Contes – Tome I

La bonne petite souris

 

Il y avait une fois un roi et une reine quis’aimaient si fort, si fort, qu’ils faisaient la félicité l’un del’autre. Leurs cœurs et leurs sentiments se trouvaient toujoursd’intelligence ; ils allaient tous les jours à la chasse tuerdes lièvres et des cerfs ; ils allaient à la pêche prendre dessoles et des carpes ; au bal, danser la bourrée et lapavane ; à de grands festins, manger du rôt et desdragées ; à la comédie et à l’opéra. Ils riaient, ilschantaient, ils se faisaient mille pièces pour se divertir ;enfin c’était le plus heureux de tous les temps.

Leurs sujets suivaient l’exemple du roi et dela reine ; ils se divertissaient à l’envi l’un de l’autre. Partoutes ces raisons, l’on appelait ce royaume le pays de joie. Ilarriva qu’un roi voisin du roi Joyeux vivait tout différemment. Ilétait ennemi déclaré des plaisirs ; il ne demandait que plaieset bosses ; il avait une mine renfrognée, une grande barbe,les yeux creux ; il était maigre et sec, toujours vêtu denoir, des cheveux hérissés, gras et crasseux. Pour lui plaire, ilfallait tuer et assommer les passants. Il pendait lui-même lescriminels ; il se réjouissait à leur faire du mal.

Quand une bonne maman aimait bien sa petitefille ou son petit garçon, il l’envoyait quérir, et devant elle illui rompait les bras ou lui tordait le cou. On nommait ce royaumele pays des larmes. Le méchant roi entendit parler de lasatisfaction du roi Joyeux ; il lui porta grande envie, etrésolut de faire une grosse armée, et d’aller le battre tout sonsaoul, jusqu’à ce qu’il fût mort ou bien malade. Il envoya de touscôtés pour amasser du monde et des armes ; il faisait fairedes canons. Chacun tremblait. L’on disait : sur qui se jetterale roi, il ne fera point de quartier. Lorsque tout fut prêt, ils’avança vers le pays du roi Joyeux. À ces mauvaises nouvelles ilse mit promptement en défense ; la reine mourait de peur, ellelui disait en pleurant :

« Sire, il faut nous enfuir :tâchons d’avoir bien de l’argent, et nous en allons tant que terrenous pourra porter. »

Le roi répondait :

« Fi, madame, j’ai trop de courage ;il vaudrait mieux mourir que d’être un poltron. »

Il ramassa tous ses gens d’armes, dit untendre adieu à la reine, monta sur un beau cheval, et partit. Quandelle l’eut perdu de vue, elle se mit à pleurerdouloureusement ; et joignant ses mains, elledisait :

« Hélas, je suis grosse ; si le roiest tué à la guerre, je serai veuve et prisonnière, le méchant roime fera dix mille maux. »

Cette pensée l’empêchait de manger et dedormir. Il lui écrivait tous les jours ; mais un matin qu’elleregardait par-dessus les murailles, elle vit venir un courrier quicourait de toute sa force, elle l’appela :

« Hô, courrier, hô, quellenouvelle ?

– Le roi est mort, s’écria-t-il, la batailleest perdue, le méchant roi arrivera dans un moment. »

La pauvre reine tomba évanouie ; on laporta dans son lit, et toutes ses dames étaient autour d’elle, quipleuraient, l’une son père, l’autre son fils ; elless’arrachèrent les cheveux, c’était la chose du monde la pluspitoyable. Voilà que tout d’un coup l’on entend : « Aumeurtre, au larron ! » C’était le méchant roi quiarrivait avec tous ses malheureux sujets ; ils tuaient pouroui et pour non, ceux qu’ils rencontraient. Il entra tout armé dansla maison du roi, et monta dans la chambre de la reine. Quand ellele vit entrer, elle eut si grande peur, qu’elle s’enfonça dans sonlit, et mit la couverture sur sa tête. Il l’appela deux ou troisfois, mais elle ne disait mot ; il se fâcha, bien fâché, etdit :

« Je crois que tu te moques de moi ;sais-tu que je peux t’égorger tout à l’heure ? »

Il la découvrit, lui arracha ses cornettes,ses beaux cheveux tombèrent sur ses épaules ; il en fit troistours à sa main, et la chargea dessus son dos comme un sac deblé : il l’emporta ainsi, et monta sur son grand cheval quiétait tout noir. Elle le priait d’avoir pitié d’elle, il s’enmoquait, et lui disait : « Crie, plains-toi, cela me faitrire et me divertit. » Il l’emmena en son pays, et jurapendant tout le chemin qu’il était résolu de la pendre ; maison lui dit que c’était dommage, et qu’elle était grosse.

Quand il vit cela, il lui vint dans l’espritque si elle accouchait d’une fille, il la marierait avec sonfils ; et pour savoir ce qui en était, il envoya quérir unefée, qui demeurait près de son royaume. Étant venue, il la régalamieux qu’il n’avait de coutume ; ensuite il la mena dans unetour, au haut de laquelle la pauvre reine avait une chambre bienpetite et bien pauvrement meublée. Elle était couchée par terre,sur un matelas qui ne valait pas deux sous, où elle pleurait jouret nuit. La fée en la voyant fut attendrie ; elle lui fit larévérence, et lui dit tous bas en l’embrassant :

« Prenez courage, madame, vos malheursfiniront ; j’espère y contribuer. »

La reine un peu consolée de ces paroles, lacaressait, et la priait d’avoir pitié d’une pauvre princesse quiavait joui d’une grande fortune, et qui s’en voyait bien éloignée.Elles parlaient ensemble, quand le méchant roi dit :

« Allons, point tant decompliments ; je vous ai amenée ici pour me dire si cetteesclave est grosse d’un garçon ou d’une fille. »

La fée répondit :

« Elle est grosse d’une fille, qui serala plus belle princesse et la mieux apprise que l’on ait jamaisvue. »

Elle lui souhaita ensuite des biens et deshonneurs infinis.

« Si elle n’est pas belle et bienapprise, dit le méchant roi, je la pendrai au cou de sa mère, et samère à un arbre, sans que rien m’en puisse empêcher. »

Après cela il sortit avec la fée, et neregarda pas la bonne reine, qui pleurait amèrement ; car elledisait en elle-même :

« Hélas ! que ferai-je ? Sij’ai une belle petite fille, il la donnera à son magot defils ; et si elle est laide, il nous pendra toutes deux. Àquelle extrémité suis-je réduite ? Ne pourrai-je point lacacher quelque part, afin qu’il ne la vît jamais ? »

Le temps que la petite princesse devait venirau monde approchait, et les inquiétudes de la reineaugmentaient : elle n’avait personne avec qui se plaindre etse consoler. Le geôlier qui la gardait, ne lui donnait que troispois cuits dans l’eau pour toute la journée, avec un petit morceaude pain noir.

Elle devint plus maigre qu’un hareng :elle n’avait plus que la peau et les os. Un soir qu’elle filait(car le méchant roi qui était fort avare, la faisait travaillerjour et nuit), elle vit entrer par un trou une petite souris, quiétait fort jolie. Elle lui dit :

« Hélas ! ma mignonne, que viens-tuchercher ici ? Je n’ai que trois pois pour toute majournée ; si tu ne veux jeûner, va-t’en. »

La petite souris courait de-çà, courait de-là,dansait, cabriolait comme un petit singe ; et la reine prenaitun si grand plaisir à la regarder, qu’elle lui donna le seul poisqui restait pour son souper.

« Tiens, mignonne, dit-elle, mange, jen’en ai pas davantage, et je te le donne de bon cœur. »

Dès qu’elle eut fait cela, elle vit sur satable une perdrix excellente, cuite à merveille, et deux pots deconfitures. « En vérité, dit-elle, un bienfait n’est jamaisperdu. » Elle mangea un peu, mais son appétit était passé àforce de jeûner.

Elle jeta du bonbon à la souris, qui legrignota encore ; et puis elle se mit à sauter mieux qu’avantle souper. Le lendemain matin le geôlier apporta de bonne heure lestrois pois de la reine, qu’il avait mis dans un grand plat pour semoquer d’elle ; la petite souris vint doucement, et les mangeatous trois, et le pain aussi. Quand la reine voulut dîner, elle netrouva plus rien ; la voilà bien fâchée contre la souris.

« C’est une méchante petite bête,disait-elle, si elle continue, je mourrai de faim. »

Comme elle voulut couvrir le grand plat quiétait vide, elle trouva dedans toutes sortes de bonnes choses àmanger : elle en fut bien aise, et mangea ; mais enmangeant, il lui vint dans l’esprit que le méchant roi feraitpeut-être mourir dans deux ou trois jours son enfant, et ellequitta la table pour pleurer ; puis elle disait, en levant lesyeux au ciel : « Quoi ! n’y a-t-il point quelquemoyen de se sauver ? » En disant cela, elle vit la petitesouris qui jouait avec de longs brins de paille ; elle lesprit, et commença de travailler avec.

