Les Mystères du peuple – Tome IX

Chapitre 2VAUCOULEURS.

Le capitaine Robert de Baudricourt et Denis Laxart. –L’entrevue. – Le sire de Novelpont. – Jeanne. – L’inspiration. –Départ pour le château royal de Chinon.

 

Robert de Baudricourt, chef de guerre àVaucouleurs, homme dans la force de l’âge, d’une tournure martiale,d’une figure dont la rudesse était rachetée par un regardintelligent et pénétrant, se promenait avec agitation dans unesalle du château de la ville. Instruit par une récente dépêche dela position désespérée de Charles VII et des dangers quecourait Orléans, vivement assiégée par les Anglais, ce capitaine,aussi affligé que courroucé de ces déplorables nouvelles, marchaità grands pas, maugréant, blasphémant, ébranlant le plancher sous lechoc impatient de ses talons éperonnés ; soudain un rideau decuir, qui masquait l’entrée principale de la salle, se souleva etlaissa voir à demi le visage timide et effarouché de DenisLaxart, grand-oncle de Jeanne. Robert de Baudricourt, sansapercevoir le bonhomme, frappa du pied, donna un violent coup depoing sur la table où était restée la funeste dépêche qu’il venaitde relire encore et s’écria :

– Mort et furie ! c’en est fait dela France et du roi !

Denis Laxart, à cette exclamation furibonde,n’eut pas le courage d’aborder en ce moment le terrible capitaine,referma prestement le rideau, derrière lequel cependant il resta,attendant pour se présenter un instant plus opportun ; mais lecourroux de Robert redoubla, il s’écria en frappant de nouveau dupied :

– Malédiction ! tout estperdu !

– Non, messire !… non, tout n’estpas perdu ! – dit résolument le bon Denis surmontant sescraintes, mais demeurant néanmoins abrité par le rideau ;puis, avançant seulement sa tête au dehors de cette portière, ilrépéta : – Non ; messire, non, grâce à Dieu, tout n’estpas perdu !

Le capitaine, entendant cette voix timide, seretourna, reconnut le vieillard qu’il affectionnait et lui ditbrusquement : – Que fais-tu… à cette porte ? entre… entredonc ! – Mais voyant Denis hésiter, il ajouta d’une grossevoix : – De par le diable, entreras-tu ?

– Me voici, messire… me voicientré ! Mais pour l’amour du bon Dieu, ne vous emportezpoint.

– Que veux-tu ?

– Messire… je… hum… hum… messire… je…viens… hum…

– Ah çà, maintenant, vas-tut’expliquer ?

– Oui, messire… mais je vous en conjureencore une fois, ne vous emportez point ; je vous apporte unebonne nouvelle…

– Laquelle ?

– Une nouvelle… inespérée… hum… hum… unenouvelle miraculeuse…

– Laquelle… laquelle…

– Tout n’est pas perdu, messire… aucontraire… tout est sauvé !

– Quoi sauvé ?

– Le roi et la Gaule !

– Denis ! – reprit le capitaine enjetant un regard menaçant sur l’oncle de Jeanne, – si tu n’avaisdes cheveux blancs, je te ferais chasser du château à coups defourreau d’épée ! Quoi ! tu oses railler ! parler dusalut du roi et de la France… lorsque tu m’entends m’écrier :Tout est perdu !

– Messire, je vous en supplie, écoutezsans colère ce que j’ai à vous raconter, si incroyable que celavous paraisse !… Je n’ai ni la figure, ni le langage d’unbouffon… Ne me connaissez-vous pas depuis longtemps ?

– Oui, je te connais, je te sais bon etprud’homme ; aussi tes paroles malsonnantes m’ont-elles fortsurpris… Allons, parle.

– Vous ne vous courroucerezpoint ?

– Non…

– Vous ne m’interromprez point ?

– Ah ! que de mots !

– Messire, vous le voyez, j’ai le frontbaigné de sueur, la voix étranglée, le corps tout tremblant,pourtant je n’ai point seulement commencé de vous apprendre ce pourquoi je suis venu… Si donc vous m’interrompiez avec colère… Jeperdrais le fil de mes idées… je…

– Ventre-Dieu ! quelle patience ilme faut avoir ! Allons ! dépêche ! je net’interromprai pas… je t’écoute !

Denis Laxart fit un grand effort sur lui-même,et, après s’être un moment recueilli, dit au capitaine d’une voixprécipitée :

– Je suis allé hier voir ma nièce àDomrémy ; elle a épousé Jacques Darc, honnête laboureur ;ils ont deux fils et une fille ; la fille s’appelle Jeannette…elle a dix-sept ans…

Mais Denis, voyant l’impatience à peinecontenue du capitaine sur le point d’éclater à cet exorde, se hâtad’ajouter :

– J’arrive au fait, messire, j’arrive aufait, hum… hum… il va vous paraître étonnant, prodigieux, maisenfin… tel il est… tel je vous le rapporte… Donc, hier soir, mapetite-nièce Jeannette m’a dit ceci : – « Mon bon oncle,vous connaissez le capitaine Robert de Baudricourt ; il fautque, dès demain, vous me conduisiez à Vaucouleurs, auprès delui. »

– Auprès de moi ! que me veut tanièce ?

