Oedipe

Oedipe Acte III

Scène I

JOCASTE, ÉGINE.

 

JOCASTE.

Oui, j’attends Philoctète, et je veux qu’en ces lieux
Pour la dernière fois il paraisse à mes yeux.

ÉGINE.

Madame vous savez jusqu’à quelle insolence
Le peuple a de ses cris fait monter la licence:
Ces Thébains, que la mort assiège à tout moment,
N’attendent leur salut que de son châtiment;
Vieillards, femmes, enfants, que leur malheur accable,
Tous sont intéressés à le trouver coupable.
Vous entendez d’ici leurs cris séditieux;
Ils demandent son sang de la part de nos dieux.
Pourrez-vous résister à tant de violence?
Pourrez-vous le servir et prendre sa défense?

JOCASTE.

Moi! si je la prendrai? Dussent tous les Thébains
Porter jusque sur moi leurs parricides mains,
Sous ces murs tout fumants dussé-je être écrasée,
Je ne trahirai point l’innocence accusée.
Mais une juste crainte occupe mes esprits:
Mon coeur de ce héros fut autrefois épris;
On le sait: on dira que je lui sacrifie
Ma gloire, mes époux, mes dieux, et ma patrie;
Que mon coeur brûle encore.

ÉGINE.

Ah! calmez cet effroi:
Cet amour malheureux n’eut de témoin que moi;
Et jamais…

JOCASTE.

Que dis-tu? crois-tu qu’une princesse
Puisse jamais cacher sa haine ou sa tendresse?
Des courtisans sur nous les inquiets regards
Avec avidité tombent de toutes parts;
A travers les respects leurs trompeuses souplesses
Pénètrent dans nos coeurs et cherchent nos faiblesses;
A leur malignité rien n’échappe et ne fuit;
Un seul mot, un soupir, un coup d’oeil nous trahit;
Tout parle contre nous, jusqu’à notre silence;
Et quand leur artifice et leur persévérance
Ont enfin, malgré nous, arraché nos secrets,
Alors avec éclat leurs discours indiscrets,
Portant sur notre vie une triste lumière,
Vont de nos passions remplir la terre entière.

ÉGINE.

Eh! qu’avez-vous, madame, à craindre de leurs coups?
Quels regards si perçants sont dangereux pour vous?
Quel secret pénétré peut flétrir votre gloire?
Si l’on sait votre amour, on sait votre victoire:
On sait que la vertu fut toujours votre appui.

JOCASTE.

Et c’est cette vertu qui me trouble aujourd’hui.
Peut-être, à m’accuser toujours prompte et sévère,
Je porte sur moi-même un regard trop austère;
Peut-être je me juge avec trop de rigueur:
Mais enfin Philoctète a régné sur mon coeur;
Dans ce coeur malheureux son image est tracée,
La vertu ni le temps ne l’ont point effacée:
Que dis-je? je ne sais, quand je sauve ses jours,
Si la seule équité m’appelle à son secours;
Ma pitié me paraît trop sensible et trop tendre;
Je sens trembler mon bras tout prêt à le défendre;
Je me reproche enfin mes bontés et mes soins:
Je le servirais mieux si je l’eusse aimé moins.

ÉGINE.

Mais voulez-vous qu’il parte?

JOCASTE.

Oui, je le veux sans doute,
C’est ma seule espérance; et pour peu qu’il m’écoute,
Pour peu que ma prière ait sur lui de pouvoir,
Il faut qu’il se prépare à ne plus me revoir.
De ces funestes lieux qu’il s’écarte, qu’il fuie,
Qu’il sauve en s’éloignant et ma gloire et sa vie.
Mais qui peut l’arrêter? Il devrait être ici.
Chère Égine, va, cours.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer