Contes – Tome I

L’Oiseau bleu

 

C’était une fois un roi fort riche en terreset en argent ; sa femme mourut, il en fut inconsolable. Ils’enferma huit jours entiers dans un petit cabinet, où il secassait la tête contre les murs tant il était affligé. On craignitqu’il ne se tuât, on mit des matelas entre la tapisserie et lamuraille, de sorte qu’il avait beau se frapper, il ne se faisaitpoint de mal. Tous ses sujets résolurent de l’aller voir, et de luidire ce qu’ils pourraient pour soulager sa tristesse. Les unspréparaient des discours graves et sérieux ; d’autresd’agréables et réjouissants : mais cela ne faisait aucuneimpression sur son esprit, à peine entendait-il ce qu’on luidisait. Enfin, il se présenta devant lui une femme si couverte decrêpes noirs, de voiles, de mantes, de longs habits de deuil, etqui pleurait et sanglotait si fort et si haut, qu’il en demeurasurpris. Elle lui dit qu’elle n’entreprenait point comme les autresde diminuer sa douleur, quelle venait pour l’augmenter, parce querien n’était plus juste que de pleurer une bonne femme ; quepour elle, qui avait eu le meilleur de tous les maris, elle faisaitbien son compte de pleurer tant qu’il lui resterait des yeux à latête. Là-dessus elle redoubla ses cris, et le roi, à son exemple,se mit à hurler.

Il la reçut mieux que les autres ; ill’entretint des belles qualités de sa chère défunte, et ellerenchérit celles de son cher défunt : ils causèrent tant ettant, qu’ils ne savaient plus que dire sur leur douleur. Quand lafine veuve vit la matière presque épuisée, elle leva un peu sesvoiles, et le roi affligé se récréa la vue à regarder cette pauvreaffligée, qui tournait et retournait fort à propos deux grands yeuxbleus, bordés de longues paupières noires : son teint étaitassez fleuri. Le roi la considéra avec beaucoup d’attention ;peu à peu il parla moins de sa femme, puis il n’en parla plus dutout. La veuve disait qu’elle voulait toujours pleurer sonmari ; le roi la pria de ne point immortaliser son chagrin.Pour conclusion, l’on fut tout étonné qu’il l’épousât, et que lenoir se changeât en vert et en couleur de rose : il suffittrès souvent de connaître le faible des gens pour entrer dans leurcœur et pour en faire tout ce que l’on veut.

Le roi n’avait eu qu’une fille de son premiermariage, qui passait pour la huitième merveille du monde ; onla nommait Florine, parce qu’elle ressemblait à Flore, tant elleétait fraîche, jeune et belle. On ne lui voyait guère d’habitsmagnifiques ; elle aimait les robes de taffetas volant, avecquelques agrafes de pierreries et force guirlandes de fleurs, quifaisaient un effet admirable quand elles étaient placées dans sesbeaux cheveux. Elle n’avait que quinze ans lorsque le roi seremaria.

La nouvelle reine envoya quérir sa fille, quiavait été nourrie chez sa marraine, la fée Soussio ; mais ellen’en était ni plus gracieuse ni plus belle : Soussio y avaitvoulu travailler et n’avait rien gagné. Elle ne laissait pas del’aimer chèrement. On l’appelait Truitonne, car son visage avaitautant de taches de rousseur qu’une truite ; ses cheveux noirsétaient si gras et si crasseux que l’on n’y pouvait toucher, sapeau jaune distillait de l’huile. La reine ne laissait pas del’aimer à la folie ; elle ne parlait que de la charmanteTruitonne, et, comme Florine avait toutes sortes d’avantagesau-dessus d’elle, la reine s’en désespérait ; elle cherchaittous les moyens possibles de la mettre mal auprès du roi. Il n’yavait point de jour que la reine et Truitonne ne fissent quelquepièce à Florine. La princesse, qui était douce et spirituelle,tâchait de se mettre au-dessus des mauvais procédés.

Le roi dit un jour à la reine que Florine etTruitonne étaient assez grandes pour être mariées, et que lepremier prince qui viendrait à la cour, il fallait faire en sortede lui en donner l’une des deux.

– Je prétends, répliqua la reine, que ma fillesoit la première établie ; elle est plus âgée que la vôtre,et, comme elle est mille fois plus aimable, il n’y a point àbalancer là-dessus.

Le roi, qui n’aimait point la dispute, lui ditqu’il le voulait bien et qu’il l’en faisait la maîtresse.

À quelque temps de là, on apprit que le roiCharmant devait arriver. Jamais prince n’avait porté plus loin lagalanterie et la magnificence ; son esprit et sa personnen’avaient rien qui ne répondît à son nom. Quand la reine sut cesnouvelles, elle employa tous les brodeurs, tous les tailleurs ettous les ouvriers à faire des ajustements à Truitonne. Elle pria leroi que Florine n’eût rien de neuf, et, ayant gagné ses femmes,elle lui fit voler tous ses habits, toutes ses coiffures et toutesses pierreries le jour même que Charmant arriva, de sorte que,lorsqu’elle se voulut parer, elle ne trouva pas un ruban. Elle vitbien d’où lui venait ce bon office. Elle envoya chez les marchandspour avoir des étoffes ; ils répondirent que la reine avaitdéfendu qu’on lui en donnât. Elle demeura donc avec une petite robefort crasseuse, et sa honte était si grande, qu’elle se mit dans lecoin de la salle lorsque le roi Charmant arriva.

La reine le reçut avec de grandescérémonies ; elle lui présenta sa fille, plus brillante que lesoleil et plus laide par toutes ses parures qu’elle ne l’étaitordinairement. Le roi en détourna ses yeux ; la reine voulaitse persuader qu’elle lui plaisait trop et qu’il craignait des’engager, de sorte qu’elle la faisait toujours mettre devant lui.Il demanda s’il n’y avait pas encore une autre princesse appeléeFlorine.

– Oui, dit Truitonne en la montrant avec ledoigt ; la voilà qui se cache, parce qu’elle n’est pasbrave.

Florine rougit, et devint si belle, si belle,que le roi Charmant demeura comme un homme ébloui. Il se levapromptement, et fit une profonde révérence à laprincesse :

– Madame, lui dit-il, votre incomparablebeauté vous pare trop pour que vous ayez besoin d’aucun secoursétranger.

– Seigneur, répliqua-t-elle, je vous avoue queje suis peu accoutumée à porter un habit aussi malpropre que l’estcelui-ci, et vous m’auriez fait plaisir de ne vous pas apercevoirde moi.

– Il serait impossible, s’écria Charmant,qu’une si merveilleuse princesse pût être en quelque lieu, et quel’on eût des yeux pour d’autres que pour elle.

– Ah ! dit la reine irritée, je passebien mon temps à vous entendre. Croyez-moi, seigneur, Florine estdéjà assez coquette, et elle n’a pas besoin qu’on lui dise tant degalanteries.

Le roi Charmant démêla aussitôt les motifs quifaisaient ainsi parler la reine ; mais, comme il n’était pasde condition à se contraindre, il laissa paraître toute sonadmiration pour Florine, et l’entretint trois heures de suite.

La reine au désespoir, et Truitonneinconsolable de n’avoir pas la préférence sur la princesse, firentde grandes plaintes au roi et l’obligèrent de consentir que,pendant le séjour du roi Charmant, l’on enfermerait Florine dansune tour, où ils ne se verraient point. En effet, aussitôt qu’ellefut retournée dans sa chambre, quatre hommes masqués la portèrentau haut de la tour, et l’y laissèrent dans la dernièredésolation ; car elle vit bien que l’on n’en usait ainsi quepour l’empêcher de plaire au roi qui lui plaisait déjà fort, etqu’elle aurait bien voulu pour époux.

Comme il ne savait pas les violences que l’onvenait de faire à la princesse, il attendait l’heure de la revoiravec mille impatiences. Il voulut parler d’elle à ceux que le roiavait mis auprès de lui pour lui faire plus d’honneur ; mais,par l’ordre de la reine, ils lui dirent tout le mal qu’ilspurent : qu’elle était coquette, inégale, de méchantehumeur ; qu’elle tourmentait ses amis et ses domestiques,qu’on ne pouvait être plus malpropre, et qu’elle poussait si loinl’avarice, quelles aimait mieux être habillée comme une petitebergère, que d’acheter de riches étoffes de l’argent que luidonnait le roi son père. À tout ce détail, Charmant souffrait et sesentait des mouvements de colère qu’il avait bien de la peine àmodérer.

– Non, disait-il en lui-même, il estimpossible que le Ciel ait mis une âme si mal faite dans lechef-d’œuvre de la nature. Je conviens qu’elle n’était pasproprement mise quand je l’ai vue, mais la honte qu’elle en avaitprouve assez qu’elle n’était point accoutumée à se voir ainsi.Quoi ! elle serait mauvaise avec cet air de modestie et dedouceur qui enchante ? Ce n’est pas une chose qui me tombesous le sens ; il m’est bien plus aisé de croire que c’est lareine qui la décrie ainsi : l’on n’est pas belle-mère pourrien ; et la princesse Truitonne est une si laide bête, qu’ilne serait point extraordinaire qu’elle portât envie à la plusparfaite de toutes les créatures.

Pendant qu’il raisonnait là-dessus, descourtisans qui l’environnaient devinaient bien à son air qu’ils nelui avaient pas fait plaisir de parler mal de Florine. Il y en eutun plus adroit que les autres, qui, changeant de ton et de langagepour connaître les sentiments du prince, se mit à dire desmerveilles de la princesse. À ces mots il se réveilla comme d’unprofond sommeil, il entra dans la conversation, la joie se répanditsur son visage. Amour, amour, que l’on te cachedifficilement ! Tu parais partout, sur les lèvres d’un amant,dans ses yeux, au son de sa voix ; lorsque l’on aime, lesilence, la conversation, la joie ou la tristesse, tout parle de cequ’on ressent.

La reine, impatiente de savoir si le roiCharmant était bien touché, envoya quérir ceux qu’elle avait misdans sa confidence, et elle passa le reste de la nuit à lesquestionner. Tout ce qu’ils lui disaient ne servait qu’à confirmerl’opinion où elle était, que le roi aimait Florine. Mais que vousdirai-je de la mélancolie de cette pauvre princesse ? Elleétait couchée par terre dans le donjon de cette horrible tour oùles hommes masqués l’avaient emportée.

