Les Chasseurs de chevelures

Chapitre 24LE SENTIER DE LA GUERRE.

 

La troupe était à cheval à l’aube du jour, et,avant que la dernière note du clairon se fût éteinte, nos chevauxétaient dans l’eau, se dirigeant vers l’autre bord de la rivière.Nous débouchâmes bientôt des bois qui couvraient le fond de lavallée, et nous entrâmes dans les plaines sablonneuses quis’étendent à l’ouest vers les montagnes des Mimbres. Nous coupâmesà travers ces plaines dans la direction du sud, gravissant delongues collines de sable qui s’allongeaient de l’est à l’ouest. Lapoussière était amoncelée en couches épaisses, et nos chevauxenfonçaient jusqu’au fanon. Nous traversions alors la partie ouestde la Jornada. Nous marchions en file indienne. L’habitude a faitprévaloir cette disposition parmi les Indiens et les chasseursquand ils sont en marche. Les passages resserrés des forêts et lesdéfilés étroits des montagnes n’en permettent pas d’autre. Et même,lorsque nous étions en pays plat, notre cavalcade occupait unelongueur de près d’un quart de mille. L’atajo[15] suivait sous la conduite desarrieros.

Nous fîmes notre première journée sans nousarrêter. Il n’y avait ni herbe ni eau sur notre route, et une haltesous les rayons ardents du soleil n’aurait pas été de nature à nousrafraîchir. De bonne heure, dans l’après-midi, une ligne noire,traversant la plaine, nous apparut dans le lointain. En nousrapprochant, nous vîmes un mur de verdure devant nous, et nousreconnûmes un bois de cotonniers. Les chasseurs le signalèrentcomme étant le bois de Paloma. Peu après, nous nous engagions sousl’ombre de ces voûtes tremblantes, et nous atteignions les bordsd’un clair ruisseau où nous établîmes notre halte pour la nuit.

Pour installer notre campement, nous n’avionsplus ni tentes ni cabanes ; les tentes dont on s’était servisur le Del-Norte avaient été laissées en arrière et cachées dans lefourré. Une expédition comme la nôtre exigeait que l’on ne fût pasencombré de bagages. Chacun n’avait que sa couverture pour abri,pour lit et pour manteau. On alluma les feux et l’on fit rôtir laviande. Fatigués de notre route (le premier jour de marche àcheval, il en est toujours ainsi), nous fûmes bientôt enveloppésdans nos couvertures et plongés dans un profond sommeil. Lelendemain matin, nous fûmes tirés du repos par les sons du claironqui sonnait le réveil. La troupe avait une sorted’organisation militaire, et chacun obéissait aux sonneries, commedans un régiment de cavalerie légère. Après un déjeuner lestementpréparé et plus lestement avalé, nos chevaux furent détachés deleurs piquets, sellés, enfourchés, et, à un nouveau signal, nousnous mettions en route. Les jours suivants ne furent marqués paraucun incident digne d’être remarqué. Le sol stérile était, çà etlà, couvert de sauge sauvage et de mesquite. Il y avaitaussi des massifs de cactus et d’épais buissons de créosote quiexhalaient leur odeur nauséabonde au choc du sabot de nos montures.Le quatrième soir nous campions près d’une source, l’Ojo de Vaca,située sur la frontière orientale des Llanos. La grande prairie estcoupée à l’ouest par le sentier de guerre des Apaches, qui sedirige au sud vers Sonora. Près du sentier, et le commandant, unehaute montagne s’élève et domine au loin la plaine. C’est le Pinon.Notre intention était de gagner cette montagne et de nous tenircachés au milieu des rochers près d’une source bien connue, jusqu’àce que nos ennemis fussent passés. Mais, pour faire cela, ilfallait traverser le sentier de guerre, et nos traces nous auraientdénoncés. C’était une difficulté que Séguin n’avait pas prévue. LePinon était le seul point duquel nous puissions être aperçus. Ilfallait donc atteindre cette montagne, et comment le faire sanstraverser le sentier qui nous en séparait !

Aussitôt notre arrivée à l’Ojo de Vaca, Séguinréunit les hommes en conseil pour délibérer sur cette gravequestion.

– Déployons-nous sur la prairie, dit unchasseur, et restons très écartés les uns des autres jusqu’à ce quenous ayons traversé le sentier de guerre des Apaches. Ils ne ferontpas attention à quelques traces disséminées çà et là, je leparie.

