La Jeunesse de Pierrot

Chapitre 1Le souper des bûcherons

Il yavait une fois, mes chers enfants, dans un petit coin de la Bohême,un vieux bûcheron et sa femme qui vivaient dans une chétive cabane,au fond d’une forêt.

Ils ne possédaient, pour toute fortune, que ceque le bon Dieu donne aux pauvres gens, l’amour du travail et deuxbons bras pour travailler.

Chaque jour, depuis l’aube jusqu’au soir, onentendait de grands coups de cognée qui résonnaient au loin dans laforêt, et de joyeuses chansons qui accompagnaient les coups decognée ; c’était le bonhomme qui travaillait.

Quand la nuit était venue, il ramassait samoisson du jour, et s’en retournait, le dos courbé, vers sa cabane,où il trouvait, auprès d’un feu clair et pétillant, sa bonneménagère qui lui souriait à travers les vapeurs du repas dusoir ; ce qui lui réjouissait fort le cœur.

Il y avait déjà de longs jours qu’ils vivaientainsi, lorsqu’il advint qu’un soir le bûcheron ne rentra pas àl’heure accoutumée.

On était alors au mois de décembre ; laterre et la forêt étaient couvertes de neige, et la bise, quisoufflait avec violence, emportait avec elle de longues traînéesblanches qu’elle détachait des arbres, et qui étincelaient enfuyant dans la nuit. On eût dit, mes enfants, que c’étaient, commedans vos contes favoris, de grands fantômes blancs qui couraient, àtravers les airs, à leur rendez-vous de minuit.

La vieille Marguerite – c’était le nom de lafemme du bûcheron – était, comme vous pensez bien, fortinquiète.

Elle allait sans cesse au seuil de la cabane,écoutant de toutes ses oreilles et regardant de tous sesyeux ; mais elle n’entendait rien que la bise qui faisait ragedans les arbres, et ne voyait rien que la neige qui blanchissait auloin sur le sentier.

Elle revenait alors près de la cheminée, selaissait choir sur un escabeau, et son cœur était tellement grosque les larmes lui tombaient des yeux.

À la voir si triste, tout devenait tristecomme elle dans l’intérieur de la chaumine ; le feu, quid’habitude pétillait si gaiement dans l’âtre, s’éteignait peu à peusous la cendre, et la vieille marmite de fonte, qui grondait sifort tout à l’heure, sanglotait maintenant à petits bouillons.

Deux grandes heures s’étaient écoulées,lorsque tout à coup le refrain d’une chanson se fit entendre àquelques pas de la cabane, Marguerite tressaillit à ce signal bienconnu du retour de son mari, et, s’élançant vers la porte, ellearriva tout juste pour tomber dans ses bras.

– Bonsoir, ma bonne Marguerite, bonsoir,dit le bûcheron ; je me suis un peu attardé, mais tu serasbien contente lorsque tu verras ce que j’ai trouvé.

Et, ce disant, il déposa sur la table, auxyeux de la vieille femme qui en resta tout ébahie, un joli berceaud’osier, dans lequel reposait un petit enfant d’allure si gentilleet de forme si mignonne, que l’âme en était toute chatouillée, rienque de le voir.

Il était vêtu d’une longue tunique blanche,dont les manches pendantes ressemblaient aux ailes repliées d’unecolombe. Un haut-de-chausse d’étoffe blanche comme la tuniquelaissait à découvert deux petits pieds de gazelle, chaussés debottines à rosettes et à talons rouges. Autour de son cous’épanouissait une fraise de batiste finement plissée, et sur latête il portait un joli chapeau de feutre blanc coquettementincliné sur l’oreille.

De mémoire de bûcheron on n’avait vu de plusgracieuse miniature ; mais ce qui émerveillait fort dameMarguerite, c’était le teint du petit enfant, qui était si blanc,qu’on eût dit que sa tête mignonne avait été sculptée dansl’albâtre.

– Par saint Janvier ! s’écria labonne femme en joignant les mains, comme il est pâle !

– Ce n’est pas étonnant, dit le bûcheron,il était depuis plus de huit jours sous la neige quand je l’aitrouvé.

– Sainte Vierge ! huit jours sous laneige, et tu ne me dis pas cela tout de suite. Le pauvre petit estgelé !

Et sans plus dire, la vieille femme prit leberceau, le déposa près de la cheminée et jeta un fagot tout entierdans le feu.

La marmite qui n’attendait que cela se mittout à coup à frémir et à écumer d’une façon si bruyante, que lepetit enfant, alléché par l’odeur, se réveilla tout ensursaut : il se leva à demi, huma l’air à plusieurs reprises,fit glisser vivement sa langue effilée sur le bord de ses lèvres,puis, au grand étonnement du vieux et de la vieille, qui n’enpouvaient croire leurs yeux, il s’élança hors de son berceau enpoussant un petit cri joyeux.

Il venait, mes chers enfants, d’apercevoir lesouper de nos pauvres gens.

Voler vers la marmite, y plonger jusqu’au fondune grande cuiller de bois, l’en retirer et la porter à sa bouchetoute pleine et toute bouillante, fut pour lui l’affaire d’uninstant ; mais, halte-là ! ses lèvres y avaient à peinetouché qu’il jeta la cuiller à terre et se mit à sauter à traversla chambre, en faisant des grimaces tout à la fois si drôles et sipiteuses, que le bûcheron et sa femme étaient fort embarrassés, nesachant s’ils devaient rire ou bien s’ils devaient pleurer.

Notre gourmand s’était brûlé vif.

Cependant, quelque chose rassurait les bonnesgens, c’est que décidément le petit garçon n’était pas gelé,quoiqu’il fût resté blanc comme neige.

Pendant qu’il se démenait ainsi dans lacabane, la vieille Marguerite fit tous les préparatifs dusouper ; la marmite fut posée sur la table, et déjà lebûcheron, les manches retroussées, s’apprêtait à lui faire fête,lorsque notre lutin, qui suivait du coin de l’œil tous sesmouvements, vint s’asseoir résolument sur la nappe, enlaça lamarmite de ses petites jambes, et se mit à l’œuvre avec de sibelles dents, et des mines si joyeuses, que cette fois, pleinementrassurés sur son compte, le bûcheron et sa femme n’y purentrésister.

Ils se mirent à rire, mais d’un rire si fou,que n’ayant pas pris la précaution de se tenir les côtes, comme ilfaut faire en pareil cas, mes enfants, ils tombèrent à la renverse,et roulèrent deci, delà, sur le plancher.

Quand ils se relevèrent, un quart d’heureaprès, la marmite était vide, et le petit enfant dormait du sommeildes anges dans son berceau.

– Qu’il est gentil ! dit la bonneMarguerite qui riait toujours.

– Mais il a mangé notre soupe !repartit le bûcheron qui était devenu tout sérieux.

Et les bonnes gens, qui étaient à jeun depuisle matin, allèrent se coucher.

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