Oedipe Scène III
OEDIPE, JOCASTE,PHILOCTÈTE, ÉGINE, ARASPE;suite.
OEDIPE.
Prince, ne craignez point l’impétueux caprice
D’un peuple dont la voix presse votre supplice:
J’ai calmé son tumulte, et même contre lui
Je vous viens, s’il le faut, présenter mon appui.
On vous a soupçonné; le peuple a dû le faire.
Moi qui ne juge point ainsi que le vulgaire,
Je voudrais que, perçant un nuage odieux,
Déjà votre innocence éclatât à leurs yeux.
Mon esprit incertain, que rien n’a pu résoudre,
N’ose vous condamner, mais ne peut vous absoudre.
C’est au ciel que j’implore à me déterminer.
Ce ciel enfin s’apaise, il veut nous pardonner;
Et bientôt, retirant la main qui nous opprime,
Par la voix du grand-prêtre il nomme la victime;
Et je laisse à nos dieux, plus éclairés que nous,
Le soin de décider entre mon peuple et vous.
PHILOCTÈTE.
Votre équité, Seigneur, est inflexible et pure;
Mais l’extrême justice est une extrême injure:
Il n’en faut pas toujours écouter la rigueur.
Des lois que nous suivons la première est l’honneur,
Je me suis vu réduit à l’affront de répondre
A de vils délateurs que j’ai trop su confondre.
Ah! sans vous abaisser à cet indigne soin,
Seigneur, il suffisait de moi seul pour témoin:
C’était, c’était assez d’examiner ma vie;
Hercule appui des dieux, et vainqueur de l’Asie,
Les monstres, les tyrans, qu’il m’apprit à dompter,
Ce sont là les témoins qu’il me faut confronter.
De vos dieux cependant interrogez l’organe:
Nous apprendrons de lui si leur voix me condamne.
Je n’ai pas besoin d’eux, et j’attends leur arrêt
Par pitié pour ce peuple, et non par intérêt.