« Si j’ai assez de paille, dit-elle, jeferai une corbeille couverte pour mettre ma petite fille, et je ladonnerai par la fenêtre à la première personne charitable quivoudra en avoir soin. »

Elle se mit donc à travailler de boncourage ; la paille ne lui manquait point, la souris entraînait toujours par la chambre où elle continuait desauter ; et aux heures des repas, la reine lui donnait sestrois pois, et trouvait en échange cent sortes de ragoûts. Elle enétait bien étonnée ; elle songeait sans cesse qui pouvait luienvoyer de si excellentes choses. La reine regardait un jour à lafenêtre, pour voir de quelle longueur elle ferait cette corde, dontelle devait attacher la corbeille pour la descendre. Elle aperçuten bas une vieille petite bonne femme qui s’appuyait sur un bâton,et qui lui dit :

« Je sais votre peine, madame ; sivous voulez je vous servirai.

– Hélas ma chère amie, lui dit la reine, vousme ferez un grand plaisir venez tous les soirs au bas de la tour,je vous descendrai mon pauvre enfant ; vous le nourrirez, etje tâcherai, si je suis jamais riche, de vous bien payer.

– Je ne suis pas intéressée, répondit lavieille, mais je suis friande ; il n’y a rien que j’aime tantqu’une souris grassette et dodue. Si vous en trouvez dans votregaletas, tuez-les et me les jetez ; je n’en serai pointingrate, votre poupard s’en trouvera bien. »

La reine l’entendant se mit à pleurer sansrien répondre ; et la vieille, après avoir un peu attendu, luidemanda pourquoi elle pleurait.

« C’est, dit-elle, qu’il ne vient dans machambre qu’une seule souris, qui est si jolie, si joliette, que jene puis me résoudre à la tuer.

– Comment, dit la vieille en colère, vousaimez donc mieux une friponne de petite souris, qui ronge tout, quel’enfant que vous allez avoir ? Hé bien, madame, vous n’êtespas à plaindre, restez en si bonne compagnie, j’aurai bien dessouris sans vous, je ne m’en soucie guère. »

Elle s’en alla grondant et marmottant. Quoiquela reine eût un bon repas, et que la souris vînt danser devantelle, jamais elle ne leva les yeux de terre, où elle les avaitattachés, et les larmes coulaient le long de ses joues. Elle eutcette même nuit une princesse, qui était un miracle debeauté ; au lieu de crier comme les autres enfants, elle riaità sa bonne maman, et lui tendait ses petites menottes, comme sielle eût été bien raisonnable. La reine la caressait et la baisaitde tout son cœur, songeant tristement.

« Pauvre mignonne ! chèreenfant ! si tu tombes entre les mains du méchant roi, c’estfait de ta vie. »

Elle l’enferma dans la corbeille, avec unbillet attaché sur son maillot, où était écrit :

« Cette infortunée petite fille a nomJoliette. »

Et quand elle l’avait laissée un moment sansla regarder, elle ouvrait encore la corbeille, et la trouvaitembellie ; puis elle la baisait et pleurait plus fort, nesachant que faire. Mais voici la petite souris qui vient, et qui semet dans la corbeille avec Joliette.

« Ah ! petite bestiole, dit lareine, que tu me coûtes cher pour te sauver la vie ! Peut-êtreque je perdrai ma chère Joliette ! Une autre que moi t’auraittuée, et donnée à la vieille friande ; je n’ai pu yconsentir. »

La souris commence à dire :

« Ne vous en repentez point, madame, jene suis pas si indigne de votre amitié que vous lecroyez. »

La reine mourait de peur d’entendre parler lasouris ; mais sa peur augmenta bien quand elle aperçut que sonpetit museau prenait la figure d’un visage, que ses pattesdevinrent des mains et des pieds, et qu’elle grandit tout d’uncoup. Enfin la reine n’osant presque la regarder, la reconnut pourla fée qui l’était venue voir avec le méchant roi, et qui lui avaitfait tant de caresses.

Elle lui dit :

« J’ai voulu éprouver votre cœur ;j’ai reconnu qu’il est bon, et que vous êtes capable d’amitié. Nousautres fées, qui possédons des trésors et des richesses immenses,nous ne cherchons pour la douceur de la vie que de l’amitié, etnous en trouvons rarement.

– Est-il possible, belle dame, dit la reine enl’embrassant, que vous ayez de la peine à trouver des amies, étantsi riches et si puissantes ?

– Oui, répliqua-t-elle ; car on ne nousaime que par intérêt, et cela ne nous touche guère ; maisquand vous m’avez aimée en petite souris, ce n’était pas un motifd’intérêt. J’ai voulu vous éprouver plus fortement ; j’ai prisla figure d’une vieille ; c’est moi qui vous ai parlé au basde la tour, et vous m’avez toujours été fidèle. »

À ces mots elle embrassa la reine ; puiselle baisa trois fois le bécot vermeil de la petite princesse, etelle lui dit :

« Je te doue, ma fille, d’être laconsolation de ta mère, et plus riche que ton père ; de vivrecent ans toujours belle, sans maladie, sans rides et sansvieillesse. »

La reine toute ravie la remercia, et la priad’emporter Joliette, et d’en prendre soin, ajoutant qu’elle la luidonnait pour être sa fille. La fée l’accepta, et la remercia ;elle mit la petite dans la corbeille, qu’elle descendit enbas ; mais s’étant un peu arrêtée à reprendre sa forme depetite souris, quand elle descendit après elle par la cordelette,elle ne trouva plus l’enfant ; et remontant forteffrayée :

« Tout est perdu, dit- elle à la reine,mon ennemie Cancaline vient d’enlever la princesse ! Il fautque vous sachiez que c’est une cruelle fée qui me hait ; etpar malheur, étant mon ancienne, elle a plus de pouvoir que moi. Jene sais par quel moyen retirer Joliette de ses vilainesgriffes. »

Quand la reine entendit de si tristesnouvelles, elle pensa mourir de douleur ; elle pleura bienfort, et pria sa bonne amie de tâcher de ravoir la petite, àquelque prix que ce fût. Cependant le geôlier vint dans la chambrede la reine ; il vit qu’elle n’était plus grosse ; il futle dire au roi, qui accourut pour lui demander son enfant mais elledit qu’une fée, dont elle ne savait pas le nom, l’était venueprendre par force. Voilà le méchant roi qui frappait du pied, etqui rongeait ses ongles jusqu’au dernier morceau :

« Je t’ai promis, dit-il, de tependre ; je vais tenir ma parole tout à l’heure. »

En même temps il traîne la pauvre reine dansun bois, grimpe sur un arbre, et l’allait pendre, lorsque la fée serendit invisible, et le poussant rudement, elle le fit tomber duhaut de l’arbre ; il se cassa quatre dents. Pendant qu’ontâchait de les raccommoder, la fée enleva la reine dans son charvolant, et elle l’emporta dans un beau château. Elle en prit grandsoin et si elle avait eu la princesse Joliette, elle aurait étécontente mais on ne pouvait découvrir en quel lieu Cancalinel’avait mise, bien que la petite souris y fît tout son possible.Enfin le temps se passait, et la grande affliction de la reinediminuait. Il y avait quinze ans déjà lorsqu’on entendit dire quele fils du méchant roi s’allait marier à sa dindonnière, et quecette petite créature n’en voulait point.

Cela était bien surprenant qu’une dindonnièrerefusât d’être reine ; mais pourtant les habits de nocesétaient faits, et c’était une si belle noce, qu’on y allait de centlieues à la ronde. La petite souris s’y transporta ; ellevoulait voir la dindonnière tout à son aise. Elle entra dans lepoulailler, et la trouva vêtue d’une grosse toile, nu-pieds, avecun torchon gras sur sa tête. Il y avait là des habits d’or etd’argent, des diamants, des perles, des rubans, des dentelles quitraînaient à terre ; les dindons se hochaient dessus, lescrottaient et les gâtaient. La dindonnière était assise sur unegrosse pierre ; le fils du méchant roi, qui était tordu,borgne et boiteux, lui disait rudement :

« Si vous me refusez votre cœur, je voustuerai. »

Elle lui répondait fièrement :

« Je ne vous épouserai point, vous êtestrop laid, vous ressemblez à votre cruel père. Laissez-moi en reposavec mes petits dindons ; je les aime mieux que toutes vosbraveries. »

La petite souris la regardait avecadmiration ; car elle était aussi belle que le soleil. Dès quele fils du méchant roi fut sorti, la fée prit la figure d’unevieille bergère, et lui dit :

« Bonjour, ma mignonne, voilà vos dindonsen bon état. »

La jeune dindonnière regarda cette vieilleavec des yeux pleins de douceur, et lui dit :

« L’on veut que je les quitte pour uneméchante couronne ; que m’en conseillez-vous ?