– Je serais moins à plaindre, disait-elle, sil’on m’avait mise ici avant que j’eusse vu cet aimable roi :l’idée que j’en conserve ne peut servir qu’à augmenter mes peines.Je ne dois pas douter que c’est pour m’empêcher de le voirdavantage que la reine me traite si cruellement. Hélas ! quele peu de beauté dont le Ciel m’a pourvue coûtera cher à monrepos !

Elle pleurait ensuite si amèrement, siamèrement que sa propre ennemie en aurait eu pitié si elle avaitété témoin de ses douleurs.

C’est ainsi que cette nuit se passa. La reine,qui voulait engager le roi Charmant par tous les témoignagesqu’elle pourrait lui donner de son attention, lui envoya des habitsd’une richesse et d’une magnificence sans pareille, faits à la modedu pays, et l’ordre des chevaliers d’amour, qu’elle avait obligé leroi d’instituer le jour de leurs noces. C’était un cœur d’orémaillé de couleur de feu, entouré de plusieurs flèches, et percéd’une, avec ces mots : Une seule me blesse. La reineavait fait tailler pour Charmant un cœur d’un rubis gros comme unœuf d’autruche ; chaque flèche était d’un seul diamant, longuecomme le doigt, et la chaîne où ce cœur tenait était faite deperles, dont la plus petite pesait une livre : enfin, depuisque le monde est monde, il n’avait rien paru de tel.

Le roi, à cette vue, demeura si surpris qu’ilfut quelque temps sans parler. On lui présenta en même temps unlivre dont les feuilles étaient de vélin, avec des miniaturesadmirables, la couverture d’or, chargée de pierreries ; et lesstatuts de l’ordre des chevaliers d’amour y étaient écrits d’unstyle fort tendre et fort galant. L’on dit au roi que la princessequ’il avait vue le priait d’être son chevalier, et qu’elle luienvoyait ce présent. À ces mots, il osa se flatter que c’étaitcelle qu’il aimait.

– Quoi ! la belle princesse Florine,s’écria-t-il, pense à moi d’une manière si généreuse et siengageante ?

– Seigneur, lui dit-on, vous vous méprenez aunom, nous venons de la part de l’aimable Truitonne.

– C’est Truitonne qui me veut pour sonchevalier ! dit le roi d’un air froid et sérieux, je suisfâché de ne pouvoir accepter cet honneur ; mais un souverainn’est pas assez maître de lui pour prendre les engagements qu’ilvoudrait. Je sais ceux d’un chevalier, je voudrais les remplirtous, et j’aime mieux ne pas recevoir la grâce qu’elle m’offre quede m’en rendre indigne.

Il remit aussitôt le cœur, la chaîne et lelivre dans la même corbeille ; puis il envoya tout chez lareine, qui pensa étouffer de rage avec sa fille, de la manièreméprisante dont le roi étranger avait reçu une faveur siparticulière.

Lorsqu’il put aller chez le roi et la reine,il se rendit dans leur appartement : il espérait que Florine yserait ; il regardait de tous côtés pour la voir. Dès qu’ilentendait entrer quelqu’un dans la chambre, il tournait la têtebrusquement vers la porte ; il paraissait inquiet et chagrin.La malicieuse reine devinait assez ce qui se passait dans son âme,mais elle n’en faisait pas semblant. Elle ne lui parlait que departies de plaisir ; il lui répondait tout de travers. Enfinil demanda où était la princesse Florine.

– Seigneur, lui dit fièrement la reine, le roison père a défendu qu’elle sorte de chez elle, jusqu’à ce que mafille soit mariée.

– Et quelle raison, répliqua le roi, peut-onavoir de tenir cette belle personne prisonnière ?

– Je l’ignore, dit la reine ; et quand jele saurais, je pourrais me dispenser de vous le dire.

Le roi se sentait dans une colèreinconcevable ; il regardait Truitonne de travers, et songeaiten lui-même que c’était à cause de ce petit monstre qu’on luidérobait le plaisir de voir la princesse. Il quitta promptement lareine : sa présence lui causait trop de peine.

Quand il fut revenu dans sa chambre, il dit àun jeune prince qui l’avait accompagné, et qu’il aimait fort, dedonner tout ce qu’on voudrait au monde pour gagner quelqu’une desfemmes de la princesse, afin qu’il pût lui parler un moment. Ceprince trouva aisément des dames du palais qui entrèrent dans laconfidence ; il y en eut une qui l’assura que le soir mêmeFlorine serait à une petite fenêtre basse qui répondait sur lejardin, et que par là elle pourrait lui parler, pourvu qu’il prîtde grandes précautions afin qu’on ne le sût pas, « car,ajouta-t-elle, le roi et la reine sont si sévères, qu’ils meferaient mourir s’ils découvraient que j’eusse favorisé la passionde Charmant ». Le prince, ravi d’avoir amené l’affairejusque-là, lui promit tout ce qu’elle voulait, et courut faire sacour au roi, en lui annonçant l’heure du rendez-vous. Mais lamauvaise confidente ne manqua pas d’aller avertir la reine de cequi se passait et de prendre ses ordres. Aussitôt elle pensa qu’ilfallait envoyer sa fille à la petite fenêtre ; ellel’instruisit bien ; et Truitonne ne manqua rien, quoiqu’ellefût naturellement une grande bête.

La nuit était si noire, qu’il aurait étéimpossible au roi de s’apercevoir de la tromperie qu’on luifaisait, quand même il n’aurait pas été aussi prévenu qu’il l’étaitde sorte qu’il s’approcha de la fenêtre avec des transports de joieinexprimables. Il dit à Truitonne tout ce qu’il aurait dit àFlorine pour la persuader de sa passion. Truitonne, profitant de laconjoncture, lui dit qu’elle se trouvait la plus malheureusepersonne du monde d’avoir une belle-mère si cruelle, et qu’elleaurait toujours à souffrir jusqu’à ce que sa fille fût mariée. Leroi l’assura que, si elle le voulait pour son époux, il serait ravide partager avec elle sa couronne et son cœur. Là-dessus, il tirasa bague de son doigt ; et, la mettant au doigt de Truitonne,il ajouta que c’était un gage éternel de sa foi, et qu’elle n’avaitqu’à prendre l’heure pour partir en diligence. Truitonne réponditle mieux qu’elle put à ses empressements. Il s’apercevait bienqu’elle ne disait rien qui vaille ; et cela lui aurait fait dela peine, s’il ne se fût persuadé que la crainte d’être surprisepar la reine lui ôtait la liberté de son esprit. Il ne la quittaqu’à la condition de revenir le lendemain à pareille heure, cequ’elle lui promit de tout son cœur.

La reine ayant su l’heureux succès de cetteentrevue, elle s’en promit tout. Et, en effet, le jour étantconcerté, le roi vint la prendre dans une chaise volante, traînéepar des grenouilles ailées : un enchanteur de ses amis luiavait fait ce présent. La nuit était fort noire ; Truitonnesortit mystérieusement par une petite porte, et le roi, quil’attendait, la reçut dans ses bras et lui jura cent fois unefidélité éternelle. Mais comme il n’était pas d’humeur à volerlongtemps dans sa chaise volante sans épouser la princesse qu’ilaimait, il lui demanda où elle voulait que les noces se fissent.Elle lui dit qu’elle avait pour marraine une fée qu’on appelaitSoussio, qui était fort célèbre ; qu’elle était d’avis d’allerau château. Quoique le roi ne sût pas le chemin, il n’eut qu’à direà ses grosses grenouilles de l’y conduire ; ellesconnaissaient la carte générale de l’univers et en peu de tempselles rendirent le roi et Truitonne chez Soussio.

Le château était si bien éclairé, qu’enarrivant le roi aurait reconnu son erreur, si la princesse nes’était soigneusement couverte de son voile. Elle demanda samarraine ; elle lui parla en particulier, et lui conta commequoi elle avait attrapé Charmant, et qu’elle la priait del’apaiser.

– Ah ! ma fille, dit la fée, la chose nesera pas facile : il aime trop Florine ; je suis certainequ’il va nous faire désespérer.

Cependant le roi les attendait dans une salledont les murs étaient de diamants, si clairs et si nets, qu’il vitau travers Soussio et Truitonne causer ensemble. Il croyaitrêver.

– Quoi ! disait-il, ai-je ététrahi ? Les démons ont-ils apporté cette ennemie de notrerepos ? Vient-elle pour troubler mon mariage ? Ma chèreFlorine ne paraît point ! Son père l’a peut-êtresuivie !

Il pensait mille choses qui commençaient à ledésoler. Mais ce fut bien pis quand elles entrèrent dans la salleet que Soussio lui dit d’un ton absolu :

– Roi Charmant, voici la princesse Truitonne,à laquelle vous avez donné votre foi ; elle est ma filleule,et je souhaite que vous l’épousiez tout à l’heure.

– Moi, s’écria-t-il, moi, j’épouserais cepetit monstre ! Vous me croyez d’un naturel bien docile, quandvous me faites de telles propositions : sachez que je ne luiai rien promis ; si elle dit autrement, elle en a…

– N’achevez pas, interrompit Soussio, et nesoyez jamais assez hardi pour me manquer de respect.

– Je consens, répliqua le roi, de vousrespecter autant qu’une fée est respectable, pourvu que vous merendiez ma princesse.

– Est-ce que je ne la suis pas, parjure ?dit Truitonne en lui montrant sa bague. À qui as-tu donné cetanneau pour gage de ta foi ? À qui as-tu parlé à la petitefenêtre, si ce n’est pas à moi ?

– Comment donc ! reprit-il, j’ai été déçuet trompé ? Non, non, je n’en serai point la dupe. Allons,allons, mes grenouilles, mes grenouilles, je veux partir tout àl’heure.

– Ho ! ce n’est pas une chose en votrepouvoir, si je n’y consens, dit Soussio.

Elle le toucha, et ses pieds s’attachèrent auparquet, comme si on les y avait cloués.

– Quand vous me lapideriez, lui dit le roi,quand vous m’écorcheriez, je ne serais point à une autre qu’àFlorine ; j’y suis résolu, et vous pouvez après cela user devotre pouvoir à votre gré.

