Les Mystères du peuple – Tome IX

Chapitre 6REIMS

Actes de Jeanne Darc depuis la levée du sièged’Orléans jusqu’au sacre de Charles VII à Reims. – Prise deJargeau, – de Beaugency. – Bataille de Palay. – Ignoble lâcheté deCharles VII. – Désespoir de Jeanne. – Elle quitte le cour etva se réfugier dans une métairie. – Les voix mystérieuses. –Nouveaux pressentiments de trahison. – Charles VII est sacré àReims.

 

Telle fut, fils de Joel, la semaine deJeanne Darc. Ces premiers combats préludèrent à d’autresvictoires plus héroïques encore, remportées sur des Anglais par lapaysanne de Domrémy. Mais, hélas ! son secret martyre allaitde jour en jour croissant comme sa gloire. Charles VII, ceprince couard et ingrat, cet énervé, plongé dans une ignoblemollesse, devait faire subir à Jeanne toutes les tortures, toutesles cruelles déceptions, dont peut souffrir une âme enflammée duplus saint patriotisme, lorsqu’elle s’est vaillamment, loyalementdévouée à une âme dont la bassesse égale l’égoïsme et lalâcheté.

Le siège d’Orléans levé, Jeanne court auchâteau de Loches, précédée du retentissement de sestriomphes ; les portes du palais s’ouvrent devant elle, leroi, lui dit-on, est enfermé dans sa chambre de retraite avecson conseil ; la guerrière savait de reste ce quevalaient le conseil et les conseillers : La Trémouille etl’évêque de Chartres. Elle frappe à la porte du déduit royal, entreet dit résolûment à Charles VII :

– Sire, ne tenez pas de si longs conseilsavec messeigneurs, le siège d’Orléans est levé ; cette bonneville vous est rendue, il faut venir hardiment vous faire sacrer àReims, ce sacre vous couronnera véritablement roi de France auxyeux des Français, et les Anglais ne pourront plus rien contrevous[102]…

Le bon sens, l’instinct politique de Jeanne,traçaient à Charles VII la seule voie qu’il eût àsuivre : son sacre à Reims, consécration divine de son pouvoircontesté, donnait aux yeux des peuples ignorants et crédules unpuissant prestige à sa royauté, ainsi reconstituée, relustrée,retrempée, rajeunie ; c’était de plus et surtout un audacieuxdéfi jeté aux Anglais, dont le roi se prétendait aussi roi deFrance, défi menaçant après la victoire d’Orléans ; maisJeanne avait compté sans la crasse pusillanimité de ce mièvre etsensuel porte-couronne, si amoureux de sa paresse, si jaloux de sesplaisirs, si ennemi des moindres fatigues, si soigneux de sapeau ! Quoi ! aller hardiment se faire sacrer àReims ! Mais il faudrait pour cela monter à cheval à la têtede l’armée ! abandonner ses maîtresses, sa vieindolente ! Il lui faudrait sans doute affronter quelquepéril, car depuis Orléans jusqu’à Reims, tout le pays appartenaitencore aux Anglais, et l’on n’arriverait sans doute qu’à travers derudes batailles, jusqu’à l’antique cité où fut sacré Clovis, cebrigand couronné, pieux fondateur de la royauté franque, introniséepar les évêques des Gaules.

– Aller à Reims, mais ce projet étaitinsensé, criminel, – s’écriaient La Trémouille et l’évêque deChartres. – Ce projet ne mettait-il pas en danger les joursprécieux de leur sire ?

Et leur piteux sire de s’écrier comme eux etcomme eux courroucé :

– Moi ! sortir de mes châteaux deLoches ou de Chinon ! alors que les Anglais tiennent encoreMeung, Beaugency, Jargeau et autres places fortes, aux frontièresde la Touraine… Mais au premier pas que je tenterais hors de mesretraites, ils me tomberaient sur le corps !

Et il maugréait à part soi, envoyant au diablecette enragée Pucelle qui voulait le faire sacrer malgré lui, etplus que lui avait souci de l’honneur de la royauté.