– Ma petite fille, dit la fée, une couronneest fort belle ; vous n’en connaissez pas le prix ni lepoids.

– Mais si fait, je le connais, repartitpromptement la dindonnière, puisque je refuse de m’ysoumettre ; je ne sais pourtant qui je suis, ni où est monpère, ni où est ma mère ; je me trouve sans parents et sansamis.

– Vous avez beauté et vertu, mon enfant, ditla sage fée, qui valent plus que dix royaumes. Contez-moi, je vousprie, qui vous a donc mise ici, puisque vous n’avez ni père, nimère, ni parents, ni amis ?

– Une fée, appelée Cancaline, est cause quej’y suis venue ; elle me battait ; elle m’assommait sanssujet et sans raison. Je m’enfuis un jour, et ne sachant où aller,je m’arrêtai dans un bois. Le fils du méchant roi s’y vintpromener ; il me demanda si je voulais servir à sa basse-cour.Je le voulus bien ; j’eus soin des dindons ; il venait àtout moment les voir, et il me voyait aussi. Hélas ! sans quej’en eusse envie, il se mit à m’aimer tant et tant, qu’ilm’importune fort. »

La fée, a ce récit, commença de croire que ladindonnière était la princesse Joliette. Elle lui dit :

« Ma fille, apprenez-moi votrenom ?

– Je m’appelle Joliette, pour vous rendreservice », dit-elle.

À ce mot la fée ne douta plus de lavérité ; et lui jetant les bras au cou, elle pensa la mangerde caresses ; puis elle lui dit :

« Joliette, je vous connais il y alongtemps, je suis bien aise que vous soyez si sage et si bienapprise ; mais je voudrais que vous fussiez plus propre, carvous ressemblez à une petite souillon ; prenez les beauxhabits que voilà, et vous accommodez. »

Joliette, qui était fort obéissante, quittaaussitôt le torchon gras qu’elle avait dessus la tête, et lasecouant un peu, elle se trouva toute couverte de ses cheveux, quiétaient blonds comme un bassin, et déliés comme fils d’or. Ilstombaient par boucles jusqu’à terre. Puis prenant dans ses mainsdélicates de l’eau à une fontaine qui coulait proche le poulailler,elle se débarbouilla le visage, qui devint aussi clair qu’une perleorientale. Il semblait que des roses s’étaient épanouies sur sesjoues et sur sa bouche ; sa douce haleine sentait le thym etle serpolet ; elle avait le corps plus droit qu’un jonc ;en temps d’hiver, l’on eût pris sa peau pour de la neige ; entemps d’été, c’était des lys. Quand elle fut parée des diamants etdes belles robes, la fée la considéra comme une merveille ;elle lui dit :

« Qui croyez-vous être, ma chèreJoliette, car vous voilà bien brave ? »

Elle répliqua :

« En vérité, il me semble que je suis lafille de quelque grand roi.

– En seriez-vous bien aise ? dit lafée.

– Oui, ma bonne mère, répondit Joliette, enfaisant la révérence ; j’en serais fort aise.

– Hé bien, dit la fée, soyez donccontente ; je vous en dirai davantage demain. »

Elle se rendit en diligence à son beauchâteau, où la reine était occupée à filer de la soie. La petitesouris lui cria :

« Voulez-vous gager, madame la reine,votre quenouille et votre fuseau, que je vous apporte lesmeilleures nouvelles que vous puissiez jamais entendre ?

– Hélas ! répliqua la reine, depuis lamort du roi Joyeux et la perte de ma Joliette, je donnerais bientoutes les nouvelles de ce monde pour une épingle.

– Là, là, ne vous chagrinez point, dit la fée,la princesse se porte à merveille ; je viens de la voir ;elle est si belle, si belle, qu’il ne tient qu’à elle d’êtrereine. »

Elle lui conta tout le conte d’un bout àl’autre, et la reine pleurait de joie de savoir sa fille si belle,et de tristesse qu’elle fût dindonnière.