Soussio employa la douceur, les menaces, lespromesses, les prières. Truitonne pleura, cria, gémit, se fâcha,s’apaisa. Le roi ne disait pas un mot, et, les regardant toutesdeux avec l’air du monde le plus indigné, il ne répondait rien àtous leurs verbiages.

Il se passa ainsi vingt jours et vingt nuits,sans qu’elles cessassent de parler, sans manger, sans dormir etsans s’asseoir. Enfin Soussio, à bout et fatiguée, dit auroi :

– Ho bien, vous êtes un opiniâtre qui nevoulez pas entendre raison ; choisissez, ou d’être sept ans enpénitence, pour avoir donné votre parole sans la tenir, oud’épouser ma filleule.

Le roi, qui avait gardé un profond silence,s’écria tout d’un coup :

– Faites de moi tout ce que vous voudrez,pourvu que je sois délivré de cette maussade.

– Maussade vous-même, dit Truitonne encolère ; je vous trouve un plaisant roitelet, avec votreéquipage marécageux, de venir jusqu’en mon pays pour me dire desinjures et manquer à votre parole. Si vous aviez quatre deniersd’honneur, en useriez-vous ainsi ?

– Voilà des reproches touchants, dit le roid’un ton railleur. Voyez-vous, qu’on a tort de ne pas prendre uneaussi belle personne pour sa femme !

– Non, non, elle ne le sera pas, s’écriaSoussio en colère. Tu n’as qu’à t’envoler par cette fenêtre, si tuveux, car tu seras sept ans oiseau bleu. »

En même temps le roi change de figure ;ses bras se couvrent de plumes et forment des ailes ; sesjambes et ses pieds deviennent noirs et menus ; il lui croîtdes ongles crochus ; son corps s’apetisse, il est tout garnide longues plumes fines et mêlées de bleu céleste ; ses yeuxs’arrondissent et brillent comme des soleils ; son nez n’estplus qu’un bec d’ivoire ; il s’élève sur sa tête une aigretteblanche, qui forme une couronne ; il chante à ravir, et parlede même. En cet état il jette un cri douloureux de se voir ainsimétamorphosé, et s’envole à tire-d’aile pour fuir le funeste palaisde Soussio.

Dans la mélancolie qui l’accable, il voltigede branche en branche, et ne choisit que les arbres consacrés àl’amour ou à la tristesse, tantôt sur les myrtes, tantôt sur lescyprès ; il chante des airs pitoyables, où il déplore saméchante fortune et celle de Florine.

– En quel lieu ses ennemis l’ont-ilscachée ? disait-il. Qu’est devenue cette belle victime ?La barbarie de la reine la laisse-t-elle encore respirer ? Oùla chercherai-je ? Suis-je condamné à passer sept ans sanselle ? Peut-être que pendant ce temps on la mariera, et que jeperdrai pour jamais l’espérance qui soutient ma vie.

Ces différentes pensées affligeaient l’oiseaubleu à tel point qu’il voulait se laisser mourir.

D’un autre côté, la fée Soussio renvoyaTruitonne à la reine, qui était bien inquiète comment les noces seseraient passées. Mais quand elle vit sa fille, et qu’elle luiraconta tout ce qui venait d’arriver, elle se mit dans une colèreterrible, dont le contrecoup retomba sur la pauvre Florine.

– Il faut, dit-elle, qu’elle se repente plusd’une fois d’avoir su plaire à Charmant.

Elle monta dans la tour avec Truitonne,qu’elle avait parée de ses plus riches habits : elle portaitune couronne de diamants sur sa tête, et trois filles des plusriches barons de l’État tenaient la queue de son manteauroyal ; elle avait au pouce l’anneau du roi Charmant, queFlorine remarqua le jour qu’ils parlèrent ensemble. Elle futétrangement surprise de voir Truitonne dans un si pompeuxappareil.

– Voilà ma fille qui vient vous apporter desprésents de sa noce, dit la reine ; le roi Charmant l’aépousée, il l’aime à la folie, il n’a jamais été de gens plussatisfaits. »

Aussitôt on étale devant la princesse desétoffes d’or et d’argent, des pierreries, des dentelles, desrubans, qui étaient dans de grandes corbeilles de filigrane d’or.En lui présentant toutes ces choses, Truitonne ne manquait pas defaire briller l’anneau du roi ; de sorte que la princesseFlorine ne pouvait plus douter de son malheur. Elle s’écria, d’unair désespéré, qu’on ôtât de ses yeux tous ces présents sifunestes ; qu’elle ne pouvait plus porter que du noir, ouplutôt qu’elle voulait présentement mourir. Elle s’évanouit ;et la cruelle reine, ravie d’avoir si bien réussi, ne permit pasqu’on la secourût : elle la laissa seule dans le plusdéplorable état du monde, et alla conter malicieusement au roi quesa fille était si transportée de tendresse que rien n’égalait lesextravagances qu’elle faisait ; qu’il fallait bien se donnerde garde de la laisser sortir de la tour. Le roi lui dit qu’ellepouvait gouverner cette affaire à sa fantaisie et qu’il en seraittoujours satisfait.

Lorsque la princesse revint de sonévanouissement, et qu’elle réfléchit sur la conduite qu’on tenaitavec elle, aux mauvais traitements qu’elle recevait de son indignemarâtre, et à l’espérance qu’elle perdait pour jamais d’épouser leroi Charmant, sa douleur devint si vive, qu’elle pleura toute lanuit ; en cet état elle se mit à sa fenêtre, où elle fit desregrets fort tendres et fort touchants. Quand le jour approcha,elle la ferma et continua de pleurer.

La nuit suivante, elle ouvrit la fenêtre, ellepoussa de profonds soupirs et des sanglots, elle versa un torrentde larmes : le jour venu, elle se cacha dans sa chambre.Cependant le roi Charmant, ou pour mieux dire le bel oiseau bleu,ne cessait point de voltiger autour du palais ; il jugeait quesa chère princesse y était enfermée, et, si elle faisait de tristesplaintes, les siennes ne l’étaient pas moins. Il s’approchait desfenêtres le plus qu’il pouvait, pour regarder dans leschambres ; mais la crainte que Truitonne ne l’aperçût et ne sedoutât que c’était lui, l’empêchait de faire ce qu’il auraitvoulu.

– Il y va de ma vie, disait-il enlui-même : si ces mauvaises découvraient où je suis, ellesvoudraient se venger ; il faudrait que je m’éloignasse, ou queje fusse exposé aux derniers dangers.

Ces raisons l’obligèrent à garder de grandesmesures, et d’ordinaire il ne chantait que la nuit.

Il y avait vis-à-vis de la fenêtre où Florinese mettait, un cyprès d’une hauteur prodigieuse : l’oiseaubleu vint s’y percher. Il y fut à peine, qu’il entendit unepersonne qui se plaignait :

– Souffrirai-je encore longtemps ?disait-elle. La mort ne viendra-t-elle point à mon secours ?Ceux qui la craignent ne la voient que trop tôt ; je la désireet la cruelle me fuit. Ah ! barbare reine, que t’ai-je fait,pour me retenir dans une captivité si affreuse ? N’as-tu pasassez d’autres endroits pour me désoler ? Tu n’as qu’à merendre témoin du bonheur que ton indigne fille goûte avec le roiCharmant !

L’oiseau bleu n’avait pas perdu un mot decette plainte ; il en demeura bien surpris, et il attendit lejour avec la dernière impatience, pour voir la dame affligée ;mais avant qu’il vînt, elle avait fermé la fenêtre et s’étaitretirée.

L’oiseau curieux ne manqua pas de revenir lanuit suivante. Il faisait clair de lune : il vit une fille àla fenêtre de la tour, qui commençait ses regrets :

– Fortune, disait-elle, toi qui me flattais derégner, toi qui m’avais rendu l’amour de mon père, que t’ai-je faitpour me plonger tout d’un coup dans les plus amères douleurs ?Est-ce dans un âge aussi tendre que le mien qu’on doit commencer àressentir ton inconstance ? Reviens, barbare, s’il estpossible ; je te demande, pour toutes faveurs, de terminer mafatale destinée.

L’oiseau bleu écoutait ; et plus ilécoutait, plus il se persuadait que c’était son aimable princessequi se plaignait. Il lui dit :

– Adorable Florine, merveille de nos jours,pourquoi voulez-vous finir si promptement les vôtres ? Vosmaux ne sont point sans remède.

– Hé ! qui me parle, s’écria-t-elle,d’une manière si consolante ?

– Un roi malheureux, reprit l’oiseau, qui vousaime et n’aimera jamais que vous.

– Un roi qui m’aime ! ajouta-t-elle.Est-ce ici un piège que me tend mon ennemie ? Mais, au fond,qu’y gagnera-t-elle ? Si elle cherche à découvrir messentiments, je suis prête à lui en faire l’aveu.

– Non, ma princesse, répondit-il, l’amant quivous parle n’est point capable de vous trahir.

En achevant ces mots, il vola sur la fenêtre.Florine eut d’abord grande peur d’un oiseau si extraordinaire, quiparlait avec autant d’esprit que s’il avait été homme, quoiqu’ilconservât le petit son de voix d’un rossignol ; mais la beautéde son plumage et ce qu’il lui dit la rassura.

– M’est-il permis de vous revoir, maprincesse ? s’écria-t-il. Puis-je goûter un bonheur si parfaitsans mourir de joie ? Mais, hélas ! que cette joie esttroublée par votre captivité et l’état où la méchante Soussio m’aréduit pour sept ans !

– Et qui êtes-vous, charmant oiseau ? ditla princesse en le caressant.

– Vous avez dit mon nom, ajouta le roi, etvous feignez de ne pas me connaître.

– Quoi ! le plus grand roi dumonde ! Quoi ! le roi Charmant, dit la princesse, seraitle petit oiseau que je tiens ?

– Hélas ! belle Florine, il n’est quetrop vrai, reprit-il ; et, si quelque chose m’en peutconsoler, c’est que j’ai préféré cette peine à celle de renoncer àla passion que j’ai pour vous.

– Pour moi ! dit Florine. Ah ! necherchez point à me tromper ! Je sais, je sais que vous avezépousé Truitonne ; j’ai reconnu votre anneau à sondoigt : je l’ai vue toute brillante des diamants que vous luiavez donnés. Elle est venue m’insulter dans ma triste prison,chargée d’une riche couronne et d’un manteau royal qu’elle tenaitde votre main pendant que j’étais chargée de chaînes et defers.

