La Henriade

Chant IV

ARGUMENT

D’Aumale était près de se rendre maître du camp de HenriIII lorsque le héros, revenant d’Angleterre, combat les ligueurs,et fait changer la fortune.
La Discorde console Mayenne et vole à Rome pour y chercherdu secours. Description de Rome, où régnait alors Sixte-Quint. LaDiscorde y trouve la Politique ; elle revient avec elle àParis, soulève la Sorbonne, anime les Seize contre le Parlement, etarme les moines. On livre à la main du bourreau des magistrats quitenaient pour le parti des rois. Troubles et confusion horribledans Paris.

 

Tandis que, poursuivant leurs entretiens secrets,
Et pesant à loisir de si grands intérêts,
Ils épuisaient tous deux la science profonde
De combattre, de vaincre, et de régir le monde,
La Seine, avec effroi, voit sur ses bords sanglants
Les drapeaux de la Ligue abandonnés aux vents.
Valois, loin de Henri, rempli d’inquiétude,
Du destin des combats craignait l’incertitude.
À ses desseins flottants il fallait un appui ;
Il attendait Bourbon, sûr de vaincre avec lui.
Par ces retardements les ligueurs s’enhardirent ;
Des portes de Paris leurs légions sortirent :
Le superbe d’Aumale, et Nemours, et Brissac,
Le farouche Saint-Paul, La Châtre, Canillac,
D’un coupable parti défenseurs intrépides,
Épouvantaient Valois de leurs succès rapides ;
Et ce roi, trop souvent sujet au repentir,
Regrettait le héros qu’il avait fait partir.
Parmi ces combattants, ennemis de leur maître,
Un frère de Joyeuse osa longtemps paraître.
Ce fut lui que Paris vit passer tour à tour
Du siècle au fond d’un cloître, et du cloître à lacour :
Vicieux, pénitent, courtisan, solitaire,
Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.
Du pied des saints autels arrosés de ses pleurs,
Il courut de la Ligue animer les fureurs,
Et plongea dans le sang de la France éplorée
La main qu’à l’Éternel il avait consacrée.
Mais de tant de guerriers, celui dont la valeur
Inspira plus d’effroi, répandit plus d’horreur,
Dont le cœur fut plus fier et la main plus fatale,
Ce fut vous, jeune prince, impétueux d’Aumale,
Vous, né du sang lorrain, si fécond en héros,
Vous, ennemi des rois, des lois, et du repos.
La fleur de la jeunesse en tout temps l’accompagne :
Avec eux sans relâche il fond dans la campagne ;
Tantôt dans le silence, et tantôt à grand bruit,
À la clarté des cieux, dans l’ombre de la nuit,
Chez l’ennemi surpris portant partout la guerre,
Du sang des assiégeants son bras couvrait la terre.
Tels du front du Caucase, ou du sommet d’Athos,
D’où l’œil découvre au loin l’air, la terre, et les flots,
Les aigles, les vautours, aux ailes étendues,
D’un vol précipité fendant les vastes nues,
Vont dans les champs de l’air enlever les oiseaux,
Dans les bois, sur les près, déchirent les troupeaux,
Et dans les flancs affreux de leurs roches sanglantes
Remportent à grands cris ces dépouilles vivantes.
Déjà plein d’espérance, et de gloire enivré,
Aux tentes de Valois il avait pénétré.
La nuit et la surprise augmentaient les alarmes :
Tout pliait, tout tremblait, tout cédait à ses armes.
Cet orageux torrent, prompt à se déborder,
Dans son choc ténébreux allait tout inonder.
L’étoile du matin commençait à paraître :
Mornay, qui précédait le retour de son maître,
Voyait déjà les tours du superbe Paris.
D’un bruit mêlé d’horreur il est soudain surpris ;
Il court, il aperçoit dans un désordre extrême
Les soldats de Valois, et ceux de Bourbon même :
« Juste ciel ! est-ce ainsi que vous nousattendiez ?
Henri va vous défendre ; il vient, et vous fuyez !
Vous fuyez, compagnons ! » Au son de sa parole,
Comme on vit autrefois au pied du Capitole
Le fondateur de Rome, opprimé des Sabins,
Au nom de Jupiter arrêter ses Romains,
Au seul nom de Henri les Français se rallient ;
La honte les enflamme, ils marchent, ils s’écrient :
« Qu’il vienne, ce héros, nous vaincrons sous sesyeux. »
Henri dans le moment paraît au milieu d’eux,
Brillant comme l’éclair au fort de la tempête :
Il vole aux premiers rangs, il s’avance à leur tête ;
Il combat, on le suit il change les destins :
La foudre est dans ses yeux, la mort est dans ses mains.
Tous les chefs ranimés autour de lui s’empressent ;
La victoire revient, les ligueurs disparaissent,
Comme aux rayons du jour qui s’avance et qui luit,
S’est dissipé l’éclat des astres de la nuit.
C’est en vain que d’Aumale arrête sur ces rives
Des siens épouvantés les troupes fugitives ;
Sa voix pour un moment les rappelle aux combats :
La voix du grand Henri précipite leurs pas ;
De son front menaçant la terreur les renverse ;
Leur chef les réunit, la crainte les disperse.
D’Aumale est avec eux dans leur fuite entraîné ;
Tel que du haut d’un mont de frimas couronné,
Au milieu des glaçons et des neiges fondues,
Tombe et roule un rocher qui menaçait les nues.
Mais que dis-je ! Il s’arrête, il montre auxassiégeants,
Il montre encor ce front redouté si longtemps.
Des siens qui l’entraînaient, fougueux, il se dégage :
Honteux de vivre encore, il revole au carnage,
Il arrête un moment son vainqueur étonné ;
Mais d’ennemis bientôt il est environné.
La mort allait punir son audace fatale.
La Discorde le vit, et trembla pour d’Aumale.
La barbare qu’elle est a besoin de ses jours :
Elle s’élève en l’air, et vole à son secours.
Elle approche ; elle oppose au nombre qui l’accable
Son bouclier de fer, immense, impénétrable,
Qui commande au trépas, qu’accompagne l’horreur,
Et dont la vite inspire ou la rage ou la peur.
Ô fille de l’enfer ! Discorde inexorable,
Pour la première fois tu parus secourable !
Tu sauvas un héros, tu prolongeas son sort,
De cette même main, ministre de la mort,
De cette main barbare, accoutumée aux crimes,
Qui jamais jusque-là n’épargna ses victimes.
Elle entraîne d’Aumale aux portes de Paris,
Sanglant, couvert de coups qu’il n’avait point sentis.
Elle applique à ses maux une main salutaire ;
Elle étanche ce sang répandu pour lui plaire :
Mais tandis qu’à son corps elle rend la vigueur,
De ses mortels poisons elle infecte son cœur.
Tel souvent un tyran, dans sa pitié cruelle,
Suspend d’un malheureux la sentence cruelle ;
À ses crimes secrets il fait servir son bras,
Et, quand ils sont commis, il le rend au trépas.
Henri sait profiter de ce grand avantage,
Dont le sort des combats honora son courage.
Des moments dans la guerre il connaît tout le prix :
Il presse au même instant ses ennemis surpris ;
Il veut que les assauts succèdent aux batailles ;
Il fait tracer leur perte autour de leurs murailles.
Valois, plein d’espérance, et fort d’un tel appui,
Donne aux soldats l’exemple, et le reçoit de lui ;
Il soutient les travaux, il brave les alarmes.
La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes.
Tous les chefs sont unis, tout succède à leurs vœux ;
Et bientôt la Terreur, qui marche devant eux,
Des assiégés tremblants dissipant les cohortes,
À leurs yeux éperdus allait briser leurs portes.
Que peut faire Mayenne en ce péril pressant ?
Mayenne a pour soldats un peuple gémissant.
Ici, la fille en pleurs lui redemande un père ;
Là, le frère effrayé pleure au tombeau d’un frère.
Chacun plaint le présent, et craint pour l’avenir ;
Ce grand corps alarmé ne peut se réunir.
On s’assemble, on consulte, on veut fuir ou se rendre,
Tous sont irrésolus, nul ne veut se défendre :
Tant le faible vulgaire, avec légèreté,
Fait succéder la peur à la témérité !
Mayenne, en frémissant, voit leur troupe éperdue :
Cent desseins partageaient son âme irrésolue,
Quand soudain la Discorde aborde ce héros,
Fait siffler ses serpents, et lui parle en ces mots :
« Digne héritier d’un nom redoutable à la France,
Toi qu’unit avec moi le soin de ta vengeance,
Toi, nourri sous mes yeux et formé sous mes lois,
Entends ta protectrice, et reconnais ma voix.
Ne crains rien de ce peuple imbécile et volage,
Dont un faible malheur a glacé le courage ;
Leurs esprits sont à moi, leurs cœurs sont dans mes mains.
Tu les verras bientôt, secondant nos desseins,
De mon fiel abreuvés, à mes fureurs en proie,
Combattre avec audace, et mourir avec joie.
La Discorde aussitôt, plus prompte qu’un éclair,
Fend d’un vol assuré les campagnes de l’air.
Partout chez les Français le trouble et les alarmes
Présentent à ses yeux des objets pleins de charmes :
Son haleine en cent lieux répand l’aridité ;
Le fruit meurt en naissant, dans son germe infecté
Les épis renversés sur la terre languissent ;
Le ciel s’en obscurcit, les astres en pâlissent ;
Et la foudre en éclats, qui gronde sous ses pieds,
Semble annoncer la mort aux peuples effrayés.
Un tourbillon la porte à ces rives fécondes
Que l’Éridan rapide arrose de ses ondes.
Rome enfin se découvre à ses regards cruels ;
Rome, jadis son temple, et l’effroi des mortels ;
Rome, dont le destin dans la paix, dans la guerre,
Est d’être en tous les temps maîtresse de la terre.
Par le sort des combats on la vit autrefois
Sur leurs trônes sanglants enchaîner tous les rois ;
L’univers fléchissait sous son aigle terrible.
Elle exerce en nos jours un pouvoir plus paisible :
On la voit sous son joug asservir ses vainqueurs,
Gouverner les esprits, et commander aux cœurs ;
Ses avis font ses lois, ses décrets sont ses armes.
Près de ce Capitole où régnaient tant d’alarmes,
Sur les pompeux débris de Bellone et de Mars,
Un pontife est assis au trône des césars ;
Des prêtres fortunés foulent d’un pied tranquille
Les tombeaux des Catons et la cendre d’Émile.
Le trône est sur l’autel, et l’absolu pouvoir
Met dans les mêmes mains le sceptre et l’encensoir.
Là, Dieu même a fondé son Église naissante,
Tantôt persécutée, et tantôt triomphante :
Là, son premier apôtre, avec la Vérité,
Conduisit la Candeur et la Simplicité.
Ses successeurs heureux quelque temps l’imitèrent,
D’autant plus respectés que plus ils s’abaissèrent.
Leur front d’un vain éclat n’était point revêtu ;
La pauvreté soutint leur austère vertu ;
Et, jaloux des seuls biens qu’un vrai chrétien désire,
Du fond de leur chaumière ils volaient au martyre.
Le temps, qui corrompt tout, changea bientôt leursmœurs ;
Le ciel, pour nous punir, leur donna des grandeurs.
Rome, depuis ce temps, puissante et profanée,
Au conseil des méchants se vit abandonnée :
La trahison, le meurtre, et l’empoisonnement,
De son pouvoir nouveau fut l’affreux fondement.
Les successeurs du Christ au fond du sanctuaire
Placèrent sans rougir l’inceste et l’adultère ;
Et Rome, qu’opprimait leur empire odieux,
Sous ces tyrans sacrés regretta ses faux dieux.
On écouta depuis de plus sages maximes ;
On sut ou s’épargner ou mieux voiler les crimes.
De l’Église et du peuple on régla mieux les droits ;
Rome devint l’arbitre, et non l’effroi des rois ;
Sous l’orgueil imposant du triple diadème,
La modeste vertu reparut elle-même.
Mais l’art de ménager le reste des humains
Est, surtout aujourd’hui, la vertu des Romains.
Sixte alors était roi de l’Église et de Rome.
Si, pour être honoré du titre de grand homme,
Il suffit d’être faux, austère, et redouté,
Au rang des plus grands rois Sixte sera compté.
Il devait sa grandeur à quinze ans d’artifices ;
Il sut cacher, quinze ans, ses vertus et ses vices :
Il sembla fuir le rang qu’il brûlait d’obtenir,
Et s’en fit croire indigne afin d’y parvenir.
Sous le puissant abri de son bras despotique,
Au fond du Vatican régnait la Politique,
Fille de l’Intérêt et de l’Ambition,
Dont naquirent la Fraude et la Séduction.
Ce monstre ingénieux, en détours si fertile,
Accablé de soucis, paraît simple et tranquille ;
Ses yeux creux et perçants, ennemis du repos,
Jamais du doux sommeil n’ont senti les pavots ;
Par ses déguisements, à toute heure elle abuse
Les regards éblouis de l’Europe confuse :
Le Mensonge subtil qui conduit ses discours,
De la Vérité même empruntant le secours,
Du sceau du Dieu vivant empreint ses impostures,
Et fait servir le ciel à venger ses injures.
