XX
Suleïma la tortue est une personne de mœursrégulières qui vivra pour le moins cent ans. Cela dureindéfiniment, les tortues, comme les reptiles. Elle trottera encoreau soleil, sur les pavés blancs, parmi les pots de cactus à fleursrouges, quand depuis longtemps, la vraie Suleïma et moi, nousserons morts ; elle dans quelque bouge de prostituées, aprèsavoir vendu et revendu sa forme admirable, et moi, qui saitoù ?… Il n’y aura plus sous le soleil trace de nous-mêmes, nide nos corps, ni de nos deux âmes si différentes, un instantrapprochées par ce charme inconscient des sens, par ce mystèreétrange qui est l’amour.
Et, quand mes arrière-petits-neveuxregarderont Suleïma la tortue, trotter, parmi les fleurs de cesétés d’alors, on leur contera que cette bête a été prise en Algériepar un grand-oncle, un aïeul inconnu.
Assurément ils ne se représenteront pas cettecapture en hiver, dans la montagne d’Oran, par un jour sombre devent et de pluie, au milieu des fleurettes délicates de mars.
Et le grand-oncle aussi leur apparaîtra sousdes teintes étranges de légende !…
XXI
Ils la trouveront à peu près écrite ici, ce senfants à venir, l’histoire très simple de ce grand-oncle et de cette tortue…