me trahir moi-même, et de découvrir des secrets qu’il étoit bon qu’on ne sût pas. Scène II

Géronte, Scapin

Géronte

Hé bien, Scapin, comment va l’affaire de mon fils ?

Scapin

Votre fils, Monsieur, est en lieu de sûreté ; mais vous courez maintenant, vous, le péril le plus grand du monde, et je voudrois pour beaucoup que vous fussiez dans votre logis.

Géronte

Comment donc ?

Scapin

A l’heure que je parle, on vous cherche de toutes parts pour vous tuer.

Géronte

Moi ?

Scapin

Oui.

Géronte

Et qui ? Scapin

Le frère de cette personne qu’Octave a épousée. Il croit que le dessein que vous avez de mettre votre fille à la place que tient sa soeur est ce qui pousse le plus fort à faire rompre leur mariage ; et, dans cette pensée, il a résolu hautement de décharger son désespoir sur vous et vous ôter la vie pour venger son honneur. Tous ses amis, gens d’épée comme lui, vous cherchent de tous les côtés et demandent de vos nouvelles. J’ai vu même deçà et delà des soldats de sa compagnie qui interrogent ceux qu’ils trouvent, et occupent par pelotons toutes les avenues de votre maison. De sorte que vous ne sauriez aller chez vous, vous ne sauriez faire un pas ni à droit, ni à gauche, que vous ne tombiez dans leurs mains.

Géronte

Que ferai-je, mon pauvre Scapin ?

Scapin

Je ne sais pas, Monsieur ; et voici une étrange affaire. Je tremble pour vous depuis les pieds jusqu’à la tête, et… Attendez. (Il se retourne, et fait semblant d’aller voir au bout du théâtre s’il n’y a personne.)

Géronte, en tremblant.

Eh ?

Scapin, en revenant.

Non, non, non, ce n’est rien. Géronte

Ne saurois-tu trouver quelque moyen pour me tirer de peine ?

Scapin

J’en imagine bien un ; mais je courrois risque, moi, de me faire assommer.

Géronte

Eh ! Scapin, montre-toi serviteur zélé : ne m’abandonne pas, je te prie.

Scapin

Je le veux bien. J’ai une tendresse pour vous qui ne sauroit souffrir que je vous laisse sans secours.

Géronte

Tu en seras récompensé, je t’assure ; et je te promets cet habit-ci, quand je l’aurai un peu usé.

Scapin

Attendez. Voici une affaire que je me suis trouvée fort à propos pour vous sauver. Il faut que vous vous mettiez dans ce sac et que…

Géronte, croyant voir quelqu’un.

Ah ! Scapin

Non, non, non, non, ce n’est personne. Il faut, dis-je, que vous vous mettiez là dedans, et que vous gardiez de remuer en aucune façon. Je vous chargerai sur mon dos, comme un paquet de quelque chose, et je vous porterai ainsi au travers de vos ennemis, jusque dans votre maison, où quand nous serons une fois, nous pourrons nous barricader, et envoyer querir main-forte contre la violence.

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