Les Premiers hommes dans la Lune

Chapitre 22L’ ETONNANTE COMMUNICATION DE M. JULIUS WENDIGEE

Quand j’eus terminé le récit de mon retour sur la terre àLittlestone, j’écrivis en grosses lettres le mot FIN, le soulignaid’un paraphe compliqué et jetai ma plume de côté, absolumentpersuadé que l’histoire des Premiers Hommes dans la Luneétait achevée. Je ne m’étais pas seulement borné à cela, maisj’avais remis mon manuscrit entre les mains d’un agent littéraire,qui l’avait placé, et j’en avais vu paraître une grande partie dansle Strand Magazine ; j’allais me remettre à travailler lescénario de la pièce que j’avais commencée à Lympne, quand jem’aperçus que je n’étais pas encore au bout de mes aventures. Caralors me fut renvoyée d’Amalfi à Alger (il y a de cela sixsemaines) l’une des plus surprenantes communications qu’il ait étéen mon destin de recevoir.

En résumé, j’étais informé que M. Julius Wendigee, électricienhollandais qui expérimentait certain appareil du genre de celuiemployé en Amérique par M. Tesla dans l’espoir de découvrir quelqueméthode de communication avec Mars, recevait, jour après jour, decurieux fragments de messages, en anglais, qui devaientindiscutablement émaner de M. Cavor, dans la lune.

D’abord je me dis que la chose n’était qu’une farcelaborieusement élaborée par quelqu’un qui avait vu le manuscrit demon récit. Je répondis sur le ton de la plaisanterie à M. Wendigee,mais il me répliqua d’une façon qui dissipait entièrement toutsoupçon d’imposture ; et, dans un état de surexcitation bienconcevable, je quittai en toute hâte Alger pour me rendre au petitobservatoire du Saint-Gothard dans lequel il se livrait à sestravaux. Après sa relation et en présence de son matériel – etsurtout des messages de M. Cavor qui nous parvenaient mes derniersdoutes s’évanouirent.

Je résolus immédiatement d’accepter la proposition qu’il me fitde rester avec lui pour l’assister dans la tâche d’enregistrerjournellement les communications et d’essayer avec lui d’envoyer unmessage dans la lune.

Cavor, apprîmes-nous, était non seulement vivant, mais libre, aumilieu d’une inimaginable communauté de ces êtres au corps defourmi et marchant debout comme les hommes, dans l’obscurité bleuedes caves lunaires, il était resté, boiteux, semblait-il, maisautrement en parfaite santé – meilleure, disait-il distinctement,qu’elle ne l’était habituellement sur terre. Il avait eu une fièvrequi ne lui avait laissé aucune suite fâcheuse, mais, chosecurieuse, il paraissait avoir la conviction que j’étais mort dansle cratère de la lune ou perdu dans l’abîme de l’espace.

M. Wendigee commença à recevoir ces messages alors qu’il étaitengagé dans des investigations tout à fait différentes. Le lecteurse rappellera, sans aucun doute, l’émotion provoquée au début dusiècle par l’annonce que M. Nikola Tesla, le célèbre électricienaméricain, avait reçu un message de la planète Mars. La nouvelleramena l’attention sur un fait qui était depuis longtemps familieraux hommes de science, à savoir que, d’une source inconnue del’espace, des ondes électro-magnétiques, entièrement semblables àcelles qu’emploie M. Marconi pour son télégraphe sans fil, arriventconstamment jusqu’à la terre. Outre M. Tesla, un grand nombred’autres observateurs s’occupent de perfectionner des appareils quirecevraient et enregistreraient ces vibrations, bien qu’un petitnombre d’entre eux seulement osent aller jusqu’à considérer cesondes comme de véritables messages adressés par quelquecorrespondant extra-terrestre. Parmi ceux-là, cependant, nousdevons certainement compter M. Wendigee. Depuis 1898 il s’estexclusivement consacré à ces recherches, et, possédant une certainefortune, il s’est fait construire un observatoire sur les flancs duMont Rose, dans une situation singulièrement adaptée, de tous lespoints de vue, à des observations de ce genre.

Mes connaissances scientifiques, je dois l’admettre, ne sont pastrès étendues, mais autant qu’elles me permettent d’en juger, lescombinaisons imaginées par M. Wendigee pour surprendre etenregistrer le moindre trouble dans les conditionsélectro-magnétiques de l’espace sont particulièrement originales etingénieuses. Par une heureuse coïncidence, ses appareils furentmontés et mis en marche environ deux mois avant que Cavor ait faitsa première tentative de communication avec la terre. Nous avonsdonc les fragments de ces messages depuis le commencement. Parmalheur ce ne sont que des fragments, et le plus important de toutce qu’il avait à dire à l’humanité – entre autres, les instructionsqui permettraient de fabriquer à nouveau la Cavorite, si, à vraidire, il les transmit jamais – s’est perdu dans l’espace.

Nous ne réussîmes jamais à envoyer une réponse à Cavor. Il luiest, par conséquent, impossible de savoir quels messages nous avonsreçus et ceux qui nous manquent, et même que quelqu’un sur terre apu réussir à les capter. Et la persévérance qu’il montra enenvoyant dix-huit longues descriptions des affaires lunaires – cequ’elles seraient, si nous les avions complètes – indique combienson esprit doit s’être tourné vers sa planète natale, depuis deuxans qu’il l’a quittée.

On peut imaginer combien M. Wendigee dut être surpris quand ildécouvrit ses enregistreurs de troubles électro-magnétiquesentremêlés des phrases nettes de Cavor. M. Wendigee ne savait riende notre fol voyage dans la lune – et soudain ces mots anglais quisortent du vide !

Il est bon que le lecteur comprenne dans quelles conditions onpeut supposer que Cavor envoya ses messages. Il dut, à coup sûr,pendant un certain temps, avoir accès dans quelque caverneintérieure de la lune, renfermant une masse considérabled’appareils électriques, et il est possible qu’il ait rééquipé,peut-être furtivement, un mécanisme transmetteur du type Marconi,dont il eut le loisir de se servir à intervalles irréguliers,parfois pendant une demi-heure, d’autres fois pendant trois ouquatre heures d’affilée. C’est à ces moments qu’il envoya sesmessages vers notre planète, sans penser que la position relativede la lune et des divers points de la surface de la terre semodifie constamment. Par suite de cette circonstance et desimperfections inévitables de nos instruments, ses communicationsvont et viennent sur nos enregistreurs d’une manière absolumentincohérente ; elles deviennent tout à coup confuses, elless’effacent d’une façon mystérieuse et réellement exaspérante. Ilfaut dire aussi qu’il n’était pas un opérateur très expert : ilavait en partie oublié, ou même n’avait jamais complètement su, lecode en usage général, et à mesure qu’il se fatiguait il sautaitdes mots ou les transmettait incomplètement.

En somme, nous avons probablement perdu une bonne moitié de sescommunications, et une grande partie de ce que nous en avons estendommagée, interrompue et souvent effacée. Dans l’extrait quisuit, le lecteur doit s’attendre, par conséquent, à une quantitéconsidérable d’interruptions, de lacunes et de changementsinattendus de sujet.

M. Wendigee et moi préparons en collaboration une éditioncomplète et annotée des documents envoyés par Cavor et nousespérons la publier avec une description détaillée des instrumentsemployés. Ce sera le rapport complet et scientifique dont ce quisuit n’est qu’un résumé de vulgarisation. Mais nous donnons dumoins ici tout ce qui suffit pour compléter l’histoire que j’airacontée et pour indiquer le contour de ce que renferme cet autremonde, si proche, si analogue au nôtre et pourtant sidissemblable.

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