« Quand nous étions de grands rois dansnotre royaume, disait-elle, et que nous faisions tant de bombance,le pauvre défunt et moi, nous n’aurions pas cru voir notre enfantdindonnière.

– C’est la cruelle Cancaline, ajouta la fée,qui sachant comme je vous aime, pour me faire dépit, l’a mise encet état ; mais elle en sortira, ou j’y brûlerai meslivres.

– Je ne veux pas, dit la reine, qu’elle épousele fils du méchant roi ; allons dès demain la quérir, etl’amenons ici. »

Or, il arriva que le fils du méchant roi étanttout à fait fâché contre Joliette, fut s’asseoir sous un arbre, oùil pleurait si fort, si fort, qu’il hurlait. Son pèrel’entendit ; il se mit à la fenêtre, et lui cria :

« Qu’est-ce que tu as à pleurer ?Comme tu fais la bête ! »

Il répondit :

« C’est que notre dindonnière ne veut pasm’aimer.

– Comment ! elle ne veut pas t’aimer, ditle méchant roi. Je veux qu’elle t’aime ou qu’elle meure. »

Il appela ses gens d’armes, et leurdit :

« Allez la quérir ; car je lui feraitant de mal, qu’elle se repentira d’être opiniâtre. »

Ils furent au poulailler, et trouvèrentJoliette qui avait une belle robe de satin blanc, toute en broderied’or, avec des diamants rouges, et plus de mille aunes de rubanspartout. Jamais, au grand jamais, il ne s’est vu une si bellefille ; ils n’osaient lui parler, la prenant pour uneprincesse.

Elle leur dit fort civilement :

« Je vous prie, dites-moi qui vouscherchez ici ?

– Madame, dirent-ils, nous cherchons unepetite malheureuse, qu’on appelle Joliette.

– Hélas ! c’est moi, dit-elle ;qu’est-ce que vous me voulez ? »

Ils la prirent vitement, et lièrent ses piedset ses mains avec de grosses cordes, de peur qu’elle ne s’enfuît.Ils la menèrent de cette manière au méchant roi, qui était avec sonfils. Quand il la vit si belle, il ne laissa pas d’être un peuému ; sans doute qu’elle lui aurait fait pitié, s’il n’avaitpas été le plus méchant et le plus cruel du monde. Il luidit :

« Ha, ha petite friponne, petitecrapaude, vous ne voulez donc pas aimer mon fils ? Il est centfois plus beau que vous ; un seul de ses regards vaut mieuxque toute votre personne. Allons, aimez-le tout à l’heure, ou jevais vous écorcher. »

La princesse, tremblante comme un petitpigeon, se mit à genoux devant lui, et lui dit :

« Sire, je vous prie de ne me pointécorcher, cela fait trop de mal ; laissez-moi un ou deux jourspour songer à ce que je dois faire, et puis vous serez lemaître. »

Son fils, désespéré, voulait qu’elle fûtécorchée. Ils conclurent ensemble de l’enfermer dans une tour oùelle ne verrait pas seulement le soleil. Là-dessus, la bonne féearriva dans le char volant, avec la reine ; elles apprirenttoutes ces nouvelles ; aussitôt la reine se mit à pleureramèrement disant qu’elle était toujours malheureuse, et qu’elleaimerait mieux que sa fille fût morte, que d’épouser le fils duméchant roi. La fée lui dit :

« Prenez courage ; je vais tant lesfatiguer, que vous serez contente et vengée. »

Comme le méchant roi allait se coucher, la féese met en petite souris, et se fourre sous le chevet du lit :dès qu’il voulut dormir, elle lui mordit l’oreille ; le voilàbien fâché ; il se tourna de l’autre côté, elle lui mordl’autre oreille ; il crie au meurtre, il appelle pour qu’onvienne ; on vient, on lui trouve les deux oreilles mordues,qui saignaient si fort qu’on ne pouvait arrêter le sang. Pendantqu’on cherchait partout la souris, elle en fut faire autant au filsdu méchant roi : il fait venir ses gens, et leur montre sesoreilles qui étaient toutes écorchées ; on lui met desemplâtres dessus. La petite souris retourna dans la chambre duméchant roi, qui était un peu assoupi ; elle mord son nez ets’attache à le ronger ; il y porte les mains, et elle le mordet l’égratigne. Il crie :

« Miséricorde, je suisperdu ! »

Elle entre dans sa bouche et lui grignote lalangue, les lèvres, les joues. L’on entre, on le voit épouvantable,qui ne pouvait presque plus parler, tant il avait mal à lalangue ; il fit signe que c’était une souris ; on cherchedans la paillasse, dans le chevet, dans les petits coins, elle n’yétait déjà plus ; elle courut faire pis au fils, et lui mangeason bon œil (car il était déjà borgne). Il se leva comme unfurieux, l’épée à la main ; il était aveugle, il courut dansla chambre de son père, qui de son côté avait pris son épée,tempêtant et jurant qu’il allait tout tuer, si l’on n’attrapait lasouris.

Quand il vit son fils si désespéré, il legronda, et celui-ci qui avait les oreilles échauffées, ne reconnutpas la voix de son père, il se jeta sur lui. Le méchant roi, encolère, lui donna un grand coup d’épée, il en reçut un autre ;ils tombèrent tous deux par terre, saignant comme des bœufs. Tousleurs sujets qui les haïssaient mortellement, et qui ne lesservaient que par crainte, ne les craignant plus, leur attachèrentdes cordes aux pieds, et les traînèrent dans la rivière, disantqu’ils étaient bienheureux d’en être quittes. Voilà le méchant roitout mort et son fils aussi. La bonne fée qui savait cela, futquérir la reine, elles allèrent à la tour noire, où Joliette étaitenfermée sous plus de quarante clés.

La fée frappa trois fois avec une petitebaguette de coudre à la grosse porte qui s’ouvrit, et les autres demême ; elles trouvèrent la pauvre princesse bien triste, quine disait pas un petit mot. La reine se jeta à son cou :

« Ma chère mignonne, lui dit-elle, jesuis ta maman la reine Joyeuse. »

Elle lui conta le conte de sa vie. Ô bonDieu ! quand Joliette entendit de si belles nouvelles, à peutint qu’elle ne mourût de plaisir ; elle se jeta aux pieds dela reine, elle lui embrassait les genoux, elle mouillait ses mainsde ses larmes, et les baisait mille fois ; elle caressaittendrement la fée qui lui avait porté des corbeilles pleines debijoux sans prix, d’or et de diamants ; des bracelets, desperles, et le portrait du roi Joyeux entouré de pierreries, qu’ellemit devant elle.

La fée dit :

« Ne nous amusons point, il faut faire uncoup d’état : allons dans la grande salle du château,haranguer le peuple. »

Elle marcha la première, avec un visage graveet sérieux, ayant une robe qui traînait de plus de dix aunes ;et la reine une autre de velours bleu, toute brodée d’or, quitraînait bien davantage. Elles avaient apporté leurs beaux habitsavec elles ; puis elles avaient des couronnes sur la tête, quibrillaient comme des soleils ; la princesse Joliette lessuivait avec sa beauté et sa modestie, qui n’avaient rien que demerveilleux. Elles faisaient la révérence à tous ceux qu’ellesrencontraient par le chemin, aux petits comme aux grands.

On les suivait, fort empressés de savoir quiétaient ces belles dames. Lorsque la salle fut toute pleine, labonne fée dit aux sujets du méchant roi, qu’elle voulait leurdonner pour reine, la fille du roi Joyeux qu’ils voyaient, qu’ilsvivraient contents sous son empire ; qu’ils l’acceptassent,qu’elle lui chercherait un époux aussi parfait qu’elle, qui riraittoujours, et qui chasserait la mélancolie de tous les cœurs. À cesmots chacun cria :

« Oui, oui, nous le voulons bien ;il y a trop longtemps que nous sommes tristes etmisérables. »

En même temps cent sortes d’instrumentsjouèrent de tous côtés ; chacun se donna la main et dansa endanse ronde, chantant autour de la reine, de sa fille et de labonne fée :

« Oui, oui, nous le voulonsbien. »

Voilà comme elles furent reçues. Jamais joien’a été égale. On mit les tables, l’on mangea, l’on but, et puis onse coucha pour bien dormir. Au réveil de la jeune princesse, la féelui présenta le plus beau prince qui eût encore vu le jour. Ellel’était allé quérir dans le char volant jusqu’au bout dumonde ; il était tout aussi aimable que Joliette. Dès qu’ellele vit, elle l’aima. De son côté, il en fut charmé, et pour lareine, elle était transportée de joie. On prépara un repasadmirable et des habits merveilleux. Les noces se firent avec desréjouissances infinies.

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