– Elle veut vous révéler, messire, cequ’elle m’a révélé hier soir, à l’insu de ses parents, à l’insumême de maître Minet, son curé, son confesseur… jugez un peu… quelsecret !

– Enfin, ce secret… quelest-il ?

– Le voici, messire… Il paraît… hum… hum…il paraît que Jeannette est inspirée de Dieu… que des voixmystérieuses lui annoncent, depuis longtemps, qu’elle, Jeannette,ma petite-nièce, chassera les Anglais de la Gaule en se mettant àla tête des troupes du roi, et qu’elle lui rendra sa couronne…

Robert de Baudricourt, d’abord stupéfait del’extravagance de ces paroles, eut peine à se contraindre, il futsur le point de chasser brutalement le pauvre Denis. Cependant, sedominant par pitié pour le vieillard, il lui dit d’un accentsardonique :

– Ah ! tel était le secret que tanièce voulait me confier ?

– Oui, messire… elle se proposait ensuitede vous demander les moyens de se rendre auprès du gentil dauphin,notre sire, qu’elle veut absolument entretenir des projets que leSeigneur Dieu a sur elle… toujours pour la délivrance de la Gauleet de son roi.

– Vraiment ?

– Ceci est, messire, la pure vérité. Or,je vous l’avoue, j’ai été profondément frappé de l’accent desincérité de Jeannette, lorsqu’elle m’a raconté ses visions desaintes et d’archanges, lorsqu’elle m’a appris comment elleentendait des voix mystérieuses qui, depuis trois ans,l’obsédaient, lui prophétisant qu’elle était la vierge guerrièredont Merlin prédisait la venue pour la délivrance de la Gaule.Cette légende court depuis longtemps la Lorraine ; vous lesavez, messire, de sorte que…

– Ainsi, tu as cru ta nièce ? – ditle capitaine avec un mélange de mépris et de compassion eninterrompant le vieillard, qu’il regardait comme stupide ou commefou… – Ainsi, tu as ajouté foi aux paroles de cettefille ?

– Comment ne pas la croire,messire ? Jamais l’on n’a eu un mensonge à lui reprocher.Aussi, cédant à ses instances, hier soir, j’ai, non sans peine,obtenu de Jacques Darc, qui semblait fort irrité contre sa fille,de lui permettre de m’accompagner, sous le prétexte de venir passerquelques jours en cette ville avec ma femme et moi. Ce matin,partant de Domrémy avant l’aube, j’ai pris Jeannette encroupe ; nous sommes arrivés ici il y a une heure ; manièce m’attend chez moi, où je dois lui porter votre réponse.

– Ah ! elle attend maréponse ?

– Oui, messire…

– Eh bien ! la voici… Il fautsouffleter à tour de bras cette effrontée folle[27] etla reconduire à ses parents, afin qu’ils la châtient rudement.

– Quoi ! messire ? – s’écria lepauvre oncle, – telle est votre réponse ?…

– Maître Denis Laxart, je vous croyais unprud’homme, vous n’êtes qu’un vieil oison ou qu’un vieuxfou !

– Messire…

– N’avez-vous pas honte ! à votreâge ! ajouter foi à de pareilles sottises ! avoirl’impudence de me faire de telles confidences… Mort et furie !je ne sais qui me tient de… Sortez !

– Messire… ne croyez pas que…

– Hors d’ici ! Par les cinq centsdiables de l’enfer… sortez à l’instant, sortez !

Le pauvre Denis sortit tout éperdu.

*

**

Le pauvre Denis Laxart sortit tout éperdu,mais plus tard il revint au château de Vaucouleurs ; il revintnon plus seul, mais avec Jeanne, inquiet, tremblant à la seulepensée d’affronter encore le courroux du sire de Baudricourt.Jeanne avait tant prié, tant supplié son oncle, de la conduire prèsdu terrible capitaine, qu’il s’était à regret rendu aux instancesde sa nièce. Que l’on juge de l’effroi du bonhomme, lorsqu’encompagnie de la jeune fille, il approcha du rideau de cuir masquantl’entrée de la salle où se tenait Robert de Baudricourt. Celui-cis’entretenait avec messire Jean de Novelpont[28], chevalier, habitant Vaucouleurs, etlui disait, continuant une conversation commencée : – Encoreune fois c’est une folle, bonne à souffleter…

– Eh ! qu’importe ! si l’onavait pu tirer quelque parti de sa folie ! – répondait Jean deNovelpont. – Imaginez un homme en proie à une maladie incurable, ilest abandonné des médecins ; condamné par eux à mourir, on luipropose d’essayer in extremis d’un philtre prétendusalutaire, composé par un fou. Notre malade ne doit-il pas tentercette dernière chance de guérison ?… Querisque-t-il ?

– Mort-Dieu ! il risque de mourir àcoup sûr !… de plus de passer pour un sot…

– Robert, je vous le répète, le peuple etles soldats sont crédules ; l’annonce d’un secours céleste,surnaturel, peut ranimer l’espérance des populations et de l’armée,relever leur courage, les rendre victorieux après tant de défaites.Or, avouez-le, les conséquences d’un premier succès neseraient-elles pas incalculables ?

– Certes ! si l’on remportait cettevictoire, – répondit Robert de Baudricourt quelque peu ébranlé. –Je connais nos soldats, souvent un revers suffit à lesabattre ; mais une bataille heureuse peut ranimer leurénergie, et leur donner un élan irrésistible !

– En ce cas, pourquoi ne pas consentir àvoir cette fille ? pourquoi ne pas l’interroger…

– Y songez-vous ? une visionnaire…une vachère !

– Soit ; mais dans l’état désespéréoù se trouve la France, que risque-t-on de recourir àl’empirisme ? Robert, croyez-moi, vous eussiez politiquementagi en consentant à écouter cette paysanne… La prophétie de Merlinqu’elle invoque, absurde ou non, est populaire en Gaule… Je mesouviens d’avoir entendu raconter cette légende dans mon enfance…Partout, d’ailleurs, l’on prophétise à cette heure en notremalheureux pays. Las d’attendre des moyens humains la délivrancedes maux qui nous accablent, on la demande aux moyenssurnaturels ; les doctes clercs de l’Université de Paris, desprêtres ! n’ont-ils pas dernièrement encore fait publiquementappel à la clairvoyance divinatrice des pieux hommes versés dansles saintes Écritures et habitués à la vie contemplative ?Selon moi, en certaines circonstances, il faut oser… toutoser !

– Par la mort du Christ ! c’estencore toi ! – s’écria Robert de Baudricourt en interrompantson ami et voyant la figure craintive de Denis Laxart apparaître àla fente du rideau de cuir ; – ne crains-tu pas de lasser mapatience ?

Denis ne répondit rien, s’effaça devantJeanne ; celle-ci écarta le rideau, s’avança résolûment versles deux chevaliers ; son oncle la suivait levant les yeux auciel, tremblant de tous ses membres.

*

**

Jeanne vieille ou laide eût été sans doute àl’instant chassée dédaigneusement par Robert de Baudricourt ;mais il fut, ainsi que le sire Jean de Novelpont, frappé de labeauté de la jeune fille, de l’expression douce et mâle de sestraits, de son maintien chaste, modeste, assuré. Les deuxchevaliers, saisis d’étonnement, se regardèrent en silence ;le sire de Novelpont, hochant la tête en souriant, semblait dire àson ami : « – Avais-je tort de vous conseiller de voir dumoins cette pauvre visionnaire ? »

Robert de Baudricourt hésitait encore surl’accueil qu’il devait faire à Jeanne, lorsque l’autre chevalierlui dit, afin de l’éprouver :

– Eh bien, mon enfant ? il faudradonc que le roi soit chassé de France ? et que nous devenionsAnglais ? Est-ce pour empêcher cela que vous êtes ici[29] ?

– Messire, – répondit Jeanne d’une voixdouce et ferme empreinte d’un accent d’irrécusable sincérité, – jesuis venue ici, dans cette ville royale, afin de demander au sireRobert de Baudricourt de me faire conduire vers le dauphin deFrance ; l’on n’a pas eu souci de mes paroles, pourtant ilfaut qu’avant huit jours je sois auprès du roi. Si je ne pouvaismarcher, j’irais sur les genoux ; il n’y a au monde nicapitaine, ni duc, ni prince, capables de sauver le royaume deFrance sans le secours que j’apporte de par l’assistance de Dieu etde ses saints[30]. – Puis Jeanne soupira et, le regardhumide de larmes, ajouta naïvement : – J’aimerais mieux resterà coudre et à filer en notre maison auprès de ma pauvre mère… maisDieu m’a donné une tâche… je dois l’accomplir[31].

– Et de quelle façon l’accompliras-tucette tâche ? – reprit Robert de Baudricourt, non moinssurpris que son ami du mélange d’assurance, de douceur ingénue etde conviction qui régnaient dans la réponse de la jeune fille. –Oui, comment feras-tu, toi simple bergère, pour vaincre et chasserles Anglais, lorsque La Hire, Xaintrailles, Dunois, Gaucourt, ettant d’autres vaillants capitaines ont été battus ?

– Je me mettrai hardiment à la tête desgens d’armes, et, Dieu aidant, nous vaincrons !

– Ma fille… – reprit Robert deBaudricourt avec un sourire d’incrédulité, – s’il est dans lavolonté de Dieu de chasser les Anglais de la Gaule, est-ce qu’il abesoin pour cela de toi et de gens d’armes[32] ?

– Les gens d’armes batailleront… Dieudonnera la victoire[33] ! –répondit Jeanne avec un laconisme tranquille. – Aide-toi… le cielt’aidera…

Les deux chevaliers se regardèrent de nouveau,de plus en plus étonnés du langage et de l’attitude de cette filledes champs ; Denis Laxart, triomphant, se frottait lesmains.

– Ainsi, Jeanne, – reprit Jean deNovelpont, – tu veux te rendre auprès du roi ?

– Oui, messire plutôt demainqu’après-demain, plutôt aujourd’hui que demain. Il faut qu’avant unmois le siège d’Orléans soit levé[34].

– C’est donc toi qui feras lever le sièged’Orléans ?

– Oui, sous le bon plaisir de Dieu.

– Sais-tu seulement ce que c’est que lesiège d’une ville, pauvre bergère ?

– Eh ! messire, ce sont desassiégeants et des assiégés…

– Bon… Mais les assiégés doivent tenterdes sorties contre l’ennemi retranché à leurs portes.

– Messire, nous sommes trois dans cettesalle ; si l’on nous enfermait ici, et que nous fussionsrésolus de sortir ou de mourir, ne sortirions-nous pas, quand mêmedix hommes garderaient la porte ?

– Par quel moyen ?

– En combattant hardiment… Dieu ferait lereste[35] !

– Dans un siège, ma fille, il ne s’agitpas seulement des sorties… Les assiégeants entourent la ville denombreuses redoutes ou bastilles garnies de machines, de traits, debombardes d’artillerie, défendues par des fosses profonds… commentt’emparerais-tu de ces formidables retranchements ?

– Je descendrais la première dans lefossé, je monterais la première aux échelles, en disant aux gensd’armes : « Suivez-moi, entrons hardimentlà-dedans ; le Seigneur est avec nous[36] !… »

Les deux chevaliers se regardèrent, ébahis desréponses de Jeanne ; Jean de Novelpont surtout éprouvait uneémotion croissante qui touchait à l’admiration pour cette bellejeune fille d’une vaillance si naïve ; Denis Laxart pensait àpart lui :

– Mon bon Dieu ! où Jeannetteva-t-elle donc chercher tout ce qu’elle dit ?… Elle parle encapitaine !

– Jeanne, – reprit Robert de Baudricourt,– si je consentais, selon ton vœu, à te faire conduire devers leroi, il te faudrait traverser des contrées au pouvoir des Anglais…Le trajet est long d’ici en Touraine ; tu courrais de grandsrisques.

– Le Seigneur Dieu et mes bonnes saintesne nous abandonneraient pas ; nous éviterions de passer parles villes en voyageant plutôt de nuit que de jour… Aide-toi… leciel t’aidera !

– Ce n’est pas tout, – reprit Robert enattachant sur Jeanne un regard pénétrant ; – tu es femme, tudevras chevaucher seule de ton sexe en compagnie des hommes quit’escorteront, loger pêle-mêle avec eux dans les endroits où vousvous arrêterez pour vous reposer.

Denis se gratta l’oreille en regardant sanièce d’un air embarrassé ; Jeanne rougit pudiquement, baissales yeux et répondit avec modestie :

– Messire, je prendrai des habitsd’homme, si vous pouvez m’en procurer ; je ne les quitterai nijour ni nuit[37] ; et d’ailleurs les gens de monescorte voudraient-ils causer de la peine à une honnête fille quise confie à eux ?

– Enfin, saurais-tu monter àcheval ?

– Il faudra bien que j’apprenne àchevaucher. Ayez seulement soin, messire, que le cheval ne soit pasméchant.

– Jeanne, – dit Robert de Baudricourt,après un moment de silence, – tu te prétends inspirée deDieu ? envoyée de par lui pour faire lever le siège d’Orléans,vaincre les Anglais, rétablir le roi sur son trône ?… Mais quiprouvera que tu as dit la vérité ?

– Mes actes, messire[38]…

Cette dernière réponse, prononcée d’une voixdouce et assurée, impressionna vivement les deux chevaliers ;Robert de Baudricourt reprit :

– Ma fille, retourne chez ton oncle aveclui… avant peu, je te ferai connaître mes intentions.

– J’attendrai, messire. Mais, au nom deDieu, si je dois partir pour aller devers le dauphin, que ce soit,je vous le répète, plutôt aujourd’hui que demain ; il fautqu’avant un mois le siège d’Orléans soit levé.

– Pourquoi tiens-tu autant à la levée dece siège ?

– Eh ! messire, – répondit Jeanne ensouriant, – je tiendrais moins à délivrer cette bonne ville, si lesAnglais ne tenaient point tant à la prendre !… Le succès de laguerre est là pour eux ; il est aussi là pour nous !…

– Eh bien, sire capitaine, – dit tout basDenis Laxart, radieux, à Robert de Baudricourt, – me faut-ilsouffleter à tour de bras cette folle effrontée ?

– Non, car bien que visionnaire, c’estune brave enfant ! – répondit aussi tout bas le chevalier. –Du reste, j’enverrai le curé de Vaucouleurs l’interroger et, aubesoin, l’exorciser dans le cas où il y aurait quelque sorcellerielà-dessous… Retourne chez toi… tu sauras bientôt ma résolution.

Denis et Jeanne sortent de la salle ; lesdeux chevaliers demeurent ensemble.

