Suleïma

VII

 

… Je me levai dès que le ciel parut blanchir,ne voulant pas voir ce bouge où j’avais dormi. Dans l’obscuritéencore, je descendis cette échelle, je traversai un couloir entâtant les murs, et puis une cour ; j’ouvris une vieille porteà verrou de fer, et me trouvai dans la rue.

La Kasbah, encore endormie, sentait bon, l’airdu matin était pur et délicieux.

Je dominais un ravin plein d’aloès.

Je me couchai au bord. Le fond en était encoreindistinct, perdu dans l’obscurité noire.

Il y avait partout une rare finesse de teintesdans des gammes grises, et comme une grande puissance de couleursdans la nuit ; et puis d’étonnantes transparences d’air, etdes senteurs suaves de pays chaud.

D’abord mes yeux mal éveillés gardaient unefatigue légère et voluptueuse, et puis cela passait, à mesure quenaissait lentement la lumière.

Un Bédouin marchand de lait de chèvre, quidormait par terre dans son burnous au milieu de son troupeau,s’éveilla pour m’en offrir. Toutes ces grosses houppes d’un noirroux, qui faisaient autour de moi des taches sur le gris pâle deschoses, c’étaient ses chèvres qui étaient couchées ; ellescommençaient à se secouer avec de petits bruits de clochettes. Puismaintenant ces plantes sur lesquelles je m’étais étendu et quiétaient de grandes mauves d’Algérie se coloraient vivement enrose.

On entendit une porte tourner sur sesferrures, dans ce silence du matin, et une première petite échoppearabe s’ouvrit, où l’on vendait du café avec des beignets au miel,à l’usage des gens matinaux. Deux hommes commencèrent à cuisinercela dehors, au-dessus d’une petite flamme que déjà le jour faisaitpâlir, et qui tremblait avec un air de feu follet.

Maintenant elle arrivait vite, la lumière, lagrande lumière couleur d’or rose, et elle balayait le souvenir decette nuit et de ce bouge noir. Et je respirais délicieusement lafraîcheur saine de ce matin ; je me baignais et me retrempaisdans cette pureté-la ; c’était une impression de bien-êtrephysique d’une intensité extraordinaire ; c’était comme uneivresse d’exister…

Étrange rajeunissement que le grand matinapporte toujours aux sens dans les pays du soleil, et qui n’estpeut-être rien, après tout, rien qu’une sensation fausse et unmirage de vie…

À la porte d’Oran, j’achetai de gros bouquetsde roses à des femmes qui se rendaient au marché, et je pris au pasrapide la route de Mers-el-Kébir.

À mi-chemin, un grand nuage, qui montait trèsvite dans le ciel clair, creva sur ma tête. Ce fut la pluie àtorrents, et je me réfugiai, avec mes roses, dans une fermeespagnole. Mais le temps passait ; à huit heures et demie, ilfallait être à bord et avoir changé de costume pour l’inspection.Tant pis, je repris ma route sous l’ondée, et arrivai auTéméraire, trempé, ruisselant, comme sortant d’unbain.

Du reste, on est habitué depuis quelques joursà me voir faire sur ce vaisseau des entrées pareilles.

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