Oedipe

Oedipe Scène II

JOCASTE, ÉGINE.

 

ÉGINE.

Que je vous plains!

JOCASTE.

Hélas! je porte envie
A ceux qui dans ces murs ont terminé leur vie.
Quel état! quel tourment pour un coeur vertueux

ÉGINE.

Il n’en faut point douter, votre sort est affreux!
Ces peuples, qu’un faux zèle aveuglément anime,
Vont bientôt à grands cris demander leur victime.
Je n’ose l’accuser; mais quelle horreur pour vous
Si vous trouvez en lui l’assassin d’un époux!

JOCASTE.

Et l’on ose à tous deux faire un pareil outrage!
Le crime, la bassesse eût été son partage!
Égine, après les noeuds qu’il a fallu briser,
Il manquait à mes maux de l’entendre accuser.
Apprends que ces soupçons irritent ma colère,
Et qu’il est vertueux, puisqu’il m’avait su plaire.

ÉGINE.

Cet amour si constant..,

JOCASTE.

Ne crois pas que mon coeur
De cet amour funeste ait pu nourrir l’ardeur;
Je l’ai trop combattu. Cependant, chère Égine,
Quoi que fasse un grand coeur où la vertu domine,
On ne se cache point ces secrets mouvements,
De la nature en nous indomptables enfants;
Dans les replis de l’âme ils viennent nous surprendre;
Ces feux qu’on croit éteints renaissent de leur cendre:
Et la vertu sévère, en de si durs combats,
Résiste aux passions et ne les détruit pas.

ÉGINE.

Votre douleur est juste autant que vertueuse,
Et de tels sentiments…

JOCASTE.

Que je suis malheureuse!
Tu connais, chère Égine, et mon coeur et mes maux;
J’ai deux fois de l’hymen allumé les flambeaux;
Deux fois, de mon destin subissant l’injustice,
J’ai changé d’esclavage, ou plutôt de supplice;
Et le seul des mortels dont mon coeur fut touché
A mes voeux pour jamais devait être arraché.
Pardonnez-moi, grands dieux, ce souvenir funeste;
D’un feu que j’ai dompté c’est le malheureux reste.
Égine, tu nous vis l’un de l’autre charmés,
Tu vis nos noeuds rompus aussitôt que formés:
Mon souverain m’aima, m’obtint malgré moi-même;
Mon front chargé d’ennuis fut ceint du diadème;
Il fallut oublier dans ses embrassements
Et mes premiers amours, et mes premiers serments.
Tu sais qu’à mon devoir tout entière attachée,
J’étouffai de mes sens la révolte cachée;
Que, déguisant mon trouble et dévorant mes pleurs,
Je n’osais à moi-même avouer mes douleurs…

ÉGINE.

Comment donc pouviez-vous du joug de l’hyménée
Une seconde fois tenter la destinée?

JOCASTE.

Hélas!

ÉGINE.

M’est-il permis de ne vous rien cacher?

JOCASTE.

Parle.

ÉGINE.

Oedipe, madame, a paru vous toucher;
Et votre coeur, du moins sans trop de résistance,
De vos États sauvés donna la récompense.

JOCASTE.

Ah! grands dieux!

ÉGINE.

Était-il plus heureux que Laïus,
Ou Philoctète absent ne vous touchait-il plus?
Entre ces deux héros étiez-vous partagée?

JOCASTE.

Par un monstre cruel Thèbe alors ravagée
A son libérateur avait promis ma foi;
Et le vainqueur du sphinx était digne de moi.

ÉGINE.

Vous l’aimiez?

JOCASTE.

Je sentis pour lui quelque tendresse;
Mais que ce sentiment fut loin de la faiblesse!
Ce n’était point Égine, un feu tumultueux,
De mes sens enchantés enfant impétueux;
Je ne reconnus point cette brûlante flamme
Que le seul Philoctète a fait naître en mon âme,
Et qui, sur mon esprit répandant son poison,
De son charme fatal a séduit ma raison.
Je sentais pour Oedipe une amitié sévère:
Oedipe est vertueux, sa vertu m’était chère;
Mon coeur avec plaisir le voyait élevé
Au trône des Thébains qu’il avait conservé.
Cependant sur ses pas aux autels entraînée,
Égine, je sentis dans mon âme étonnée
Des transports inconnus que je ne conçus pas;
Avec horreur enfin je me vis dans ses bras.
Cet hymen fut conclu sous un affreux augure:
Égine, je voyais dans une nuit obscure,
Près d’Oedipe et de moi, je voyais des enfers
Les gouffres éternels à mes pieds entr’ouverts;
De mon premier époux l’ombre pâle et sanglante
Dans cet abîme affreux paraissait menaçante:
Il me montrait mon fils, ce fils qui dans mon flanc
Avait été formé de son malheureux sang;
Ce fils dont ma pieuse et barbare injustice
Avait fait à nos dieux un secret sacrifice:
De les suivre tous deux ils semblaient m’ordonner;
Tous deux dans le Tartare ils semblaient m’entraîner.
De sentiments confus mon âme possédée
Se présentait toujours cette effroyable idée;
Et Philoctète encor trop présent dans mon coeur
De ce trouble fatal augmentait la terreur.

ÉGINE.

J’entends du bruit, on vient, je le vois qui s’avance.

JOCASTE.

C’est lui-même; je tremble: évitons sa présence.

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