Jeanne, navrée, indignée, se contenant àpeine, répondit que si le départ de Charles VII dépendaitseulement de la prise de toutes les places fortes encore possédéesen Touraine par les Anglais, elle les prendrait, cesforteresses ! et chasserait l’ennemi si loin, si loin, qu’ilne pourrait inspirer la moindre crainte au roi. Elle lui donne doncrendez-vous à Gien, le suppliant de s’y trouver sous huit jours,lui promettant qu’il pourra sans danger se mettre alors en routepour Reims. Cette promesse faite avec l’espoir, Dieu aidant, del’accomplir, la guerrière quitte la cour.

Le 12 juin 1429, Jeanne enlève la place fortede Meung, celle de Jargeau le 17 du même mois, et celle deBeaugency le 18. Elle déploie dans ces assauts la même valeur, lemême génie militaire, que lors du siège d’Orléans, manque d’êtretuée devant Jargeau ; puis va gagner en rase campagne lagrande bataille de Patay, où toutes les forces des Anglais étaientréunies sous les ordres de leurs plus illustres chefs, le Sirede Talbot, les comtes de Warwick, deSuffolk, et autres qui sont faits prisonniers. Jeanne,lors de ce long et sanglant combat, se montra l’égale des plusfameux capitaines par la hardiesse de ses manœuvres, par lapromptitude de son coup d’œil, par l’usage qu’elle fit del’artillerie, par l’élan extraordinaire quelle sut communiquer auxtroupes, grâce à son assurance et à son humeur enjouée. Un momentavant l’action elle dit gaiement au duc d’Alençon ces mots dignesdes temps antiques de la Gaule :

– Beau sire… avez-vous de bonséperons ?

– Quoi… – reprit le duc surpris, – deséperons… pour fuir ?

– Non, messire… mais pourpoursuivre[103]… – répondit Jeanne. Et l’ennemi,après sa défaite, est poursuivi la lance dans les reins, durant uneretraite de trois lieues. Mais ces victoires furent remportées parla guerrière, non moins sur les Anglais que sur la méchanteperfidie de la plupart des chefs de guerre, dont la jalousie contrel’héroïne augmentait en mesure de ses triomphes ; elle nedoutait plus de leur secrète animosité. Dès lors un vaguepressentiment lui dit qu’elle serait trahie, livrée par eux ;mais elle avait dès longtemps fait le sacrifice de sa vie.

Jeanne, espérant que ses derniers triomphesmettraient enfin terme aux indécisions de Charles VII,retourne auprès de lui :

« – Sire, Meung, Beaugency, Jargeau,emportés d’assaut, est-ce assez ? Les Anglais vaincus enbataille rangée à Patay, est-ce assez ? Talbot, Warvick,Suffolk, prisonniers, est-ce assez ? Hésiterez-vous encore àme suivre à Reims, où vous serez sacré… de parDieu ? »

Le royal couard n’hésite point… Non, il refusenet… Les Anglais étaient, il est vrai, chassés de Touraine ;mais ils tenaient encore les provinces qu’il fallait traverser pourse rendre à Reims, et plus que jamais le royal couard tenait à sapeau.

Jeanne, cette fois, ne put surmonter sondégoût, son indignation douloureuse ; n’espérant plus rien dece lâche, elle voulut l’abandonner à ses destins. Désespérée, elledépose son armure, quitte la cour, à l’insu de tous, et va errertoute la journée dans les champs en proie aux plus affligeantesréflexions, et songeant à s’en retourner à Domrémy. Le soir venu,s’apercevant qu’elle s’est égarée, elle va demander l’hospitalitédans une pauvre métairie de Touraine[104].Jeanne, sans armes, vêtue de ses habits d’homme, ressemblait à unjeune page ; elle est accueillie comme tel par les bonnes gensqui lui donnent asile ; ils la reçoivent de leur mieux, luifont place à leur foyer. Elle s’y asseoit ; bientôt lepaisible aspect de cette rustique demeure lui rappelle le tempsheureux de sa première enfance passé à Domrémy. Ces doux souvenirsde la maison paternelle arrachent à Jeanne des larmesinvolontaires ; ses hôtes, frappés de sa tristesse,l’interrogent avec un timide et respectueux intérêt.

