Contes – Tome I

Finette Cendron

 

Il était une fois un roi et une reine quiavaient mal fait leurs affaires. On les chassa de leur royaume. Ilsvendirent leurs couronnes pour vivre, puis leurs habits, leurslinges, leurs dentelles et tous leurs meubles, pièce à pièce. Lesfripiers étaient las d’acheter, car tous les jours ils vendaientchose nouvelle. Quand le roi et la reine furent bien pauvres, leroi dit à sa femme :

« Nous voilà hors de notre royaume, nousn’avons plus rien, il faut gagner notre vie et celle de nos pauvresenfants ; avisez un peu ce que nous avons à faire, car jusqu’àprésent je n’ai su que le métier de roi, qui est fortdoux. »

La reine avait beaucoup d’esprit ; ellelui demanda huit jours pour y rêver. Au bout de ce temps, elle luidit :

« Sire, il ne faut point nousaffliger ; vous n’avez qu’à faire des filets dont vousprendrez des oiseaux à la chasse et des poissons à la pêche.Pendant que les cordelettes s’useront, je filerai pour en faired’autres. À l’égard de nos trois filles, ce sont de franchesparesseuses, qui croient être de grandes dames ; elles veulentfaire les demoiselles. Il faut les mener si loin, si loin, qu’ellesne reviennent jamais ; car il serait impossible que nouspuissions leur fournir assez d’habits à leur gré. »

Le roi commença de pleurer, quand il vit qu’ilfallait se séparer de ses enfants. Il était bon père mais la reineétait la maîtresse. Il demeura donc d’accord de tout ce qu’ellevoulait ; il lui dit :

« Levez-vous demain de bon matin, etprenez vos trois filles, pour les mener où vous jugerez àpropos. »

Pendant qu’ils complotaient cette affaire, laprincesse Finette qui était la plus petite des filles, écoutait parle trou de la serrure ; et quand elle eut découvert le desseinde son papa et de sa maman, elle s’en alla tant vite qu’elle put àune grande grotte fort éloignée de chez eux, où demeurait la féeMerluche, qui était sa marraine.

Finette avait pris deux livres de beurrefrais, des œufs, du lait et de la farine pour faire un excellentgâteau à sa marraine, afin d’en être bien reçue. Elle commençagaîment son voyage ; mais plus elle allait, plus elle selassait. Ses souliers s’usèrent jusqu’à la dernière semelle ;et ses petits pieds mignons s’écorchèrent si fort que c’étaitgrande pitié ; elle n’en pouvait plus. Elle s’assit surl’herbe, pleurant.

Par là passa un beau cheval d’Espagne, toutsellé, tout bridé ; il y avait plus de diamants à sa housse,qu’il n’en faudrait pour acheter trois villes ; et quand ilvit la princesse, il se mit à paître doucement auprès d’elle ;ployant le jarret, il semblait lui faire la révérence ;aussitôt elle le prit par la bride :

« Gentil dada, dit-elle, voudrais-tu bienme porter chez ma marraine la fée ? Tu me feras un grandplaisir, car je suis si lasse que je vais mourir ; mais si tume sers dans cette occasion, je te donnerai de bonne avoine et debon foin ; tu auras de la paille fraîche pour tecoucher. »

Le cheval se baissa presque à terre devantelle, et la jeune Finette sauta dessus ; il se mit à courir silégèrement, qu’il semblait que ce fût un oiseau. Il s’arrêta àl’entrée de la grotte, comme s’il en avait su le chemin ; etil le savait bien aussi, car c’était Merluche qui, ayant deviné quesa filleule la voulait venir voir, lui avait envoyé ce beaucheval.

Quand elle fut entrée, elle fit trois grandesrévérences à sa marraine, et prit le bas de sa robe qu’ellebaisa ; et puis elle lui dit :

« Bonjour, ma marraine ; commentvous portez-vous ? voilà du beurre, du lait, de la farine etdes œufs que je vous apporte pour vous faire un bon gâteau à lamode de notre pays.

– Soyez la bien venue, Finette, dit lafée ; venez que je vous embrasse. »

Elle l’embrassa deux fois, dont Finette restatrès joyeuse, car madame Merluche n’était pas une fée à ladouzaine. Elle dit :

« Ça, ma filleule, je veux que vous soyezma petite femme de chambre ; décoiffez-moi et mepeignez. »

La princesse la décoiffa et la peigna le plusadroitement du monde.

« Je sais bien, dit Merluche, pourquoivous venez ici ; vous avez écouté le roi et la reine quiveulent vous mener perdre, et vous voulez éviter ce malheur. Tenez,vous n’avez qu’à prendre ce peloton, le fil n’en romprajamais ; vous attacherez le bout à la porte de votre maison,et vous le tiendrez à votre main. Quand la reine vous aura laissée,il vous sera aisé de revenir en suivant le fil. »

La princesse remercia sa marraine, qui luiremplit un sac de beaux habits, tous d’or et d’argent. Ellel’embrassa ; elle la fit remonter sur le joli cheval, et endeux ou trois moments, il la rendit à la porte de la maisonnette deleurs majestés. Finette dit au cheval :

« Mon petit ami, vous êtes beau et trèssage ; vous allez plus vite que le soleil ; je vousremercie de votre peine ; retournez d’où vousvenez. »

Elle entra tout doucement dans la maison,cachant son sac sous son chevet ; elle se coucha sans fairesemblant de rien. Dès que le jour parut, le roi réveilla safemme :

« Allons, allons, madame, lui dit-il,apprêtez-vous pour le voyage. »

Aussitôt elle se leva, prit ses gros souliers,une jupe courte, une camisole blanche et un bâton. Elle fit venirl’aînée de ses filles qui s’appelait Fleur-d’Amour, la secondeBelle-de-Nuit et la troisième Fine-Oreille : c’est pourquoi onla nommait ordinairement Finette.

« J’ai rêvé cette nuit, dit la reine,qu’il faut que nous allions voir ma sœur, elle nous régalerabien ; nous mangerons et nous rirons tant que nousvoudrons. »

Fleur d’Amour, qui se désespérait d’être dansun désert, dit à sa mère :

« Allons, madame, où il vous plaira,pourvu que je me promène, il ne m’importe. »

Les deux autres en dirent autant. Ellesprennent congé du roi, et les voilà toutes quatre en chemin. Ellesallèrent si loin, si loin, que Fine-Oreille avait grande peur den’avoir pas assez de fil, car il y avait près de mille lieues. Ellemarchait toujours derrière ses sœurs, passant le fil adroitementdans les buissons.

Quand la reine crut que ses filles nepourraient plus retrouver le chemin, elle entra dans un grand bois,et leur dit :

« Mes petites brebis, dormez ; jeferai comme la bergère qui veille autour de son troupeau, crainteque le loup ne le mange. »

Elles se couchèrent sur l’herbe, ets’endormirent. La reine les quitta, croyant ne les revoir jamais.Finette fermait les yeux, et ne dormait pas.

« Si j’étais une méchante fille,disait-elle, je m’en irais tout à l’heure, et je laisserais mourirmes sœurs ici, car elles me battent et m’égratignent jusqu’au sang.Malgré toutes leurs malices, je ne les veux pasabandonner. »

Elle les réveille, et leur conte toutel’histoire ; elles se mettent à pleurer, et la prient de lesmener avec elle, qu’elles lui donneront leurs belles poupées, leurpetit ménage d’argent, leurs autres jouets et leurs bonbons.

« Je sais assez que vous n’en ferez rien,dit Finette, mais je n’en serai pas moins bonne sœur ; »et se levant, elle suivit son fil, et les princesses aussi ;de sorte qu’elles arrivèrent presque aussitôt que la reine.

En s’arrêtant à la porte, elles entendirentque le roi disait :

« J’ai le cœur tout saisi de vous voirrevenir seule.

– Bon, dit la reine, nous étions tropembarrassés de nos filles.

– Encore, dit le roi, si vous aviez ramené maFinette, je me consolerais des autres, car elles n’aimentrien. »

Elles frappèrent, toc, toc. Le roidit :

« Qui va là ? »

Elles répondirent :

« Ce sont vos trois filles,Fleur-d’Amour, Belle-de-Nuit, et Fine-Oreille. »

La reine se mit à trembler :

« N’ouvrez pas, disait-elle, il faut quece soit des esprits, car il est impossible qu’elles fussentrevenues. »

Le roi était aussi poltron que sa femme, et ildisait :

« Vous me trompez, vous n’êtes point mesfilles. »

Mais Fine-Oreille, qui était adroite, luidit :

« Mon papa, je vais me baisser,regardez-moi par le trou du chat, et si je ne suis pas Finette, jeconsens d’avoir le fouet. »

Le roi regarda comme elle lui avait dit, etdès qu’il l’eut reconnue, il leur ouvrit. La reine fit semblantd’être bien aise de les revoir ; elle leur dit qu’elle avaitoublié quelque chose, qu’elle l’était venu chercher ; maisqu’assurément elle les aurait été retrouver. Elles feignirent de lacroire, et montèrent dans un beau petit grenier où ellescouchaient.

« Ça, dit Finette, mes sœurs, vous m’avezpromis une poupée, donnez-la-moi.

– Vraiment tu n’as qu’à t’y attendre, petitecoquine, dirent-elles, tu es cause que le roi ne nous regrettepas. »

Là-dessus prenant leurs quenouilles, elles labattirent comme plâtre. Quand elles l’eurent bien battue, elle secoucha ; et comme elle avait tant de plaies et de bosses, ellene pouvait dormir, et elle entendit que la reine disait auroi :

« Je les mènerai d’un autre côté, encoreplus loin, et je suis certaine qu’elles ne reviendrontjamais. »

Quand Finette entendit ce complot, elle seleva tout doucement pour aller voir encore sa marraine. Elle entradans le poulailler, elle prit deux poulets et un maître coq, à quielle tordit le cou, puis deux petits lapins que la reinenourrissait de choux, pour s’en régaler dans l’occasion ; ellemit le tout dans un panier, et partit. Mais elle n’eut pas fait unelieue à tâtons, mourant de peur, que le cheval d’Espagne vint augalop, ronflant et hennissant ; elle crut que c’était faitd’elle, que quelques gens d’armes l’allaient prendre. Quand ellevit le joli cheval tout seul, elle monta dessus, ravie d’aller si àson aise : elle arriva promptement chez sa marraine.

Après les cérémonies ordinaires, elle luiprésenta les poulets, le coq et les lapins, et la pria de l’aiderde ses bons avis, parce que la reine avait juré qu’elle lesmènerait jusqu’au bout du monde. Merluche dit à sa filleule de nepas s’affliger ; elle lui donna un sac tout plein decendre :

« Vous porterez le sac devant vous, luidit-elle, vous le secouerez, vous marcherez sur la cendre, et quandvous voudrez revenir, vous n’aurez qu’à regarder l’impression devos pas ; mais ne ramenez point vos sœurs, elles sont tropmalicieuses, et si vous les ramenez, je ne veux plus vousvoir. »

Finette prit congé d’elle, emportant, par sonordre, pour trente ou quarante millions de diamants en une petiteboîte, qu’elle mit dans sa poche : le cheval était tout prêt,et la rapporta comme à l’ordinaire. Au point du jour, la reineappela les princesses ; elles vinrent, et elle leurdit :

« Le roi ne se porte pas trop bien ;j’ai rêvé cette nuit qu’il faut que j’aille lui cueillir des fleurset des herbes en un certain pays où elles sont fort excellentes,elles le feront rajeunir ; c’est pourquoi allons-y tout àl’heure. »

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit, qui necroyaient pas que leur mère eût encore envie de les perdre,s’affligèrent de ces nouvelles. Il fallut pourtant partir ; etelles allèrent si loin, qu’il ne s’est jamais fait un si longvoyage. Finette, qui ne disait mot, se tenait derrière les autres,et secouait sa cendre à merveille, sans que le vent ni la pluie ygâtassent rien. La reine étant persuadée qu’elles ne pourraientretrouver le chemin, remarqua un soir que ses trois filles étaientbien endormies ; elle prit ce temps pour les quitter, etrevint chez elle. Quand il fut jour, et que Finette connut que samère n’y était plus, elle éveilla ses sœurs :

« Nous voici seules, dit-elle, la reines’en est allée. »

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit se prirent àpleurer : elles arrachaient leurs cheveux, et meurtrissaientleur visage à coups de poings. Elles s’écriaient :

« Hélas ! qu’allons-nousfaire ? »

Finette était la meilleure fille dumonde ; elle eut encore pitié de ses sœurs.

« Voyez à quoi je m’expose, leurdit-elle ; car lorsque ma marraine m’a donné le moyen derevenir, elle m’a défendu de vous enseigner le chemin ; et quesi je lui désobéissais, elle ne voulait plus me voir. »

Belle-de-Nuit se jette au cou de Finette,autant en fit Fleur-d’Amour ; elles la caressèrent sitendrement, qu’il n’en fallut pas davantage pour revenir toutestrois ensemble chez le roi et la reine.

Leurs majestés furent bien surprises de revoirles princesses ; ils en parlèrent toute la nuit, et la cadettequi ne se nommait pas Fine-Oreille pour rien, entendait qu’ilsfaisaient un nouveau complot, et que le lendemain, la reine seremettrait en campagne. Elle courut éveiller ses sœurs.

« Hélas ! leur dit-elle, nous sommesperdues, la reine veut absolument nous mener dans quelque désert,et nous y laisser. Vous êtes cause que j’ai fâché ma marraine, jen’ose l’aller trouver comme je faisais toujours. »

Elles restèrent bien en peine, et se disaientl’une à l’autre :

« Que ferons-nous ? »

Enfin, Belle-de-Nuit dit aux deuxautres :

« Il ne faut pas s’embarrasser, lavieille Merluche n’a pas tant d’esprit qu’il n’en reste un peu auxautres : nous n’avons qu’à nous charger de pois ; nousles sèmerons le long du chemin et nous reviendrons. »

Fleur-d’Amour trouva l’expédientadmirable ; elles se chargèrent de pois, elles remplirentleurs poches ; pour Fine-Oreille, au lieu de prendre des pois,elle prit le sac aux beaux habits, avec la petite boîte dediamants, et dès que la reine les appela pour partir, elles setrouvèrent toutes prêtes.

Elle leur dit :

« J’ai rêvé cette nuit qu’il y a dans unpays, qu’il n’est pas nécessaire de nommer, trois beaux princes quivous attendent pour vous épouser ; je vais vous y mener, pourvoir si mon songe est véritable. »

La reine allait devant et ses filles après,qui semaient des pois sans s’inquiéter, car elles étaient certainesde retourner à la maison. Pour cette fois la reine alla plus loinencore qu’elle n’était allée : mais pendant une nuit obscure,elle les quitta et revint trouver le roi ; elle arriva fortlasse et fort aise de n’avoir plus un si grand ménage sur lesbras.

Les trois princesses ayant dormi jusqu’à onzeheures du matin se réveillèrent ; Finette s’aperçut lapremière de l’absence de la reine ; bien qu’elle s’y fûtpréparée, elle ne laissa pas de pleurer, se confiant davantage pourson retour à sa marraine la fée, qu’à l’habileté de ses sœurs. Ellefut leur dire toute effrayée :

« La reine est partie, il faut la suivreau plus vite.

– Taisez-vous, petite babouine, répliquaFleur-d’Amour, nous trouverons bien le chemin quand nous voudrons,vous faites ici ma commère l’empressée mal à propos. »

Finette n’osa répliquer. Mais quand ellesvoulurent retrouver le chemin, il n’y avait plus ni traces nisentiers ; les pigeons, dont il y a grand nombre en cepays-là, étaient venus manger les pois ; elles se mirent àpleurer jusqu’aux cris. Après avoir resté deux jours sans manger,Fleur-d’Amour dit à Belle-de-Nuit :

« Ma sœur, n’as-tu rien àmanger ?

– Non », dit-elle.

Elle dit la même chose à Finette :

« Je n’ai rien non plus, répliqua-t-elle,mais je viens de trouver un gland.

– Ha ! donnez-le-moi, dit l’une.

– Donnez-le-moi, dit l’autre. »

Chacune le voulait avoir.