– Vous avez vu Truitonne en cetéquipage ? interrompit le roi ; sa mère et elle ont osévous dire que ces joyaux venaient de moi ? Ô ciel !est-il possible que j’entende des mensonges si affreux, et que jene puisse m’en venger aussitôt que je le souhaite ? Sachezqu’elles ont voulu me décevoir, qu’abusant de votre nom, ellesm’ont engagé d’enlever cette laide Truitonne ; mais, aussitôtque je connus mon erreur, je voulus l’abandonner, et je choisisenfin d’être oiseau bleu sept ans de suite, plutôt que de manquer àla fidélité que je vous ai vouée.

Florine avait un plaisir si sensibled’entendre parler son aimable amant qu’elle ne se souvenait plusdes malheurs de sa prison. Que ne lui dit-elle pas pour le consolerde sa triste aventure, et pour le persuader qu’elle ne ferait pasmoins pour lui qu’il n’avait fait pour elle ? Le jourparaissait, la plupart des officiers étaient déjà levés, quel’oiseau bleu et la princesse parlaient encore ensemble. Ils seséparèrent avec mille peines, après s’être promis que toutes lesnuits ils s’entretiendraient ainsi.

La joie de s’être trouvés était si extrême,qu’il n’est point de termes capables de l’exprimer ; chacun deson côté remerciait l’amour et la fortune. Cependant Florines’inquiétait pour l’oiseau bleu :

– Qui le garantira des chasseurs, disait-elle,ou de la serre aiguë de quelque aigle, ou de quelque vautouraffamé, qui le mangerait avec autant d’appétit que si ce n’étaitpas un grand roi ? Ô ciel ! que deviendrais-je si sesplumes légères et fines, poussées par le vent, venaient jusque dansma prison m’annoncer le désastre que je crains ?

Cette pensée empêcha que la pauvre princessefermât les yeux : car, lorsque l’on aime, les illusionsparaissent des vérités, et ce que l’on croyait impossible dans unautre temps semble aisé en celui-là, de sorte qu’elle passa le jourà pleurer, jusqu’à ce que l’heure fût venue de se mettre à safenêtre.

Le charmant oiseau, caché dans le creux d’unarbre, avait été tout le jour occupé à penser à sa belleprincesse.

– Que je suis content, disait-il, de l’avoirretrouvée ! qu’elle est engageante ! que je sens vivementles bontés qu’elle me témoigne !

Ce tendre amant comptait jusqu’aux moindresmoments de la pénitence qui l’empêchait de l’épouser, et jamais onn’en a désiré la fin avec plus de passion. Comme il voulait faire àFlorine toutes les galanteries dont il était capable, il volajusqu’à la ville capitale de son royaume ; il alla à sonpalais, il entra dans son cabinet par une vitre qui étaitcassée ; il prit des pendants d’oreilles de diamants, siparfaits et si beaux qu’il n’y en avait point au monde qui enapprochassent ; il les apporta le soir à Florine, et la priade s’en parer.

– J’y consentirais, lui dit-elle, si vous mevoyiez le jour ; mais, puisque je ne vous parle que la nuit,je ne les mettrai pas.

L’oiseau lui promit de prendre si bien sontemps, qu’il viendrait à la tour à l’heure qu’elle voudrait :aussitôt elle mit les pendants d’oreilles, et la nuit se passa àcauser comme s’était passée l’autre.

Le lendemain l’oiseau bleu retourna dans sonroyaume ; il alla à son palais ; il entra dans soncabinet par la vitre rompue, et il en apporta les plus richesbracelets que l’on eût encore vus : ils étaient d’une seuleémeraude, taillés en facettes, creusés par le milieu, pour y passerla main et le bras.

– Pensez-vous, lui dit la princesse, que messentiments pour vous aient besoin d’être cultivés par desprésents ? Ah ! que vous me connaîtriez mal.

– Non, madame, répliquait-il, je ne crois pasque les bagatelles que je vous offre soient nécessaires pour meconserver votre tendresse ; mais la mienne serait blessée sije négligeais aucune occasion de vous marquer mon attention ;et, quand vous ne me voyez point, ces petits bijoux me rappellent àvotre souvenir.

Florine lui dit là-dessus mille chosesobligeantes, auxquelles il répondit par mille autres qui nel’étaient pas moins.

La nuit suivante, l’oiseau amoureux ne manquapas d’apporter à sa belle une montre d’une grandeur raisonnable,qui était dans une perle ; l’excellence du travail surpassaitcelle de la matière.

– Il est inutile de me régaler d’une montre,dit-elle galamment ; quand vous êtes éloigné de moi, lesheures me paraissent sans fin ; quand vous êtes avec moi,elles passent comme un songe : ainsi je ne puis leur donnerune juste mesure.

– Hélas ! ma princesse, s’écria l’oiseaubleu, j’en ai la même opinion que vous, et je suis persuadé que jerenchéris encore sur la délicatesse.

– Après ce que vous souffrez pour me conservervotre cœur, répliqua-t-elle, je suis en état de croire que vousavez porté l’amitié et l’estime aussi loin qu’elles peuventaller.

Dès que le jour paraissait, l’oiseau volaitdans le fond de son arbre, où des fruits lui servaient denourriture. Quelquefois encore il chantait de beaux airs : savoix ravissait les passants, ils l’entendaient et ne voyaientpersonne, aussi il était conclu que c’étaient des esprits. Cetteopinion devint si commune, que l’on n’osait entrer dans le bois, onrapportait mille aventures fabuleuses qui s’y étaient passées, etla terreur générale fit la sûreté particulière de l’oiseaubleu.

Il ne se passait aucun jour sans qu’il fît unprésent à Florine : tantôt un collier de perles, ou des baguesdes plus brillantes et des mieux mises en œuvre, des attaches dediamants, des poinçons, des bouquets de pierreries qui imitaient lacouleur des fleurs, des livres agréables, des médailles, enfin,elle avait un amas de richesses merveilleuses. Elle ne s’en paraitjamais que la nuit pour plaire au roi, et le jour, n’ayant pasd’endroit où les mettre, elle les cachait soigneusement dans sapaillasse.

Deux années s’écoulèrent ainsi sans queFlorine se plaignît une seule fois de sa captivité. Et comment s’enserait-elle plainte ? Elle avait la satisfaction de parlertoute la nuit à ce qu’elle aimait ; il ne s’est jamais tantdit de jolies choses. Bien qu’elle ne vît personne et que l’oiseaupassât le jour dans le creux d’un arbre, ils avaient millenouveautés à se raconter ; la matière était inépuisable, leurcœur et leur esprit fournissaient abondamment des sujets deconversation.

Cependant la malicieuse reine, qui la retenaitsi cruellement en prison, faisait d’inutiles efforts pour marierTruitonne. Elle envoyait des ambassadeurs la proposer à tous lesprinces dont elle connaissait le nom : dès qu’ils arrivaient,on les congédiait brusquement.

– S’il s’agissait de la princesse Florine,vous seriez reçus avec joie, leur disait-on ; mais pourTruitonne, elle peut rester vestale sans que personne s’yoppose.

À ces nouvelles, sa mère et elle s’emportaientde colère contre l’innocente princesse qu’ellespersécutaient :

– Quoi ! malgré sa captivité, cettearrogante nous traversera ? disaient-elles. Quel moyen de luipardonner les mauvais tours qu’elle nous fait ? Il fautqu’elle ait des correspondances secrètes dans les pays étrangers,c’est tout au moins une criminelle d’État ; traitons-la sur cepied, et cherchons tous les moyens possibles de la convaincre.

Elles finirent leur conseil si tard, qu’ilétait plus de minuit lorsqu’elles résolurent de monter dans la tourpour l’interroger. Elle était avec l’oiseau bleu à la fenêtre,parée de ses pierreries, coiffée de ses beaux cheveux, avec un soinqui n’était pas naturel aux personnes affligées ; sa chambreet son lit étaient jonchés de fleurs, et quelques pastillesd’Espagne qu’elle venait de brûler répandaient une odeurexcellente. La reine écouta à la porte ; elle crut entendrechanter un air à deux parties, car Florine avait une voix presquecéleste. En voici les paroles, qui lui parurent tendres :

Que notre sort est déplorable,

Et que nous souffrons de tourment

Pour nous aimer trop constamment,

Mais c’est en vain qu’on nous accable ;

Malgré nos cruels ennemis,

Nos cœurs seront toujours unis.

Quelques soupirs finirent leur petitconcert.

– Ah ! ma Truitonne, nous sommestrahies ! s’écria la reine en ouvrant brusquement la porte, etse jetant dans la chambre.

Que devint Florine à cette vue ? Ellepoussa promptement sa petite fenêtre, pour donner le temps àl’oiseau royal de s’envoler. Elle était bien plus occupée de saconservation que de la sienne propre ; mais il ne se sentitpas la force de s’éloigner ; ses yeux perçants lui avaientdécouvert le péril auquel sa princesse était exposée. Il avait vula reine et Truitonne ; quelle affliction de n’être pas enétat de défendre sa maîtresse ! Elles s’approchèrent d’ellecomme des furies qui voulaient la dévorer.

– L’on sait vos intrigues contre l’État,s’écria la reine, ne pensez pas que votre rang vous sauve deschâtiments que vous méritez.

– Et avec qui, madame ? répliqua laprincesse. N’êtes-vous pas ma geôlière depuis deux ans ? Ai-jevu d’autres personnes que celles que vous m’avezenvoyées ?

Pendant qu’elle parlait, la reine et sa fillel’examinaient avec une surprise sans pareille, son admirable beautéet son extraordinaire parure les éblouissaient.

– Et d’où vous viennent, madame, dit la reine,ces pierreries qui brillent plus que le soleil ? Nousferez-vous accroire qu’il y en a des mines dans cettetour ?

– Je les y ai trouvées, répliquaFlorine ; c’est tout ce que j’en sais.

La reine la regardait attentivement, pourpénétrer jusqu’au fond de son cœur ce qui s’y passait.

– Nous ne sommes pas vos dupes,dit-elle ; vous pensez nous en faire accroire ; mais,princesse, nous savons ce que vous faites depuis le matin jusqu’ausoir. On vous a donné tous ces bijoux dans la seule vue de vousobliger à vendre le royaume de votre père.