– Ouais ! compte là-dessus, reprit unautre ; croyez-vous qu’un Indien soit capable de rencontrerune piste de cheval sans la suivre jusqu’au bout ? Cela estimpossible.

– Nous pouvons envelopper les sabots de noschevaux, pour le temps de la traversée, suggéra l’homme qui avaitdéjà parlé.

– Ah ! ouiche ; ça serait encorepire. J’ai essayé de ce moyen-là une fois, et j’ai bien failli yperdre ma chevelure. Il n’y a qu’un Indien aveugle qui pourraitêtre pris à cela. Il ne faut pas nous y risquer.

– Ils ne sont pas si vétilleux quand ilssuivent le sentier de la guerre, je vous le garantis. Et je ne voispas pourquoi nous ne nous contenterions pas de ce moyen.

La plupart des chasseurs parurent être del’avis du second. Les Indiens, pensèrent-ils, ne pourraient manquerde remarquer un si grand nombre de traces de sabots enveloppés, etde flairer quelque chose en l’air. L’idée de tamponner les piedsdes chevaux fut donc abandonnée. Mais que faire ?

Le trappeur Rubé, qui jusque-là n’avait riendit, attira sur lui l’attention générale par cetteexclamation :

– Pish !

– Eh bien, qu’as-tu à dire, vieillerosse ? demanda un des chasseurs.

– Que vous êtes un tas de fichues bêtes, toustant que vous êtes. Je ferais passer autant de chevaux qu’il enpourrait tenir dans cette prairie à travers le sentier des Apachessans laisser une trace que l’Indien le plus fin puisse suivre etparticulièrement un Indien marchant à la guerre, comme ceux quivont passer ici.

– Comment ? demanda Séguin.

– Je vous dirai comment, capitaine, si vousvoulez me dire quel besoin vous avez de traverser le chemin.

– Mais, c’est pour nous cacher dans les gorgesdu Pinon ; voilà tout.

– Et comment rester cachés dans le Pinon sanseau ?

– Il y a une source sur le côté, au pied de lamontagne.

– C’est vrai comme l’Écriture. Je sais trèsbien cela ; mais les Indiens viendront remplir leurs outres àcette source quand ils passeront pour se rendre dans le sud. Etcomment prétendez-vous aller auprès de cette source avec toutecette cavalerie sans laisser de traces ? Voilà ce que l’Enfantne comprend pas bien clairement.

– Vous avez raison, Rubé. Nous ne pouvons pasapprocher de la source du Pinon sans laisser nos traces, et il estévident que l’armée des Indiens fera halte ici.

– Je ne vois rien de mieux à faire pour nousque de traverser la prairie. Nous pourrons chasser des bisons,jusqu’à ce qu’ils soient passés. Ainsi, dans l’idée de l’Enfant, ilsuffit qu’une douzaine de nous se cachent dans le Pinon, etsurveille le passage de ces moricauds. Une douzaine peut faire celaavec sûreté, mais pas un régiment tout entier de cavalerie.

– Et les autres : les laisserez-vousici ?

– Non, pas ici. Qu’ils s’en aillent aunord-est, et coupent, a l’ouest, les hauteurs des Mesquites. Il y alà un ravin, à peu près à vingt milles de ce côté du sentier deguerre. Là, ils trouveront de l’eau et de l’herbe, et pourrontrester cachés jusqu’à ce qu’on aille les prévenir.

– Mais pourquoi ne pas rester ici auprès de ceruisseau, où il y a aussi de l’eau et de l’herbe à foison.

– Parce que, capitaine, il pourrait bienarriver qu’un part d’Indiens prit lui-même cette direction. Et jecrois que nous ferions bien de faire disparaître toutes les tracesde notre passage avant de quitter cette place.

La force des raisonnements de Rubé frappa toutle monde, et principalement Séguin qui résolut de suivreentièrement ses avis. Les hommes qui devaient se mettre enobservation furent choisis, et le reste de la bande, avecl’atajo, prit la direction du nord-est, après que l’on eutenlevé toutes les traces de notre séjour auprès du ruisseau. Lagrande troupe se dirigea vers les monts Mesquites, à dix ou douzemilles au nord-ouest du ruisseau. Là ils devaient rester cachésprès d’un cours d’eau bien connu de la plupart d’entre eux, etattendre jusqu’à ce qu’on vint les chercher pour nous rejoindre. Ledétachement d’observation, dont je faisais partie, se dirigea àl’ouest à travers la prairie. Rubé, Garey, El-Sol et sa sœur, plusSanchez, un ci-devant toréador et une demi-douzaine d’autrescomposaient ce détachement, placé sous la direction de Séguinlui-même.

