La Henriade

Chant V

ARGUMENT

Les assiégés sont vivement pressés. La Discorde exciteJacques Clément à sortir de Paris pour assassiner le roi. Elleappelle du fond des enfers le démon du Fanatisme, qui conduit ceparricide. Sacrifice des ligueurs aux esprits infernaux. Henri IIIest assassiné. Sentiments de Henri IV. Il est reconnu roi parl’armée.

 

Cependant s’avançaient ces machines mortelles
Qui portaient dans leur sein la perte des rebelles ;
Et le fer et le feu, volant de toutes parts,
De cent bouches d’airain foudroyaient leurs remparts.
Les Seize et leur courroux, Mayenne et sa prudence,
D’un peuple mutiné la farouche insolence,
Des docteurs de la loi les scandaleux discours,
Contre le grand Henri n’étaient qu’un vain secours :
La victoire à grands pas s’approchait sur ses traces.
Sixte, Philippe, Rome, éclataient en menaces :
Mais Rome n’était plus terrible à l’univers ;
Ses foudres impuissants se perdaient dans les airs,
Et du vieux Castillan la lenteur ordinaire
Privait les assiégés d’un secours nécessaire.
Ses soldats, dans la France errant de tous côtés,
Sans secourir Paris, désolaient nos cités.
Le perfide attendait que la Ligue épuisée
Pût offrir à son bras une conquête aisée,
Et l’appui dangereux de sa fausse amitié
Leur préparait un maître, au lieu d’un allié ;
Lorsque d’un furieux la main déterminée
Sembla pour quelque temps changer la destinée.
Vous, des murs de Paris tranquilles habitants,
Que le ciel a fait naître en de plus heureux temps,
Pardonnez si ma main retrace à la mémoire
De vos aïeux séduits la criminelle histoire.
L’horreur de leurs forfaits ne s’étend point sur vous
Votre amour pour vos rois les a réparés tous.
L’Église a de tout temps produit des solitaires,
Qui, rassemblés entre eux sous des règles sévères,
Et distingués en tout du reste des mortels,
Se consacraient à Dieu par des vœux solennels.
Les uns sont demeurés dans une paix profonde,
Toujours inaccessible aux vains attraits du monde ;
Jaloux de ce repos qu’on ne peut leur ravir,
Ils ont fui les humains, qu’ils auraient pu servir :
Les autres, à l’État rendus plus nécessaires,
Ont éclairé l’Église, ont monté dans les chaires ;
Mais, souvent enivrés de ces talents flatteurs,
Répandus dans le siècle, ils en ont pris les mœurs :
Leur sourde ambition n’ignore point les brigues ;
Souvent plus d’un pays s’est plaint de leurs intrigues.
Ainsi chez les humains, par un abus fatal,
Le bien le plus parfait est la source du mal.
Ceux qui de Dominique ont embrassé la vie
Ont vu longtemps leur secte en Espagne établie,
Et de l’obscurité des plus humbles emplois
Ont passé tout à coup dans les palais des rois.
Avec non moins de zèle, et bien moins de puissance,
Cet ordre respecté fleurissait dans la France,
Protégé par les rois, paisible, heureux enfin,
Si le traître Clément n’eût été dans son sein.
Clément dans la retraite avait, dès son jeune âge,
Porté les noirs accès d’une vertu sauvage.
Esprit faible, et crédule en sa dévotion,
Il suivait le torrent de la rébellion.
Sur ce jeune insensé la Discorde fatale
Répandit le venin de sa bouche infernale.
Prosterné chaque jour au pied des saints autels,
Il fatiguait les cieux de ses vœux criminels.
On dit que, tout souillé de cendre et de poussière,
Un jour il prononça cette horrible prière :
« Dieu qui venges l’Église et punis les tyrans,
Te verra-t-on sans cesse accabler tes enfants,
Et, d’un roi qui te brave armant les mains impures,
Favoriser le meurtre et bénir les parjures ?
Grand Dieu ! par tes fléaux c’est trop nouséprouver ;
Contre tes ennemis daigne enfin t’élever ;
Détourne loin de nous la mort et la misère ;
Délivre-nous d’un roi donné dans ta colère :
Viens, des cieux outragés abaisse la hauteur ;
Fais marcher devant toi l’ange exterminateur ;
Viens, descends, arme-toi que ta foudre enflammée
Frappe, écrase à nos yeux leur sacrilège armée ;
Que les chefs, les soldats, les deux rois expirants,
Tombent comme la feuille éparse au gré des vents,
Et que, sauvés par toi, nos ligueurs catholiques
Sur leurs corps tout sanglants t’adressent leurscantiques. »
La Discorde attentive, en traversant les airs,
Entend ces cris affreux, et les porte aux enfers.
