L’homme à l’oreille cassée

Chapitre 7Testament du professeur Meiser en faveur du colonel desséché.

 

Aujourd’hui 20 janvier 1824, épuisé par unecruelle maladie et sentant approcher le jour où ma personnes’absorbera dans le grand tout.

J’ai écrit de ma main ce testament, qui estl’acte de ma dernière volonté.

J’institue en qualité d’exécuteurtestamentaire, mon neveu, Nicolas Meiser, riche brasseur en cetteville de Dantzig.

Je lègue mes livres, papiers et collectionsgénéralement quelconques, sauf la pièce 3712, à mon très estimableet très savant ami, Mr de Humboldt.

Je lègue la totalité de mes autres biens,meubles et immeubles, évalués à 100 000 thalers de Prusse ou 375000 francs, à Mr le colonel Pierre-Victor Fougas, actuellementdesséché, mais vivant, et inscrit dans mon catalogue sous le n°3712 (Zoologie).

Puisse-t-il agréer ce faible dédommagement desépreuves qu’il a subies dans mon cabinet, et du service qu’il arendu à la science.

Afin que mon neveu Nicolas Meiser se rende uncompte exact des devoirs que je lui laisse à remplir, j’ai résolude consigner ici l’histoire détaillée de la dessiccation de Mr lecolonel Fougas, mon légataire universel.

C’est le 11 novembre de la malheureuse année1813 que mes relations avec ce brave jeune homme ont commencé.J’avais quitté depuis longtemps la ville de Dantzig, où le bruit ducanon et le danger des bombes rendaient tout travail impossible, etje m’étais retiré avec mes instruments et mes livres sous laprotection des armées alliées, dans le village fortifié deLiebenfeld. Les garnisons françaises de Dantzig, de Stettin, deCustrin, de Glogau, de Hambourg et de plusieurs autres villesallemandes ne pouvaient communiquer entre elles ni avec leurpatrie ; cependant le général Rapp se défendait obstinémentcontre la flotte anglaise et l’armée russe. Mr le colonel Fougasfut pris par un détachement du corps Barclay de Tolly, comme ilcherchait à passer la Vistule sur la glace, en se dirigeant versDantzig. On l’amena prisonnier à Liebenfeld le 11 novembre, àl’heure de mon souper, et le bas officier Garok, qui commandait levillage, me fit requérir de force pour assister à l’interrogatoireet servir d’interprète.

La figure ouverte, la voix mâle, la résolutionfière et la belle attitude de cet infortuné me gagnèrent le cœur.Il avait fait le sacrifice de sa vie. Son seul regret, disait-il,était d’échouer au port, après avoir traversé quatre armées, et dene pouvoir exécuter les ordres de l’empereur. Il paraissait animéde ce fanatisme français qui a fait tant de mal à notre chèreAllemagne, et pourtant je ne sus pas m’empêcher de le défendre, etje traduisis ses paroles moins en interprète qu’en avocat.Malheureusement on avait trouvé sur lui une lettre de Napoléon augénéral Rapp, dont j’ai conservé copie :

« Abandonnez Dantzig, forcez le blocus,réunissez-vous aux garnisons de Stettin, de Gustrin et de Glogau,marchez sur l’Elbe, entendez-vous avec Saint-Cyr et Davoust pourconcentrer les forces éparses à Dresde, Torgau, Wittemberg,Magdebourg et Hambourg ; faites la boule de neige ;traversez la Westphalie qui est libre et venez défendre la ligne duRhin avec une armée de 170 000 Français que voussauvez ! »

«NAPOLÉON. »

Cette lettre fut envoyée à l’état-major del’armée russe, tandis qu’une demi-douzaine de militaires illettrés,ivres de joie et de brandevin, condamnaient le brave colonel du23ème de ligne à la mort des espions et des traîtres.L’exécution fut fixée au lendemain 12, et Mr Pierre-Victor Fougas,après m’avoir remercié et embrassé avec la sensibilité la plustouchante (il est époux et père), se vit enfermer dans la petitetour crénelée de Liebenfeld, où le vent soufflait terriblement partoutes les meurtrières.

La nuit du 11 au 12 novembre fut une des plusrigoureuses de ce terrible hiver. Mon thermomètre à minima,suspendu hors de ma fenêtre à l’exposition sud-est, indiquait 19degrés centigrades au-dessous de zéro. Je sortis au petit jour pourdire un dernier adieu à Mr le colonel, et je rencontrai le basofficier Garok qui me dit en mauvais allemand :

– Nous n’aurons pas besoin de tuer lefrantzouski, il est gelé.

