La Jeunesse de Pierrot

Chapitre 11Le vœu de Pierrot

Pendantque le roi courait annoncer à la reine la prophétie de la fée dulac, Pierrot, qui était resté sur le champ de bataille, cherchaitde tous côtés son âne pour le remettre sur pied, s’il soufflaitencore, et le ramener à la maisonnette de son père adoptif lebûcheron.

Mais il eut beau regarder devant, derrière, àdroite, à gauche, en tous sens, il n’aperçut pas le moindre petitbout d’oreille de son cher grison.

– Ô mon pauvre Martin ! s’écria-t-iltout inquiet, où es-tu ? Et dans son désespoir, il se prit àcrier à tue-tête : Martin ! Martin !

Il retint ensuite son haleine pour mieuxécouter, mais il n’entendit que la voix moqueuse de l’écho, quirépétait en ricanant : Martin ! Martin ! commeferait un enfant espiègle caché derrière le rocher.

Il s’apprêtait à tenter une seconde épreuve,quand ses yeux tombèrent par hasard sur les groupes d’animaux quele roi avait fait peindre sur les murailles de la ville pourépouvanter ses ennemis. Ces bêtes intelligentes avaient pensé, sansdoute, que le prince Azor étant mort, leur férocité n’était plus demise, et toutes s’étaient composé des maintiens si décents, desphysionomies tellement débonnaires, qu’on eût dit une caravane depetits agneaux allant rendre visite à M. de Florian.

Mais Pierrot, dont l’esprit était troublé, neremarqua pas la métamorphose.

– Oh ! les monstres !s’écria-t-il, ce sont eux qui ont dévoré mon pauvreMartin !

Et, s’approchant du pied des murailles pourfaire honte à un grand tigre royal qui avait une mine encore plusbéate que les autres :

– Fi ! que c’est laid, dit-il,fi ! que c’est vilain, monsieur, ce que vous avez faitlà !

Et dans son indignation, il allait faire uneimpertinence à ce magnifique animal, lorsqu’il aperçut, au hautd’une colline, son âne qui broutait, avec le flegme impassibleparticulier à sa race, un bouquet d’ajoncs épineux.

Pierrot tressaillit d’aise à cette vue, etlaissant là le tigre royal, il fut d’un bond sur la colline ;mais l’âne, qui n’était pas aussi bête qu’il en avait l’air, ne l’yavait pas attendu ; soit qu’il craignît que son maître ne leramenât au combat, soit que, rendu depuis quelques heures à laliberté, il commençât à apprécier les douceurs de la vie sauvage,soit enfin qu’il obéît à une force mystérieuse et surnaturelle ilavait pris sa course à travers la plaine, en faisant retentir lesairs de ses hi ! han ! les plus sonores, et en lançant auvent ses ruades les plus triomphantes.

Notre ami Pierrot se précipita à sapoursuite ; mais quelle que fût la longueur de ses enjambées,il ne put l’atteindre.

– C’est bon, c’est bon, dit-il au grisonqui galopait à cent pas devant lui ; je ne te savais pas siagile : une autre fois je m’en souviendrai.

Après deux heures d’une course inutile, ils’arrêta au pied d’une montagne. Tout autre âne que notre vieuxMartin aurait profité de ce temps d’arrêt pour s’esquiver au plusvite ; mais c’était un animal très bien élevé et quiconnaissait à fond les usages : au lieu de s’enfuir, ils’arrêta, et attendit que son maître se fût reposé ;seulement, pour utiliser ses loisirs, il cueillit délicatement dubout des lèvres un chardon imprudent, qui passait sottement sa têteà travers les fentes d’un rocher, et se mit à le croquer à bellesdents.

Après une halte d’une demi-heure, Pierrot seleva : la trêve était expirée, et la poursuite recommença deplus fort.

Elle dura jusqu’à la nuit, et Pierrot, exténuéde fatigue, allait abandonner la partie, quand il vit notrequadrupède entrer dans une caverne taillée au cœur de lamontagne.

– Oh ! pour cette fois, tu es àmoi ! s’écria-t-il, et le voilà qui s’enfonce tête baisséedans les profondeurs du rocher.

Il n’avait pas fait cent pas, qu’il sentit unemain qui s’appuyait sur son bras, et qu’il entendit une voix quilui disait à l’oreille :

– Entre, Pierrot, tu es le bienvenu, j’aià te parler.