– Comment pleurer en de si beaux jours, –lui disent-ils naïvement, – en ces beaux jours de délivrance pourla Gaule ! et surtout pour les pauvres paysans commenous ! à jamais délivrés des Anglais par la pitié du SeigneurDieu et par la vaillance de Jeanne-la-Pucelle, notre angesauveur !

Dans l’enthousiasme de leur reconnaissance,ils montrent à la guerrière attendrie un petit morceau de parcheminattaché au dessus du manteau de la cheminée ; sur ce parcheminétait écrit le nom de JEANNE, surmonté d’une croix… Ces bonnesgens, à défaut de l’image de leur bien-aimée libératrice, avaientécrit son nom, témoignant ainsi du culte ingénu qu’ils vouaient àl’héroïne… Puis, ce furent de leur part des questions sans fin,adressées au jeune page leur hôte, sur Jeanne leur angecéleste ! Peut-être l’avait-il vue, cette sainte fille, laNotre-Dame de Bon-Secours des paysans quisouffraient plus que personne des cruautés des Anglais, avantqu’elle les eût chassés du beau pays de Touraine. C’était enfindans la chaumière un concert de bénédictions mêlées d’adorationspassionnées pour la Pucelle… De plus en plus émue, elle se reprochasévèrement sa défaillance : abandonner Charles VII à sesdestinées, c’était abandonner les destinées de la France, c’étaitsurtout exposer ces pauvres paysans, humble, laborieuse race dontelle, Jeanne, était née, à retomber sous le joug affreux del’étranger ; c’était de nouveau livrer ces malheureux à toutesles horreurs de cette guerre atroce, que l’héroïne avait mission determiner. Ces pensées la raffermissent, lui inspirent la résolutionde lutter pour l’accomplissement de ses projets, de lutteropiniâtrement contre le roi, contre ses conseillers, contre cescapitaines qui la poursuivent de leur haineuse envie, et qu’elleredoute plus encore peut-être que les Anglais. Ceux-ci lacombattent par les armes, à ciel ouvert ; les autres machinentsous ses pas de ténébreuses trahisons. Absorbée par cesméditations, Jeanne se jette sur un lit de bruyères fraîchementcoupées, seule couche que ses hôtes puissent lui offrir ; elleinvoque l’appui, le conseil de ses saintes ; bientôt ellecroit entendre leurs voix chéries murmurer à son oreille :

« – Va, fille de Dieu, pas de faiblesse,accomplis ta mission, le ciel ne t’abandonnera pas. »

À l’aube, la guerrière quitta ses hôtes,ignorant que leur pauvre réduit avait été visité par l’ange sauveurdu pays, décidée de toujours cacher au roi le mépris qu’il luiinspirait, de ne voir en lui que l’instrument du salut de laGaule ; elle revint à la cour. La disparition de la Pucelleavait jeté l’inquiétude, l’alarme chez ceux-là (ils étaientnombreux) qui, de tous leurs vœux, hâtaient le terme de ladomination anglaise ; le projet de Jeanne : fairesacrer le roi à Reims, ébruité par les conseillers, dansl’espoir d’en faire ressortir l’absurdité, avait au contrairerencontré une foule de partisans frappés de la grandeur politique,de l’heureuse audace de cette résolution. Le retour de la Pucellefut regardé comme providentiel ; le cri public devint sipuissant, que le royal couard, après avoir encore hésité,tergiversé, renâclé, reculé, tant il redoutait la fatigue et lepéril, se résigna enfin à partir à la tête de ses troupes,incessamment grossies par la victorieuse renommée de la Pucelle, etse mit en route pour Reims.

