Antigone de Jean Anouilh


qu’un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l’arrêter à son tour, ce
sont les auxiliaires de la justice de Créon.
Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire.
Elle commence au moment où les deux fils dŒdipe, Étéocle et Polynice, qui devaient
régner sur Thèbes un an chacun à tour de rôle, se sont battus et entre-tués sous les
murs de la ville, Étéocle laîné, au terme de la première année de pouvoir, ayant refusé
de céder la place à son frère. Sept grands princes étrangers que Polynice avait gagnés
à sa cause ont été défaits devant les sept portes de Thèbes. Maintenant la ville est
sauvée, les deux frères ennemis sont morts et Créon, le roi, a ordonné quà Étéocle, le
bon frère, il serait fait dimposantes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le révolté,
le voyou, serait laissé sans pleurs et sans sépulture, la proie des corbeaux et des
chacals.. Quiconque osera lui rendre les devoirs funèbres sera impitoyablement puni de
mort.
Pendant que le Prologue parlait, les personnages sont sortis un à un. Le Prologue
disparaît aussi. léclairage sest modifié sur la scène. Cest maintenant une aube grise et
livide dans une maison qui dort.
Antigone entrouvre la porte et rentre de lextérieur sur la pointe de ses pieds nus, ses
souliers à la main. Elle reste un instant immobile à écouter.
La nourrice surgit.
LA NOURRICE
D’où viens-tu?
ANTIGONE
De me promener, nourrice. Cétait beau. Tout était gris. Maintenant, tu ne peux pas’
savoir, tout est déjà rose, jaune, vert. Cest devenu une carte postale. Il faut te lever plus
tôt, nourrice, si tu veux voir un monde sans couleurs.
Elle va passer


LA NOURRICE
Je me lève quand il fait encore noir, je vais à ta chambre pour voir si tu ne tes pas
découverte en dormant et je ne te trouve plus dans ton lit!
ANTIGONE
Le jardin dormait encore. Je lai surpris, nourrice. Je lai vu sans quil sen doute. Cest
beau, un jardin qui ne pense pas encore aux hommes.
LA NOURRICE
Tu es sortie. Jai été à la porte du fond, tu lavais laissée entrebâillée.
ANTIGONE
Dans les champs, cétait tout mouillé, et cela attendait. Tout attendait. Je faisais un
bruit énorme toute seule sur la route et j’étais gênée, parce que je savais bien que ce
n’était pas moi qu’on attendait. Alors, j’ai enlevé mes sandales et je me suis glissée dans
la campagne sans quelle sen aperçoive.
LA NOURRICE
Il va falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit.
ANTIGONE
Je ne me recoucherai pas ce matin.
LA NOURRICE
A quatre heures! Il n’était pas quatre heures! Je me lève pour voir si elle n’était pas
découverte. Je trouve son lit froid et personne dedans.
ANTIGONE
Tu crois que si on se levait comme ça tous les matins, ce serait tous les matins aussi
beau, nourrice, d’être la première fille dehors?
LA NOURRICE


La nuit! C’était la nuit! Et tu veux me faire croire que tu as été te promener, menteuse!
D’où viens-tu?
Antigone, a un étrange sourire.
C’est vrai, c’était encore la nuit. Et il n’y avait que moi dans toute la campagne à
penser que c’était le matin. C’est merveilleux, nourrice. Jai cru au jour la première,
aujourd’hui.
LA NOURRICE
Fais la folle! Fais la folle! Je la connais, la chanson. Jai été fille avant toi. Et pas
commode non plus, mais tête dure comme toi, non. D’où viens-tu, mauvaise?
Antigone, soudain grave
Non. Pas mauvaise.
LA NOURRICE
Tu avais un rendez-vous, hein? Dis non, peut-être.
Antigone, doucement
Oui. J’avais un rendez-vous.
LA NOURRICE
Tu as un amoureux?
Antigone, étrangement, après un silence.
Oui, nourrice, oui, le pauvre. Jai un amoureux.
la nourrice, éclate.
Ah! c’est du joli! c’est du propre! Toi, la fille d’un roi! Donnez-vous du mal; donnez-
vous du mal pour les élever! Elles sont toutes les mêmes! Tu n’étais pourtant pas
comme les autres, toi, à t’attifer toujours devant la glace, à te mettre du rouge aux
lèvres, à chercher à ce qu’on te remarque. Combien de fois je me suis dit: «Mon Dieu,
cette petite, elle n’est pas assez coquette! Toujours avec la même robe, et mal peignée.


Les garçons ne verront qui se mène avec ses bouclettes et ses rubans et ils me la
laisseront sur les bras.» Hé bien, tu vois, tu étais comme ta sœur, et pire encore,
hypocrite! Qui est-ce? Un voyou, hein, peut-être? Un garçon que tu ne peux pas dire à
ta famille: «Voilà, c’est lui que j’aime, je veux l’épouser.» C’est ça, hein, c’est ça?
Réponds donc, fanfaronne!
Antigone, a encore un sourire imperceptible.
Oui, nourrice.
LA NOURRICE
Et elle dit oui! Miséricorde! Je lai eue toute gamine; j’ai promis à sa pauvre mère que
j’en ferais une honnête fille, et voilà! Mais ça ne va pas se passer comme ça, ma petite.
Je ne suis que ta nourrice, et tu me traites comme une vieille bête; bon! mais ton oncle,
ton oncle Créon saura. je te le promets!
Antigone, soudain un peu lasse.
Oui, nourrice, mon oncle Créon saura. Laisse-moi, maintenant.
LA NOURRICE
Et tu verras ce qu’il dira quand il apprendra que tu te lèves la nuit. Et Hémon? Et ton
fiancé? Car elle est fiancée! Elle est fiancée et à quatre heures du matin elle quitte son
lit pour aller courir avec un autre. Et ça vous répond qu’on la laisse, ça voudrait qu’on ne
dise rien. Tu sais ce que je devrais faire? Te battre comme lorsque tu étais petite.
ANTIGONE
Nounou, tu ne devrais pas trop crier. Tu ne devrais pas être trop méchante ce matin.
LA NOURRICE
Pas crier! Je ne dois pas crier par dessus le marché! Moi qui avais promis à ta mère…
Qu’est-ce quelle me dirait, si elle était là? «Vieille bête, oui, vieille bête, qui n’as pas su

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