– Je serais fort en état de le livrer,répondit-elle avec un sourire dédaigneux : une princesseinfortunée, qui languit dans les fers depuis si longtemps, peutbeaucoup dans un complot de cette nature !

– Et pour qui donc, reprit la reine, êtes-vouscoiffée comme une petite coquette, votre chambre pleine d’odeurs,et votre personne si magnifique, qu’au milieu de la cour vousseriez moins parée ?

– J’ai assez de loisir, dit laprincesse ; il n’est pas extraordinaire que j’en donnequelques moments à m’habiller ; j’en passe tant d’autres àpleurer mes malheurs, que ceux-là ne sont pas à me reprocher.

– Çà, çà, voyons, dit la reine, si cettepersonne n’a point quelque traité fait avec les ennemis.

Elle chercha elle-même partout, et, venant àla paillasse, qu’elle fit vider, elle y trouva une si grandequantité de diamants, de perles, de rubis, d’émeraudes et detopazes, qu’elle ne savait d’où cela venait. Elle avait résolu demettre en quelque lieu des papiers pour perdre la princesse ;dans le temps qu’on n’y prenait pas garde, elle en cacha dans lacheminée ; mais par bonheur l’oiseau bleu était perchéau-dessus, qui voyait mieux qu’un lynx, et qui écoutait tout. Ils’écria :

– Prends garde à toi, Florine, voilà tonennemie qui veut te faire une trahison.

Cette voix si peu attendue épouvanta à telpoint la reine, qu’elle n’osa faire ce qu’elle avait médité.

– Vous voyez, madame, dit la princesse, queles esprits qui volent en l’air me sont favorables.

– Je crois, dit la reine outrée de colère, queles démons s’intéressent pour vous ; mais malgré eux votrepère saura se faire justice.

– Plût au ciel, s’écria Florine, n’avoir àcraindre que la fureur de mon père ! Mais la vôtre, madame,est plus terrible.

La reine la quitta, troublée de tout cequ’elle venait de voir et d’entendre. Elle tint conseil sur cequ’elle devait faire contre la princesse : on lui dit que, siquelque fée ou quelque enchanteur la prenaient sous leurprotection, le vrai secret pour les irriter serait de lui faire denouvelles peines, et qu’il serait mieux d’essayer de découvrir sonintrigue. La reine approuva cette pensée ; elle envoya coucherdans sa chambre une jeune fille qui contrefaisaitl’innocente ; elle eut ordre de lui dire qu’on la mettaitauprès d’elle pour la servir. Mais quelle apparence de donner dansun panneau si grossier ? La princesse la regarda comme uneespionne, elle ne put ressentir une douleur plus violente.

– Quoi ! je ne parlerais plus à cetoiseau qui m’est si cher ! disait-elle. Il m’aidait àsupporter mes malheurs, je soulageais les siens ; notretendresse nous suffisait. Que va-t-il faire ? Que ferai-jemoi-même ?

En pensant à toutes ces choses, elle versaitdes ruisseaux de larmes.

Elle n’osait plus se mettre à la petitefenêtre, quoiqu’elle entendît voltiger autour ; elle mouraitd’envie de lui ouvrir, mais elle craignait d’exposer la vie de cecher amant. Elle passa un mois entier sans paraître ; l’oiseaubleu se désespérait. Quelles plaintes ne faisait-il pas !Comment vivre sans voir sa princesse ? Il n’avait jamais mieuxressenti les maux de l’absence et ceux de la métamorphose ; ilcherchait inutilement des remèdes à l’une et à l’autre ; aprèss’être creusé la tête, il ne trouvait rien qui le soulageât.

L’espionne de la princesse, qui veillait jouret nuit depuis un mois, se sentit si accablée de sommeil, qu’enfinelle s’endormit profondément. Florine s’en aperçut ; elleouvrit sa petite fenêtre, et dit :

Oiseau bleu, couleur du temps,

Vole à moi promptement.

Ce sont là ses propres paroles, auxquellesl’on n’a rien voulu changer. L’oiseau les entendit si bien, qu’ilvint promptement sur la fenêtre. Quelle joie de se revoir !Qu’ils avaient de choses à se dire ! Les amitiés et lesprotestations de fidélité se renouvelèrent mille et mille fois. Laprincesse n’ayant pu s’empêcher de répandre des larmes, son amants’attendrit beaucoup et la consola de son mieux. Enfin, l’heure dese quitter étant venue, sans que la geôlière se fût réveillée, ilsse dirent l’adieu du monde le plus touchant. Le lendemain encorel’espionne s’endormit ; la princesse diligemment se mit à lafenêtre, puis elle dit comme la première fois :

Oiseau bleu, couleur du temps,

Vole à moi promptement.

Aussitôt l’oiseau vint, et la nuit se passacomme l’autre, sans bruit et sans éclat, dont nos amants étaientravis ; ils se flattaient que la surveillante prendrait tantde plaisir à dormir qu’elle en ferait autant toutes les nuits.Effectivement, la troisième se passa encore trèsheureusement ; mais pour celle qui suivit, la dormeuse ayantentendu du bruit, elle écouta sans faire semblant de rien ;puis elle regarda de son mieux, et vit au clair de la lune le plusbel oiseau de l’univers qui parlait à la princesse, qui lacaressait avec sa patte, qui la becquetait doucement ; enfinelle entendit plusieurs choses de leur conversation, et demeuratrès étonnée, car l’oiseau parlait comme un amant, et la belleFlorine lui répondait avec tendresse.

Le jour parut, ils se dirent adieu ; et,comme s’ils eussent eu un pressentiment de leur prochaine disgrâce,ils se quittèrent avec une peine extrême. La princesse se jeta surson lit toute baignée de ses larmes, et le roi retourna dans lecreux de son arbre. Sa geôlière courut chez la reine ; ellelui apprit tout ce qu’elle avait vu et entendu. La reine envoyaquérir Truitonne et ses confidentes ; elles raisonnèrentlongtemps ensemble, et conclurent que l’oiseau bleu était le roiCharmant.

– Quel affront ! s’écria la reine, quelaffront, ma Truitonne ! Cette insolente princesse, que jecroyais si affligée, jouissait en repos des agréables conversationsde notre ingrat ! Ah ! je me vengerai d’une manière sisanglante qu’il en sera parlé.

Truitonne la pria de n’y perdre pas unmoment ; et, comme elle se croyait plus intéressée dansl’affaire que la reine, elle mourait de joie lorsqu’elle pensait àtout ce qu’on ferait pour désoler l’amant et la maîtresse.

La reine renvoya l’espionne dans latour ; elle lui ordonna de ne témoigner ni soupçon, nicuriosité, et de paraître plus endormie qu’à l’ordinaire. Elle secoucha de bonne heure, elle ronfla de son mieux ; et la pauvreprincesse déçue, ouvrant la petite fenêtre, s’écria :

Oiseau bleu, couleur du temps,

Vole à moi promptement.

Mais elle l’appela toute la nuit inutilement,il ne parut point ; car la méchante reine avait fait attacherau cyprès des épées, des couteaux, des rasoirs, despoignards ; et, lorsqu’il vint à tire-d’aile s’abattre dessus,ces armes meurtrières lui coupèrent les pieds ; il tomba surd’autres, qui lui coupèrent les ailes ; et enfin, tout percé,il se sauva avec mille peines jusqu’à son arbre, laissant unelongue trace de sang.

Que n’étiez-vous là, belle princesse, poursoulager cet oiseau royal ? Mais elle serait morte, si ellel’avait vu dans un état si déplorable. Il ne voulait prendre aucunsoin de sa vie, persuadé que c’était Florine qui lui avait faitjouer ce mauvais tour.

– Ah ! barbare, disait-ildouloureusement, est-ce ainsi que tu paies la passion la plus pureet la plus tendre qui sera jamais ? Si tu voulais ma mort, quene me la demandais-tu toi-même ? Elle m’aurait été chère de tamain. Je venais te trouver avec tant d’amour et de confiance !Je souffrais pour toi, et je souffrais sans me plaindre !Quoi ! tu m’as sacrifié à la plus cruelle des femmes !Elle était notre ennemie commune ; tu viens de faire ta paix àmes dépens. C’est toi, Florine, c’est toi qui me poignardes !Tu as emprunté la main de Truitonne, et tu l’as conduite jusquedans mon sein !

Ces funestes idées l’accablèrent à un telpoint qu’il résolut de mourir.

Mais son ami l’enchanteur, qui avait vurevenir chez lui les grenouilles volantes avec le chariot, sans quele roi parût, se mit si en peine de ce qui pouvait lui être arrivé,qu’il parcourut huit fois toute la terre pour le chercher, sansqu’il lui fût possible de le trouver. Il faisait son neuvième tour,lorsqu’il passa dans le bois où il était, et, suivant les règlesqu’il s’était prescrites, il sonna du cor assez longtemps, et puisil cria cinq fois de toute sa force :

– Roi Charmant, roi Charmant, oùêtes-vous ?

Le roi reconnut la voix de son meilleurami :

– Approchez, lui dit-il, de cet arbre, etvoyez le malheureux roi que vous chérissez, noyé dans son sang.

L’enchanteur, tout surpris, regardait de touscôtés sans rien voir :

– Je suis oiseau bleu, dit le roi d’une voixfaible et languissante.

À ces mots, l’enchanteur le trouva sans peinedans son petit nid. Un autre que lui aurait été étonné plus qu’ilne le fut ; mais il n’ignorait aucun tour de l’artnécromancien : il ne lui en coûta que quelques paroles pourarrêter le sang qui coulait encore ; et avec des herbes qu’iltrouva dans le bois, et sur lesquelles il dit deux mots degrimoire, il guérit le roi aussi parfaitement que s’il n’avait pasété blessé.

Il le pria ensuite de lui apprendre par quelleaventure il était devenu oiseau, et qui l’avait blessé sicruellement. Le roi contenta sa curiosité : il lui dit quec’était Florine qui avait décelé le mystère amoureux des visitessecrètes qu’il lui rendait, et que, pour faire sa paix avec lareine, elle avait consenti à laisser garnir le cyprès de poignardset de rasoirs, par lesquels il avait été presque haché ; il serécria mille fois sur l’infidélité de cette princesse, et dit qu’ils’estimerait heureux d’être mort avant d’avoir connu son méchantcœur. Le magicien se déchaîna contre elle et contre toutes lesfemmes ; il conseilla au roi de l’oublier.