Ce voyage développa sous un jour tout nouveaule génie de l’héroïne : d’une énergie, d’une intrépidité sanségale, dans ses batailles acharnées contre l’ennemi séculaire desGaules, elle se montra douée d’une ineffable puissance depersuasion lorsqu’elle entreprit d’amener sans combat les villes duparti anglais ou bourguignon à redevenir Françaises en ouvrantleurs portes devant Charles VII, de qui d’ailleurs elle avaitobtenu, non sans peine, la promesse écrite d’accorder une amnistieabsolue aux cités jusqu’alors dissidentes. Jeanne, dans sa saintehorreur de verser le sang français, sut, sans tirer l’épée,reconquérir au roi toutes les places fortes situées sur le cheminqu’il parcourut pour se rendre à Reims ; elle trouva dans sonâme, dans son insurmontable aversion de la guerre civile, dans sonpatriotisme sublime, des trésors d’éloquence native et touchante,qui, jointe à sa prodigieuse renommée, déjà si populaire,pénétraient tous les esprits, désarmaient tous les bras, etgagnaient tous les cœurs à la cause de ce misérable prince, qu’elleprotégeait, qu’elle couvrait de l’éclat de sa gloire plébéienne, etqu’elle faisait aimer en parlant en son nom !

Lorsque l’armée royale arrivait devant uneplace forte, Jeanne s’approchait seule des barrières, son étendardà la main, jurant Dieu qu’elle ne voulait verser le sang français,priant, suppliant ceux qui l’écoutaient de renier la dominationanglaise, si honteuse, si fatale au pays, de reconnaître le pouvoirde Charles VII, sinon par royalisme, du moins par haine del’étranger, par amour pour la patrie, depuis tant d’annéessaignante, déshonorée sous un joug affreux ; la céleste beautéde l’héroïne, son émotion, sa voix douce et vibrante, l’immenseretentissement de ses victoires, le charme irrésistible de cettenature virginale et guerrière, opéraient des prodiges. Le vieuxsang gaulois, depuis si longtemps refroidi, bouillonnait dans lesveines des moins vaillants à ces cris d’affranchissement et depatrie jetés par cette jeune fille de dix-sept ans, dont l’épéeavait déjà gagné tant de batailles ; les barrières des villestombaient à sa voix. Le royal couard, ébahi, et surtout ravi de necourir aucun risque, entrait triomphant dans ses bonnes villes, auxacclamations des habitants, qui de fait acclamaient la Pucelle.Cependant, un jour il eut grand’peur : une forte garnisonanglaise occupait la ville de Troyes, son échevinage appartenait auparti bourguignon exalté ; les portes furent barricadées, lesremparts occupés, les canons tirèrent sur les éclaireurs de l’arméeroyale. Le Charles VII, suant l’effroi dans son harnais deguerre, parlait déjà de jouer des éperons ; Jeanne àgrand’peine le retint, s’avança seule aux barrières, demandant deparlementer avec les échevins. Les chefs anglais lui répondirentpar des injures accompagnées d’une volée de traits ; le soldatqui portait la bannière de l’héroïne fut tué à ses pieds. Quelquescitoyens de Troyes, appartenant au parti français, postés auxbarrières, entendirent Jeanne offrir de parlementer ; ilsrépandirent ce bruit parmi les habitants, depuis longtempsfatigués, irrités de la domination étrangère, mais contenus par sessoldats ou par des échevins forcenés Bourguignons. Une agitationcroissante se manifesta dans la cité ; quelques compagniesanglaises tentèrent une sortie contre l’avant-garde commandée parJeanne, elles furent ramenées battant. Encouragé par leur défaite,le parti français, nombreux à Troyes, courut aux armes, et soutenupar le voisinage des troupes royales, renversa l’échevinagebourguignon, élut d’autres magistrats municipaux, et se mit enmesure d’attaquer les Anglais, retranchés dans une forteressedominant la ville ; ceux-ci, effrayés de l’attitude menaçantede la population, abandonnèrent la citadelle pendant la nuit etgagnèrent la campagne. Les nouveaux échevins demandèrent uneentrevue à Jeanne ; ils subirent à leur tour l’irrésistiblecharme de sa beauté, de sa douceur, de sa patriotique éloquence.Assurés par elle que nul des citoyens ne serait inquiété au sujetde ses actes passés, ces magistrats remirent les clés de la ville àla Pucelle, qui les porta au roi, ainsi rentré en possession del’une des cités les plus considérables de son empire. Sa marchecontinua triomphale jusqu’à Reims, grâce à la merveilleuseinfluence de Jeanne. À Châlons, elle éprouva une surprisedélicieuse à son cœur : elle rencontra quatre paysans deDomrémy. Instruits par le bruit public qu’elle devait traverser laChampagne, ils s’étaient bravement mis en chemin pour la voir à sonpassage ; parmi eux se trouvait Urbain, le garçonnet, jadisgénéral de l’armée enfantine, qui dut à l’impétueuse bravoure deJeannette sa fameuse victoire remportée sur les bambins de Maxey.Ces souvenirs et tant d’autres remémorances du village furentéchangés entre l’héroïne et les compagnons de son enfance. Durantce touchant entretien, quelques paroles d’un sinistre augureéchappèrent à Jeanne ; Urbain lui demandait ingénument commentelle avait la force, le courage d’affronter les périls ducombat ; elle sourit amèrement, resta quelques instantspensive, attristée, puis, révélant ainsi de funestespressentiments, éveillés en elle par les machinations ténébreusesdes chefs de guerre dont elle avait déjà failli être victime, ellerépondit à Urbain :

– Je ne crains rien… SINON… LATRAHISON[105] !…

Ah ! pauvre fille de Domrémy ! tesappréhensions ne te trompaient pas ; mais avant de gravir toncalvaire jusqu’à sa cime et d’y trouver le martyre, il te fallaitaccomplir la sainte inspiration de ton patriotisme, frapper ladomination anglaise en Gaule d’un coup irréparable en réveillantdans les âmes l’esprit de nationalité endormi depuis plus d’undemi-siècle, et en faisant sacrer à Reims le Charles VII. Cen’était pas cet homme, méprisable à tes yeux, que tu voulais,Jeanne, consacrer à la face du monde ; c’était l’incarnationvivante de la France dans la personne de son souverain, incarnationvisible aux yeux de ce peuple dont tu partageais la crédulité… Maisen ces temps désastreux, désespérés, où nous vivons, alors qu’entredeux maux : un roi ou l’étranger, il fallait choisirla moins odieuse de ces calamités, ton acte a été sage, a étégrand ! Si indigne d’intérêt que fût ce porte-couronne, cettecouronne, hélas ! était devenue l’emblème de la patrie… et tuvoulais son salut et sa gloire.

La guerrière accomplit sa promesse,Charles VII fut par elle conduit à Reims ; il y arriva le16 juillet 1429, trente-cinq jours après la levée du sièged’Orléans, signal des nombreuses déroutes des Anglais et de ladécadence de leur domination en Gaule. Jeanne, malgré son géniemilitaire, abhorrait les maux qu’engendre la guerre, la guerre dontelle ne se faisait pas, ainsi que les capitaines, un lucratif,sanglant et hideux métier ; elle combattait seulement pour ladélivrance du pays, pour la défense des pauvres gens de sa racerustique, mais les dissensions civiles surtout la navraient. Elleeut à Reims la noble pensée de terminer ces discordes ; elleespéra, grâce au sacre du roi, mettre fin à ces luttes acharnéesentre Armagnacs et Bourguignons qui depuis tant d’annéesdésolaient, épuisaient le pays, le livraient à l’étranger… Le jourdu sacre de Charles VII, elle dicta cette lettre si belle, sitouchante, adressée au duc de Bourgogne, chef du parti qui portaitson nom :

« Haut et redouté prince, duc deBourgogne, moi, Jeanne, je vous requiers, de par le roi du ciel,mon souverain Seigneur, que le roi de France et vous fassiez bonnepaix, ferme, sincère, qui dure longtemps ; pardonnez-vous l’unà l’autre de bon cœur, entièrement, ainsi que doivent faire deloyaux chrétiens. S’il vous plaît de guerroyer, allez guerroyercontre les Sarrasins.