Avant de quitter l’Ojo de Vaca, nous avionsdéferré nos chevaux et rempli les trous des clous avec de la terre,afin que leurs traces pussent être prises pour celles des mustangssauvages. Cette précaution était nécessaire, car notre vie pouvaitdépendre d’une seule empreinte de fer de cheval. En approchant del’endroit où le sentier de guerre coupait la prairie, nous nousécartâmes à environ un demi-mille les uns des autres. De cettefaçon, nous nous dirigeâmes vers le Pinon, près duquel nous nousréunîmes de nouveau, puis nous suivîmes le pied de la montagne eninclinant vers le nord. Le soleil baissait quand nous atteignîmesla fontaine après avoir couru toute la journée pour traverser laprairie. La position de la source nous fut révélée par un bouquetde cotonniers et de saules. Nous évitâmes de conduire nos chevauxprès de l’eau ; mais ayant gagné une gorge dans l’intérieur dela montagne, nous nous y engageâmes et prîmes notre cachette dansun massif de pins-noyers (nut-pine), où nous passâmes lanuit. Aux premières lueurs du jour, nous fîmes une reconnaissancedes lieux. Devant nous était une arête peu élevée couverte derochers épars et de pins-noyers disséminés. Cette arête formait laséparation entre le défilé et la plaine. De son sommet, couronnépar un massif de pins, nous découvrions l’eau et le sentier, etnotre vue atteignait jusqu’aux Llanos qui s’étendaient au nord, ausud et à l’est. C’était justement l’espèce d’observatoire dont nousavions besoin pour l’occasion. Dès cette matinée, il devintnécessaire de descendre pour faire de l’eau. Dans ce but, nous nousétions munis d’un double baquet mule et d’outres supplémentaires.Nous allâmes à la source, et remplîmes tous nos vases, ayant soinde ne laisser aucune trace de nos pas sur la terre humide. Toute lajournée nous fîmes faction, mais pas un Indien ne se montra. Lesdaims et les antilopes, une petite troupe de buffalos,vinrent boire à une des branches du ruisseau, et retournèrentensuite aux verts pâturages. Il y avait de quoi tenter deschasseurs, car il nous était facile de les approcher à portée defusil ; mais nous n’osions pas les tirer. Nous savions que leschiens des Indiens seraient mis sur la piste par le sang répandu.Sur le soir, nous retournâmes encore à la provision d’eau, et nousfîmes deux fois le voyage, car nos animaux commençaient à souffrirde la soif. Nous prîmes les mêmes précautions que la premièrefois.

Le lendemain, nos yeux restèrent anxieusementfixés sur l’horizon, au nord. Séguin avait une petite lunetted’approche, et nous pouvions découvrir la prairie jusqu’à unedistance de près de trois milles ; mais l’ennemi ne se montrapas plus que la veille. Le troisième jour se passa de même, et nouscommencions à craindre que les ennemis n’eussent pris un autresentier. Une autre circonstance nous inquiétait : nous avionsconsommé presque toutes nos provisions, et nous nous voyionsréduits à manger crues les noix du Pinon. Nous n’osions pas allumerdu feu pour les faire griller. Les Indiens reconnaissent une fuméeà d’énormes distances. Le quatrième jour arriva, et rien ne troublaencore la tranquillité de l’horizon, au nord. Nos provisionsétaient épuisées, et la faim commençait à nous mordre lesentrailles. Les noix ne suffisaient point pour l’apaiser. Le gibierabondait à la source et sur la prairie. Quelqu’un proposa de seglisser à travers les saules et de tirer une antilope ou un daimrayé. Ces animaux se montraient par troupeaux tout autour denous.

– C’est trop dangereux, dit Séguin, leurschiens sentiraient le sang. Cela nous trahirait.

– Je puis vous en procurer un sans verser unegoutte de sang, reprit un chasseur mexicain.

– Comment cela ? demandâmes-nous tousensemble.

L’homme montra son lasso.

– Mais vos traces ? Vos pieds feront deprofondes empreintes dans la lutte.

– Nous pourrons les effacer, capitaine,répondit le chasseur.

– Essayez donc, dit le chef consentant.

Le Mexicain détacha le lasso de sa selle, et,prenant avec lui un compagnon, se dirigea vers la source. Ils seglissèrent à travers les saules et se mirent en embuscade. Nous lessuivions du regard du haut de la crête.