Elle amène à l’instant, de ces royaumes sombres,
Le plus cruel tyran de l’empire des ombres.
Il vient, le Fanatisme est son horrible nom :
Enfant dénaturé de la Religion,
Armé pour la défendre, il cherche à la détruire,
Et, reçu dans son sein, l’embrasse, et le déchire.
C’est lui qui, dans Raba, sur les bords de l’Arnon,
Guidait les descendants du malheureux Ammon,
Quand à Moloch, leur dieu, des mères gémissantes
Offraient de leurs enfants les entrailles fumantes.
Il dicta de Jephté le serment inhumain ;
Dans le cœur de sa fille il conduisit sa main.
C’est lui qui, de Calchas ouvrant la bouche impie,
Demanda par sa voix la mort d’Iphigénie.
France, dans tes forêts il habita longtemps :
À l’affreux Teutatès il offrit ton encens.
Tu n’as point oublié ces sacrés homicides
Qu’à tes indignes dieux présentaient tes druides.
Du haut du Capitole il criait aux païens :
« Frappez, exterminez, déchirez les chrétiens.
Mais lorsqu’au Fils de Dieu Rome enfin fut soumise,
Du Capitole en cendre il passa dans l’Église ;
Et, dans les cœurs chrétiens inspirant ses fureurs,
De martyrs qu’ils étaient, les fit persécuteurs.
Dans Londres il a formé la secte turbulente
Qui sur un roi trop faible a mis sa main sanglante.
Dans Madrid, dans Lisbonne, il allume ces feux,
Ces bûchers solennels, où des juifs malheureux
Sont tous les ans en pompe envoyés par des prêtres
Pour n’avoir point quitté la foi de leurs ancêtres.
Toujours il revêtait, dans ses déguisements,
Des ministres des cieux les sacrés ornements :
Mais il prit cette fois dans la nuit éternelle,
Pour des crimes nouveaux, une forme nouvelle :
L’audace et l’artifice en firent les apprêts.
Il emprunte de Guise et la taille et les traits,
De ce superbe Guise, en qui l’on vit paraître
Le tyran de l’État et le roi de son maître,
Et qui, toujours puissant, même après son trépas,
Traînait encor la France à l’horreur des combats.
D’un casque redoutable il a chargé sa tête ;
Un glaive est dans sa main, au meurtre toujours prête ;
Son flanc même est percé des coups dont autrefois
Ce héros factieux fut massacré dans Blois.
Et la voix de son sang, qui coule en abondance,
Semble accuser Valois et demander vengeance.
Ce fut dans ce terrible et lugubre appareil,
Qu’au milieu des pavots que verse le sommeil,
Il vint trouver Clément au fond de sa retraite.
La Superstition, la Cabale inquiète,
Le faux Zèle enflammé d’un courroux éclatant,
Veillaient tous à sa porte, et l’ouvrent à l’instant.
Il entre, et d’une voix majestueuse et fière :
« Dieu reçoit, lui dit-il, tes vœux et ta prière ;
Mais n’aura-t-il de toi, pour culte et pour encens,
Qu’une plainte éternelle, et des vœux impuissants ?
Au Dieu que sert la Ligue il faut d’autres offrandes ;
Il exige de toi les dons que tu demandes.
Si Judith autrefois, pour sauver son pays,
N’eût offert à son Dieu que des pleurs et des cris ;
Si, craignant pour les siens, elle eût craint pour sa vie,
Judith eût vu tomber les murs de Béthulie :
Voilà les saints exploits que tu dois imiter,
Voilà l’offrande enfin que tu dois présenter.
Mais tu rougis déjà de l’avoir différée…
Cours, vole, et que ta main, dans le sang consacrée,
Délivrant les Français de leur indigne roi,
Venge Paris, et Rome, et l’univers, et moi.
Par un assassinat Valois trancha ma vie ;
Il faut d’un même coup punir sa perfidie.
Mais du nom d’assassin ne prends aucun effroi ;
Ce qui fut crime en lui sera vertu dans toi.
Tout devient légitime à qui venge l’Église :
Le meurtre est juste alors, et le ciel l’autorise…
Que dis-je ? il le commande ; il t’instruit par mavoix
Qu’il a choisi ton bras pour la mort de Valois :
Heureux si tu pouvais, consommant sa vengeance,
Joindre le Navarrois au tyran de la France ;
Et si de ces deux rois tes citoyens sauvés
Te pouvaient… ! Mais les temps ne sont pas arrivés.
Bourbon doit vivre encor ; le Dieu qu’il persécute
Réserve à d’autres mains la gloire de sa chute.
Toi, de ce Dieu jaloux remplis les grands desseins,
Et reçois ce présent qu’il te fait par mes mains. »
Le fantôme, à ces mots, fait briller une épée
Qu’aux infernales eaux la haine avait trempée ;
Dans la main de Clément il met ce don fatal ;
Il fuit, et se replonge au séjour infernal.
Trop aisément trompé, le jeune solitaire
Des intérêts des cieux se crut dépositaire.
Il baise avec respect ce funeste présent ;
Il implore à genoux le bras du Tout-Puissant ;
Et, plein du monstre affreux dont la fureur le guide,
D’un air sanctifié s’apprête au parricide.
Combien le cœur de l’homme est soumis à l’erreur !
Clément goûtait alors un paisible bonheur :
Il était animé de cette confiance
Qui dans le cœur des saints affermit l’innocence :
Sa tranquille fureur marche les yeux baissés ;
Ses sacrilèges vœux au ciel sont adressés ;
Son front de la vertu porte l’empreinte austère ;
Et son fer parricide est caché sous sa haire.
Il marche : ses amis, instruits de son dessein,
Et de fleurs sous ses pas parfumant son chemin,
Remplis d’un saint respect, aux portes le conduisent,
Bénissent son destin, l’encouragent, l’instruisent,
Placent déjà son nom parmi les noms sacrés
Dans les fastes de Rome à jamais révérés,
Le nomment à grands cris le vengeur de la France,
Et, l’encens à la main, l’invoquent par avance.
C’est avec moins d’ardeur, avec moins de transport,
Que les premiers chrétiens, avides de la mort,
Intrépides soutiens de la foi de leurs pères,
Au martyre autrefois accompagnaient leurs frères,
Enviaient les douceurs de leur heureux trépas,
Et baisaient, en pleurant, les traces de leurs pas.
Le fanatique aveugle et le chrétien sincère
Ont porté trop souvent le même caractère :
Ils ont même courage, ils ont mêmes désirs.
Le crime a ses héros ; l’erreur a ses martyrs :
Du vrai zèle et du faux vains juges que nous sommes !
Souvent des scélérats ressemblent aux grands hommes.
Mayenne, dont les yeux savent tout éclairer,
Voit le coup qu’on prépare, et feint de l’ignorer.
De ce crime odieux son prudent artifice
Songe à cueillir le fruit sans en être complice :
Il laisse avec adresse aux plus séditieux
Le soin d’encourager ce jeune furieux.
Tandis que des ligueurs une troupe homicide
Aux portes de Paris conduisait le perfide,
Des Seize en même temps le sacrilège effort
Sur cet événement interrogeait le sort.
Jadis de Médicis l’audace curieuse
Chercha de ces secrets la science odieuse,
Approfondit longtemps cet art surnaturel,
Si souvent chimérique, et toujours criminel.
Tout suivit son exemple ; et le peuple imbécile,
Des vices de la cour imitateur servile,
Épris du merveilleux, amant des nouveautés,
S’abandonnait en foule à ces impiétés.
Dans l’ombre de la nuit, sous une voûte obscure,
Le silence a conduit leur assemblée impure.
À la pâle lueur d’un magique flambeau,
S’élève un vil autel dressé sur un tombeau :
C’est là que des deux rois on plaça les images,
Objets de leur terreur, objets de leurs outrages.
Leurs sacrilèges mains ont mêlé, sur l’autel,
À des noms infernaux le nom de l’Éternel.
Sur ces murs ténébreux des lances sont rangées,
Dans des vases de sang leurs pointes sont plongées,
Appareil menaçant de leur mystère affreux.
Le prêtre de ce temple est un de ces Hébreux
Qui, proscrits sur la terre, et citoyens du monde,
Portent de mers en mers leur misère profonde,
Et d’un antique amas de superstitions
Ont rempli dès longtemps toutes les nations.
D’abord, autour de lui, les ligueurs en furie
Commencent à grands cris ce sacrifice impie.
Leurs parricides bras se lavent dans le sang ;
De Valois sur l’autel ils vont percer le flanc ;
Avec plus de terreur, et plus encor de rage,
De Henri sous leurs pieds ils renversent l’image,
Et pensent que la mort, fidèle à leur courroux,
Va transmettre à ces rois l’atteinte de leurs coups.
L’Hébreu a joint cependant la prière au blasphème :
Il invoque l’abîme, et les cieux, et Dieu même,
Tous ces impurs esprits qui troublent l’univers,
Et le feu de la foudre, et celui des enfers.
Tel fut dans Gelboa le secret sacrifice
Qu’à ses dieux infernaux offrit la pythonisse,
Alors qu’elle évoqua devant un roi cruel
Le simulacre affreux du prêtre Samuel ;
Ainsi contre Juda, du haut de Samarie,
Des prophètes menteurs tonnait la bouche impie ;
Ou tel, chez les Romains, l’inflexible Aetius
Maudit, au nom des dieux, les armes de Crassus.
Aux magiques accents que sa bouche prononce,
Les Seize osent du ciel attendre la réponse ;
À dévoiler leur sort ils pensent le forcer.
Le ciel, pour les punir, voulut les exaucer :
Il interrompt pour eux les lois de la nature :
De ces antres muets sort un triste murmure ;
Les éclairs, redoublés dans la profonde nuit,
Poussent un jour affreux qui renaît et qui fuit.
Au milieu de ces feux, Henri, brillant de gloire,
Apparaît à leurs yeux sur un char de victoire :
Des lauriers couronnaient son front noble et serein,
Et le sceptre des rois éclatait dans sa main.
L’air s’embrase a l’instant par les traits du tonnerre ;
L’autel, couvert de feux, tombe, et fuit sous la terre,
Et les Seize éperdus, l’Hébreu saisi d’horreur,
Vont cacher dans la nuit leur crime et leur terreur.
Ces tonnerres, ces feux, ce bruit épouvantable,
Annonçaient à Valois sa perte inévitable :
Dieu, du haut de son trône, avait compté ses jours ;
Il avait loin de lui retiré son secours :
La Mort impatiente attendait sa victime ;
Et, pour perdre Valois, Dieu permettait un crime.
Clément au camp royal a marché sans effroi.
Il arrive, il demande a parler à son roi ;
Il dit que, dans ces lieux amené par Dieu même,
Il y vient rétablir les droits du diadème,
Et révéler au roi des secrets importants.
On l’interroge, on doute, on l’observe longtemps ;
On craint sous cet habit un funeste mystère :
Il subit sans alarme un examen sévère ;
Il satisfait à tout avec simplicité ;
Chacun, dans ses discours, croit voir la vérité.
La garde aux yeux du roi le fait enfin paraître.
L’aspect du souverain n’étonna point ce traître.
D’un air humble et tranquille il fléchit les genoux :
Il observe à loisir la place de ses coups ;
Et le mensonge adroit, qui conduisait sa langue,
Lui dicta cependant sa perfide harangue.
« Souffrez, dit-il, grand roi, que ma timide voix
S’adresse au Dieu puissant qui fait régner les rois ;
Permettez, avant tout, que mon cœur le bénisse
Des biens que va sur vous répandre sa justice.
Le vertueux Potier, le prudent Villeroi,
Parmi vos ennemis vous ont gardé leur foi ;
Harlay, le grand Harlay, dont l’intrépide zèle
Fut toujours formidable à ce peuple infidèle,
Du fond de sa prison réunit tous les cœurs,
Rassemble vos sujets, et confond les ligueurs.
Dieu, qui, bravant toujours les puissants et les sages,
Par la main la plus faible accomplit ses ouvrages,
Devant le grand Harlay lui-même m’a conduit.
Rempli de sa lumière, et par sa bouche instruit,
J’ai volé vers mon prince, et vous rends cette lettre
Qu’à mes fidèles mains Harlay vient de remettre.
Valois reçoit la lettre avec empressement.
Il bénissait les cieux d’un si prompt changement :
« Quand pourrai-je, dit-il, au gré de ma justice,
Récompenser ton zèle, et payer ton service ? »
En lui disant ces mots, il lui tendait les bras :
Le monstre au même instant tire son coutelas,
L’en frappe, et dans le flanc l’enfonce avec furie.
Le sang coule : on s’étonne, on s’avance, ons’écrie ;
Mille bras sont levés pour punir l’assassin :
Lui, sans baisser les yeux, les voit avec dédain ;
Fier de son parricide, et quitte envers la France,
Il attend à genoux la mort pour récompense :
De la France et de Rome il croit être l’appui ;
Il pense voir les cieux qui s’entr’ouvrent pour lui,
Et, demandant à Dieu la palme du martyre,
Il bénit, en tombant, les coups dont il expire.
Aveuglement terrible, affreuse illusion !
Digne à la fois d’horreur et de compassion,
Et de la mort du roi moins coupable peut-être
Que ces lâches docteurs, ennemis de leur maître,
Dont la voix, répandant un funeste poison,
D’un faible solitaire égara la raison !
Déjà Valois touchait à son heure dernière ;
Ses yeux ne voyaient plus qu’un reste de lumière :
Ses courtisans en pleurs, autour de lui rangés,
Par leurs desseins divers en secret partagés,
D’une commune voix formant les mêmes plaintes,
Exprimaient des douleurs ou sincères ou feintes.
Quelques-uns, que flattait l’espoir du changement,
Du danger de leur roi s’affligeaient faiblement ;
Les autres, qu’occupait leur crainte intéressée,
Pleuraient, au lieu du roi, leur fortune passée.
Parmi ce bruit confus de plaintes, de clameurs,
Henri, vous répandiez de véritables pleurs.
Il fut votre ennemi ; mais les cœurs nés sensibles
Sont aisément émus dans ces moments horribles.
Henri ne se souvint que de son amitié :
En vain son intérêt combattait sa pitié ;
Ce héros vertueux se cachait à lui-même
Que la mort de son roi lui donne un diadème.
Valois tourna sur lui, par un dernier effort,
Ses yeux appesantis qu’allait fermer la mort ;
Et, touchant de sa main ses mains victorieuses,
« Retenez, lui dit-il, vos larmes généreuses ;
L’univers indigné doit plaindre votre roi :
Vous, Bourbon, combattez, régnez, et vengez-moi.
Je meurs, et je vous laisse, au milieu des orages,
Assis sur un écueil couvert de mes naufrages.
Mon trône vous attend, mon trône vous est dû :
Jouissez de ce bien par vos mains défendu :
Mais songez que la foudre en tout temps l’environne ;
Craignez, en y montant, ce Dieu qui vous le donne.
Puissiez-vous, détrompé d’un dogme criminel,
Rétablir de vos mains son culte et son autel !
Adieu, régnez heureux ; qu’un plus puissant génie
Du fer des assassins défende votre vie !
Vous connaissez la Ligue, et vous voyez ses coups :
Ils ont passé par moi pour aller jusqu’à vous ;
Peut-être un jour viendra qu’une main plus barbare…
Juste ciel, épargnez une vertu si rare !
Permettez… ! » À ces mots l’impitoyable Mort
Vient fondre sur sa tête, et termine son sort.
Au bruit de son trépas, Paris se livre en proie
Aux transports odieux de sa coupable joie :
De cent cris de victoire ils remplissent les airs ;
Les travaux sont cessés, les temples sont ouverts ;
De couronnes de fleurs ils ont paré leurs têtes ;
Ils consacrent ce jour à d’éternelles fêtes ;
Bourbon n’est à leurs yeux qu’un héros sans appui,
Qui n’a plus que sa gloire et sa valeur pour lui.
Pourra-t-il résister à la Ligue affermie,
À l’Église en courroux, à l’Espagne ennemie,
Aux traits du Vatican, si craints, si dangereux,
À l’or du nouveau monde, encor plus puissant qu’eux ?
Déjà quelques guerriers, funestes politiques,
Plus mauvais citoyens que zélés catholiques,
D’un scrupule affecté colorant leur dessein,
Séparent leurs drapeaux des drapeaux de Calvin ;
Mais le reste, enflammé d’une ardeur plus fidèle,
Pour la cause des rois redouble encor son zèle.
Ces amis éprouvés, ces généreux soldats,
Que longtemps la victoire a conduits sur ses pas,
De la France incertaine ont reconnu le maître ;
Tout leur camp réuni le croit digne de l’être.
Ces braves chevaliers, les Givrys, les d’Aumonts,
Les grands Montmorencys, les Sancys, les Crillons,
Lui jurent de le suivre aux deux bouts de la terre :
Moins faits pour disputer que formés pour la guerre,
Fidèles à leur Dieu, fidèles à leurs lois,
C’est l’honneur qui leur parle ; ils marchent à sa voix.
« Mes amis, dit Bourbon, c’est vous dont le courage
Des héros de mon sang me rendra l’héritage :
Les pairs, et l’huile sainte, et le sacre des rois,
Font les pompes du trône, et ne font pas mes droits.
C’est sur un bouclier qu’on vit nos premiers maîtres
Recevoir les serments de vos braves ancêtres.
Le champ de la victoire est le temple où vos mains
Doivent aux nations donner leurs souverains. »
C’est ainsi qu’il s’explique ; et bientôt il s’apprête
À mériter son trône en marchant à leur tête.

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