– Qui m’appelle ? demanda Pierrotqui tremblait de tous ses membres.

– N’aie pas peur, mon ami, reprit lavoix, tu es chez la vieille mendiante.

– La vieille mendiante ! dit Pierrotun peu rassuré.

– Oui, mon ami, et je désire bienvivement causer un instant avec toi.

– C’est bien de l’honneur que vous mefaites, ma bonne femme, répliqua Pierrot qui ne manquait jamais deparler poliment aux pauvres gens ; mais auparavant, dites-moisi vous avez vu passer mon âne il n’y a qu’un instant.

– Oui, mon garçon, dit en souriant lavieille mendiante, et je viens même de le faire entrer dans uneécurie assez bien approvisionnée pour qu’il puisse attendre, sanstrop s’ennuyer, la fin de notre entretien.

– Oh ! quel bonheur ! s’écriaPierrot, qui sauta de joie en apprenant que son âne n’était pasperdu ; puis, se tournant vers la vieille : Parlez,maintenant, ma bonne femme ; je suis tout oreilles, quoique àvrai dire, nous ferions peut-être mieux de remettre l’entretien àun autre jour. Le lieu et l’heure…

– Te semblent mal choisis, n’est-cepas ? mais sois tranquille, mon ami, je t’attendais ce soir,et j’ai tout préparé pour te recevoir.

À ces mots, la vieille mendiante frappa de sonbâton le rocher sur lequel elle était appuyée, et, soudain, lacaverne se fendit en deux et Pierrot vit apparaître, à la place decette grotte sombre dans laquelle il marchait tout à l’heure àtâtons, un palais fantastique, un palais tout blanc, comme on n’envoit qu’en songe, ou dans le pays merveilleux des fées.

C’était un immense édifice creusé tout entierdans un bloc de marbre blanc. Sa vaste coupole, étoilée dediamants, reposait sur un double rang de colonnes d’albâtre quereliaient entre elles des guirlandes de perles et d’opales, de lis,de magnolias et de fleurs d’oranger entrelacées. Mille arabesquescapricieuses, fantaisies sculptées par la main des génies, setordaient en spirales autour des piliers, s’enroulaient autour deschapiteaux, grimpaient aux saillies des corniches et sesuspendaient au plafond comme des stalactites de neige.

De distance en distance et jusqu’aux dernièreslimites de la perspective, on voyait des fontaines, des eauxjaillissantes qui s’élançaient à perte de vue dans l’air etretombaient en gerbes, en pluie de diamants, dans des bassins encristal de roche où se jouaient, autour de beaux cygnes endormis,de petits poissons aux écailles d’argent. Le plancher, formé d’unseul morceau de nacre, était recouvert d’un tapis d’hermine jonchéde clématites, de jasmins, de myrtes, de narcisses, de pâqueretteset de camélias blancs, et sur chaque fleur tremblait une goutte derosée.

Mais une chose incroyable, et que vous croirezcependant, mes chers enfants, puisque je vous le dis, c’est quetous ces objets avaient une transparence lumineuse : le palaistout entier rayonnait, mais de rayonnements si doux, mais de lueurssi pâles, si calmes, si sereines, qu’on eût cru voir les blanchesclartés de la lune endormies, la nuit, sur les gazons verts.

Au centre de l’édifice et sur un trôned’argent massif, richement ciselé, siégeait la reine de céans, unebelle fée toute blanche et qui avait un sourire si doux, qu’à lapremière vue on ne pouvait s’empêcher de l’aimer.

C’était la fée du lac : cette bonne féeque vous n’avez encore vue, mes chers enfants, que sous la formed’un petit poisson rouge, et sous le déguisement d’unemendiante.

Elle était enveloppée de la tête aux piedsd’un nuage de gaze légère, et son front pensif et rêveur étaitappuyé sur sa main.

Tout à coup elle se redressa.

– Approche, mon ami, dit-elle d’une voixdouce à Pierrot, qui se tenait debout à quelques pas de sontrône.

Mais Pierrot, ébloui par l’éclat de cettemagique apparition demeura immobile, les yeux tout grands ouverts,comme la statue de l’Extase aux portes du ciel.

– Allons, mon ami, reprit la fée, viensauprès de moi ; et elle lui désigna du doigt la premièremarche de son trône.