« Nous ne serons guère rassasiées d’ungland à nous trois, dit Finette ; plantons-le, il en viendraun autre qui nous pourra servir. »

Elles y consentirent quoiqu’il n’y eût guèred’apparence qu’il vînt un arbre dans un pays où il n’y en avaitpoint, on n’y voyait que des choux et des laitues, dont lesprincesses mangeaient ; si elles avaient été bien délicates,elles seraient mortes cent fois ; elles couchaient presquetoujours à la belle étoile ; tous les matins et tous les soirselles allaient tour à tour arroser le gland, et lui disaient :« Croîs, croîs, beau gland. » Il commença de croître àvue d’œil. Quand il fut un peu grand, Fleur-d’Amour voulut monterdessus, mais il n’était pas assez fort pour la porter ; ellele sentait plier sous elle, aussitôt elle descendit ;Belle-de-Nuit eut la même aventure ; Finette plus légère s’ytint longtemps ; et ses sœurs lui demandèrent :

« Ne vois-tu rien, masœur ? »

Elle leur répondit :

« Non, je ne vois rien.

– Ah ! c’est que le chêne n’est pas assezhaut », disait Fleur-d’Amour.

De sorte qu’elles continuaient d’arroser legland et de lui dire : « Croîs, croîs, beau gland. »Finette ne manquait jamais d’y monter deux fois par jour : unmatin qu’elle y était, Belle-de-Nuit dit à Fleur-d’Amour :

« J’ai trouvé un sac que notre sœur nousa caché ; qu’est-ce qu’il peut y avoirdedans ? »

Fleur-d’Amour répondit :

« Elle m’a dit que c’était de vieillesdentelles qu’elle raccommode, et moi, je crois que c’est dubonbon. »

Belle-de-Nuit était friande, et voulut yvoir ; elle y trouva effectivement toutes les dentelles du roiet de la reine, mais elles servaient à cacher les beaux habits deFinette et la boîte de diamants.

« Hé bien ! se peut-il une plusgrande petite coquine, s’écria-t-elle, il faut prendre tout pournous, et mettre des pierres à la place. »

Elles le firent promptement. Finette revintsans s’apercevoir de la malice de ses sœurs, car elle ne s’avisaitpas de se parer dans un désert ; elle ne songeait qu’au chênequi devenait le plus beau de tous les chênes.

Une fois qu’elle y monta et que ses sœurs,selon leur coutume, lui demandèrent si elle ne découvrait rien,elle s’écria :

« Je découvre une grande maison, sibelle, si belle que je ne saurais assez le dire ; les murs ensont d’émeraudes et de rubis, le toit de diamants : elle esttoute couverte de sonnettes d’or, les girouettes vont et viennentcomme le vent.

– Tu mens, disaient-elles, cela n’est pas sibeau que tu le dis.

– Croyez-moi, répondit Finette, je ne suis pasmenteuse, venez-y plutôt voir vous-mêmes, j’en ai les yeux toutéblouis. »

Fleur-d’Amour monta sur l’arbre : quandelle eut vu le château, elle ne s’en pouvait taire. Belle-de-Nuitqui était fort curieuse, ne manqua pas de monter à son tour, elledemeura aussi ravie que ses sœurs.

« Certainement, dirent-elles, il fautaller à ce palais, peut-être que nous y trouverons de beaux princesqui seront trop heureux de nous épouser. »

Tant que la soirée fut longue, elles neparlèrent que de leur dessein, elles se couchèrent surl’herbe ; mais lorsque Finette leur parut fort endormie,Fleur-d’Amour dit à Belle-de-Nuit :

« Savez-vous ce qu’il faut faire, masœur, levons-nous et nous habillons des riches habits que Finette aapportés.

– Vous avez raison », ditBelle-de-Nuit ; elles se levèrent donc, se frisèrent, sepoudrèrent, puis elles mirent des mouches, et les belles robes d’oret d’argent toutes couvertes de diamants ; il n’a jamais étérien de si magnifique.

Finette ignorait le vol que ses méchantessœurs lui avaient fait ; elle prit son sac dans le dessein des’habiller, mais elle demeura bien affligée de ne trouver que descailloux ; elle aperçut en même temps ses sœurs qui s’étaientaccommodées comme des soleils. Elle pleura et se plaignit de latrahison qu’elles lui avaient faite ; et elles d’en rire et dese moquer.

« Est-il possible, leur dit-elle, quevous ayez le courage de me mener au château sans me parer et mefaire belle ?

– Nous n’en avons pas trop pour nous, répliquaFleur-d’Amour, tu n’auras que des coups si tu nous importunes.

– Mais, continua-t-elle, ces habits que vousportez sont à moi, ma marraine me les a donnés, ils ne vous doiventrien.

– Si tu parles davantage, dirent-elles, nousallons t’assommer, et nous t’enterrerons sans que personne lesache. »

La pauvre Finette n’eut garde de lesagacer ; elle les suivait doucement et marchait un peuderrière, ne pouvant passer que pour leur servante.

Plus elles approchaient de la maison, pluselle leur semblait merveilleuse.

« Ha ! disaient Fleur-d’Amour etBelle-de-Nuit, que nous allons nous bien divertir ! que nousferons bonne chère, nous mangerons à la table du roi, mais pourFinette elle lavera les écuelles dans la cuisine, car elle estfaite comme une souillon, et si l’on demande qui elle est,gardons-nous bien de l’appeler notre sœur : il faudra dire quec’est la petite vachère du village. »

Finette qui était pleine d’esprit et debeauté, se désespérait d’être si maltraitée. Quand elles furent àla porte du château, elles frappèrent : aussitôt une vieillefemme épouvantable leur vint ouvrir, elle n’avait qu’un œil aumilieu du front, mais il était plus grand que cinq ou six autres,le nez plat, le teint noir et la bouche si horrible, qu’ellefaisait peur ; elle avait quinze pieds de haut et trente detour.