Ils n’étaient pas là depuis un quart d’heure,que nous vîmes un troupeau d’antilopes s’approcher, venant de laplaine. Elles se dirigeaient droit à la source, se suivant à lafile, et furent bientôt tout près des saules où les chasseurss’étaient embusqués. Là, elles s’arrêtèrent tout à coup, levantleurs têtes et reniflant l’air. Elles avaient senti ledanger ; mais il était trop tard pour celle qui était enavant.

– Voilà le lasso parti, cria l’un de nous.

Nous vîmes le nœud traversant l’air et tombantsur le chef de file. Le troupeau fit volte-face, mais la courroieétait enroulée autour du cou du premier de la bande, qui, aprèsdeux ou trois bonds, tomba sur le flanc et demeura sans mouvement.Le chasseur sortit du bouquet de saules, et, chargeant l’animalmort sur ses épaules, revint vers l’entrée du défilé. Son compagnonsuivait, effaçant les traces du chasseur et les siennes propres. Aubout de quelques instants ils nous avaient rejoints. L’antilope futdépouillée et mangée crue, toute saignante.

Nos chevaux, affamés et altérés, maigrissaientà vue d’œil. Nous n’osions pas aller trop souvent à l’eau, bien quenotre prudence se relâchât à mesure que le temps se passait. Deuxautres antilopes furent prises au lasso par l’habile chasseur. Lanuit qui suivit le quatrième jour était éclairée par une lunebrillante. Les Indiens marchent souvent au clair de la lune, etparticulièrement quand ils suivent le sentier de la guerre. Nousavions des vedettes aussi bien la nuit que le jour, et, cettenuit-là, nous exerçâmes une surveillance avec meilleur espoir queprécédemment. C’était une si belle nuit ! pleine de lune,calme et pure. Notre attente ne fut point trompée. Vers minuit, lasentinelle nous éveilla. On distinguait au nord des formes noiresse détachant sur le ciel. Ce pouvaient être des buffalos.Ces objets s’approchaient de nous. Chacun de nous se tient leregard tendu au loin sur le tapis d’herbe argentée, et cherche àpercer l’atmosphère. Nous voyons briller quelque chose : cesont des armes, sans doute, – des chevaux, – des cavaliers, – cesont les Indiens !

– Oh ! Dieu ! camarades, nous sommesfous ! et nos chevaux, s’ils allaient hennir ?….

Nous nous précipitons à la suite de notre chefen bas de la colline, à travers les rochers et les arbres, nouscourons au fourré, où nos animaux sont attachés. Peut-être il esttrop tard, car les chevaux s’entendent les uns les autres àplusieurs milles de distance, et le plus léger bruit se transmet auloin à travers l’atmosphère tranquille de ces hauts plateaux. Nousarrivons près de la caballada. Que fait Séguin ? Il adétaché la couverture qui est à l’arrière de la selle, et ilenveloppe la tête de son cheval. Nous suivons son exemple ;sans échanger une parole, car nous comprenons qu’il n’y a pas autrechose à faire. Au bout de quelques minutes, nous avons reconquisnotre sécurité, et nous remontons à notre poste d’observation.

Nous nous y étions pris à temps, car, enatteignant le sommet, nous entendîmes les exclamations des Indiens,les thoump, thoump des sabots sur le sol résistant de laplaine ; de temps en temps un hennissement annonçant que leurschevaux sentaient l’approche de l’eau. Ceux qui étaient en tête sedirigeaient vers la source ; et nous aperçûmes la longue lignedes cavaliers s’étendant jusqu’au point le plus éloigné del’horizon. Ils approchèrent encore, et nous pûmes distinguer lesbanderoles et les pointes brillantes de leurs lances. Nous voyonsaussi leurs corps demi-nus luire aux rayons de la lune. Au bout dequelques instants, ceux qui étaient en tête atteignaient lesbuissons, faisaient halte, laissaient boire leurs animaux, puis,faisant demi-tour, gagnaient le milieu de la prairie au trot, etlà, sautant à terre, déharnachaient leurs chevaux. Il devenaitévident que leur intention était de camper là pour la nuit. Pendantprès d’une heure, ils défilèrent ainsi, jusqu’à ce que deux centsguerriers fussent réunis dans la plaine sous nos yeux.