À peine la Discorde avait frappé ses yeux,
Elle court dans ses bras d’un air mystérieux ;
Avec un ris malin la flatte, la caresse ;
Puis prenant tout à coup un ton plein de tristesse :
« Je ne suis plus, dit-elle, en ces temps bienheureux
Où les peuples séduits me présentaient leurs vœux,
Où la crédule Europe, à mon pouvoir soumise,
Confondait dans mes lois les lois de son Église.
Je parlais ; et soudain les rois humiliés
Du trône, en frémissant, descendaient à mes pieds ;
Sur la terre, à mon gré, ma voix soufflait les guerres ;
Du haut du Vatican je lançais les tonnerres ;
Je tenais dans mes mains la vie et le trépas ;
Je donnais, j’enlevais, je rendais les États.
Cet heureux temps n’est plus. Le sénat de la France
Éteint presque en mes mains les foudres que je lance ;
Plein d’amour pour l’Église, et pour moi plein d’horreur,
Il ôte aux nations le bandeau de l’erreur.
C’est lui qui, le premier, démasquant mon visage,
Vengea la vérité, dont j’empruntais l’image.
Que ne puis-je, ô Discorde ! ardente à te servir,
Le séduire lui-même, ou du moins le punir !
Allons, que tes flambeaux rallument mon tonnerre :
Commençons par la France à ravager la terre ;
Que le prince et l’État retombent dans nos fers. »
Elle dit, et soudain s’élance dans les airs.
Loin du faste de Rome, et des pompes mondaines,
Des temples consacrés aux vanités humaines,
Dont l’appareil superbe impose à l’univers,
L’humble Religion se cache en des déserts :
Elle y vit avec Dieu dans une paix profonde ;
Cependant que son nom, profané dans le monde,
Est le prétexte saint des fureurs des tyrans,
Le bandeau du vulgaire, et le mépris des grands.
Souffrir est son destin, bénir est son partage :
Elle prie en secret pour l’ingrat qui l’outrage ;
Sans ornement, sans art, belle de ses attraits,
Sa modeste beauté se dérobe à jamais
Aux hypocrites yeux de la foule importune
Qui court à ses autels adorer la Fortune.
Son âme pour Henri brillait d’un saint amour ;
Cette fille des cieux sait qu’elle doit un jour,
Vengeant de ses autels le culte légitime,
Adopter pour son fils ce héros magnanime :
Elle l’en croyait digne, et ses ardents soupirs
Hâtaient cet heureux temps, trop lent pour ses désirs.
Soudain la Politique et la Discorde impie
Surprennent en secret leur auguste ennemie.
Elle lève à son Dieu ses yeux mouillés de pleurs :
Son Dieu, pour l’éprouver, la livre à leurs fureurs.
Ces monstres, dont toujours elle a souffert l’injure,
De ses voiles sacrés couvrent leur tête impure,
Prennent ses vêtements respectés des humains,
Et courent dans Paris accomplir leurs desseins.
D’un air insinuant, l’adroite Politique
Se glisse au vaste sein de la Sorbonne antique ;
C’est là que s’assemblaient ces sages révérés,
Des vérités du ciel interprètes sacrés,
Qui, des peuples chrétiens arbitres et modèles,
À leur culte attachés, à leur prince fidèles,
Conservaient jusqu’alors une mâle vigueur,
Toujours impénétrable aux flèches de l’erreur.
Qu’il est peu de vertus qui résistent sans cesse !
Du monstre déguisé la voix enchanteresse
Ébranle leurs esprits par ses discours flatteurs.
Aux plus ambitieux elle offre des grandeurs ;
Par l’éclat d’une mitre elle éblouit leur vue :
De l’avare en secret la voix lui fut vendue ;
Par un éloge adroit le savant enchanté,
Pour prix d’un vain encens trahit la vérité ;
Menacé par sa voix, le faible s’intimide.
On s’assemble en tumulte, en tumulte on décide.
Parmi les cris confus, la dispute, et le bruit,
De ces lieux, en pleurant, la Vérité s’enfuit.
Alors au nom de tous un des vieillards s’écrie :
« L’Église fait les rois, les absout, les châtie ;
En nous est cette Église, en nous seuls est sa loi :
Nous réprouvons Valois, il n’est plus notre roi.