*

**

Lorsque Jeanne eut disparu, Robert deBaudricourt s’empressa de s’approcher de la table et se mit endevoir d’écrire, disant à Jean de Novelpont : – Maintenant, jepense comme vous ; je vais mander au roi cette étrangeaventure et lui soumettre cet avis : qu’en l’état désespérédes choses, l’on pourrait risquer d’essayer de tirer parti del’influence qu’exercerait sur l’armée, complètement découragée,cette jeune fille se disant inspirée, envoyée de Dieu ! Lavoyez-vous, docile au rôle qu’on lui ferait jouer, passant devantle front des troupes, revêtue d’une armure, et son beau visage sousun casque de guerre ? Les hommes se prennent autant par lesyeux que par l’esprit ; je ne serais donc pas surpris si… –Puis, s’interrompant et s’apercevant que le sire de Novelpont nel’écoutait pas, marchait de long en large dans la salle : –Jean, à quoi diable pensez-vous ?

– Robert, – reprit gravement lechevalier, – cette fille n’est pas, ainsi que je le croyais tout àl’heure, ainsi que vous le croyez maintenant, une pauvrevisionnaire dont l’on peut se servir in extremis, commed’un instrument, quitte à le briser s’il ne répond pas à ce qu’onattend de lui…

– Qu’est-elle donc ?

– Son regard ! son accent, sonattitude, son langage, tout révèle une femme extraordinaire…

– Jean, c’est beaucoup dire.

– Ce n’est pas assez dire… Elle estvraiment inspirée…

– Par qui ? par quoiinspirée ?… Allez-vous prendre ses visions ausérieux ?

– Je suis incapable de pénétrer cesmystères ; je crois ce que je vois, ce que j’entends, ce quej’éprouve. Robert, mes pressentiments ne me trompent pas… Jeanneest ou sera une femme de guerre illustre, et non l’instrumentpassif des capitaines… Elle peut sauver le pays…

– Elle est donc sorcière ? En cecas, le curé nous en rendra bon compte.

– Sorcière ou non, je suis tellementfrappé de ses réponses, de sa candeur, de sa hardiesse, de son bonsens, de son irrésistible sincérité, que vous dirai-je ? ellem’a tellement subjugué… que si le roi répond à votre messager qu’ilconsent à voir Jeanne… je l’accompagne dans son voyage…

– Vous ?

– Moi !

– Ah ! sire Jean ! sireJean ! – dit en riant Robert de Baudricourt, – voici unerésolution bien prompte !… Seriez-vous féru par les beaux yeuxde cette pucelle ?…

– Que je meure si je cède à quelquepensée mauvaise ! Telle est la fière innocence du regard decette jeune fille, que luxurieux serais-je… son regard refroidiraità l’instant ma luxure[39]. Jejurerais par mon salut que Jeanne est chaste ! Ne l’avez-vouspas vue rougir jusqu’au front à l’idée de chevaucher seule de sonsexe en compagnie des cavaliers de son escorte ? Nel’avez-vous pas entendue témoigner de son pudique désir de prendredes habits d’homme, qu’elle ne quitterait ni jour ni nuit durant levoyage ? Robert, la chasteté annonce toujours une belleâme…

– Si elle est véritablement chaste, ellene saurait être sorcière, les démons ne pouvant, dit-on, posséderle corps d’une vierge !… Mais, tenez, beau sire, à votre insu,la beauté de cette pucelle vous séduit, vous voulez être sonchevalier durant ce long voyage ; il peut offrir d’heureuseschances à votre amoureuse courtoisie, et… – Allons, trêve deplaisanteries, – ajouta Robert de Baudricourt, répondant à un gested’impatience de son ami. – Quant à moi, voici sérieusement mapensée sur cette belle fille : Si elle n’est sorcière, elle ale cerveau détraqué par ses visions, se croyant d’ailleurs de bonnefoi inspirée de Dieu ; du reste, je l’avoue, plusieurs de sesréponses m’ont surpris, elles annoncent un esprit au-dessus duvulgaire. Mais je suis loin de la regarder comme une femmeextraordinaire ; il n’importe, telle qu’elle est ou paraîtêtre, elle peut devenir un instrument précieux. Peuple et soldats,vous l’avez dit, sont ignorants et crédules ; si, frappés del’assurance et de la beauté de Jeanne, ils voient en elle uneenvoyée de Dieu ; s’ils croient qu’elle leur apporte unsecours surnaturel capable de venger leurs défaites, leur confianceen elle doit les réconforter, les exalter. Cette exaltation,habilement exploitée par des chefs de guerre expérimentés traçant àcette fille le rôle qu’elle doit jouer, peut avoir d’heureuxrésultats. Voilà, selon moi, sans exagération, tout ce qu’il estpossible d’attendre de Jeanne ; c’est à ce point de vue que jevais écrire au roi.

– L’avenir vous prouvera votre erreur.Jeanne est trop sincère et, à tort ou à raison, trop pénétrée de ladivinité de sa mission pour accepter le rôle que vous pensez, pourse résigner à être une machine aux mains des chefs ; elleagira d’elle-même, par elle-même. Je la crois douée naturellementdu génie militaire, comme l’ont été tant de capitaines d’abordinconnus. Rappelez-vous ses paroles au sujet du sièged’Orléans.

– Je le reconnais, en ceci elle a montré,sinon la science, du moins l’instinct de la guerre.

– À mon avis, c’est tout un. Quoi qu’ildoive arriver, il faut promptement écrire au roi.

– C’est mon dessein.

– À quel roi écrirez-vous ?

– Est-il donc deuxCharles VII ?