– Quel malheur serait le vôtre, lui dit-il, sivous étiez capable d’aimer plus longtemps cette ingrate ?Après ce qu’elle vient de vous faire, l’on en doit toutcraindre.

L’oiseau bleu n’en put demeurer d’accord, ilaimait encore trop chèrement Florine ; et l’enchanteur, quiconnut ses sentiments malgré le soin qu’il prenait de les cacher,lui dit d’une manière agréable :

Accablé d’un cruel malheur,

En vain l’on parle et l’on raisonne ;

On n’écoute que sa douleur,

Et point les conseils qu’on nous donne.

Il faut laisser faire le temps,

Chaque chose a son point de vue ;

Et, quand l’heure n’est pas venue,

On se tourmente vainement.

Le royal oiseau en convint, et pria son ami dele porter chez lui et de le mettre dans une cage où il fût àcouvert de la patte du chat et de toute arme meurtrière.

– Mais, lui dit l’enchanteur, resterez-vousencore cinq ans dans un état si déplorable et si peu convenable àvos affaires et à votre dignité ? Car enfin, vous avez desennemis qui soutiennent que vous êtes mort ; ils veulentenvahir votre royaume : je crains bien que vous ne l’ayezperdu avant d’avoir recouvré votre première forme.

– Ne pourrais-je pas, répliqua-t-il, allerdans mon palais et gouverner tout comme je faisaisordinairement ?

– Oh ! s’écria son ami, la chose estdifficile ! Tel qui veut obéir à un homme ne veut pas obéir àun perroquet ; tel vous craint étant roi, étant environné degrandeur et de faste, qui vous arrachera toutes les plumes, vousvoyant un petit oiseau.

– Ah ! faiblesse humaine ! brillantextérieur ! s’écria le roi, encore que tu ne signifies rienpour le mérite et la vertu, tu ne laisses pas d’avoir des endroitsdécevants dont on ne saurait presque se défendre ! Eh bien,continua-t-il, soyons philosophe, méprisons ce que nous ne pouvonsobtenir : notre parti ne sera point le plus mauvais.

– Je ne me rends pas sitôt, dit le magicien,j’espère trouver quelques bons expédients.

Florine, la triste Florine, désespérée de neplus voir le roi, passait les jours et les nuits à la fenêtre,répétant sans cesse :

Oiseau bleu, couleur du temps,

Vole à moi promptement.

La présence de son espionne ne l’en empêchaitpoint ; son désespoir était tel, qu’elle ne ménageait plusrien.

– Qu’êtes-vous devenu, roi Charmant ?s’écria-t-elle. Nos communs ennemis vous ont-ils fait ressentir lescruels effets de leur rage ? Avez-vous été sacrifié à leursfureurs ? Hélas ! hélas ! n’êtes-vous plus ? Nedois-je plus vous voir, ou, fatigué de mes malheurs, m’avez-vousabandonnée à la dureté de mon sort ?

Que de larmes, que de sanglots suivaient cestendres plaintes ! Que les heures étaient devenues longues parl’absence d’un amant si aimable et si cher ! La princesse,abattue, malade, maigre et changée, pouvait à peine sesoutenir ; elle était persuadée que tout ce qu’il y a de plusfuneste était arrivé au roi.

La reine et Truitonne triomphaient ; lavengeance leur faisait plus de plaisir que l’offense ne leur avaitfait de peine. Et, au fond, de quelle offense s’agissait-il ?Le roi Charmant n’avait pas voulu épouser un petit monstre qu’ilavait mille sujets de haïr. Cependant le père de Florine, quidevenait vieux, tomba malade et mourut. La fortune de la méchantereine et sa fille changea de face : elles étaient regardéescomme des favorites qui avaient abusé de leur faveur, le peuplemutiné courut au palais demander la princesse Florine, lareconnaissant pour souveraine. La reine, irritée, voulut traiterl’affaire avec hauteur ; elle parut sur un balcon et menaçales mutins. En même temps la sédition devint générale ; onenfonce les portes de son appartement, on le pille, et on l’assommeà coups de pierres. Truitonne s’enfuit chez sa marraine la féeSoussio ; elle ne courait pas moins de dangers que samère.

Les grands du royaume s’assemblèrentpromptement et montèrent à la tour, où la princesse était fortmalade : elle ignorait la mort de son père et le supplice deson ennemie. Quand elle entendit tant de bruit, elle ne douta pasqu’on ne vînt la prendre pour la faire mourir. Elle n’en fut pointeffrayée : la vie lui était odieuse depuis qu’elle avait perdul’oiseau bleu. Mais ses sujets s’étant jetés à ses pieds, luiapprirent le changement qui venait d’arriver à sa fortune. Ellen’en fut point émue. Ils la portèrent dans son palais et lacouronnèrent.

Les soins infinis que l’on prit de sa santé,et l’envie qu’elle avait d’aller chercher l’oiseau bleu,contribuèrent beaucoup à la rétablir, et lui donnèrent bientôtassez de force pour nommer un conseil, afin d’avoir soin de sonroyaume en son absence ; et puis elle prit pour des millemillions de pierreries, et elle partit une nuit toute seule, sansque personne sût où elle allait.

L’enchanteur qui prenait soin des affaires duroi Charmant, n’ayant pas assez de pouvoir pour détruire ce queSoussio avait fait, s’avisa de l’aller trouver et de lui proposerquelque accommodement en faveur duquel elle rendrait au roi safigure naturelle. Il prit les grenouilles et vola chez la fée, quicausait dans ce moment avec Truitonne. D’un enchanteur à une fée iln’y a que la main ; ils se connaissaient depuis cinq ou sixcents ans, et dans cet espace de temps ils avaient été mille foisbien et mal ensemble. Elle le reçut très agréablement.

– Que me veut mon compère ? lui dit-elle(c’est ainsi qu’ils se nomment tous). Y a-t-il quelque chose pourson service qui dépende de moi ?

– Oui, ma commère, dit le magicien, vouspouvez tout pour ma satisfaction ; il s’agit du meilleur demes amis, d’un roi que vous avez rendu infortuné.

– Ha ! ha ! je vous entends,compère, s’écria Soussio, j’en suis fâchée, mais il n’y a point degrâce à espérer pour lui, s’il ne veut épouser ma filleule ;la voilà belle et jolie, comme vous voyez : qu’il seconsulte.

L’enchanteur pensa demeurer muet, il la trouvalaide ; cependant il ne pouvait se résoudre à s’en aller sansrégler quelque chose avec elle, parce que le roi avait couru millerisques depuis qu’il était en cage. Le clou qui l’accrochaits’était rompu ; la cage était tombée, et Sa Majesté empluméesouffrit beaucoup de cette chute ; Minet, qui se trouvait dansla chambre lorsque cet accident arriva, lui donna un coup de griffedans l’œil dont il pensa rester borgne. Une autre fois on avaitoublié de lui donner à boire ; il allait le grand chemind’avoir la pépie, quand on l’en garantit par quelques gouttesd’eau. Un petit coquin de singe, s’étant échappé, attrapa sesplumes au travers des barreaux de sa cage, et il l’épargna aussipeu qu’il aurait fait un geai ou un merle. Le pire de tout cela,c’est qu’il était sur le point de perdre son royaume ; seshéritiers faisaient tous les jours des fourberies nouvelles pourprouver qu’il était mort. Enfin l’enchanteur conclut avec sacommère Soussio qu’elle mènerait Truitonne dans le palais du roiCharmant ; qu’elle y resterait quelques mois, pendant lesquelsil prendrait sa résolution de l’épouser, et qu’elle lui rendrait safigure, quitte à reprendre celle d’oiseau, s’il ne voulait pas semarier.

La fée donna des habits tout d’or et d’argentà Truitonne, puis elle la fit monter en trousse derrière elle surun dragon, et elles se rendirent au royaume de Charmant, qui venaitd’y arriver avec son fidèle ami l’enchanteur. En trois coups debaguette il se vit le même qu’il avait été, beau, aimable,spirituel et magnifique ; mais il achetait bien cher le tempsdont on diminuait sa pénitence : la seule pensée d’épouserTruitonne le faisait frémir. L’enchanteur lui disait les meilleuresraisons qu’il pouvait, elles ne faisaient qu’une médiocreimpression sur son esprit ; et il était moins occupé de laconduite de son royaume que des moyens de proroger le terme queSoussio lui avait donné pour épouser Truitonne.

Cependant la reine Florine, déguisée sous unhabit de paysanne, avec ses cheveux épars et mêlés, qui cachaientson visage, un chapeau de paille sur la tête, un sac de toile surson épaule, commença son voyage, tantôt à pied, tantôt à cheval,tantôt par mer, tantôt par terre : elle faisait toute ladiligence possible ; mais, ne sachant où elle devait tournerses pas, elle craignait toujours d’aller d’un côté pendant que sonaimable roi serait de l’autre. Un jour qu’elle s’était arrêtée aubord d’une fontaine dont l’eau argentée bondissait sur de petitscailloux, elle eut envie de se laver les pieds ; elle s’assitsur le gazon, elle releva ses blonds cheveux avec un ruban, et mitses pieds dans le ruisseau : elle ressemblait à Diane qui sebaigne au retour d’une chasse. Il passa dans cet endroit une petitevieille toute voûtée, appuyée sur un gros bâton ; elles’arrêta, et lui dit :

– Que faites-vous là, ma belle fille ?vous êtes bien seule !

– Ma bonne mère, dit la reine, je ne laissepas d’être en grande compagnie, car j’ai avec moi les chagrins, lesinquiétudes et les déplaisirs.

À ces mots, ses yeux se couvrirent delarmes.

– Quoi ! si jeune, vous pleurez, dit labonne femme. Ah ! ma fille, ne vous affligez pas. Dites-moi ceque vous avez sincèrement, et j’espère vous soulager.

La reine le voulut bien ; elle lui contases ennuis, la conduite que la fée Soussio avait tenue dans cetteaffaire, et enfin comme elle cherchait l’oiseau bleu.

La petite vieille se redresse, s’agence,change tout d’un coup de visage, paraît belle, jeune, habilléesuperbement ; et regardant la reine avec un souriregracieux :

– Incomparable Florine, lui dit-elle, le roique vous cherchez n’est plus oiseau ; ma sœur Soussio lui arendu sa première figure, il est dans son royaume ; ne vousaffligez point ; vous y arriverez, et vous viendrez à bout devotre dessein. Voici quatre œufs ; vous les casserez dans vospressants besoins, et vous y trouverez des secours qui vous serontutiles.

En achevant ces mots, elle disparut.

Florine se sentit fort consolée de ce qu’ellevenait d’entendre ; elle mit les œufs dans son sac, et tournases pas vers le royaume de Charmant.

Après avoir marché huit jours et huit nuitssans s’arrêter, elle arrive au pied d’une montagne prodigieuse parsa hauteur, toute d’ivoire, et si droite que l’on n’y pouvaitmettre les pieds sans tomber. Elle fit mille tentativesinutiles ; elle glissait, elle se fatiguait, et, désespéréed’un obstacle si insurmontable, elle se coucha au pied de lamontagne, résolue de s’y laisser mourir, quand elle se souvint desœufs que la fée lui avait donnés. Elle en prit un :

– Voyons, dit-elle, si elle ne s’est pointmoquée de moi en me promettant les secours dont j’auraisbesoin.

Dès qu’elle l’eut cassé, elle y trouva depetits crampons d’or, qu’elle mit à ses pieds et à ses mains. Quandelle les eut, elle monta la montagne d’ivoire sans aucune peine,car les crampons entraient dedans et l’empêchaient de glisser.Lorsqu’elle fut tout en haut, elle eut de nouvelles peines pourdescendre : toute la vallée était d’une seule glace de miroir.Il y avait autour plus de soixante mille femmes qui s’y miraientavec un plaisir extrême, car ce miroir avait bien deux lieues delarge et six de haut. Chacune s’y voyait selon ce qu’elle voulaitêtre : la rouge y paraissait blonde, la brune avait lescheveux noirs, la vieille croyait être jeune, la jeune n’yvieillissait point ; enfin, tous les défauts y étaient si biencachés, que l’on y venait des quatre coins du monde. Il y avait dequoi mourir de rire, de voir les grimaces et les minauderies que laplupart de ces coquettes faisaient. Cette circonstance n’y attiraitpas moins d’hommes ; le miroir leur plaisait aussi. Il faisaitparaître aux uns de beaux cheveux, aux autres la taille plus hauteet mieux prise, l’air martial, et meilleure mine. Les femmes, dontils se moquaient, ne se moquaient pas moins d’eux ; de sorteque l’on appelait cette montagne de mille noms différents. Personnen’était jamais parvenu jusqu’au sommet ; et, quand on vitFlorine, les dames poussèrent de longs cris de désespoir :

– Où va cette malavisée ? disaient-elles.Sans doute qu’elle a assez d’esprit pour marcher sur notreglace : du premier pas elle brisera tout.

Elles faisaient un bruit épouvantable. Lareine ne savait comment faire, car elle voyait un grand péril àdescendre par là ; elle cassa un autre œuf, dont il sortitdeux pigeons et un chariot, qui devint en même temps assez grandpour s’y placer commodément ; puis les pigeons descendirentdoucement avec la reine, sans qu’il lui arrivât rien de fâcheux.Elle leur dit :

– Mes petits amis, si vous vouliez me conduirejusqu’au lieu où le roi Charmant tient sa cour, vous n’obligeriezpoint une ingrate.

Les pigeons, civils et obéissants, nes’arrêtèrent ni jour ni nuit qu’ils ne fussent arrivés aux portesde la ville. Florine descendit et leur donna à chacun un douxbaiser plus estimable qu’une couronne.

Oh ! que le cœur lui battait enentrant ! Elle se barbouilla le visage pour n’être pointconnue. Elle demanda aux passants où elle pouvait voir le roi.Quelques-uns se prirent à rire.

– Voir le roi ? lui dirent-ils. Hé, quelui veux-tu, ma Mie-Souillon ? Va, va te décrasser, tu n’aspas les yeux assez bons pour voir un tel monarque.

La reine ne répondit rien : elles’éloigna doucement et demanda encore à ceux qu’elle rencontra oùelle se pourrait mettre pour voir le roi.

– Il doit venir demain au temple avec laprincesse Truitonne, lui dit-on ; car enfin il consent àl’épouser.

Ciel ! quelle nouvelle ! Truitonne,l’indigne Truitonne sur le point d’épouser le roi ! Florinepensa mourir ; elle n’eut plus de force pour parler ni pourmarcher : elle se mit sous une porte, assise sur des pierres,bien cachée de ses cheveux et de son chapeau de paille.

– Infortunée que je suis ! disait-elle,je viens ici pour augmenter le triomphe de ma rivale et me rendretémoin de sa satisfaction ! C’était donc à cause d’elle quel’oiseau bleu cessa de me venir voir ! C’était pour ce petitmonstre qu’il me faisait la plus cruelle de toutes les infidélités,pendant qu’abîmée dans la douleur je m’inquiétais pour laconservation de sa vie ! Le traître avait changé ; et, sesouvenant moins de moi que s’il ne m’avait jamais vue, il melaissait le soin de m’affliger de sa trop longue absence, sans sesoucier de la mienne.

Quand on a beaucoup de chagrin, il est rared’avoir bon appétit ; la reine chercha où se loger, et secoucha sans souper. Elle se leva avec le jour, elle courut autemple ; elle n’y entra qu’après avoir essuyé mille rebuffadesdes gardes et des soldats. Elle vit le trône du roi et celui deTruitonne, qu’on regardait déjà comme la reine. Quelle douleur pourune personne aussi tendre et aussi délicate que Florine ! Elles’approcha du trône de sa rivale ; elle se tint debout,appuyée contre un pilier de marbre. Le roi vint le premier, plusbeau et plus aimable qu’il eût été de sa vie. Truitonne parutensuite, richement vêtue, et si laide, qu’elle en faisait peur.Elle regarda la reine en fronçant le sourcil.

– Qui es-tu, lui dit-elle, pour osert’approcher de mon excellente figure, et si près de mon trôned’or ?

– Je me nomme Mie-Souillon,répondit-elle ; je viens de loin pour vous vendre desraretés.

Elle fouilla aussitôt dans son sac detoile ; elle en tira des bracelets d’émeraude que le roiCharmant lui avait donnés.

– Ho ! ho ! dit Truitonne, voilà dejolies verrines ! En veux-tu une pièce de cinq sous ?

– Montrez-les, madame, aux connaisseurs, ditla reine, et puis nous ferons notre marché.

Truitonne, qui aimait le roi plus tendrementqu’une telle bête n’en était capable, étant ravie de trouver desoccasions de lui parler, s’avança jusqu’à son trône et lui montrales bracelets, le priant de lui dire son sentiment. À la vue de cesbracelets, il se souvint de ceux qu’il avait donnés àFlorine ; il pâlit, il soupira, et fut longtemps sansrépondre ; enfin, craignant qu’on ne s’aperçût de l’état oùses différentes pensées le réduisaient, il se fit un effort et luirépliqua :

– Ces bracelets valent, je crois, autant quemon royaume ; je pensais qu’il n’y en avait qu’une paire aumonde, mais en voilà de semblables.

Truitonne revint de son trône, où elle avaitmoins bonne mine qu’une huître à l’écaille ; elle demanda à lareine combien, sans surfaire, elle voulait de ces bracelets.

– Vous auriez trop de peine à me les payer,madame, dit-elle ; il vaut mieux vous proposer un autremarché. Si vous me voulez procurer de coucher une nuit dans lecabinet des échos qui est au palais du roi, je vous donnerai mesémeraudes.

– Je le veux bien, Mie-Souillon, dit Truitonneen riant comme une perdue et montrant des dents plus longues queles défenses d’un sanglier.

Le roi ne s’informa point d’où venaient cesbracelets, moins par indifférence pour celle qui les présentait(bien qu’elle ne fût guère propre à faire naître la curiosité), quepar un éloignement invincible qu’il sentait pour Truitonne. Or, ilest à propos qu’on sache que, pendant qu’il était oiseau bleu, ilavait conté à la princesse qu’il y avait sous son appartement uncabinet, qu’on appelait le cabinet des échos, qui était siingénieusement fait, que tout ce qui s’y disait fort bas étaitentendu du roi lorsqu’il était couché dans sa chambre ; et,comme Florine voulait lui reprocher son infidélité, elle n’en avaitpoint imaginé de meilleur moyen.

On la mena dans le cabinet par ordre deTruitonne : elle commença ses plaintes et ses regrets.

– Le malheur dont je voulais douter n’est quetrop certain, cruel oiseau bleu ! dit-elle. Tu m’as oubliée,tu aimes mon indigne rivale ! Les bracelets que j’ai reçus deta déloyale main n’ont pu me rappeler à ton souvenir, tant j’ensuis éloignée !

Alors les sanglots interrompirent ses paroles,et, quand elle eut assez de forces pour parler, elle se plaignitencore et continua jusqu’au jour. Les valets de chambre l’avaiententendue toute la nuit gémir et soupirer : ils le dirent àTruitonne, qui lui demanda quel tintamarre elle avait fait. Lareine lui dit qu’elle dormait si bien, qu’ordinairement elle rêvaitet qu’elle parlait très souvent haut. Pour le roi, il ne l’avaitpoint entendue, par une fatalité étrange : c’est que, depuisqu’il avait aimé Florine, il ne pouvait plus dormir, et lorsqu’ilse mettait au lit pour prendre quelque repos, on lui donnait del’opium.

La reine passa une partie du jour dans uneétrange inquiétude.

– S’il m’a entendue, disait-elle, se peut-ilune indifférence plus cruelle ? S’il ne m’a pas entendue, queferai-je pour parvenir à me faire entendre ?

Il ne se trouvait plus de raretésextraordinaires, car des pierreries sont toujours belles ;mais il fallait quelque chose qui piquât le goût deTruitonne : elle eut recours à ses œufs. Elle en cassaun ; aussitôt il en sortit un petit carrosse d’acier poli,garni d’or de rapport : il était attelé de six souris vertes,conduites par un raton couleur de rose, et le postillon, qui étaitaussi de famille ratonnière, était gris de lin. Il y avait dans cecarrosse quatre marionnettes plus fringantes et plus spirituellesque toutes celles qui paraissent aux foires Saint-Germain etSaint-Laurent ; elles faisaient des choses surprenantes,particulièrement deux petites Égyptiennes qui, pour danser lasarabande et les passe-pied, ne l’auraient pas cédé à Leance.