Serments jadis sacrés, nous brisons votrechaîne ! »
À peine a-t-il parlé, la Discorde inhumaine
Trace en lettres de sang ce décret odieux.
Chacun jure par elle, et signe sous ses yeux.
Soudain elle s’envole, et d’église en église
Annonce aux factieux cette grande entreprise ;
Sous l’habit d’Augustin, sous le froc de François,
Dans les cloîtres sacrés fait entendre sa voix ;
Elle appelle à grands cris tous ces spectres austères,
De leur joug rigoureux esclaves volontaires.
« De la Religion reconnaissez les traits,
Dit-elle, et du Très Haut vengez les intérêts.
C’est moi qui viens à vous, c’est moi qui vous appelle.
Ce fer, qui dans mes mains à vos yeux étincelle,
Ce glaive redoutable à nos fiers ennemis,
Par la main de Dieu même en la mienne est remis.
Il est temps de sortir de l’ombre de vos temples :
Allez d’un zèle saint répandre les exemples ;
Apprenez aux Français, incertains de leur foi,
Que c’est servir leur Dieu que d’immoler leur roi.
Songez que de Lévi la famille sacrée,
Du ministère saint par Dieu même honorée,
Mérita cet honneur en portant à l’autel
Des mains teintes du sang des enfants d’Israël.
Que dis-je ? où sont ces temps, où sont ces joursprospères,
Où j’ai vu les Français massacrés par leurs frères ?
C’était vous, prêtres saints, qui conduisiez leursbras ;
Coligny par vous seul a reçu le trépas.
J’ai nagé dans le sang ; que le sang coule encore
Montrez-vous, inspirez ce peuple qui m’adore !
Le monstre au même instant donne à tous le signal ;
Tous sont empoisonnés de son venin fatal ;
Il conduit dans Paris leur marche solennelle ;
L’étendard de la croix flottait au milieu d’elle.
Ils chantent ; et leurs cris, dévots et furieux,
Semblent à leur révolte associer les cieux.
On les entend mêler, dans leurs vœux fanatiques,
Les imprécations aux prières publiques.
Prêtres audacieux, imbéciles soldats,
Du sabre et de l’épée ils ont chargé leurs bras ;
Une lourde cuirasse a couvert leur cilice.
Dans les murs de Paris cette infâme milice
Suit, au milieu des flots d’un peuple impétueux,
Le Dieu, ce Dieu de paix, qu’on porte devant eux.
Mayenne, qui de loin voit leur folle entreprise,
La méprise en secret, et tout haut l’autorise ;
Il sait combien le peuple, avec soumission,
Confond le fanatisme et la religion ;
Il connaît ce grand art, aux princes nécessaire,
De nourrir la faiblesse et l’erreur du vulgaire.
À ce pieux scandale enfin il applaudit ;
Le sage s’en indigne, et le soldat en rit.
Mais le peuple excité jusques aux cieux envoie
Des cris d’emportement, d’espérance, et de joie ;
Et comme à son audace a succédé la peur,
La crainte en un moment fait place à la fureur.
Ainsi l’ange des mers, sur le sein d’Amphitrite,
Calme à son gré les flots, à son gré les irrite.
La Discorde a choisi seize séditieux,
Signalés par le crime entre les factieux.
Ministres insolents de leur reine nouvelle,
Sur son char tout sanglant ils montent avec elle ;
L’Orgueil, la Trahison, la Fureur, le Trépas,
Dans des ruisseaux de sang marchent devant leurs pas.
Nés dans l’obscurité, nourris dans la bassesse,
Leur haine pour les rois leur tient lieu de noblesse ;
Et jusque sous le dais par le peuple portés,
Mayenne, en frémissant, les voit à ses côtés :
Des jeux de la Discorde ordinaires caprices,
Qui souvent rend égaux ceux qu’elle rend complices.
Ainsi, lorsque les vents, fougueux tyrans des eaux,
De la Seine ou du Rhône ont soulevé les flots,
Le limon croupissant dans leurs grottes profondes
S’élève, en bouillonnant, sur la face des ondes ;
Ainsi, dans les fureurs de ces embrasements
Qui changent les cités en de funestes champs,
Le fer, l’airain, le plomb, que les feux amollissent,
Se mêlent dans la flamme à l’or qu’ils obscurcissent.
Dans ces jours de tumulte et de sédition,
Thémis résistait seule à la contagion ;
La soif de s’agrandir, la crainte, l’espérance,
Rien n’avait dans ses mains fait pencher sa balance ;
Son temple était sans tache, et la simple Équité
Auprès d’elle, en fuyant, cherchait sa sûreté.
Il était dans ce temple un sénat vénérable,
Propice à l’innocence, au crime redoutable,
Qui, des lois de son prince et l’organe et l’appui,
Marchait d’un pas égal entre son peuple et lui.
Dans l’équité des rois sa juste confiance
Souvent porte à leurs pieds les plaintes de la France :
Le seul bien de l’État fait son ambition ;
Il hait la tyrannie et la rébellion ;
Toujours plein de respect, toujours plein de courage,
De la soumission distingue l’esclavage ;
Et, pour nos libertés toujours prompt à s’armer,
Connaît Rome, l’honore, et la sait réprimer.
Des tyrans de la Ligue une affreuse cohorte
Du temple de Thémis environne la porte :
Bussi les conduisait ; ce vil gladiateur,
Monté par son audace à ce coupable honneur,
Entre, et parle en ces mots à l’auguste assemblée
Par qui des citoyens la fortune est réglée :
« Mercenaires appuis d’un dédale de lois,
Plébéiens, qui pensez être tuteurs des rois,
Lâches, qui dans le trouble et parmi les cabales
Mettez l’honneur honteux de vos grandeurs vénales ;
Timides dans la guerre, et tyrans dans la paix,
Obéissez au peuple, écoutez ses décrets.
Il fut des citoyens avant qu’il fût des maîtres.
Nous rentrons dans les droits qu’ont perdus nos ancêtres.
Ce peuple fut longtemps par vous-même abusé ;
Il s’est lassé du sceptre, et le sceptre est brisé.
Effacez ces grands noms qui vous gênaient sans doute,
Ces mots de plein pouvoir, qu’on hait et qu’on redoute :
Jugez au nom du peuple ; et tenez au sénat,
Non la place du roi, mais celle de l’État :
Imitez la Sorbonne, ou craignez ma vengeance.
Le sénat répondit par un noble silence.
Tels, dans les murs de Rome abattus et brûlants,
Ces sénateurs courbés sous le fardeau des ans
Attendaient fièrement, sur leur siège immobiles,
Les Gaulois et la mort avec des yeux tranquilles.
Bussi, plein de fureur, et non pas sans effroi :
Obéissez, dit-il, tyrans, ou suivez-moi…  »
Alors Harlay se lève, Harlay, ce noble guide,
Ce chef d’un parlement juste autant qu’intrépide ;
Il se présente aux Seize, il demande des fers,
Du front dont il aurait condamné ces pervers.
On voit auprès de lui les chefs de la justice,
Brûlant de partager l’honneur de son supplice,
Victimes de la foi qu’on doit aux souverains,
Tendre aux fers des tyrans leurs généreuses mains.
Muse, redites-moi ces noms chers à la France ;
Consacrez ces héros qu’opprima la licence,
Le vertueux de Thou, Molé, Scarron, Bayeul,
Potier, cet homme juste, et vous, jeune Longueil,
Vous en qui, pour hâter vos belles destinées,
L’esprit et la vertu devançaient les années.
Tout le sénat enfin, par les Seize enchaîné,
À travers un vil peuple en triomphe est mené
Dans cet affreux château, palais de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence.
Ainsi ces factieux ont changé tout l’État ;
La Sorbonne est tombée, il n’est plus de sénat…
Mais pourquoi ce concours et ces cris lamentables ?
Pourquoi ces instruments de la mort des coupables ?
Qui sont ces magistrats que la main d’un bourreau,
Par l’ordre des tyrans, précipite au tombeau ?
Les vertus dans Paris ont le destin des crimes.
Brisson, Larcher, Tardif, honorables victimes,
Vous n’êtes point flétris par ce honteux trépas :
Mânes trop généreux, vous n’en rougissez pas ;
Vos noms toujours fameux vivront dans la mémoire ;
Et qui meurt pour son roi meurt toujours avec gloire.
Cependant la Discorde, au milieu des mutins,
S’applaudit du succès de ses affreux desseins :
D’un air fier et content, sa cruauté tranquille
Contemple les effets de la guerre civile ;
Dans ces murs tout sanglants, des peuples malheureux
Unis contre leur prince, et divisés entre eux,
Jouets infortunés des fureurs intestines,
De leur triste patrie avançant les ruines ;
Le tumulte au dedans, le péril au dehors,
Et partout le débris, le carnage, et les morts.

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