Je courus à la prison. Mr le colonel étaitcouché sur le dos, et roide. Mais je reconnus après quelquesminutes d’examen que la roideur de ce corps n’était pas celle de lamort. Les articulations, sans avoir leur souplesse ordinaire, selaissaient fléchir et ramener à l’extension sans un effort tropviolent. Les membres, la face, la poitrine donnaient à ma main unesensation de froid, mais bien différente de celle que j’avaissouvent perçue au contact des cadavres.

Sachant qu’il avait passé plusieurs nuits sansdormir et supporté des fatigues extraordinaires, je ne doutaispoint qu’il ne se fût laissé prendre de ce sommeil profond etléthargique qu’entraîne un froid intense, et qui, trop prolongé,ralentit la respiration et la circulation au point que les moyensles plus délicats de l’observation médicale sont nécessaires pourconstater la persistance de la vie. Le pouls était insensible, outout au moins mes doigts engourdis par le froid ne le sentaientpas. La dureté de mon ouïe (j’étais alors dans ma soixante-neuvièmeannée) m’empêcha de constater par l’auscultation si les bruits ducœur révélaient encore ces battements faibles, mais prolongés, quel’oreille peut encore entendre lorsque la main ne les perçoit déjàplus.

Mr le colonel se trouvait à cette période del’engourdissement causé par le froid, où pour réveiller un hommesans le faire mourir, des soins nombreux et délicats deviennentnécessaires. Quelques heures encore, et la congélation allaitsurvenir, et avec elle l’impossibilité du retour à la vie.

J’étais dans la plus grande perplexité. D’uncôté, je le sentais mourir par congélation entre mes mains ;de l’autre, je ne pouvais pas à moi seul l’entourer de tous lessoins indispensables. Si je lui appliquais des excitants sans luifaire frictionner à la fois le tronc et les membres par trois ou,quatre aides vigoureux, je ne le réveillais que pour le voirmourir. J’avais encore sous les yeux le spectacle de cette bellejeune fille asphyxiée dans un incendie, que je parvins à ranimer enlui promenant des charbons ardents sous les clavicules, mais qui neput qu’appeler sa mère et mourut presque aussitôt malgré l’emploides excitants à l’intérieur et de l’électricité pour déterminer lescontractions du diaphragme et du cœur.

Et quand même je serais parvenu à lui rendrela force et la santé, n’était-il pas condamné par le conseil deguerre ? L’humanité ne me défendait-elle pas de l’arracher àce repos voisin de la mort pour le livrer aux horreurs dusupplice ?

Je dois avouer aussi qu’en présence de cetorganisme où la vie était suspendue, mes idées sur la résurrectionprirent sur moi comme un nouvel empire. J’avais si souvent desséchéet fait revivre des êtres assez élevés dans la série animale, queje ne doutais pas du succès de l’opération, même sur un homme. Àmoi seul, je ne pouvais ranimer et sauver Mr le colonel ; maisj’avais dans mon laboratoire tous les instruments nécessaires pourle dessécher sans aide.

En résumé, trois partis s’offraient àmoi : 1° laisser Mr le colonel dans la tour crénelée, où ilaurait péri le jour même par congélation ; 2° le ranimer pardes excitants, au risque de le tuer, et pourquoi ? pour lelivrer, en cas de succès, à un supplice inévitable ; 3° ledessécher dans mon laboratoire avec la quasi certitude de leressusciter après la paix. Tous les amis de l’humanité comprendrontsans doute que je ne pouvais pas hésiter longtemps.

Je fis appeler le bas officier Garok, et je lepriai de me vendre le corps du colonel. Ce n’était pas la premièrefois que j’achetais un cadavre pour le disséquer, et ma demanden’excita aucun soupçon. Marché conclu, je donnai quatre bouteillesde Kirschen-Wasser, et bientôt deux soldats russes m’apportèrentsur un brancard Mr le colonel Fougas.

