Je vais te dire, à toi. Ils ne savent pas, les autres; on est là, devant louvrage, on ne
peut pourtant pas se croiser les bras. Ils disent que cest une sale besogne, mais si on
ne la fait pas, qui la fera?
LE PAGE
Je ne sais pas, monsieur
CRÉON
Bien sûr, tu ne sais pas. Tu en as de la chance! Ce quil faudrait, c’est ne jamais’
savoir. Il te tarde d’être grand, toi?
LE PAGE
Oh oui, monsieur!
CRÉON
Tu es fou, petit. Il faudrait ne jamais devenir grand. (Lheure sonne au loin, il murmure)
Cinq heures. Qu’est-ce que nous avons aujourdhui, à cinq heures?
LE PAGE
Conseil, monsieur.
CRÉON
Eh bien, si nous avons conseil, petit, nous allons y aller.
Ils sortent, Créon sappuyant sur le page.
LE CHŒUR, savance.
Et voilà. Sans la petite Antigone, cest vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais
maintenant, cest fini. Ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir
sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire même
ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l’histoire sans y rien
comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui
vivent encore vont commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms.
Cest fini. Antigone est calmée, maintenant, nous ne saurons jamais de quelle fièvre. Son
devoir lui est remis. Un grand apaisement triste tombe sur Thèbes et sur le palais vide
où Créon va commencer à attendre la mort.
Pendant quil parlait, les gardes sont entrés. Ils se sont installés sur un banc, leur litre de
rouge à côté deux, leur chapeau sur la nuque, et ils ont commencé une partie de cartes.
LE CHŒUR
Il ne reste plus que les gardes. Eux, tout ça, cela leur est égal; cest pas leurs oignons.
Ils continuent à jouer aux cartes…
Le rideau tombe rapidement pendant que les gardes abattent leurs atouts.