« Duc de Bourgogne, je vous en prie,supplie, aussi humblement que supplier je puis, ne guerroyez pluscontre le saint royaume de France ! faites promptement retirervos gens, qui tiennent plusieurs forteresses du royaume ; leroi de France est prêt à vous accorder la paix… son honneursauf !… Je vous fais savoir, de par Dieu, que vous ne gagnerezpas bataille contre les loyaux Français, non ; ne guerroyezdonc plus contre nous. Croyez-moi, quelque nombre de soldats quevous ameniez, ils ne pourront rien ; et ce serait grand’pitiéde répandre encore tant de sang dans de nouvellesbatailles !…

» Que Dieu vous garde et nous mette enpaix !

» Écrit à Reims, avant le sacre du roiCharles, le dix-septième jour de juillet 1429.

» JEANNE[106]. »

Cette lettre, à laquelle, selon son habitude,la guerrière apposa sa croix en Dieu, faute de savoirécrire, fut envoyée par un héraut à Philippe de Bourgogne ;puis, endossant sa blanche armure, montant son plus beau cheval debataille, Jeanne, le casque en tête, l’épée au côté, son étendard,à la main, chevauchant à la droite de Charles VII, précédantles capitaines, les courtisans splendidement vêtus, se rendit àl’antique cathédrale de Reims, au milieu d’un immense concours depeuple voyant dans le sacre du roi la fin du règne de l’étranger,la fin des malheurs de la France… La cérémonie resplendit de toutesles pompes de l’Église catholique ; et à la clarté de milliersde cierges, à travers la vapeur des encensoirs d’or, devant l’auteléblouissant de lumières où s’agenouillait Charles VII,l’évêque de Reims le sacra roi, au bruit des cloches, des fanfareslointaines et des détonations de l’artillerie…

Témoin de ce spectacle, la jeune fille deDomrémy, debout dans le chœur de la basilique et s’appuyant pensivesur la lance de son étendard, reportait sa pensée à quatre annéesde là… elle donna une larme à la mémoire de Sybille, sa marraine,se rappelant ce passage de la prophétie de Merlin,désormais accomplie :

« – À la vierge guerrière le cheval etl’armure ; mais à qui la couronne royale ?… L’ange auxailes d’azur la tient entre ses mains.

» – Le sang a cessé de couler à torrents…la foudre de gronder… les éclairs de luire…

» – Je vois un ciel pur… les bannièresflottent… les clairons sonnent… les cloches résonnent… cris dejoie ! chants de victoire !

» La guerrière reçoit des mains de l’angede lumière la couronne d’or ; et un homme portant long manteaud’hermine est couronné par la vierge guerrière…

» – Peu importe ce qui arrive…

» – Ce qui doit être sera…

» – La Gaule, perdue par une femme, estsauvée par une vierge des marches de la Lorraine et d’un bois chenuvenue !… »

*

**

Écoutez, fils de Joel, cette légende de laplébéienne catholique et royaliste : – Charles VII devaitsa couronne à Jeanne Darc… il l’a honteusement reniée, lâchementdélaissée ! – Chaque jour elle s’agenouillait pieusementdevant les prêtres… leurs évêques l’ont brûlée vive ! – Lacouardise de la chevalerie avait donné la Gaule aux Anglais ;– le patriotisme de Jeanne Darc, son génie militaire, triomphentenfin de l’étranger… elle est poursuivie, trahie, livrée par lahaineuse envie des chevaliers ! – Pauvre plébéienne !l’implacable jalousie des capitaines, des courtisans, l’ingratituderoyale, la férocité cléricale, ont fait ton martyre ! – Soisbénie à travers les âges, ô vierge guerrière ! sainte fille dela mère-patrie ! – Écoutez, fils de Joel, écoutez cettelégende, – et jugez à l’œuvre : gens de cour, gens de guerre,gens d’Église et royauté !

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