La reine demeura ravie de ce nouveauchef-d’œuvre de l’art nécromancien ; elle ne dit mot jusqu’ausoir, qui était l’heure que Truitonne allait à la promenade ;elle se mit dans une allée, faisant galoper ses souris, quitraînaient le carrosse, les ratons et les marionnettes. Cettenouveauté étonna si fort Truitonne, qu’elle s’écria deux ou troisfois :

– Mie-Souillon, Mie-Souillon, veux-tu cinqsous du carrosse et de ton attelage souriquois ?

– Demandez aux gens de lettres et aux docteursde ce royaume, dit Florine, ce qu’une telle merveille peut valoir,et je m’en rapporterai à l’estimation du plus savant.

Truitonne, qui était absolue en tout, luirépliqua :

– Sans m’importuner plus longtemps de tacrasseuse présence, dis-m’en le prix.

– Dormir encore dans le cabinet des échos,dit-elle, est tout ce que je demande.

– Va, pauvre bête, répliqua Truitonne, tu n’enseras pas refusée ; et se tournant vers ses dames :

– Voilà une sotte créature, dit-elle, deretirer si peu d’avantages de ses raretés.

La nuit vint. Florine dit tout ce qu’elle putimaginer de plus tendre, et elle le dit aussi inutilement qu’ellel’avait déjà fait, parce que le roi ne manquait jamais de prendreson opium. Les valets de chambre disaient entre eux :

– Sans doute que cette paysanne estfolle : qu’est-ce qu’elle raisonne toute la nuit ?

– Avec cela, disaient les autres, il ne laissepas d’y avoir de l’esprit et de la passion dans ce qu’elleconte.

Elle attendait impatiemment le jour, pour voirquel effet ses discours auraient produit.

– Quoi ! ce barbare est devenu sourd à mavoix ! disait-elle. Il n’entend plus sa chère Florine ?Ah ! quelle faiblesse de l’aimer encore ! que je méritebien les marques de mépris qu’il me donne !

Mais elle y pensait inutilement, elle nepouvait se guérir de sa tendresse. Il n’y avait plus qu’un œuf dansson sac dont elle dût espérer du secours ; elle lecassa : il en sortit un pâté de six oiseaux qui étaientbardés, cuits et fort bien apprêtés ; avec cela ils chantaientmerveilleusement bien, disaient la bonne aventure, et savaientmieux la médecine qu’Esculape. La reine resta charmée d’une chosesi admirable ; elle fut avec son pâté parlant dansl’antichambre de Truitonne.

Comme elle attendait qu’elle passât, un desvalets de chambre du roi s’approcha d’elle et lui dit :

– Ma Mie-Souillon, savez-vous bien que, si leroi ne prenait pas de l’opium pour dormir, vous l’étourdiriezassurément ? car vous jasez la nuit d’une manièresurprenante.

Florine ne s’étonna plus de ce qu’il nel’avait pas entendue ; elle fouilla dans son sac et luidit :

– Je crains si peu d’interrompre le repos duroi, que, si vous voulez ne point lui donner d’opium ce soir, encas que je couche dans ce même cabinet, toutes ces perles et tousces diamants seront pour vous.

Le valet de chambre y consentit et lui endonna sa parole. À quelques moments de là, Truitonne vint ;elle aperçut la reine avec son pâté, qui feignait de le vouloirmanger.

– Que fais-tu là, Mie-Souillon ? luidit-elle.

– Madame, répliqua Florine, je mange desastrologues, des musiciens et des médecins.

En même temps tous les oiseaux se mettent àchanter plus mélodieusement que des sirènes ; puis ilss’écrièrent :

– Donnez la pièce blanche et nous vous dironsvotre bonne aventure. Un canard, qui dominait, dit plus haut queles autres :

– Can, can, can, je suis médecin, je guéris detous les maux et de toute sorte de folie, hormis de celled’amour.

Truitonne, plus surprise de tant de merveillesqu’elle l’eût été de ses jours, jura :

– Par la vertuchou, voilà un excellentpâté ! je le veux avoir ; çà, çà, Mie-Souillon, que t’endonnerai-je ?

– Le prix ordinaire, dit-elle : coucherdans le cabinet des échos, et rien davantage.

– Tiens, dit généreusement Truitonne (car elleétait de belle humeur par l’acquisition d’un tel pâté), tu en aurasune pistole.

Florine, plus contente qu’elle l’eût encoreété, parce qu’elle espérait que le roi l’entendrait, se retira enla remerciant.

Dès que la nuit parut, elle se fit conduiredans le cabinet, souhaitant avec ardeur que le valet de chambre luitînt parole, et qu’au lieu de donner de l’opium au roi il luiprésentât quelque autre chose qui pût le tenir éveillé. Lorsqu’ellecrut que chacun s’était endormi, elle commença ses plaintesordinaires.

– À combien de périls me suis-je exposée,disait-elle, pour te chercher, pendant que tu me fuis et que tuveux épouser Truitonne. Que t’ai-je donc fait, cruel, pour oubliertes serments ? Souviens-toi de ta métamorphose, de mes bontés,de nos tendres conversations.

Elle les répéta presque toutes, avec unemémoire qui prouvait assez que rien ne lui était plus cher que cesouvenir.

Le roi ne dormait point, et il entendait sidistinctement la voix de Florine et toutes ses paroles, qu’il nepouvait comprendre d’où elles venaient ; mais son cœur,pénétré de tendresse, lui rappela si vivement l’idée de sonincomparable princesse qu’il sentit sa séparation avec la mêmedouleur qu’au moment où les couteaux l’avaient blessé sur lecyprès. Il se mit à parler de son côté comme la reine avait fait dusien.

– Ah ! princesse, dit-il, trop cruellepour un amant qui vous adorait ! est-il possible que vousm’ayez sacrifié à nos communs ennemis ?

Florine entendit ce qu’il disait, et ne manquapas de lui répondre et de lui apprendre que, s’il voulaitentretenir la Mie-Souillon, il serait éclairci de tous les mystèresqu’il n’avait pu pénétrer jusqu’alors. À ces mots, le roi,impatient, appela un de ses valets de chambre et lui demanda s’ilne pouvait point trouver Mie-Souillon et l’amener. Le valet dechambre répliqua que rien n’était plus aisé, parce qu’elle couchaitdans le cabinet des échos.

Le roi ne savait qu’imaginer. Quel moyen decroire qu’une si grande reine que Florine fût déguisée ensouillon ? Et quel moyen de croire que Mie-Souillon eût lavoix de la reine et sût des secrets si particuliers, à moins que cene fût elle-même ? Dans cette incertitude il se leva, et,s’habillant avec précipitation, il descendit par un degré dérobédans le cabinet des échos, dont la reine avait ôté la clef, mais leroi en avait une qui ouvrait toutes les portes du palais.

Il la trouva avec une légère robe de taffetasblanc, qu’elle portait sous ses vilains habits ; ses beauxcheveux couvraient ses épaules ; elle était couchée sur un litde repos, et une lampe un peu éloignée ne rendait qu’une lumièresombre. Le roi entra tout d’un coup ; et, son amourl’emportant sur son ressentiment, dès qu’il la reconnut il vint sejeter à ses pieds, il mouilla ses mains de ses larmes et pensamourir de joie, de douleur et de mille pensées différentes qui luipassèrent en même temps dans l’esprit.

La reine ne demeura pas moins troublée ;son cœur se serra, elle pouvait à peine soupirer. Elle regardaitfixement le roi sans lui rien dire ; et, quand elle eut laforce de lui parler, elle n’eut pas celle de lui faire desreproches ; le plaisir de le revoir lui fit oublier pourquelque temps les sujets de plainte qu’elle croyait avoir. Enfin,ils s’éclaircirent, ils se justifièrent ; leur tendresse seréveilla ; et tout ce qui les embarrassait, c’était la féeSoussio.

Mais dans ce moment, l’enchanteur, qui aimaitle roi, arriva avec une fée fameuse : c’était justement cellequi donna les quatre œufs à Florine. Après les premierscompliments, l’enchanteur et la fée déclarèrent que, leur pouvoirétant uni en faveur du roi et de la reine, Soussio ne pouvait riencontre eux, et qu’ainsi leur mariage ne recevrait aucunretardement.

Il est aisé de se figurer la joie de ces deuxjeunes amants : dès qu’il fut jour, on la publia dans tout lepalais, et chacun était ravi de voir Florine. Ces nouvellesallèrent jusqu’à Truitonne ; elle accourut chez le roi ;quelle surprise d’y trouver sa belle rivale ! Dès qu’ellevoulut ouvrir la bouche pour lui dire des injures, l’enchanteur etla fée parurent, qui la métamorphosèrent en truie, afin qu’il luirestât au moins une partie de son nom et de son naturel grondeur.Elle s’enfuit toujours grognant jusque dans la basse-cour, où delongs éclats de rire que l’on fit sur elle achevèrent de ladésespérer.

Le roi Charmant et la reine Florine, délivrésd’une personne si odieuse, ne pensèrent plus qu’à la fête de leursnoces ; la galanterie et la magnificence y parurentégalement ; il est aisé de juger de leur félicité, après de silongs malheurs.

Quand Truitonne aspirait à l’hymen de Charmant,

Et que, sans avoir pu lui plaire,

Elle voulait former ce triste engagement

Que la mort seule peut défaire,

Qu’elle était imprudente, hélas !

Sans doute elle ignorait qu’un pareil mariage

Devient un funeste esclavage,

Si l’amour ne le forme pas.

Je trouve que Charmant fut sage.

À mon sens, il vaut beaucoup mieux

Être oiseau bleu, corbeau, devenir hibou même,

Que d’éprouver la peine extrême

D’avoir ce que l’on hait toujours devant les yeux.

En ces sortes d’hymens notre siècle est fertile :

Les hymens seraient plus heureux,

Si l’on trouvait encore quelque enchanteur habile

Qui voulût s’opposer à ces coupables nœuds,

Et ne jamais souffrir que l’hyménée unisse,

Par intérêt ou par caprice,

Deux cœurs infortunés, s’ils ne s’aiment tous deux.

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