La Jeunesse de Pierrot

Chapitre 3Baptême de Pierrot

La scèneque nous venons de narrer avait fait une telle impression surl’esprit du roi, qu’à peine de retour dans son palais, il revêtitsa cotte de mailles, qui était fort rouillée depuis la dernièreguerre, et se mit à s’escrimer d’estoc et de taille contre unmannequin costumé à l’orientale, et qui était censé représenter leprince Azor.

Il lui avait passé plus de cent fois son épéeau travers du corps, lorsqu’une idée soudaine lui vint àl’esprit ; c’était de faire comparaître par-devant lui leseigneur Bambolino, le maire de la ville, afin de savoir ce quepouvait être devenu son peuple.

Après une visite domiciliaire des plusminutieuses, maître Bambolino fut enfin trouvé sous un amas debottes de paille, au fond d’un grenier, n’ayant en tout et pourtout sur sa personne qu’une chemise, et si courte que ça faisaitpeine à voir. Dans la crainte d’être dévoré, le pauvre hommes’était mis au cou un large collier de cuir, hérissé de pointesaiguës, comme les chiens de berger sont accoutumés d’en porter dansl’exercice de leurs fonctions pour tenir messires les loups enrespect.

Amené au pied du trône du roi, ce fut à grandepeine, tant il grelottait, qu’il raconta l’histoire du monstre etde ses odieux méfaits.

À cette nouvelle, toute la cour fut enl’air ; mais le roi, qui se sentait en humeur de guerroyer,résolut à l’instant même de se mettre en chasse, malgré lesreprésentations du seigneur Renardino, qui prétendait qu’il valaitmieux employer la voie diplomatique, et livrer au monstre, jour parjour, tel nombre de sujets qui serait jugé nécessaire à saconsommation.

– À la bonne heure ! avait repartile roi ; mais réfléchissez bien, seigneur Renardino, qu’envotre qualité de grand ministre, vous serez chargé de lanégociation.

Son Excellence avait réfléchi et n’avait pasinsisté.

Le roi se mit donc sur l’heure en campagne àla tête de toute sa cour, et sous l’escorte d’autant de gardesqu’il en put réunir.

Fleur-d’Amandier, qui aimait la chasse depassion, s’était jointe au cortège et faisait piaffer avec unegrâce toute charmante son blanc destrier, lequel s’en donnait àcœur joie, et faisait feu des quatre pieds, tant il était heureuxet fier de porter une si belle princesse.

Quant à la reine, dont l’absence n’avait pasété remarquée depuis le matin, à raison de la gravité descirconstances, elle dormait en pleine rue dans son palanquin.

Le cortège avait chevauché depuis plusieursheures sans rencontrer âme qui vive, quand tout à coup une pauvrevieille toute déguenillée sortit comme par enchantement du milieudes broussailles qui bordaient la route.

Elle s’avança, appuyée sur un grand bâtonblanc, auprès du roi, et, lui tendant la main, elle lui dit d’unevoix cassée :

– La charité, mon bon seigneur, s’il vousplaît, car j’ai bien faim et j’ai bien froid !

– Arrière, vieille sorcière, coureuse degrands chemins ! s’écria le seigneur Renardino ; arrière,ou je te fais arrêter et mettre en prison !

Mais la vieille avait un air si misérable quele roi en fut tout apitoyé et lui jeta sa bourse, qui était pleined’or.

De son côté, Fleur-d’Amandier glissa sans êtrevue, dans la main de la pauvre femme, un magnifique collier deperles qu’elle avait détaché de son cou.

– Prenez ceci, ma bonne femme, luidit-elle tout bas, et venez me voir demain au palais.

Mais elle avait à peine prononcé ces mots quela vieille mendiante avait disparu, et, chose étrange, le roiretrouvait dans sa poche sa bourse pleine d’or, et le collier deperles étincelait de plus belle au cou de Fleur-d’Amandier.

Il n’y avait que le seigneur Renardino, quiavait beau se fouiller de la tête aux pieds, et qui ne retrouvaitplus sa bourse, qu’il était cependant bien sûr d’avoiremportée.

À cent pas plus loin, notre troupe fit larencontre d’un jeune pâtre qui jouait tranquillement de la flûte enveillant à la garde de ses moutons, pauvres bêtes qui avaientgrand-peine à trouver sous la neige quelques petits brins d’herbe àse mettre sous la dent.

– Ohé ! l’ami, ohé ! cria leroi, pourrais-tu nous dire de quel côté se tient la bête féroce quenous allons courre ?

– Sire, dit le petit pâtre en s’inclinantrespectueusement devant le roi avec une grâce et une aisance qu’onétait loin d’attendre d’un jeune garçon d’aussi médiocre condition,Votre Majesté a été trompée, comme bien d’autres ; la bêteféroce dont on vous a parlé n’est pas du tout une bête féroce,c’est un petit enfant bien innocent, ma foi, dont un bûcheron afait hier la trouvaille dans la forêt que vous voyez là-bas,là-bas, derrière ce buisson.

Puis, il se mit à faire au roi la descriptiondu petit bonhomme, de la blancheur de son teint, qui était plusblanc que tout ce qu’il y a de plus blanc au monde, tant et si bienque le roi, qui était un grand naturaliste, conçut tout de suite leprojet de conserver le petit phénomène dans un bocald’esprit-de-vin.

– Nous serions curieux, Fleur-d’Amandieret moi, reprit-il adroitement, de voir un être aussi merveilleux.Voudrais-tu bien, mon petit ami nous servir de guide ?

– Je suis aux ordres de Votre Majesté,répondit le jeune pâtre, qui, au seul nom de Fleur-d’Amandier,était devenu rouge comme une cerise.

La caravane se remit en marche sous laconduite du jeune guide, et bien lui en prit, car il connaissait sibien les chemins de traverse qui raccourcissaient la route de plusde moitié, qu’au bout d’une heure on arriva devant la cabane dubûcheron.

Le roi descendit de sa mule et frappa à laporte.

– Qui est là ? demanda une petitevoix argentine qui partait de l’intérieur de la chaumine.

– C’est moi, le roi !

À ces mots magiques, l’huis s’ouvrit delui-même, comme la fameuse caverne de feu Ali-Baba, et le petitenfant apparut sur le seuil, son feutre blanc à la main.

Vous auriez été bien empêchés, mes chersenfants, de vous trouver ainsi face à face avec l’un des plusgrands rois de la terre. Plus d’un d’entre vous, j’imagine, seserait bien vite blotti dans un coin et couvert le visage de sesdeux mains, sauf à écarter un tantinet les doigts pour voir si lesrois sont faits comme les autres hommes ; mais il n’en fut pasde même du petit enfant ; il s’avança avec une grâce exquiseau-devant de Sa Majesté, posa le genou en terre et baisarespectueusement le pan de son manteau. Je ne sais, en vérité, oùil avait appris tout cela. Se retournant ensuite versFleur-d’Amandier, qu’il salua le plus galamment du monde, il luioffrit sa petite main blanche pour l’aider à descendre de sondestrier.

Cela fait, et sans s’inquiéter du seigneurRenardino, qui attendait de lui même office, notre petit garçon fitun geste des plus gracieux au roi et à la princesse pour lesinviter à s’asseoir.

Le bûcheron et sa femme, qui s’étaient mis àtable pour dîner deux heures plus tôt qu’à l’ordinaire, étaientrestés cois à la vue d’aussi grands personnages, et le cœur leurbattait bien fort.

– Bonnes gens, leur dit le roi, riches etbien riches je vous ferai, si vous voulez m’accorder deuxchoses : me confier d’abord ce petit garçon, que je veuxattacher à ma personne, et me donner ensuite de ce brouet fumantqui a si bonne mine, car j’ai tant chevauché toute la journée queje me meurs de male faim.

Le bûcheron et sa femme étaient si interditsqu’ils ne trouvèrent pas un mot à répondre.

– Sire, dit alors le petit bonhomme, vouspouvez disposer de moi comme il vous plaira, je suis tout à votreservice et prêt à vous suivre. Que Votre Majesté daigne seulementm’accorder la faveur d’emmener avec moi ces bonnes gens qui m’ontrecueilli, et que j’aime tout autant que si j’étais leur proprefils. Quant à ce brouet, ne vous en faites faute ; j’oseespérer même que vous me ferez l’honneur, tout petit que je sois,de m’accepter pour votre échanson.

– Accordé, dit le roi en frappantamicalement sur la joue du petit bonhomme ; tu es un garçon degrand sens, et je verrai plus tard ce que je puis faire de toi.

Et sur ce, il prit, ainsi queFleur-d’Amandier, la place du bûcheron et de sa femme, qui necomprenaient pas qu’un roi fût venu de si loin pour manger leurmaigre souper.

Le repas fut des plus gais ; le roidaigna même, dans sa joyeuseté, risquer quelques bons mots auxquelsle petit enfant eut la courtoisie d’applaudir.

Après le souper, on fit les préparatifs dudépart, afin de rentrer au palais avant la nuit. Le bûcheron et safemme, à qui le roi voulait faire honneur, furent hissés àgrand-peine sur la mule du seigneur Renardino, et s’assirent encroupe derrière lui. Le petit enfant sauta lestement sur le dosd’un vieil âne qu’il était allé chercher dans l’écurie, et qui envoyant tant de monde, se mit à braire de toutes ses forces, tant iléprouvait de contentement de se trouver en si brillante compagnie.Il n’est pas jusqu’au jeune pâtre qui ne trouvât à s’accommodertant bien que mal derrière le grand officier des gardes du roi.

On se mit en route en silence, car on avaitremarqué que le roi venait de se plonger dans de profondesméditations. Il cherchait, en effet, un nom à donner au petitbonhomme, et, comme d’habitude, il ne trouvait rien.

Mais nous allons laisser la cavalcadecontinuer son chemin, pour raconter un tout petit événement quis’était passé au palais pendant l’absence du roi.

Les esclaves noirs, qui s’étaient enfuis lorsde l’algarade du prince Azor, réfléchirent bientôt que le seigneurRenardino se ferait un malin plaisir de les faire pendre, s’ilapprenait leur désertion. Ils revinrent donc vers le palanquin, lesoulevèrent avec précaution et le transportèrent au palais. Là, ilsdéposèrent tout doucement la reine sur un lit de brocart d’or, etse retirèrent dans l’antichambre, soulagés d’un grand poids.

Or, il faut que vous sachiez, mes chersenfants, que la reine avait la passion des petits oiseaux ;elle en avait de toutes sortes, de toutes nuances et de tous pays.Lorsque les jolis prisonniers s’ébattaient dans leur belle cage àtreillis d’or, et croisaient, dans leurs jeux, les mille couleursde leur plumage, on eût cru voir voltiger un essaim de fleurs et depierres précieuses ; et c’était un concert de gazouillementsjoyeux, de roulades, de trilles éblouissants à rendre fou unmusicien.

Mais ce qui vous étonnera, comme j’en fusétonné moi-même, c’est que le favori de la reine n’était ni unbengali, ni un oiseau de paradis, ni quelque autre d’aussi gentilcorsage ; mais un de ces vilains moineaux francs, grandspillards de grains, qui vivent dans la campagne aux dépens despauvres gens. Bien que la reine fût très bonne pour lui, et luipardonnât les licences parfois incroyables qu’il se permettait, lepetit ingrat n’en regrettait pas moins sa liberté et becquetaitsouvent avec colère les vitres qui le retenaient prisonnier. Dansla précipitation que la reine avait mise à se joindre au cortège duroi, elle avait oublié, le matin, de fermer la fenêtre, et crac…notre moineau, profitant d’une si belle occasion, avait pris sonvol dans le ciel.

Qui fut bien triste ? Ce fut la reine àson réveil, quand elle ne trouva plus son petit favori ; ellechercha partout dans sa chambre, et, voyant la fenêtre ouverte,elle devina tout.

Elle courut alors à son balcon, et se mit àappeler, par son nom et avec les épithètes les plus tendres, notrefuyard, qui se donna bien garde de lui répondre, je vousassure.

Il y avait au moins une heure qu’elle appelaitson cher pierrot, quand les portes de sa chambre s’ouvrirent avecfracas et donnèrent passage au roi.

– Pierrot ! Pierrot !s’écria-t-il en bondissant de joie, voilà précisément ce que jecherchais.

– Hélas ! je l’ai perdu, répondittristement la reine, qui pensait toujours à son oiseau.

– Au contraire, c’est vous qui l’aveztrouvé, répliqua le roi.

La reine haussa les épaules, et crut que leroi était devenu fou.

Et voilà, mes chers enfants, comment le nom dePierrot fut donné à notre héros.

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