Dès que je fus seul avec lui, je lui piquai ledoigt : la pression fit sortir une goutte de sang. La placersous un microscope, entre deux lamelles de verre, fut pour moil’affaire d’une minute. Ô bonheur ! la fibrine n’était pascoagulée ! Les globules rouges se montraient nettementcirculaires, aplatis, biconcaves, sans crénelures, ni dentelures,ni gonflement sphéroïdal. Les globules blancs se déformaient etreprenaient alternativement la forme sphérique, pour se déformerencore lentement par de délicates expansions. Je ne m’étais doncpas trompé, c’était bien un homme engourdi que j’avais sous lesyeux et non un cadavre !

Je le portai sur une balance. Il pesait centquarante livres, ses vêtements compris. Je n’eus garde de ledéshabiller, car j’avais reconnu que les animaux desséchésdirectement au contact de l’air mouraient plus souvent que ceux quiétaient restés couverts de mousse et d’autres objets mous pendantl’épreuve de la dessiccation.

Ma grande machine pneumatique, son immenseplateau, son énorme cloche ovale en fer battu qu’une crémaillèreglissant sur une poulie attachée solidement au plafond élevait etabaissait sans peine grâce à son treuil, tous ces mille et unmécanismes que j’avais si laborieusement préparés nonobstant lesrailleries de mes envieux, et que je me désolais de voir inutiles,allaient donc trouver leur emploi. Des circonstances inattenduesvenaient enfin de me procurer un sujet d’expériences tel quej’avais vainement essayé d’en obtenir en cherchant à engourdir deschiens, des lapins, des moutons et d’autres mammifères à l’aide demélanges réfrigérants. Depuis longtemps, sans doute, ces résultatsauraient été obtenus si j’avais été aidé de ceux qui m’entouraient,au lieu d’être l’objet de leurs railleries ; si nos ministresm’avaient appuyé de leur autorité au lieu de me traiter comme unesprit subversif.

Je m’enfermai en tête-à-tête avec le colonel,et je défendis même à la vieille Gretchen, ma gouvernante,aujourd’hui défunte, de me troubler dans mon travail. J’avaisremplacé le pénible levier des anciennes machines pneumatiques parune roue munie d’un excentrique qui transformait le mouvementcirculaire de l’axe en mouvement rectiligne appliqué auxpistons : la roue, l’excentrique, la bielle, le genou del’appareil fonctionnaient admirablement et me permettaient de toutfaire par moi-même. Le froid ne gênait pas le jeu de la machine etles huiles n’étaient pas figées : je les avais purifiéesmoi-même par un procédé nouveau fondé sur les découvertes alorsrécentes du savant français Mr Chevreul.

Après avoir étendu le corps sur le plateau dela machine pneumatique, abaissé la cloche et luté les bords,j’entrepris de le soumettre graduellement à l’action du vide sec età froid. Des capsules remplies de chlorure de calcium étaientplacées autour de Mr le colonel pour absorber l’eau qui allaits’évaporer de son corps, et hâter la dessiccation.

Certes, je me trouvais dans la meilleuresituation possible pour amener le corps humain à un état dedessèchement graduel sans cessation brusque des fonctions, sansdésorganisation des tissus ou des humeurs. Rarement mes expériencessur les rotifères et les tardigrades avaient étéentourées de pareilles chances de succès, et elles avaient toujoursréussi. Mais la nature particulière du sujet et les scrupulesspéciaux qu’il imposait à ma conscience, m’obligeaient de remplirun certain nombre de conditions nouvelles, que j’avais d’ailleursprévues depuis longtemps. J’avais eu soin de ménager une ouvertureaux deux bouts de ma cloche ovale et d’y sceller une épaisse glace,qui me permettait de suivre de l’œil les effets du vide sur Mr lecolonel. Je m’étais bien gardé de fermer les fenêtres de monlaboratoire, de peur qu’une température trop élevée ne fît cesserla léthargie du sujet ou ne déterminât quelque altération deshumeurs. Si le dégel était survenu, c’en était fait de monexpérience. Mais le thermomètre se maintint durant plusieurs joursentre 6 et 8 degrés au-dessous de zéro, et je fus assez heureuxpour voir le sommeil léthargique se prolonger, sans avoir àcraindre la congélation des tissus.

Je commençai par pratiquer le vide avec uneextrême lenteur, de crainte que les gaz dissous dans le sang,devenus libres par la différence de leur tension avec celle del’air raréfié, ne vinssent à se dégager dans les vaisseaux et àdéterminer la mort immédiate. Je surveillais en outre à chaqueinstant les effets du vide sur les gaz de l’intestin, car en sedilatant intérieurement à mesure que la pression de l’air diminuaitautour du corps, ils auraient pu amener des désordres graves. Lalongue conservation des tissus n’en eût pas été affectée, mais ilsuffisait d’une lésion intérieure pour déterminer la mort aprèsquelques heures de reviviscence. C’est ce qu’on observe assezsouvent chez les animaux desséchés sans précaution.

À plusieurs reprises, un gonflement troprapide de l’abdomen vint me mettre en garde contre le danger que jeredoutais et je fus obligé de laisser rentrer un peu d’air sous lacloche. Enfin la cessation de tous les phénomènes de cet ordre meprouva que les gaz avaient disparu par exosmose ou avaient étéexpulsés par la contraction spontanée des viscères. Ce ne fut qu’àla fin du premier jour que je pus renoncer à ces précautionsminutieuses et porter le vide un peu plus loin.

Le lendemain 13, je poussai le vide à ce pointque le baromètre descendit à cinq millimètres. Comme il n’étaitsurvenu aucun changement dans la position du corps ni des membres,j’étais sûr que nulle convulsion ne s’était produite. Mr le colonelarrivait à se dessécher, à devenir immobile, à cesser de pouvoirexécuter les actes de la vie sans que la mort fût survenue ni quela possibilité du retour de l’action eût cessé. Sa vie étaitsuspendue, non éteinte !

Je pompais chaque fois qu’un excédant devapeur d’eau faisait monter le baromètre. Dans la journée du 14, laporte de mon laboratoire fut littéralement enfoncée par Mr legénéral russe comte Trollohub, envoyé du quartier général. Cethonorable officier était accouru en toute hâte pour empêcherl’exécution de Mr le colonel et le conduire en présence ducommandant en chef. Je lui confessai loyalement ce que j’avais faitsous l’inspiration de ma conscience ; je lui montrai le corpsà travers un des œils-de-bœuf de la machine pneumatique ; jelui dis que j’étais heureux d’avoir conservé un homme qui pouvaitfournir des renseignements utiles aux libérateurs de mon pays, etj’offris de le ressusciter à mes frais si l’on me promettait derespecter sa vie et sa liberté. Mr le général comte Trollohub,homme distingué sans contredit, mais d’une instructionexclusivement militaire, crut que je ne parlais pas sérieusement.Il sortit en me jetant la porte au nez et en me traitant de vieuxfou.

Je me remis à pomper et je maintins le vide àune pression de 3 à 5 millimètres pendant l’espace de trois mois.Je savais par expérience que les animaux peuvent revivre aprèsavoir été soumis au vide sec et à froid pendant quatre-vingtsjours.

Le 12 février 1814, ayant observé que, depuisun mois, il n’était survenu aucune modification dans l’affaissementdes chairs, je résolus de soumettre Mr le colonel à une autre séried’épreuves, afin d’assurer une conservation plus parfaite par unecomplète dessiccation. Je laissai rentrer l’air par le robinetdestiné à cet usage, puis ayant enlevé la cloche, je procédai à lasuite de mon expérience.

Le corps ne pesait plus que quarante-sixlivres ; je l’avais donc presque réduit au tiers de son poidsprimitif. Il faut tenir compte de ce que les vêtements n’avaientpas perdu autant d’eau que les autres parties. Or le corps del’homme renferme presque les quatre cinquièmes de son poids d’eau,comme le démontre une dessiccation bien faite à l’étuvechimique.

Je plaçai donc Mr le colonel sur un plateau,et, après l’avoir glissé dans ma grande étuve, j’élevaigraduellement la température à 75 degrés centigrades. Je n’osaidépasser ce chiffre, de peur d’altérer l’albumine, de la rendreinsoluble, et d’ôter aux tissus la faculté de reprendre l’eaunécessaire au retour de leurs fonctions.

J’avais eu soin de disposer un appareilconvenable pour que l’étuve fût constamment traversée par uncourant d’air sec. Cet air s’était desséché en traversant une sériede flacons remplis d’acide sulfurique, de chaux vive et de chlorurede calcium.

Après une semaine passée dans l’étuve,l’aspect général du corps n’avait pas changé, mais son poidss’était réduit à 40 livres, vêtements compris. Huit autres joursn’amenèrent aucune déperdition nouvelle. J’en conclus que ladessiccation était suffisante. Je savais bien que les cadavresmomifiés dans les caveaux d’église depuis un siècle ou plusfinissent par ne peser qu’une dizaine de livres ; mais ils nedeviennent pas si légers sans une notable altération de leurstissus.

Le 27 février, je plaçai moi-même Mr lecolonel dans les boîtes que j’avais fait faire à son usage. Depuiscette époque, c’est-à-dire pendant un espace de neuf ans et onzemois, nous ne nous sommes jamais quittés. Je l’ai transporté avecmoi à Dantzig, il habite ma maison. Je ne l’ai pas rangé à sonnuméro d’ordre dans ma collection de zoologie ; il repose àpart, dans la chambre d’honneur. Je ne confie à personne le plaisirde renouveler son chlorure de calcium. Je prendrai soin de vousjusqu’à ma dernière heure, ô monsieur le colonel Fougas, cher etmalheureux ami ! Mais je n’aurai pas la joie de contemplervotre résurrection. Je ne partagerai point les douces émotions duguerrier qui revient à la vie. Vos glandes lacrymales, inertesaujourd’hui, ranimées dans quelques jours, ne répandront pas sur lesein de votre vieux bienfaiteur la douce rosée de lareconnaissance. Car vous ne rentrerez en possession de votre êtreque le jour où je ne vivrai plus !

Peut-être serez-vous étonné que, vous aimantcomme je vous aime, j’aie tardé si longtemps à vous tirer de ceprofond sommeil. Qui sait si un reproche amer ne viendra pascorrompre la douceur des premières actions de grâces que vousapporterez sur ma tombe ? Oui, j’ai prolongé sans profit pourvous une expérience d’intérêt général. J’aurais dû rester fidèle àma première pensée et vous rendre la vie aussitôt après lasignature de la paix. Mais quoi ! fallait-il donc vousrenvoyer en France quand le sol de votre patrie était couvert denos soldats et de nos alliés ? Je vous ai épargné ce spectaclesi douloureux pour une âme comme la vôtre. Sans doute vous auriezeu la consolation de revoir, en mars 1815, l’homme fatal à qui vousaviez consacré votre dévouement ; mais êtes-vous bien sûr quevous n’eussiez pas été englouti avec sa fortune dans le naufrage deWaterloo ?

Depuis cinq ou six ans, ce n’est plus ni votreintérêt, ni même l’intérêt de la science qui m’a empêché de vousranimer, c’est… pardonnez-le-moi, monsieur le colonel, c’est unlâche attachement à la vie. Le mal dont je souffre, et quim’emportera bientôt, est une hypertrophie du cœur ; lesémotions violentes me sont interdites. Si j’entreprenais moi-mêmecette grande opération, dont j’ai tracé la marche dans un programmeannexé à ce testament, je succomberais sans nul doute avant del’avoir terminée ; ma mort serait un accident fâcheux quipourrait troubler mes aides et faire manquer votrerésurrection.

Rassurez-vous, vous n’attendrez pas longtemps.Et, d’ailleurs, que perdez-vous à attendre ? Vous nevieillissez pas, vous avez toujours vingt-quatre ans, vos enfantsgrandissent ; vous serez presque leur contemporain lorsquevous renaîtrez ! Vous êtes venu pauvre à Liebenfeld, pauvrevous êtes dans ma maison de Dantzig, et mon testament vous faitriche. Soyez heureux, c’est mon vœu le plus cher.

J’ordonne que, dès le lendemain de ma mort,mon neveu, Nicolas Meiser, réunisse par lettre de convocation lesdix plus illustres médecins du royaume de Prusse, qu’il leur donnelecture de mon testament et du mémoire y annexé, et qu’il fasseprocéder sans retard, dans mon propre laboratoire, à larésurrection de Mr le colonel Fougas. Les frais de voyage, deséjour, etc., etc., seront prélevés sur l’actif de ma succession.Une somme de deux mille thalers sera consacrée à la publication desglorieux résultats de l’expérience, en allemand, en français et enlatin. Un exemplaire de cette brochure devra être adressé à chacunedes sociétés savantes qui existeront alors en Europe.

Dans le cas tout à fait imprévu où les effortsde la science ne parviendraient pas à ranimer Mr le colonel, tousmes biens retourneraient à Nicolas Meiser, seul parent qui mereste.

« JEAN MEISER, D. M. »

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