Nous observions tous leurs mouvements. Nous necraignions pas d’être vus. Nos corps étaient cachés derrière lesrochers et nos figures masquées par le feuillage des arbres duPinon. Nous pouvions facilement voir et entendre tout ce qui sepassait, les sauvages n’étant pas à plus de trois cents yards denotre poste. Ils commencent par attacher leurs chevaux à despiquets disposés en un large cercle, au loin dans la plaine. Là,l’herbe est plus longue et plus épaisse que dans le voisinage de lasource. Ils détachent et rapportent avec eux les harnais, composésde brides en crin, de couvertures en cuir de buffalo et depeaux d’ours gris. Peu d’entre eux ont des selles. Les Indiensn’ont pas l’habitude de s’en servir dans les expéditions de guerre.Chaque homme plante sa lance dans le sol, et place, auprès de sonbouclier, son arc et son carquois. Il étend à son côté unecouverture de laine, ou une peau de bête, qui lui sert à la fois detente et de lit. Les lances, bien alignées sur la prairie, yforment un front de plusieurs centaines de yards, et en un instantleur camp est formé avec une promptitude et une régularité à fairehonte aux plus vieilles troupes. Leur camp est divisé en deuxparties, correspondant à deux bandes : celle des Apaches etcelle des Navajoès. La dernière est, de beaucoup, la moinsnombreuse, et se trouve la plus éloignée, par rapport à nous. Nousentendons le bruit de leurs tomahawks attaquant les arbres dufourré au pied de la montagne, et nous les voyons retourner vers laplaine, chargés de fagots qu’ils empilent et qu’ils allument. Ungrand nombre de feux brillent bientôt dans la nuit. Les sauvagess’assoient autour et font cuire leur souper. Nous pouvonsdistinguer les peintures dont sont ornés leurs visages et leurspoitrines nues. Il y en a de toutes les couleurs : les unssont peints en rouge, comme s’ils étaient barbouillés desang ; d’autres en noir de jais. Ceux-ci ont la moitié de lafigure peinte en blanc et l’autre moitié en rouge ou en noir.Ceux-là sont marqués comme des chiens de chasse, d’autres sontrayés et zébrés. Leurs joues et leurs poitrines sont tatouées defigures d’animaux : de loups, de panthères, d’ours, debuffalos et autres hideux hiéroglyphes, vivement éclairéspar l’ardente flamme du bois de pin. Quelques-uns portent une mainrouge peinte sur le cœur ; un grand nombre étale comme devisedes têtes de mort ou des os en croix. Chacun d’eux a adopté unsymbole correspondant à son caractère. Ce sont des écussons où lafantaisie joue le même rôle que dans le choix des armoiries quel’on voit sur les portières des voitures, sur les boutons deslivrées, ou sur la médaille de cuivre du facteur de magasin. Lavanité est de tous les pays, et les sauvages, comme les civilisés,ont aussi leurs hochets.

Mais qu’est-ce donc ? des casquesbrillants, de cuivre et d’acier, avec des plumes d’autruche !Une telle coiffure à des sauvages ! Où ont-ils priscela ? Aux cuirassiers de Chihuahua. Pauvres diables, tuésdans quelque rencontre avec ces lanciers du désert.

La viande saignante crépite au feu sur desbroches de bois de saule, les Indiens placent des noix du Pinonsous les cendres, et les en retirent grillées et fumantes ;ils allument leur pipe de terre durcie, et lancent en l’air desnuages de fumée. Ils gesticulent en se racontant les uns aux autresleurs sanglantes aventures. Nous les entendons crier, causer etrire comme de vrais saltimbanques. Combien sont-ils différents desIndiens de la forêt ! Pendant deux heures, nous suivons tousleurs mouvements et nous les écoutons. Enfin les hommes qui doiventgarder les chevaux sont choisis et se dirigent vers lacaballada ; des Indiens, l’un après l’autre, étendentleurs peaux de bêtes, s’enroulent dans leurs couvertures ets’endorment. Les flammes cessent de briller, mais, à la lueur de lalune, nous pouvons distinguer les corps couchés des sauvages. Desformes blanches se meuvent au milieu d’eux ; ce sont leschiens quêtant après les débris du souper. Ils courent çà et là,grondant l’un après l’autre, et aboyant aux coyotes qui rôdent à lalisière du camp. Plus loin, sur la prairie, les chevaux sont encoreéveillés et occupés. Nous entendons le bruit de leurs sabotsfrappant le sol et le craquement de l’herbe touffue, sous leursdents. D’espace en espace nous apercevons la forme droite d’unhomme debout : ce sont les sentinelles de lacaballada.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer