Oedipe Scène II
OEDIPE, JOCASTE, PHORBAS, SUITE.
OEDIPE.
Viens, malheureux vieillard, viens, approche… A sa vue
D’un trouble renaissant je sens mon âme émue;
Un confus souvenir vient encor m’affliger
Je tremble de le voir et de l’interroger.
PHORBAS.
Eh bien! est-ce aujourd’hui qu’il faut que je périsse?
Grande reine, avez-vous ordonné mon supplice?
Vous ne fûtes jamais injuste que pour moi.
JOCASTE.
Rassurez-vous, Phorbas, et répondez au roi.
PHORBAS.
Au roi!
JOCASTE.
C’est devant lui que je vous fais paraître.
PHORBAS.
O dieux! Laïus est mort, et vous êtes mon maître!
Vous, seigneur?
OEDIPE.
Épargnons les discours superflus:
Tu fus le seul témoin du meurtre de Laïus;
Tu fus blessé, dit-on, en voulant le défendre.
PHORBAS.
Seigneur, Laïus est mort, laissez en paix sa cendre;
N’insultez pas du moins au malheureux destin
D’un fidèle sujet blessé de votre main.
OEDIPE.
Je t’ai blessé? qui, moi?
PHORBAS.
Contentez votre envie;
Achevez de m’ôter une importune vie;
Seigneur, que votre bras, que les dieux ont trompé,
Verse un reste de sang qui vous est échappé;
Et puisqu’il vous souvient de ce sentier funeste
Où mon roi…
OEDIPE.
Malheureux! épargne-moi le reste;
J’ai tout fait, je le vois, c’en est assez.
O dieux! Enfin après quatre ans vous dessillez mes yeux.
JOCASTE.
Hélas! il est donc vrai!
OEDIPE.
Quoi! c’est toi que ma rage
Attaqua vers Daulis en cet étroit passage!
Oui, c’est toi: vainement je cherche à m’abuser;
Tout parle contre moi, tout sert à m’accuser;
Et mon oeil étonné ne peut te méconnaître.
PHORBAS.
Il est vrai, sous vos coups j’ai vu tomber mon maître;
Vous avez fait le crime, et j’en fus soupçonné;
J’ai vécu dans les fers, et vous avez régné.
OEDIPE.
Va, bientôt à mon tour je me rendrai justice;
Va, laisse-moi du moins le soin de mon supplice:
Laisse-moi, sauve-moi de l’affront douloureux
De voir un innocent que j’ai fait malheureux.