– Mon cher Robert, j’ai accompagné à lacour le comte de Metz, auprès de qui je commandais une compagnie decent lances ; j’ai donc vu de près les choses à Chinon ou àLoches…

– S’ensuit-il qu’il y ait deuxrois ?

– Il est un roi du nom deCharles VII, dont le souci se borne à régner sur le cœur desfemmes de bonne volonté ; énervé par la mollesse, ingrat,égoïste, insoucieux de l’honneur, ce prince, confiné à Chinon ou àLoches, au milieu de ses favoris, de ses maîtresses, laisse sessoldats combattre, mourir pour défendre les débris de son royaume,et jamais on ne l’a vu à la tête de ses troupes…

– C’est une honte pour laroyauté !

– Il est un autre roi du nom deGeorges La Trémouille, despote jaloux, haineux,ombrageux ; il règne en maître sur les deux ou trois provincesdont se compose à cette heure le royaume de France, et mène lebâton haut nos seigneurs du conseil royal, dépositaires de touteautorité…

– Je savais qu’en effet le Maire dupalais de notre roi fainéant était le sire de La Trémouille ;c’est donc à lui que je vais écrire…

– N’en faites rien, Robert,croyez-moi !

– Quoi ! vous dites vous-même qu’ilest le maître ?… le roi de fait ?…

– Oui ; mais voulant rester maîtreet roi de fait, il ne souffrira point qu’un autre que lui aittrouvé un moyen de salut pour la Gaule. Le sire de La Trémouillerepousserait donc, n’en doutez pas, l’intervention de Jeanne…Écrivez au contraire directement à Charles VII :l’étrangeté de l’aventure le frappera ; ne fût-ce que parcuriosité, il voudra, je n’en doute pas, voir Jeanne. Il trouve lesjours longs dans sa retraite de Loches ou de Chinon ; lesagaceries de ses maîtresses sont souvent impuissantes à le tirer deson ennui… la venue de Jeanne sera pour lui une nouveauté.

– Vous êtes homme de bon conseil ;je vais écrire directement au roi et lui expédier sur l’heure unmessager. Donc, si sa réponse est favorable à Jeanne, vous êtestoujours résolu de l’accompagner ?

– Plus que jamais.

– Le trajet est long et périlleux.

– Je l’ai déjà parcouru avec le comte deMetz.

– Vous aurez à traverser une partie de laBourgogne et de la Champagne, occupées par les ennemis.

– Je prendrai seulement avec moi monécuyer Bertrand de Poulangy, homme prudent mais résolu ; jelui adjoindrai quatre valets bien armés ; une petite troupepasse plus facilement inaperçue. D’ailleurs, ainsi que Jeanne l’asagement proposé, nous éviterons autant que possible les villes envoyageant de nuit, et nous reposant le jour dans quelques métairiesisolées.

– N’oubliez pas que vous aurez àtraverser de nombreuses rivières, puisque partout les ponts sontrompus depuis les guerres.

– Nous trouverons toujours quelquebac ; je connais, vous dis-je, la route. D’ici, nous irons àSaint-Urbain, où nous pourrons séjourner sans péril ; maisnous éviterons Troyes, Saint-Florentin, Auxerre, et une fois àGien, nous serons en pays ami. Nous nous dirigerons alors versLoches ou Chinon, résidences royales.

– Allons, avouez-le, sire Jean deNovelpont… vous êtes quelque peu féru de la beauté deJeanne ?…

– Sire Robert de Baudricourt, je suisglorieux d’être le chevalier de l’héroïne guerrière qui peut-êtresauvera la Gaule…

*

**

Le 28 février de l’an 1428, vers le déclin dujour, une foule d’habitants de Vaucouleurs, hommes, femmes,enfants, se pressaient aux abords du château, foule avide,impatiente, enthousiaste. Jugez-en, fils de Joel, par ces paroleséchangées entre nos citadins.

– Vous êtes certain qu’elle sortira duchâteau par cette porte ?

– Il le faudra bien… l’on ne peut sortirà cheval par la poterne ; Jeanne suivra ensuite le rempartavec le sire de Novelpont, qui l’accompagne en ce long voyage.D’ici, nous la verrons parfaitement.

– Sainte fille ! tous nos cœurs sontavec elle ! !

– La voilà donc accomplie la prédictionde Merlin : La Gaule, perdue par une femme, serasauvée par une vierge des marches de la Lorraine d’un bois chesnuvenue !

– Enfin, elle va nous délivrer desAnglais ! le pauvre monde va respirer !

– Plus d’alerte, plus d’incendie, depillages, de massacres !

– Dieu nous envoie Jeanne-la-Pucelle…gloire à Dieu !

– Une fille des champs, pourtant… unesimple bergère !

– Le Seigneur Dieu l’inspire… elle vautune armée.

– Vous savez, messires, que maîtreTiphaine, le curé de la paroisse Saint-Euterpe, s’est chargéd’exorciser la Pucelle dans le cas où elle eût été sorcière etpossédée du démon. Le clerc portait la croix, l’enfant de chœurl’eau bénite, maître Tiphaine le goupillon. Cependant il n’osaitpoint trop s’avancer devers la Pucelle, craignant quelque tour dumalin esprit. – « Approchez, approchez, bon père, – lui a ditJeanne en riant, – je ne m’envolerai pas[40]. »

– Chère âme… elle était bien certained’être fille de Dieu !

– Évidemment elle était vierge puisqueaprès l’exorcisme il n’est sorti de sa bouche aucun démongriffu !

– Tout le monde sait en effet que lediable ne peut habiter le corps d’une pucelle ; donc, Jeannene saurait être une sorcière, quoi qu’on ait dit de Sybille, samarraine.

– Loin de soupçonner Jeanne d’être uneinvocateresse de démons, maître Tiphaine a été si édifié de sadouceur, de sa modestie, que le lendemain de l’exorcisme il l’aadmise à la sainte communion…

– C’est par ma foi bien heureux !qui mangerait donc le pain des anges, sinon Jeanne ?

– Savez-vous, mes compères, que pendantque le sire de Baudricourt attendait la réponse du roi (et de parDieu m’est avis que cette réponse s’est fait fort attendre),monseigneur le duc de Lorraine, instruit par le bruit public queJeanne était la pucelle prophétisée par Merlin, a voulu lavoir ?

– Vraiment !… et qu’est-il advenu decette entrevue ?

– Le sire de Novelpont a conduit Jeanneauprès du seigneur duc… – « Eh bien, ma fille ! – luia-t-il dit, – toi qui es envoyée de Dieu, conseille-moi donc ?je suis malade… et ce me semble près de ma fin… »

– Tant pis pour lui ! Qui doncignore que le seigneur duc est souffrant des suites de sesdébauches, et que, pour s’y livrer à son aise, il a vilainementrenvoyé sa femme !

– Jeanne savait cela, sans doute ;car elle a répondu au duc : « – Monseigneur, rappelezvotre duchesse auprès de vous, vivez en honnête homme, Dieu ne vousabandonnera pas…[41]Aide-toi… le ciel t’aidera !… »

– Bien répondu, sainte fille !…

– On assure que c’est son motfavori : Aide-toi… le ciel t’aidera !

– Alors, que le ciel et tous ses saintsla protègent pendant le long et périlleux voyage qu’elle vaentreprendre aujourd’hui !

– Est-ce croyable ?… une pauvreenfant de dix-sept ans à peine ? Quel courage !

– Moi et cinq autres archers de lacompagnie du sire de Baudricourt, nous lui avions demandé comme unegrâce d’accompagner Jeanne-la-Pucelle, il nous a refusé ; j’enenrage ! Ventre du pape ! j’aurais aimé à avoir cettebelle fille pour capitaine !… conduit par elle, je défieraistout et tous !

– Des gens d’armes commandés par unefemme, voilà cependant qui est singulier !

– Foi d’archer ! deux beaux yeux quivous regardent et semblent vous dire : « Marche àl’ennemi ! » vous mettent la flamme au cœur ! unedouce voix qui vous dit : « Hardi… en avant ! »rendrait vaillant un lâche !

– Surtout lorsque cette voix est inspiréede Dieu, brave archer !

– Qu’elle soit inspirée par Dieu, par lediable ou par sa seule bravoure, je m’en soucie comme d’une flèchebrisée, je le répète : fût-on un contre mille, il faudraitavoir la couardise d’un lapin pour ne pas suivre une belle fillequi, l’épée à la main, s’élance sur l’ennemi !

– Moi, je ne peux m’empêcher de songer auchagrin que le départ de Jeanne doit causer à sa famille, siglorieuse que soit la destinée de la Pucelle.

– Je tiens de dame Laxart que JacquesDarc, très-sévère et très-rude homme, après avoir fait par deuxfois écrire à sa fille de revenir près de lui, ne voulant pasqu’elle s’en allât ainsi chevauchant avec des gens d’armes, l’amaudite ; de plus, il a défendu à sa femme et à ses deux filsde jamais revoir Jeanne. Elle a pleuré toutes les larmes de soncorps en apprenant la malédiction paternelle : « Le cœurme saigne de quitter ma famille, – disait la pauvre fille à dameLaxart, – mais il faut que j’aille où Dieu m’envoie[42]. »

– Le père de la Pucelle est un brutal…oser maudire sa fille… elle qui doit sauver la Gaule !

– Et elle la sauvera… Merlin l’aprédit !

– Ah ! mes amis, le beau jour quecelui où les Anglais seront tous boutés hors de notre pauvre pays,qu’ils ravagent depuis tant d’années !

– La faute en est à la chevalerie ;pourquoi s’est-elle montrée si lâche à la bataille dePoitiers !

– Et par surcroît JacquesBonhomme, opprimé, torturé, a été forcé de payer la rançon desseigneurs, vils couards à éperons dorés !…

– Mais Jacques Bonhomme à bouts’est regimbé dans son désespoir. Oh ! du moins une bonne foisla fourche et la faux ont eu raison de la lance et de l’épée !La Jacquerie a vengé les serfs !

– Et ensuite quel carnage n’a-t-on pasfait des Jacques !