« Ô malheureuses ! qui vous amèneici ? leur dit-elle. Ignorez-vous que c’est le château del’ogre, et qu’à peine pouvez-vous suffire pour son déjeuner ;mais je suis meilleure que mon mari ; entrez, je ne vousmangerai pas tout d’un coup, vous aurez la consolation de vivredeux ou trois jours davantage. »

Quand elles entendirent l’ogresse parlerainsi, elles s’enfuirent, croyant se pouvoir sauver, mais une seulede ses enjambées en valait cinquante des leurs ; elle courutaprès et les reprit, les unes par les cheveux, les autres par lapeau du cou ; et les mettant sous son bras, elle les jetatoutes trois dans la cave qui était pleine de crapauds et decouleuvres, et l’on ne marchait que sur les os de ceux qu’ilsavaient mangés.

Comme elle voulait croquer sur-le-champFinette, elle fut quérir du vinaigre, de l’huile et du sel pour lamanger en salade ; mais elle entendit venir l’ogre, ettrouvant que les princesses avaient la peau blanche et délicate,elle résolut de les manger toute seule, et les mit promptement sousune grande cuve où elles ne voyaient que par un trou.

L’ogre était six fois plus haut que safemme ; quand il parlait, la maison tremblait, et quand iltoussait, il semblait des éclats de tonnerre ; il n’avaitqu’un grand vilain œil, ses cheveux étaient tout hérissés, ils’appuyait sur une bûche dont il avait fait une canne ; ilavait dans sa main un panier couvert ; il en tira quinzepetits enfants qu’il avait volés par les chemins, et qu’il avalacomme quinze œufs frais. Quand les trois princesses le virent,elles tremblaient sous la cuve, elles n’osaient pleurer bien haut,de peur qu’il ne les entendît ; mais elles s’entredisaienttout bas :

« Il va nous manger tout en vie, commentnous sauverons-nous ? »

L’ogre dit à sa femme :

« Vois-tu, je sens chair fraîche, je veuxque tu me la donnes.

– Bon, dit l’ogresse, tu crois toujours sentirchair fraîche, et ce sont tes moutons qui sont passés par là.

– Oh, je ne me trompe point, dit l’ogre, jesens chair fraîche assurément ; je vais chercher partout.

– Cherche, dit-elle, et tu ne trouverasrien.

– Si je trouve, répliqua l’ogre, et que tu mele caches, je te couperai la tête pour en faire uneboule. »

Elle eut peur de cette menace, et luidit :

« Ne te fâche point, mon petit ogrelet,je vais te déclarer la vérité. Il est venu aujourd’hui trois jeunesfillettes que j’ai prises, mais ce serait dommage de les manger,car elles savent tout faire. Comme je suis vieille, il faut que jeme repose ; tu vois que notre belle maison est fort malpropre,que notre pain n’est pas cuit, que la soupe ne te semble plus sibonne, et que je ne te parais plus si belle, depuis que je me tuede travailler ; elles seront mes servantes ; je te prie,ne les mange pas à présent ; si tu en as envie quelque jour,tu en seras assez le maître. »

L’ogre eut bien de la peine à lui promettre dene les pas manger tout à l’heure. Il disait :

« Laisse-moi faire, je n’en mangerai quedeux. – Non, tu n’en mangeras pas.

– Hé bien, je ne mangerai que la pluspetite. »

Et elle disait :

« Non, tu n’en mangeras pasune. »

Enfin après bien des contestations, il luipromit de ne les pas manger. Elle pensait en elle-même :

« Quand il ira à la chasse, je lesmangerai, et je lui dirai qu’elles se sont sauvées. »

L’ogre sortit de la cave, il lui dit de lesmener devant lui ; les pauvres filles étaient presque mortesde peur, l’ogresse les rassura ; et quand il les vit, il leurdemanda ce qu’elles savaient faire. Elles répondirent qu’ellessavaient balayer, qu’elles savaient coudre et filer à merveille,qu’elles faisaient de si bons ragoûts, que l’on mangeait jusquesaux plats, que pour du pain, des gâteaux et des pâtés, l’on envenait chercher chez elles de mille lieues à la ronde. L’ogre étaitfriand, il dit :

« Ça, çà, mettons vite ces bonnesouvrières en besogne ; mais, dit-il à Finette, quand tu as misle feu au four, comment peux-tu savoir s’il est assezchaud ?

– Monseigneur, répliqua-t-elle, j’y jette dubeurre, et puis j’y goûte avec la langue.

– Hé bien, dit-il, allume donc lefour. »

Ce four était aussi grand qu’une écurie, carl’ogre et l’ogresse mangeaient plus de pain que deux armées. Laprincesse y fit un feu effroyable, il était embrasé comme unefournaise, et l’ogre qui était présent, attendant le pain tendre,mangea cent agneaux et cent petits cochons de lait. Fleur-d’Amouret Belle-de-Nuit accommodaient la pâte. Le maître ogredit :

« Hé bien, le four est-ilchaud ? »

Finette répondit :

« Monseigneur, vous l’allezvoir. »

Elle jeta devant lui mille livres de beurre aufond du four, et puis elle dit :

Il faut tâter avec la langue, mais je suistrop petite.

– Je suis grand, » dit l’ogre, et sebaissant, il s’enfonça si avant qu’il ne pouvait plus se retirer,de sorte qu’il brûla jusqu’aux os. Quand l’ogresse vint au four,elle demeura bien étonnée de trouver une montagne de cendre des osde son mari.

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit, qui la virentfort affligée, la consolèrent de leur mieux ; mais ellescraignaient que sa douleur ne s’apaisât trop tôt, et que l’appétitlui venant, elle ne les mît en salade, comme elle avait déjà penséfaire. Elles lui dirent :

« Prenez courage, madame, vous trouverezquelque roi ou quelque marquis, qui seront heureux de vousépouser. »

Elle sourit un peu, montrant des dents pluslongues que le doigt. Lorsqu’elles la virent de bonne humeur,Finette lui dit :

« Si vous vouliez quitter ces horriblespeaux d’ours, dont vous êtes habillée, vous mettre à la mode, nousvous coifferions à merveille, vous seriez comme un astre.

– Voyons, dit-elle, comme tu l’entends ;mais assure-toi que s’il y a quelques dames plus jolies que moi, jete hacherai menu comme chair à pâté. »

Là-dessus les trois princesses lui ôtèrent sonbonnet, et se mirent à la peigner et la friser ; en l’amusantde leur caquet, Finette prit une hache, et lui donna par derrièreun si grand coup, qu’elle sépara son corps d’avec sa tête.

Il ne fut jamais une telle allégresse ;elles montèrent sur le toit de la maison pour se divertir à sonnerles clochettes d’or, elles furent dans toutes les chambres, quiétaient de perles et de diamants, et les meubles si riches qu’ellesmouraient de plaisir ; elles riaient et chantaient, rien neleur manquait, du blé, des confitures, des fruits et des poupées enabondance. Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit se couchèrent dans deslits de brocart et de velours, et s’entredirent : « Nousvoilà plus riches que n’était notre père, quand il avait sonroyaume, mais il nous manque d’être mariées, il ne viendra personneici, cette maison passe assurément pour un coupe-gorge, car on nesait point la mort de l’ogre et de l’ogresse. Il faut que nousallions à la plus prochaine ville nous faire voir avec nos beauxhabits ; et nous n’y serons pas longtemps sans trouver de bonsfinanciers qui seront bien aises d’épouser desprincesses. »

Dès qu’elles furent habillées, elles dirent àFinette qu’elles allaient se promener, qu’elle demeurât à la maisonà faire le ménage et la lessive, et qu’à leur retour tout fût netet propre ; que si elle y manquait, elles l’assommeraient decoups. La pauvre Finette qui avait le cœur serré de douleur, restaseule au logis, balayant, nettoyant, lavant sans se reposer, ettoujours pleurant. « Que je suis malheureuse, disait-elle,d’avoir désobéi à ma marraine, il m’en arrive toutes sortes dedisgrâces ; mes sœurs m’ont volé mes riches habits ; ilsservent à les parer ; sans moi, l’ogre et sa femme seporteraient encore bien ; de quoi me profite de les avoir faitmourir ? N’aimerais-je pas autant qu’ils m’eussent mangée quede vivre comme je vis ? » Quand elle avait dit cela, ellepleurait à étouffer, puis ses sœurs arrivaient chargées d’orangesde Portugal, de confitures, de sucre, et elles lui disaient :« Ah ! que nous venons d’un beau bal ! qu’il y avaitde monde ! le fils du roi y dansait ; l’on nous a faitmille honneurs : allons, viens nous déchausser et nousdécrotter, car c’est là ton métier. » Finette obéissait ;et si par hasard elle voulait dire un mot pour se plaindre, ellesse jetaient sur elle, et la battaient à la laisser pour morte.

Le lendemain encore elles retournaient etrevenaient conter des merveilles. Un soir que Finette était assiseproche du feu sur un monceau de cendres, ne sachant que faire, ellecherchait dans les fentes de la cheminée ; et cherchant ainsielle trouva une petite clé si vieille et si crasseuse, qu’elle euttoutes les peines du monde à la nettoyer. Quand elle fut claire,elle connut qu’elle était d’or, et pensa qu’une clé d’or devaitouvrir un beau petit coffre ; elle se mit aussitôt à courirpar toute la maison, essayant la clé aux serrures, et enfin elletrouva une cassette qui était un chef-d’œuvre. Elle l’ouvrit :il y avait dedans des habits, des diamants, des dentelles, dulinge, des rubans pour des sommes immenses : elle ne dit motde sa bonne fortune ; mais elle attendit impatiemment que sessœurs sortissent le lendemain. Dès qu’elle ne les vit plus, elle separa, de sorte qu’elle était plus belle que le soleil.

Ainsi ajustée, elle fut au même bal où sessœurs dansaient ; et quoiqu’elle n’eût point de masque, elleétait si changée en mieux, qu’elles ne la reconnurent pas. Dèsqu’elle parut dans l’assemblée, il s’éleva un murmure de voix, lesunes d’admiration, et les autres de jalousie. On la prit pourdanser, elle surpassa toutes les dames à la danse, comme elle lessurpassait en beauté. La maîtresse du logis vint à elle, et luiayant fait une profonde révérence, elle la pria de lui dire commentelle s’appelait, afin de ne jamais oublier le nom d’une personne simerveilleuse. Elle lui répondit civilement qu’on la nommaitCendron. Il n’y eut point d’amant qui ne fût infidèle à samaîtresse pour Cendron, point de poète qui ne rimât enCendron ; jamais petit nom ne fit tant de bruit en si peu detemps ; les échos ne répétaient que les louanges deCendron ; l’on n’avait pas assez d’yeux pour la regarder,assez de bouche pour la louer.

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit, qui avaientfait d’abord grand fracas dans les lieux où elles avaient paru,voyant l’accueil que l’on faisait à cette nouvelle venue, encrevaient de dépit ; mais Finette se démêlait de tout cela dela meilleure grâce du monde ; il semblait, à son air, qu’ellen’était faite que pour commander. Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit,qui ne voyaient leur sœur qu’avec de la suie de cheminée sur levisage, et plus barbouillée qu’un petit chien, avaient si fortperdu l’idée de sa beauté, qu’elles ne la reconnurent point dutout ; elles faisaient leur cour à Cendron comme les autres.Dès qu’elle voyait le bal prêt à finir, elle sortait vite, revenaità la maison, se déshabillait en diligence, reprenait sesguenilles ; et quand ses sœurs arrivaient :

« Ah ! Finette, nous venons de voir,lui disaient-elles, une jeune princesse qui est toutecharmante ; ce n’est pas une guenuche comme toi ; elleest blanche comme la neige, plus vermeille que les roses ; sesdents sont de perles, ses lèvres de corail ; elle a une robequi pèse plus de mille livres, ce n’est qu’or et diamants :qu’elle est belle ! qu’elle est aimable ! »

Finette répondait entre ses dents :

« Ainsi j’étais, ainsi j’étais.

– Qu’est-ce que tu bourdonnes ? »,disaient-elles.

Finette répliquait encore plus bas :

« Ainsi j’étais. »

Ce petit jeu dura longtemps ; il n’y eutpresque pas de jour que Finette ne changeât d’habits, car lacassette était fée, et plus on y en prenait, plus il en revenait,et si fort à la mode, que les dames ne s’habillaient que sur sonmodèle.

Un soir que Finette avait plus dansé qu’àl’ordinaire, et qu’elle avait tardé assez tard à se retirer,voulant réparer le temps perdu et arriver chez elle un peu avantses sœurs, en marchant de toute sa force, elle laissa tomber une deses mules, qui était de velours rouge, toute brodée de perles. Ellefit son possible pour la retrouver dans le chemin ; mais letemps était si noir, qu’elle prit une peine inutile ; ellerentra au logis, un pied chaussé et l’autre nu.

Le lendemain le prince Chéri, fils aîné duroi, allant à la chasse, trouve la mule de Finette ; il lafait ramasser, la regarde, en admire la petitesse et lagentillesse, la tourne, retourne, la baise, la chérit et l’emporteavec lui. Depuis ce jour-là, il ne mangeait plus ; il devenaitmaigre et changé, jaune comme un coing, triste, abattu. Le roi etla reine, qui l’aimaient éperdument, envoyaient de tous côtés pouravoir de bon gibier et des confitures ; c’était pour lui moinsque rien ; il regardait tout cela sans répondre à la reine,quand elle lui parlait. L’on envoya quérir des médecins partout,même jusqu’à Paris et à Montpellier. Quand ils furent arrivés, onleur fit voir le prince, et après l’avoir considéré trois jours ettrois nuits sans le perdre de vue, ils conclurent qu’il étaitamoureux, et qu’il mourrait si l’on n’y apportait remède.

La reine, qui l’aimait à la folie, pleurait àfondre en eau, de ne pouvoir découvrir celle qu’il aimait, pour lalui faire épouser. Elle amenait dans sa chambre les plus bellesdames, il ne daignait pas les regarder. Enfin elle lui dit unefois :

« Mon cher fils, tu veux nous faireétouffer de douleur, car tu aimes, et tu nous caches tessentiments ; dis-nous qui tu veux, et nous te la donnerons,quand ce ne serait qu’une simple bergère. »

Le prince, plus hardi par les promesses de lareine, tira la mule de dessous son chevet, et l’ayantmontrée :

« Voilà, madame, lui dit-il, ce qui causemon mal ; j’ai trouvé cette petite pouponne, mignonne, joliemule en allant à la chasse ; je n’épouserai jamais que cellequi pourra la chausser.

– Hé bien, mon fils, dit la reine, net’afflige point, nous la ferons chercher. »

Elle fut dire au roi cette nouvelle ; ildemeura bien surpris, et commanda en même temps que l’on fût avecdes tambours et des trompettes, annoncer que toutes les filles etles femmes vinssent pour chausser la mule, et que celle à qui elleserait propre, épouserait le prince. Chacune ayant entendu de quoiil était question, se décrassa les pieds avec toutes sortes d’eaux,de pâtes et de pommades. Il y eut des dames qui se les firentpeler, pour avoir la peau plus belle ; d’autres jeûnaient ouse les écorchaient afin de les avoir plus petits. Elles allaient enfoule essayer la mule, une seule ne la pouvait mettre et plus il envenait inutilement, plus le prince s’affligeait.

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit se firent unjour si braves, que c’était une chose étonnante.

« Où allez-vous donc ? leur ditFinette.

– Nous allons à la grande ville,répondirent-elles, où le roi et la reine demeurent, essayer la muleque le fils du roi a trouvée ; car si elle est propre à l’unede nous deux, il l’épousera, et nous serons reines.

– Et moi, dit Finette, n’irai-jepoint ?

– Vraiment, dirent-elles, tu es un bel oisonbridé : va, va arroser nos choux, tu n’es propre àrien. »

Finette songea aussitôt qu’elle mettrait sesplus beaux habits, et qu’elle irait tenter l’aventure comme lesautres, car elle avait quelque petit soupçon qu’elle y aurait bonnepart ; ce qui lui faisait de la peine, c’est qu’elle ne savaitpas le chemin, le bal où l’on allait danser n’était point dans lagrande ville. Elle s’habilla magnifiquement ; sa robe était desatin bleu, toute couverte d’étoiles et de diamants ; elleavait un soleil sur la tête, une pleine lune sur le dos ; toutcela brillait si fort, qu’on ne la pouvait regarder sans clignoterles yeux. Quand elle ouvrit la porte pour sortir elle resta bienétonnée de trouver le joli cheval d’Espagne qui l’avait portée chezsa marraine. Elle le caressa et lui dit :

« Sois le bien venu, mon petitdada ; je suis obligée à ma marraine Merluche. »

Il se baissa ; elle s’assit dessus commeune nymphe. Il était tout couvert de sonnettes d’or et derubans ; sa housse et sa bride n’avaient point de prix ;et Finette était trente fois plus belle que la belle Hélène.

Le cheval d’Espagne allait légèrement, sessonnettes faisaient din, din, din. Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuitles ayant entendues, se retournèrent et la virent venir ; maisdans ce moment quelle fut leur surprise ? Elles la reconnurentpour être Finette Cendron. Elles étaient fort crottées, leurs beauxhabits étaient couverts de boue :

« Ma sœur, s’écria Fleur-d’Amour, enparlant à Belle-de-Nuit, je vous proteste que voici FinetteCendron » ; l’autre s’écria tout de même, et Finettepassant près d’elles, son cheval les éclaboussa, et leur fit unmasque de crotte ; elle se prit à rire, et leur dit :« Altesses, Cendrillon vous méprise autant que vous leméritez » ; puis passant comme un trait, la voilà partie.Belle-de-Nuit et Fleur-d’Amour s’entre-regardèrent.

« Est-ce que nous rêvons ?disaient-elles ; qui est-ce qui peut avoir fourni des habitset un cheval à Finette ? Quelle merveille le bonheur lui enveut, elle va chausser la mule, et nous n’aurons que la peine d’unvoyage inutile. »

Pendant qu’elles se désespéraient, Finettearrive au palais ; dès qu’on la vit, chacun crut que c’étaitune reine, les gardes prennent leurs armes, l’on bat le tambour,l’on sonne la trompette, l’on ouvre toutes les portes, et ceux quil’avaient vue au bal, allaient devant elle, disant :« Place, place, c’est la belle Cendron, c’est la merveille del’univers. » Elle entre avec cet appareil dans la chambre duprince mourant ; il jette les yeux sur elle, et demeurecharmé, souhaitant qu’elle eût le pied assez petit pour chausser lamule : elle la mit tout d’un coup et montra la pareille,qu’elle avait apportée exprès. En même temps l’on crie :« Vive la princesse Chérie, vive la princesse qui sera notrereine ! » Le prince se leva de son lit, il vint luibaiser les mains, elle le trouva beau et plein d’esprit : illui fit mille amitiés. L’on avertit le roi et la reine, quiaccoururent ; la reine prend Finette entre ses bras, l’appellesa fille, sa mignonne, sa petite reine, lui fait des présentsadmirables, sur lesquels le roi libéral renchérit encore. L’on tirele canon ; les violons, les musettes, tout joue ; l’on neparle que de danser et de se réjouir.

Le roi, la reine et le prince prient Cendronde se laisser marier : « Non, dit-elle, il faut avant queje vous conte mon histoire » ; ce qu’elle fit en quatremots. Quand ils surent qu’elle était née princesse, c’était bienune autre joie, il tint à peu qu’ils n’en mourussent ; maislorsqu’elle leur dit le nom du roi son père, de la reine sa mère,ils reconnurent que c’étaient eux qui avaient conquis leurroyaume : ils le lui annoncèrent ; et elle jura qu’ellene consentirait point à son mariage, qu’ils ne rendissent les étatsde son père ; ils le lui promirent, car ils avaient plus decent royaumes, un de moins n’était pas une affaire.

Cependant Belle-de-Nuit et Fleur-d’Amourarrivèrent. La première nouvelle fut que Cendron avait mis la mule,elles ne savaient que faire, ni que dire, elles voulaient s’enretourner sans la voir ; mais quand elle sut qu’elles étaientlà, elle les fit entrer, et au lieu de leur faire mauvais visage,et de les punir comme elles le méritaient, elle se leva, et fut audevant d’elles les embrasser tendrement, puis elle les présenta àla reine, lui disant : « Madame, ce sont mes sœurs quisont fort aimables, je vous prie de les aimer. » Ellesdemeurèrent si confuses de la bonté de Finette, qu’elles nepouvaient proférer un mot. Elle leur promit qu’elles retourneraientdans leur royaume, que le prince le voulait rendre à leur famille.À ces mots, elles se jetèrent à genoux devant elle, pleurant dejoie.

Les noces furent les plus belles que l’on eûtjamais vues. Finette écrivit à sa marraine, et mit sa lettre avecde grands présents sur le joli cheval d’Espagne, la priant dechercher le roi et la reine, de leur dire son bonheur, et qu’ilsn’avaient qu’à retourner dans leur royaume.

La fée Merluche s’acquitta fort bien de cettecommission. Le père et la mère de Finette revinrent dans leursétats, et ses sœurs furent reines aussi bien qu’elle.

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