Lettre LXXV
Nota. — Dans cette lettre, Cécile Volanges rend compte avec le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les événements que le lecteur a vus lettres LXI et suivantes. On a cru devoir supprimer cette répétition. Elle parle enfin du vicomte de Valmont et elle s’exprime ainsi :
… Je t’assure que c’est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal, mais le chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, et je crois que c’est lui qui a raison. Je n’ai jamais vu d’homme aussi adroit. Quand il m’a rendu la lettre de Danceny, c’était au milieu de tout le monde, et personne n’en a rien vu ; il est vrai que j’ai eu bien peur, parce que je n’étais prévenue de rien, mais à présent je m’y attendrai. J’ai déjà fort bien compris comment il voulait que je fisse pour lui remettre ma réponse. Il est bien facile de s’entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu’il veut. Je ne sais pas comment il fait ; il me disait, dans le billet dont je t’ai parlé, qu’il n’aurait pas l’air de s’occuper de moi devant maman : en effet, on dirait toujours qu’il n’y songe pas ; et pourtant, toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sûre de les rencontrer tout de suite.
Il y a ici une bonne amie de maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l’air de ne guère aimer M. de Valmont, quoiqu’il ait bien des attentions pour elle. J’ai peur qu’il ne s’ennuie bientôt de la vie qu’on mène ici et qu’il ne s’en retourne à Paris : cela serait bien fâcheux. Il faut qu’il ait bien bon cœur d’être venu exprès pour rendre service à son ami et à moi ! Je voudrais bien lui en témoigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler, et quand j’en trouverais l’occasion, je serais si honteuse que je ne saurais peut-être que lui dire.
Il n’y a que Mme de Merteuil avec qui je parle librement quand je parle de mon amour. Peut-être même qu’avec toi, à qui je dis tout, si c’était en causant, je serais embarrassée. Avec Danceny lui-même, j’ai souvent senti, comme malgré moi, une certaine crainte qui m’empêchait de lui dire tout ce que je pensais. Je me le reproche bien à présent et je donnerais tout au monde pour trouver le moment de lui dire une fois, une seule fois, combien je l’aime. M. de Valmont lui a promis que si je me laissais conduire, il nous procurerait l’occasion de nous revoir. Je ferai bien assez ce qu’il voudra, mais je ne peux pas concevoir que cela soit possible.
Adieu, ma bonne amie, je n’ai plus de place23.
Du château de…, ce 14 septembre 17**.