– Enfin… ils ont eu leur tour ! çaconsole…

– Aujourd’hui ce sera le tour de cesdamnés Anglais ! grâce à Jeanne-la-Pucelle… l’envoyée deDieu ! elle les boutera dehors !

– Oui, oui, laissez-la faire… elle àpromis qu’avant un mois il ne resterait pas en France un de cesgoddons[43].

– Gloire à elle ! la bergère deDomrémy aura ainsi accompli ce que ni roi, ni ducs, ni chevaliers,ni capitaines n’ont pu accomplir !

– Noël à Jeanne ! née comme nous depauvres gens ! qu’elle soit bénie des pauvres gens qui desAnglais souffraient mort et passion !

– La voilà ! on abaisse lepont-levis du château…

– Oui, la voilà ! c’est elle…

– Qu’elle est leste et belle sous seshabits d’homme !

– Voyez donc ? on dirait d’un beaujeune page avec ses cheveux noirs coupés en rond, sa capelineécarlate, sa tunique verte, ses chausses de daim à aiguillettes etses bottines éperonnées…

– Elle a par ma foi l’épée aucôté !

– Le sire de Baudricourt lui en a faitprésent.

– C’était bien le moins ! nousautres de Vaucouleurs, n’avons-nous pas boursillé afin d’acheter uncheval à cette brave guerrière !

– Maître Simon le marchand a répondu dela haquenée comme d’une bête patiente et douce ; un enfant laconduirait ; elle servait de monture à une noble dame pour lachasse au faucon.

– Foi d’archer ! Jeanne se tientdéjà en selle comme un capitaine ! Ventre du pape !est-elle belle et bien tournée !… Que ne suis-je de ses gensd’armes ! j’irais avec elle au bout du monde, rien que pour leplaisir de la regarder !

– De fait, moi, si j’étais soldat,j’aimerais mieux obéir à un ordre donné d’une douce voix par deslèvres mignonnes et vermeilles, qu’à un ordre donné par une voixrude, par une bouche lippue, hérissée de poils gras !

– Voyez-vous sire Jean de Novelpont avecson armure de fer qui chevauche à la droite de Jeanne ?

– On dirait qu’il veille sur elle commesur sa fille…

– Il vient de rajuster quelque chose à labride de la haquenée de la Pucelle.

– À sa gauche est le sire de Baudricourt…il l’accompagne sans doute pendant une partie du chemin.

– Voilà l’écuyer Bertrand de Poulangyportant la lance et l’écu de son maître.

– Jésus ! ils n’ont que quatrehommes armés avec eux ! en tout six personnes, pour escorterJeanne d’ici en Touraine ! à travers tant de mauvaispays !

– Dieu veillera sur la saintefille !

– Voyez donc… elle se retourne sur saselle et fait de la main à quelqu’un du château comme un signed’adieu…

– Maintenant elle porte son mouchoir àses yeux…

– Elle vient sans doute d’adresser cetadieu à son oncle et à sa tante, les vieux Laxart ?

– Oui, les voici tous deux à la fenêtrebasse de la grosse tour… les mains jointes et pleurant de voir leurnièce s’éloigner pour toujours peut-être ! La guerre est sichanceuse !

– Pauvre chère fille ! le cœur doitlui saigner… comme elle dit… s’en aller ainsi toute seule… loin dessiens, batailler à la merci de Dieu !

– Voici qu’elle va tourner l’angle durempart… et nous la perdrons de vue !

– Qu’elle entende du moins nos crisd’adieu… Noël à Jeanne-la-Pucelle !

– Noël à Jeanne ! Noël !Noël !

– Elle vous entend… et nous fait de lamain un signe d’adieu.

– Mère ! mère ! prends-moi danstes bras… hausse-moi donc… que je la voie encore !

– Viens, mon enfant, regarde-la bien, nel’oublie jamais ! Grâce à elle, les mères désolées nepleureront plus sur leurs fils, sur leurs maris massacrés par lesAnglais…

– Noël à Jeanne… Noël !…

– Elle a tourné l’angle des remparts… lavoilà partie…

– Noël à Jeanne-la-Pucelle !… que lebon Dieu l’accompagne !

– Qu’elle nous délivre à jamais desAnglais… Noël ! Noël ! ! !

*

**

Écoutez, fils de Joel, écoutez cette légendede la plébéienne catholique et royaliste : Charles VIIdevait sa couronne à Jeanne Darc… il l’a honteusement reniée,lâchement délaissée. – Chaque jour elle s’agenouillait pieusementdevant les prêtres catholiques… leurs évêques l’ont brûléevive ! – La couardise de la chevalerie avait donné la Gauleaux Anglais ; le patriotisme de Jeanne, son génie militaire,triomphent enfin de l’étranger… elle est poursuivie, trahie, livréepar la haineuse envie des chevaliers. – Pauvre plébéienne ! –L’implacable jalousie des capitaines et des courtisans,l’ingratitude royale, la férocité cléricale, ont fait tonmartyre ! – Sois bénie à travers les âges, ô viergeguerrière ! sainte fille de la mère-patrie ! – Écoutez,fils de Joel, écoutez cette légende, et jugez à l’œuvre : gensde cour, gens de guerre, gens d’église et royauté !

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