Et, comme Pierrot ne faisait pas unmouvement :

– As-tu peur de moi, lui dit-elle, et metrouves-tu moins bien sous mon riche costume de fée que sous leshaillons de la pauvre mendiante ?

– Oh ! non, ne changez pas !s’écria Pierrot en joignant les mains ; vous êtes si belleainsi ! et, faisant quelques pas en avant, il se prosterna àses pieds.

– Relève-toi, mon ami, dit la fée ensouriant, et causons. J’ai à te demander un grand sacrifice ;te sens-tu le courage de l’accomplir ?

– Je suis votre esclave, réponditPierrot, et tout ce que vous me direz de faire, je le ferai pourl’amour de vous.

– Très bien, mon cher Pierrot, jen’attendais pas moins de ton bon cœur ; mais écoute, avant det’engager davantage, et souriant de ce doux sourire qui allait sibien à son pâle visage : Tu vois en moi, dit-elle, l’amie despetits enfants. Veux-tu les aimer aussi ?

– Bien volontiers et de toute mon âme,repartit Pierrot, qui se rappela en ce moment l’épisode dupourpoint qui lui avait été donné dans sa prison par les enfants dela ville du prince Azor.

– Veux-tu dévouer ta vie à leur amusementet à leur bonheur ?

– Oui, je le veux, répondit résolumentPierrot.

– Mais, prends-y garde ! ils ne sontpas toujours sages, ces chers petits ; ils ont comme nous, quisommes grands, leurs bons et leurs mauvais jours : parfois,ils sont capricieux, fantasques et mutins ; ils te ferontsouffrir.

– Je souffrirai, dit héroïquementPierrot.

– Mais songe bien, mon ami, qu’il tefaudra dès demain commencer ton œuvre de résignation et desacrifice, te séparer de tout ce que tu as aimé jusqu’à ce jour,quitter la Bohême, les vieilles gens qui t’ont élevé, le roi et lareine, Fleur-d’Amandier…

– Fleur-d’Amandier ! murmura Pierrotà voix basse, elle aussi !

– Tu hésites maintenant, mon pauvregarçon, dit la fée d’une voix émue, en pressant tendrement dans sesmains la main blanche de Pierrot.

Pierrot ne répondit pas.

– Mais rassure-toi, mon ami, reprit lafée, je serai là pour te protéger, pour te consoler, et tu serasbien récompensé aussi de toutes tes souffrances par l’amour despetits enfants.

Pierrot resta silencieux.

– Tu souffres déjà, je le vois ; ehbien ! mon ami, lui dit-elle en lui touchant l’épaule, regardedevant toi.

Pierrot leva les yeux, et son visage rêveur setransfigura tout à coup.

Il voyait devant lui, pratiqué dans unenfoncement de la muraille, un joli théâtre, ruisselant d’or et delumière, et tout rempli, depuis le plancher jusqu’au comble, depetits enfants. Et c’était en vérité un spectacle ravissant à voirque toutes ces têtes blondes, ces figures blanches et roses, auxyeux bleus et noirs, qui riaient et s’épanouissaient au milieu decette atmosphère dorée, comme une corbeille de fleurs éclatantessous les chauds rayons du soleil.

Entraîné par une force irrésistible, Pierrots’avança sur la scène.

À sa vue, tous les petits enfants poussèrentdes cris de joie et battirent des mains ; puis ce furent deséclats de rire qui retentirent dans toute la salle, frais etargentins comme des gazouillements d’oiseaux au lever du jour. Puisdes bouquets, des couronnes tombèrent en pluie de fleurs autour dePierrot.

Pierrot voulut parler, mais l’émotion étouffasa voix ; il ne put que poser sa main sur ses lèvres etenvoyer mille baisers aux petits enfants.

Aussitôt le théâtre disparut.

– Eh bien ! mon ami, dit la fée,hésites-tu encore ?

– Oh non ! répondit vivement Pierroten essuyant une larme qui tremblait au bord de sa paupière. Jepartirai demain.

Il avait à peine dit ces mots que le palais demarbre s’écroula, et qu’il se trouva assis sur le dos de son âne, àl’entrée de la caverne.

Le sacrifice était consommé, Pierrot avaitfait vœu d’amuser les petits enfants.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer