Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau

– 642 – Il est temps d’en venir à ma catastrophe de Motiers, et à mon

départ du Val-de-Travers, après deux ans et demi de séjour, et
huit mois d’une constance inébranlable à souffrir les plus indi-
gnes traitements. Il m’est impossible de me rappeler nettement
les détails de cette désagréable époque ; mais on les trouvera dans
la relation qu’en publia du Peyrou, et dont j’aurai à parler dans la
suite.

Depuis le départ de Mme de Verdelin, la fermentation deve-

nait plus vive, et, malgré les rescrits réitérés du Roi, malgré les
ordres fréquents du Conseil d’État, malgré les soins du Châtelain
et des magistrats du lieu, le peuple, me regardant tout de bon
comme l’Antéchrist, et voyant toutes ses clameurs inutiles, parut
enfin vouloir en venir aux voies de fait ; déjà dans les chemins les
cailloux commençaient à rouler après moi, lancés cependant en-
core d’un peu trop loin pour pouvoir m’atteindre. Enfin la nuit de
la foire de Motiers, qui est au commencement de septembre, je
fus attaqué dans ma demeure, de manière à mettre en danger la
vie de ceux qui l’habitaient.

À minuit, j’entendis un grand bruit dans la galerie qui régnait

sur le derrière de la maison. Une grêle de cailloux, lancés contre
la fenêtre et la porte qui donnaient sur cette galerie, y tombèrent
avec tant de fracas, que mon chien, qui couchait dans la galerie, et
qui avait commencé par aboyer, se tut de frayeur, et se sauva dans
un coin, rongeant et grattant les planches pour tâcher de fuir. Je
me lève au bruit ; j’allais sortir de ma chambre pour passer dans
la cuisine, quand un caillou lancé d’une main vigoureuse traversa
la cuisine, après en avoir cassé la fenêtre, vint ouvrir la porte de
ma chambre et tomber au pied de mon lit ; de sorte que, si je
m’étais pressé d’une seconde, j’avais le caillou dans l’estomac. Je
jugeai que le bruit avait été fait pour m’attirer, et le caillou lancé
pour m’accueillir à ma sortie. Je saute dans la cuisine. Je trouve
Thérèse, qui s’était aussi levée, et qui toute tremblante accourait à
moi. Nous nous rangeons contre un mur, hors de la direction de
la fenêtre pour éviter l’atteinte des pierres et délibérer sur ce que
nous avions à faire ; car sortir pour appeler du secours était le

– 643 –

moyen de nous faire assommer. Heureusement, la servante d’un
vieux bonhomme qui logeait au-dessous de moi se leva au bruit,
et courut appeler M. le Châtelain, dont nous étions porte à porte.
Il saute de son lit, prend sa robe de chambre à la hâte, et vient à
l’instant avec la garde, qui, à cause de la foire, faisait la ronde
cette nuit-là, et se trouva tout à portée. Le Châtelain vit le dégât
avec un tel effroi, qu’il en pâlit, et à la vue des cailloux dont la ga-
lerie était pleine, il s’écria : « Mon Dieu ! c’est une carrière ! » En
visitant le bas, on trouva que la porte d’une petite cour avait été
forcée, et qu’on avait tenté de pénétrer dans la maison par la gale-
rie. En recherchant pourquoi la garde n’avait point aperçu ou
empêché le désordre, il se trouva que ceux de Motiers s’étaient
obstinés à vouloir faire cette garde hors de leur rang, quoique ce
fût le tour d’un autre village. Le lendemain le Châtelain envoya
son rapport au Conseil d’État, qui deux jours après lui envoya
l’ordre d’informer sur cette affaire, de promettre une récompense
et le secret à ceux qui dénonceraient les coupables, et de mettre
en attendant, aux frais du Prince, des gardes à ma maison et à
celle du Châtelain qui la touchait. Le lendemain, le colonel Pury,
le procureur général Meuron, le châtelain Martinet, le receveur
Guyenet, le trésorier d’Ivernois et son père, en un mot tout ce
qu’il y avait de gens distingués dans le pays, vinrent me voir, et
réunirent leurs sollicitations pour m’engager à céder à l’orage, et
à sortir au moins pour un temps d’une paroisse où je ne pouvais
plus vivre en sûreté, ni avec honneur. Je m’aperçus même que le
Châtelain, effrayé des fureurs de ce peuple forcené, et craignant
qu’elles ne s’étendissent jusqu’à lui, aurait été bien aise de m’en
voir partir au plus vite, pour n’avoir plus l’embarras de m’y proté-
ger, et pouvoir la quitter lui-même, comme il fit après mon dé-
part. Je cédai donc, et même avec peu de peine ; car le spectacle
de la haine du peuple me causait un déchirement de cœur que je
ne pouvais plus supporter.

J’avais plus d’une retraite à choisir. Depuis le retour de

Mme de Verdelin à Paris, elle m’avait parlé dans plusieurs lettres
d’un M. Walpole qu’elle appelait Milord, lequel, pris d’un grand
zèle en ma faveur, me proposait, dans une de ses terres, un asile
dont elle me faisait les descriptions les plus agréables, entrant,

– 644 –

par rapport au logement et à la subsistance, dans des détails qui
marquaient à quel point ledit Milord Walpole s’occupait avec elle
de ce projet. Milord Maréchal m’avait toujours conseillé
l’Angleterre ou l’Écosse, et m’y offrait aussi un asile dans ses ter-
res ; mais il m’en offrait un qui me tentait beaucoup davantage à
Potsdam, auprès de lui. Il venait de me faire part d’un propos que
le Roi lui avait tenu à mon sujet, et qui était une espèce
d’invitation de m’y rendre, et Mme la duchesse de Saxe-Gotha
comptait si bien sur ce voyage, qu’elle m’écrivit pour me presser
d’aller la voir en passant, et de m’arrêter quelque temps auprès
d’elle ; mais j’avais un tel attachement pour la Suisse, que je ne
pouvais me résoudre à la quitter, tant qu’il me serait possible d’y
vivre, et je pris ce temps pour exécuter un projet dont j’étais oc-
cupé depuis quelques mois, et dont je n’ai pu parler encore pour
ne pas couper le fil de mon récit.

Ce projet consistait à m’aller établir dans l’île de Saint-Pierre,

domaine de l’hôpital de Berne, au milieu du lac de Bienne. Dans
un pèlerinage pédestre que j’avais fait l’été précédent avec du
Peyrou, nous avions visité cette île, et j’en avais été tellement en-
chanté, que je n’avais cessé depuis ce temps-là de songer aux
moyens d’y faire ma demeure. Le plus grand obstacle était que
l’île appartenait aux Bernois, qui trois ans auparavant m’avaient
vilainement chassé de chez eux, et outre que ma fierté pâtissait à
retourner chez des gens qui m’avaient si mal reçu, j’avais lieu de
craindre qu’ils ne me laissassent pas plus en repos dans cette île
qu’ils n’avaient fait à Yverdun. J’avais consulté là-dessus Milord
Maréchal qui, pensant comme moi que les Bernois [seraient] bien
aise de me voir relégué dans cette île et de m’y tenir en otage pour
les écrits que je pourrais être tenté de faire, avait fait sonder là-
dessus leurs dispositions par un M. Sturler, son ancien voisin de
Colombier. M. Sturler s’adressa à des chefs de l’État, et, sur leur
réponse, assura Milord Maréchal que les Bernois, honteux de leur
conduite passée, ne demandaient pas mieux que de me voir do-
micilié dans l’île de Saint-Pierre et de m’y laisser tranquille. Pour
surcroît de précaution, avant de risquer d’y aller résider, je fis
prendre de nouvelles informations par le colonel Chaillet, qui me
confirma les mêmes choses ; et le Receveur de l’île ayant reçu de

– 645 –

ses maîtres la permission de m’y loger, je crus ne rien risquer
d’aller m’établir chez lui, avec l’agrément tacite, tant du souverain
que des propriétaires ; car je ne pouvais espérer que
MM. de Berne reconnussent ouvertement l’injustice qu’ils
m’avaient faite et péchassent ainsi contre la plus inviolable
maxime de tous les souverains.

L’île de Saint-Pierre, appelée à Neuchâtel l’île de la Motte, au

milieu du lac de Bienne, a environ une demi-lieue de tour ; mais
dans ce petit espace elle fournit toutes les principales productions
nécessaires à la vie. Elle a des champs, des prés, des vergers, des
bois, des vignes, et le tout, à la faveur d’un terrain varié et monta-
gneux, forme une distribution d’autant plus agréable, que ses par-
ties, ne se découvrant pas toutes ensemble, se font valoir mutuel-
lement, et font juger l’île plus grande qu’elle n’est en effet. Une
terrasse, fort élevée, en forme la partie occidentale qui regarde
Gleresse et la Bonneville. On a planté cette terrasse d’une longue
allée qu’on a coupée dans son milieu par un grand salon, où du-
rant les vendanges on se rassemble les dimanches, de tous les
rivages voisins, pour danser et se réjouir. Il n’y a dans l’île qu’une
seule maison, mais vaste et commode, où loge le Receveur, et si-
tuée dans un enfoncement qui la tient à l’abri des vents.

À cinq ou six cents pas de l’île, est du côté du sud, une autre

île beaucoup plus petite, inculte et déserte, qui paraît avoir été
détachée autrefois de la grande par les orages, et ne produit par-
mi ses graviers que des saules et des persicaires, mais où est ce-
pendant un tertre élevé, bien gazonné et très agréable. La forme
de ce lac est un ovale presque régulier. Ses rives, moins riches que
celles des lacs de Genève et de Neuchâtel, ne laissent pas de for-
mer une assez belle décoration, surtout dans la partie occidentale,
qui est très peuplée, et bordée de vignes au pied d’une chaîne de
montagnes, à peu près comme à Côte-Rôtie, mais qui ne donnent
pas d’aussi bon vin. On y trouve, en allant du sud au nord, le bail-
liage de Saint-Jean, la Bonneville, Bienne et Nidau, à l’extrémité
du lac, le tout entremêlé de villages très agréables.

– 646 – Tel était l’asile que je m’étais ménagé, et où je résolus d’aller

m’établir en quittant le Val-de-Travers.

Ce choix était si conforme à mon goût pacifique, à mon hu-

meur solitaire et paresseuse, que je le compte parmi les douces
rêveries dont je me suis le plus vivement passionné. Il me sem-
blait que dans cette île je serais plus séparé des hommes, plus à
l’abri de leurs outrages, plus oublié d’eux, plus livré, en un mot,
aux douceurs du désœuvrement et de la vie contemplative.
J’aurais voulu être tellement confiné dans cette île, que je n’eusse
plus de commerce avec les mortels, et il est certain que je pris
toutes les mesures imaginables pour me soustraire à la nécessité
d’en entretenir.

Il s’agissait de subsister, et, tant par la cherté des denrées que

par la difficulté des transports, la subsistance est chère dans cette
île, où d’ailleurs on est à la discrétion du Receveur. Cette difficulté
fut levée par un arrangement que du Peyrou voulut bien prendre
avec moi, en se substituant à la place de la compagnie qui avait
entrepris et abandonné mon édition générale. Je lui remis tous
les matériaux de cette édition. J’en fis l’arrangement et la distri-
bution. J’y joignis l’engagement de lui remettre les Mémoires de
ma vie, et je le fis dépositaire généralement de tous mes papiers,
avec la condition expresse de n’en faire usage qu’après ma mort,
ayant à cœur d’achever tranquillement ma carrière, sans plus
faire souvenir le public de moi. Au moyen de cela, la pension via-
gère qu’il se chargeait de me payer suffisait pour ma subsistance.
Milord Maréchal, ayant recouvré tous ses biens, m’en avait offert
une de douze cents francs, que je n’avais acceptée qu’en la rédui-
sant à la moitié. Il m’en voulut envoyer le capital, que je refusai,
par l’embarras de le placer. Il fit passer ce capital à du Peyrou,
entre les mains de qui il est resté, et qui m’en paye la rente via-
gère sur le pied convenu avec le constituant. Joignant donc mon
traité avec du Peyrou, la pension de Milord Maréchal, dont les
deux tiers étaient réversibles à Thérèse après ma mort, et la rente
de trois cents francs que j’avais sur Duchesne, je pouvais compter
sur une subsistance honnête, et pour moi, et après moi pour Thé-
rèse, à qui je laissais sept cents francs de rente, tant de la pension

– 647 –

de Rey que de celle de Milord Maréchal : ainsi je n’avais plus à
craindre que le pain lui manquât, non plus qu’à moi. Mais il était
écrit que l’honneur me forcerait de repousser toutes les ressour-
ces que la fortune et mon travail mettraient à ma portée et que je
mourrais aussi pauvre que j’ai vécu. On jugera si, à moins d’être
le dernier des infâmes, j’ai pu tenir des arrangements qu’on a tou-
jours pris soin de me rendre ignominieux, en m’ôtant avec soin
toute autre ressource, pour me forcer de consentir à mon dés-
honneur. Comment se seraient-ils doutés du parti que je pren-
drais dans cette alternative ? ils ont toujours jugé de mon cœur
par les leurs.

En repos du côté de la subsistance, j’étais sans souci de tout

autre. Quoique j’abandonnasse dans le monde le champ libre à
mes ennemis, je laissais dans le noble enthousiasme qui avait dic-
té mes écrits, et dans la constante uniformité de mes principes,
un témoignage de mon âme qui répondait à celui que toute ma
conduite rendait de mon naturel. Je n’avais pas besoin d’une au-
tre défense contre mes calomniateurs. Ils pouvaient peindre sous
mon nom un autre homme ; mais ils ne pouvaient tromper que
ceux qui voulaient être trompés. Je pouvais leur donner ma vie à
épiloguer d’un bout à l’autre : j’étais sûr qu’à travers mes fautes et
mes faiblesses, à travers mon inaptitude à supporter aucun joug,
on trouverait toujours un homme juste, bon, sans fiel, sans haine,
sans jalousie, prompt à reconnaître ses propres torts, plus prompt
à oublier ceux d’autrui, cherchant toute sa félicité dans les pas-
sions aimantes et douces, et portant en toute chose la sincérité
jusqu’à l’imprudence, jusqu’au plus incroyable désintéressement.

Je prenais donc en quelque sorte congé de mon siècle et de

mes contemporains, et je faisais mes adieux au monde en me
confinant dans cette île pour le reste de mes jours ; car telle était
ma résolution, et c’était là que je comptais exécuter enfin le grand
projet de cette vie oiseuse, auquel j’avais inutilement consacré
jusqu’alors tout le peu d’activité que le ciel m’avait départie. Cette
île a fait devenir pour moi celle de Papimanie, ce bienheureux
pays où l’on dort :

– 648 – Où l’on fait plus, où l’on fait nulle chose. Ce plus était tout pour moi, car j’ai toujours peu regretté le

sommeil ; l’oisiveté me suffit, et, pourvu que je ne fasse rien,
j’aime encore mieux rêver éveillé qu’en songe. L’âge des projets
romanesques étant passé, et la fumée de la gloriole m’ayant plus
étourdi que flatté, il ne me restait, pour dernière espérance, que
celle de vivre sans gêne, dans un loisir éternel. C’est la vie des
bienheureux dans l’autre monde, et j’en faisais désormais mon
bonheur suprême dans celle-ci.

Ceux qui me reprochent tant de contradictions ne manque-

ront pas ici de m’en reprocher encore une. J’ai dit que l’oisiveté
des cercles me les rendait insupportables, et me voilà recherchant
la solitude uniquement pour m’y livrer à l’oisiveté. C’est pourtant
ainsi que je suis ; s’il y a là de la contradiction, elle est du fait de la
nature et non pas du mien : mais il y en a si peu que c’est par là
précisément que je suis toujours moi. L’oisiveté des cercles est
tuante, parce qu’elle est de nécessité. Celle de la solitude est
charmante, parce qu’elle est libre et de volonté. Dans une compa-
gnie, il m’est cruel de ne rien faire, parce que j’y suis forcé. Il faut
que je reste là cloué sur une chaise ou debout, planté comme un
piquet, sans remuer ni pied ni patte, n’osant ni courir, ni sauter,
ni chanter, ni crier, ni gesticuler quand j’en ai envie, n’osant pas
même rêver, ayant à la fois tout l’ennui de l’oisiveté et tout le
tourment de la contrainte ; obligé d’être attentif à toutes les sotti-
ses qui se disent, et à tous les compliments qui se font, et de fati-
guer incessamment ma minerve, pour ne pas manquer de placer à
mon tour mon rébus et mon mensonge. Et vous appelez cela de
l’oisiveté ? C’est un travail de forçat.

L’oisiveté que j’aime n’est pas celle d’un fainéant qui reste là

les bras croisés dans une inaction totale, et ne pense pas plus qu’il
n’agit. C’est à la fois celle d’un enfant qui est sans cesse en mou-
vement pour ne rien faire, et celle d’un radoteur qui bat la cam-
pagne, tandis que ses bras sont en repos. J’aime à m’occuper à
faire des riens, à commencer cent choses et n’en achever aucune,
à aller et venir comme la tête me chante, à changer à chaque ins-

– 649 –

tant de projet, à suivre une mouche dans toutes ses allures, à vou-
loir déraciner un rocher pour voir ce qui est dessous, à entre-
prendre avec ardeur un travail de dix ans, et à l’abandonner sans
regret au bout de dix minutes, à muser enfin toute la journée sans
ordre et sans suite, et à ne suivre en toute chose que le caprice du
moment. La botanique, telle que je l’ai toujours considérée, et
telle qu’elle commençait à devenir passion pour moi était préci-
sément une étude oiseuse, propre à remplir tout le vide de mes
loisirs sans y laisser place au délire de l’imagination, ni à l’ennui
d’un désœuvrement total. Errer nonchalamment dans les bois et
dans la campagne, prendre machinalement çà et là tantôt une
fleur, tantôt un rameau, brouter mon foin presque au hasard, ob-
server mille et mille fois les mêmes choses, et toujours avec le
même intérêt parce que je les oubliais toujours, était de quoi pas-
ser l’éternité sans pouvoir m’ennuyer un moment. Quelque élé-
gante, quelque admirable, quelque diverse que soit la structure
des végétaux, elle ne frappe pas assez un œil ignorant pour
l’intéresser. Cette constante analogie, et pourtant cette variété
prodigieuse qui règne dans leur organisation, ne transporte que
ceux qui ont déjà quelque idée du système végétal. Les autres
n’ont, à l’aspect de tous ces trésors de la nature, qu’une admira-
tion stupide et monotone. Ils ne voient ils ne savent pas même ce
qu’il faut regarder, et ils ne voient pas non plus l’ensemble, parce
qu’ils n’ont aucune idée de cette chaîne de rapports et de combi-
naisons qui accable de ses merveilles l’esprit de l’observateur.
J’étais, et mon défaut de mémoire me devait tenir toujours dans
cet heureux point d’en savoir assez peu pour que tout me fût nou-
veau et assez pour que tout me fût sensible. Les divers sols dans
lesquels l’île, quoique petite, était partagée, m’offraient une suffi-
sante variété de plantes pour l’étude et pour l’amusement de
toute ma vie. Je n’y voulais pas laisser un poil d’herbe sans ana-
lyse, et je m’arrangeais déjà pour faire, avec un recueil immense
d’observations curieuses, la Flora Petrinsularis.

Je fis venir Thérèse avec mes livres et mes effets. Nous nous
mîmes en pension chez le Receveur de l’île. Sa femme avait à Ni-
dau ses sœurs, qui la venaient voir tour à tour et qui faisaient à
Thérèse une compagnie. Je fis là l’essai d’une douce vie dans la-

– 650 –

quelle j’aurais voulu passer la mienne, et dont le goût que j’y pris
ne servit qu’à me faire mieux sentir l’amertume de celle qui devait
si promptement y succéder.

J’ai toujours aimé l’eau passionnément, et sa vue me jette

dans une rêverie délicieuse quoique souvent sans objet détermi-
né. Je ne manquais point à mon lever, lorsqu’il faisait beau, de
courir sur la terrasse humer l’air salubre et frais du matin, et pla-
ner des yeux sur l’horizon de ce beau lac, dont les rives et les
montagnes qui le bordent enchantaient ma vue. Je ne trouve
point de plus digne hommage à la Divinité que cette admiration
muette qu’excite la contemplation de ses œuvres, et qui ne
s’exprime point par des actes développés. Je comprends comment
les habitants des villes, qui ne voient que des murs, des rues, et
des crimes, ont peu de foi ; mais je ne puis comprendre comment
des campagnards, et surtout des solitaires, peuvent n’en point
avoir. Comment leur âme ne s’élève-t-elle pas cent fois le jour
avec extase à l’auteur des merveilles qui les frappent ? Pour moi,
c’est toujours à mon lever, affaissé par mes insomnies, qu’une
longue habitude me porte à ces élévations de cœur qui n’imposent
point la fatigue de penser. Mais il faut pour cela que mes yeux
soient frappés du ravissant spectacle de la nature. Dans ma
chambre, je prie plus rarement et plus sèchement : mais à l’aspect
d’un beau paysage, je me sens ému sans pouvoir dire de quoi. J’ai
lu qu’un sage évêque, dans la visite de son diocèse, trouva une
vieille femme qui, pour toute prière, ne savait dire que O ! Il lui
dit : « Bonne mère, continuez de prier toujours ainsi ; votre prière
vaut mieux que les nôtres. » Cette meilleure prière est aussi la
mienne.

Après le déjeuner, je me hâtais d’écrire en rechignant quel-

ques malheureuses lettres, aspirant avec ardeur à l’heureux mo-
ment de n’en plus écrire du tout. Je tracassais quelques instants
autour de mes livres et papiers pour les déballer et arranger, plu-
tôt que pour les lire, et cet arrangement, qui devenait pour moi
l’œuvre de Pénélope, me donnait le plaisir de muser quelques
moments ; après quoi je m’en ennuyais et le quittais, pour passer
les trois ou quatre heures qui me restaient de la matinée à l’étude

– 651 –

de la botanique, et surtout du système de Linnaeus pour lequel je
pris une passion dont je n’ai pu bien me guérir, même après en
avoir senti le vide. Ce grand observateur est à mon gré le seul,
avec Ludwig , qui ait vu jusqu’ici la botanique en naturaliste et en
philosophe ; mais il l’a trop étudiée dans des herbiers et dans des
jardins, et pas assez dans la nature elle-même. Pour moi, qui pre-
nais pour jardin l’île entière, sitôt que j’avais besoin de faire ou
vérifier quelque observation, je courais dans les bois ou dans les
prés, mon livre sous le bras : là, je me couchais par terre auprès
de la plante en question, pour l’examiner sur pied tout à mon
aise. Cette méthode m’a beaucoup servi pour connaître les végé-
taux dans leur état naturel, avant qu’ils aient été cultivés et déna-
turés par la main des hommes. On dit que Fagon, premier méde-
cin de Louis XIV, qui nommait et connaissait parfaitement toutes
les plantes du jardin Royal, était d’une telle ignorance dans la
campagne, qu’il n’y connaissait plus rien. Je suis précisément le
contraire : je connais quelque chose à l’ouvrage de la nature, mais
rien à celui du jardinier.

Pour les après-dînées, je les livrais totalement à mon humeur

oiseuse et nonchalante, et à suivre sans règle l’impulsion du mo-
ment. Souvent, quand l’air était calme, j’allais immédiatement en
sortant de table me jeter seul dans un petit bateau, que le Rece-
veur m’avait appris à mener avec une seule rame ; je m’avançais
en pleine eau. Le moment où je dérivais me donnait une joie qui
allait jusqu’au tressaillement, et dont il m’est impossible de dire
ni de bien comprendre la cause, si ce n’était peut-être une félicita-
tion secrète d’être en cet état hors de l’atteinte des méchants.
J’errais ensuite seul dans ce lac, approchant quelquefois du ri-
vage, mais n’y abordant jamais. Souvent, laissant aller mon ba-
teau à la merci de l’air et de l’eau, je me livrais à des rêveries sans
objet, et qui, pour être stupides, n’en étaient pas moins douces. Je
m’écriais parfois avec attendrissement : « Ô nature ! ô ma mère !
me voici sous ta seule garde ; il n’y a point ici d’homme adroit et
fourbe qui s’interpose entre toi et moi. » Je m’éloignais ainsi jus-
qu’à demi-lieue de terre : j’aurais voulu que ce lac eût été l’Océan.
Cependant, pour complaire à mon pauvre chien, qui n’aimait pas
autant que moi de si longues stations sur l’eau, je suivais

– 652 –

d’ordinaire un but de promenade ; c’était d’aller débarquer à la
petite île, de m’y promener une heure ou deux, ou de m’étendre
au sommet du tertre sur le gazon, pour m’assouvir du plaisir
d’admirer ce lac et ses environs, pour examiner et disséquer tou-
tes les herbes qui se trouvaient à ma portée, et pour me bâtir,
comme un autre Robinson, une demeure imaginaire dans cette
petite île. Je m’affectionnai fortement à cette butte. Quand j’y
pouvais mener promener Thérèse avec la Receveuse et ses sœurs,
comme j’étais fier d’être leur pilote et leur guide ! Nous y portâ-
mes en pompe des lapins pour la peupler ; autre fête pour Jean-
Jacques. Cette peuplade me rendit la petite île encore plus inté-
ressante. J’y allais plus souvent et avec plus de plaisir depuis ce
temps-là, pour rechercher des traces du progrès des nouveaux
habitants.

À ces amusements j’en joignis un qui me rappelait la douce

vie des Charmettes, et auquel la saison m’invitait particulière-
ment. C’était un détail de soins rustiques pour la récolte des lé-
gumes et des fruits, et que nous nous faisions un plaisir, Thérèse
et moi, de partager avec la Receveuse et sa famille. Je me sou-
viens qu’un Bernois, nommé M. Kirkebergher, m’étant venu voir,
me trouva perché sur un grand arbre, un sac attaché autour de
ma ceinture, et déjà si plein de pommes, que je ne pouvais plus
me remuer. Je ne fus pas fâché de cette rencontre et de quelques
autres pareilles. J’espérais que les Bernois, témoins de l’emploi de
mes loisirs, ne songeraient plus à en troubler la tranquillité, et me
laisseraient en paix dans ma solitude. J’aurais bien mieux aimé y
être confiné par leur volonté que par la mienne : j’aurais été plus
assuré de n’y point voir troubler mon repos.

Voici encore un de ces aveux sur lesquels je suis sûr d’avance

de l’incrédulité des lecteurs, obstinés à juger toujours de moi par
eux-mêmes, quoiqu’ils aient été forcés de voir dans tout le cours
de ma vie mille affections internes qui ne ressemblaient point aux
leurs. Ce qu’il y a de plus bizarre est qu’en me refusant tous les
sentiments bons ou indifférents qu’ils n’ont pas, ils sont toujours
prêts à m’en prêter de si mauvais, qu’ils ne sauraient même entrer
dans un cœur d’homme ; ils trouvent alors tout simple de me

– 653 –

mettre en contradiction avec la nature, et de faire de moi un
monstre tel qu’il n’en peut même exister. Rien d’absurde ne leur
paraît incroyable dès qu’il tend à me noircir ; rien
d’extraordinaire ne leur paraît possible dès qu’il tend à
m’honorer.

Mais, quoi qu’ils en puissent croire ou dire, je n’en continue-

rai pas moins d’exposer fidèlement ce que fut, fit et pensa J.-J.
Rousseau, sans expliquer ni justifier la singularité de ses senti-
ments et de ses idées, ni rechercher si d’autres ont pensé comme
lui. Je pris tant de goût à l’île de Saint-Pierre, et son séjour me
convenait si fort, qu’à force d’inscrire tous mes désirs dans cette
île, je formai celui de n’en point sortir. Les visites que j’avais à
rendre au voisinage, les courses qu’il me faudrait faire à Neuchâ-
tel, à Bienne, à Yverdun, à Nidau, fatiguaient déjà mon imagina-
tion. Un jour à passer hors de l’île me paraissait retranché de mon
bonheur, et sortir de l’enceinte de ce lac était pour moi sortir de
mon élément. D’ailleurs l’expérience du passé m’avait rendu
craintif. Il suffisait que quelque bien flattât mon cœur pour que je
dusse m’attendre à le perdre, et l’ardent désir de finir mes jours
dans cette île était inséparable de la crainte d’être forcé d’en sor-
tir. J’avais pris l’habitude d’aller les soirs m’asseoir sur la grève,
surtout quand le lac était agité. Je sentais un plaisir singulier à
voir les flots se briser à mes pieds. Je m’en faisais l’image du tu-
multe du monde, et de la paix de mon habitation ; et je
m’attendrissais quelquefois à cette douce idée, jusqu’à sentir des
larmes couler de mes yeux. Ce repos, dont je jouissais avec pas-
sion, n’était troublé que par l’inquiétude de le perdre ; mais cette
inquiétude allait au point d’en altérer la douceur. Je sentais ma
situation si précaire, que je n’osais y compter. « Ah ! que je chan-
gerais volontiers, me disais-je, la liberté de sortir d’ici, dont je ne
me soucie point, avec l’assurance d’y pouvoir rester toujours ! Au
lieu d’y être souffert par grâce, que n’y suis-je détenu de force !
Ceux qui ne font que m’y souffrir peuvent à chaque instant m’en
chasser, et puis-je espérer que mes persécuteurs, m’y voyant heu-
reux, m’y laissent continuer de l’être ? Ah ! c’est peu qu’on me
permette d’y vivre, je voudrais qu’on m’y condamnât, et je vou-
drais être contraint d’y rester, pour ne l’être pas d’en sortir. » Je

– 654 –

jetais un œil d’envie sur l’heureux Micheli Ducrêt, qui, tranquille
au château d’Arberg n’avait eu qu’à vouloir être heureux pour
l’être. Enfin à force de me livrer à ces réflexions et aux pressenti-
ments inquiétants des nouveaux orages toujours prêts à fondre
sur moi, j’en vins à désirer, mais avec une ardeur incroyable,
qu’au lieu de tolérer seulement mon habitation dans cette île, on
me la donnât pour prison perpétuelle, et je puis jurer que s’il
n’eût tenu qu’à moi de m’y faire condamner, je l’aurais fait avec la
plus grande joie, préférant mille fois la nécessité d’y passer le
reste de ma vie au danger d’en être expulsé.

Cette crainte ne demeura pas longtemps vaine. Au moment

où je m’y attendais le moins, je reçus une lettre de M. le Baillif de
Nidau, dans le gouvernement duquel était l’île de Saint-Pierre ;
par cette lettre, il m’intimait de la part de Leurs Excellences
l’ordre de sortir de l’île et de leurs États. Je crus rêver en la lisant.
Rien de moins naturel, de moins raisonnable, de moins prévu
qu’un pareil ordre : car j’avais plutôt regardé mes pressentiments
comme les inquiétudes d’un homme effarouché par ses malheurs,
que comme une prévoyance qui pût avoir le moindre fondement.
Les mesures que j’avais prises pour m’assurer de l’agrément tacite
du souverain, la tranquillité avec laquelle on m’avait laissé faire
mon établissement, les visites de plusieurs Bernois et du Baillif
lui-même, qui m’avait comblé d’amitiés et de prévenances, la ri-
gueur de la saison dans laquelle il était barbare d’expulser un
homme infirme, tout me fit croire avec beaucoup de gens qu’il y
avait quelque malentendu dans cet ordre, et que les malinten-
tionnés avaient pris exprès le temps des vendanges et de
l’infréquence du Sénat pour me porter brusquement ce coup.

Si j’avais écouté ma première indignation, je serais parti sur-

le-champ. Mais où aller ? Que devenir à l’entrée de l’hiver, sans
but, sans préparatif, sans conducteur, sans voiture ? À moins de
laisser tout à l’abandon, mes papiers, mes effets, toutes mes affai-
res, il me fallait du temps pour y pourvoir, et il n’était pas dit dans
l’ordre si on m’en laissait ou non. La continuité des malheurs
commençait d’affaisser mon courage. Pour la première fois, je
sentis ma fierté naturelle fléchir sous le joug de la nécessité et,

– 655 –

malgré les murmures de mon cœur, il fallut m’abaisser à deman-
der un délai. C’était à M. de Graffenried, qui m’avait envoyé
l’ordre, que je m’adressai pour le faire interpréter. Sa lettre por-
tait une très vive improbation de ce même ordre, qu’il ne
m’intimait qu’avec le plus grand regret, et les témoignages de
douleur et d’estime dont elle était remplie me semblaient autant
d’invitations bien douces de lui parler à cœur ouvert ; je le fis. Je
ne doutais pas même que ma lettre ne fît ouvrir les yeux à ces
hommes iniques sur leur barbarie, et que si l’on ne révoquait pas
un ordre si cruel, on ne m’accordât du moins un délai raisonna-
ble, et peut-être l’hiver entier, pour me préparer à la retraite, et
pour en choisir le lieu.

En attendant la réponse, je me mis à réfléchir sur ma situa-

tion, et à délibérer sur le parti que j’avais à prendre. Je vis tant de
difficultés de toutes parts, le chagrin m’avait si fort affecté, et ma
santé en ce moment était si mauvaise, que je me laissai tout à fait
abattre, et que l’effet de mon découragement fut de m’ôter le peu
de ressources qui pouvaient me rester dans l’esprit pour tirer le
meilleur parti possible de ma triste situation. En quelque asile
que je voulusse me réfugier, il était clair que je ne pouvais m’y
soustraire à aucune des deux manières qu’on avait prises de
m’expulser. L’une, en soulevant contre moi la populace par des
manœuvres souterraines ; l’autre, en me chassant à force ouverte,
sans en dire aucune raison. Je ne pouvais donc compter sur au-
cune retraite assurée, à moins de l’aller chercher plus loin que
mes forces et la saison ne semblaient me le permettre. Tout cela
me ramenant aux idées dont je venais de m’occuper, j’osai désirer
et proposer qu’on voulût plutôt disposer de moi dans une captivi-
té perpétuelle, que de me faire errer incessamment sur la terre, en
m’expulsant successivement de tous les asiles que j’aurais choisis.
Deux jours après ma première lettre, j’en écrivis une seconde à
M. de Graffenried, pour le prier d’en faire la proposition à Leurs
Excellences. La réponse de Berne à l’une et à l’autre fut un ordre
conçu dans les termes les plus formels et les plus durs de sortir de
l’île et de tout le territoire médiat et immédiat de la République,
dans l’espace de vingt-quatre [heures] et de n’y rentrer jamais,
sous les plus grièves peines.

– 656 – Ce moment fut affreux. Je me suis trouvé depuis dans de pi-

res angoisses, jamais dans un plus grand embarras. Mais ce qui
m’affligea le plus fut d’être forcé de renoncer au projet qui m’avait
fait désirer de passer l’hiver dans l’île. Il est temps de rapporter
l’anecdote fatale qui a mis le comble à mes désastres, et qui a en-
traîné dans ma ruine un peuple infortuné, dont les naissantes
vertus promettaient déjà d’égaler un jour celles de Sparte et de
Rome.

J’avais parlé des Corses dans le Contrat social, comme d’un

peuple neuf, le seul de l’Europe qui ne fût pas usé pour la législa-
tion, et j’avais marqué la grande espérance qu’on devait avoir
d’un tel peuple, s’il avait le bonheur de trouver un sage institu-
teur. Mon ouvrage fut lu par quelques Corses, qui furent sensibles
à la manière honorable dont je parlais d’eux, et le cas où ils se
trouvaient de travailler à l’établissement de leur République fit
penser à leurs chefs de me demander mes idées sur cet important
ouvrage. Un M. Buttafuoco, d’une des premières familles du pays
et capitaine en France dans le Royal-Italien, m’écrivit à ce sujet,
et me fournit plusieurs pièces que je lui avais demandées pour me
mettre au fait de l’histoire de la nation et de l’état du pays.
M. Paoli m’écrivit aussi plusieurs fois, et quoique je sentisse une
pareille entreprise au-dessus de mes forces, je crus ne pouvoir les
refuser, pour concourir à une si grande et belle œuvre, lorsque
j’aurais pris toutes les instructions dont j’avais besoin pour cela.
Ce fut dans ce sens que je répondis à l’un et à l’autre, et cette cor-
respondance continua jusqu’à mon départ.

Précisément dans le même temps, j’appris que la France en-

voyait des troupes en Corse, et qu’elle avait fait un traité avec les
Génois. Ce traité, cet envoi de troupes m’inquiétèrent, et sans
m’imaginer encore avoir aucun rapport à tout cela, je jugeais im-
possible et ridicule de travailler à un ouvrage qui demande un
aussi profond repos que l’institution d’un peuple, au moment où
il allait peut-être être subjugué. Je ne cachai pas mes inquiétudes
à M. Buttafuoco, qui me rassura par la certitude que s’il y avait
dans ce traité des choses contraires à la liberté de sa nation, un

– 657 –

aussi bon citoyen que lui ne resterait pas, comme il faisait, au ser-
vice de France. En effet, son zèle pour la législation des Corses, et
ses étroites liaisons avec M. Paoli, ne pouvaient me laisser aucun
soupçon sur son compte, et quand j’appris qu’il faisait de fré-
quents voyages à Versailles et à Fontainebleau, et qu’il avait des
relations avec M. de Choiseul, je n’en conclus autre chose, sinon
qu’il avait sur les véritables intentions de la cour de France des
sûretés qu’il me laissait entendre, mais sur lesquelles il ne voulait
pas s’expliquer ouvertement par lettres.

Tout cela me rassurait en partie. Cependant, ne comprenant

rien à cet envoi de troupes françaises, ne pouvant raisonnable-
ment penser qu’elles fussent là pour protéger la liberté des Cor-
ses, qu’ils étaient très en état de défendre seuls contre les Génois,
je ne pouvais me tranquilliser parfaitement, ni me mêler tout de
bon de la législation proposée, jusqu’à ce que j’eusse des preuves
solides que tout cela n’était pas un jeu pour me persifler. J’aurais
extrêmement désiré une entrevue avec M. Buttafuoco ; c’était le
vrai moyen d’en tirer les éclaircissements dont j’avais besoin. Il
me la fit espérer, et je l’attendais avec la plus grande impatience.
Pour lui, je ne sais s’il en avait véritablement le projet ; mais
quand il l’aurait eu, mes désastres m’auraient empêché d’en profi-
ter.

Plus je méditais sur l’entreprise proposée, plus j’avançais

dans l’examen des pièces que j’avais entre les mains et plus je
sentais la nécessité d’étudier de près et le peuple à instituer, et le
sol qu’il habitait, et tous les rapports par lesquels il lui fallait ap-
proprier cette institution. Je comprenais chaque jour davantage
qu’il m’était impossible d’acquérir de loin toutes les lumières né-
cessaires pour me guider. Je l’écrivis à Buttafuoco : il le sentit lui-
même, et si je ne formai pas précisément la résolution de passer
en Corse, je m’occupai beaucoup des moyens de faire ce voyage.
J’en parlai à M. Dastier qui, ayant autrefois servi dans cette île,
sous M. de Maillebois, devait la connaître. Il n’épargna rien pour
me détourner de ce dessein, et j’avoue que la peinture affreuse
qu’il me fit des Corses et de leur pays refroidit beaucoup le désir
que j’avais d’aller vivre au milieu d’eux.

– 658 – Mais quand les persécutions de Motiers me firent songer à

quitter la Suisse, ce désir se ranima par l’espoir de trouver enfin
chez ces insulaires ce repos qu’on ne voulait me laisser nulle part.
Une chose seulement m’effarouchait sur ce voyage ; c’était
l’inaptitude et l’aversion que j’eus toujours pour la vie active à
laquelle j’allais être condamné. Fait pour méditer à loisir dans la
solitude, je ne l’étais point pour parler, agir, traiter d’affaires
parmi les hommes. La nature, qui m’avait donné le premier ta-
lent, m’avait refusé l’autre. Cependant je sentais que, sans pren-
dre part directement aux affaires publiques, je serais nécessité,
sitôt que je serais en Corse, de me livrer à l’empressement du
peuple, et de conférer très souvent avec les chefs. L’objet même
de mon voyage exigeait qu’au lieu de chercher la retraite, je cher-
chasse, au sein de la nation, les lumières dont j’avais besoin. Il
était clair que je ne pourrais plus disposer de moi-même, et
qu’entraîné malgré moi dans un tourbillon pour lequel je n’étais
point né, j’y mènerais une vie toute contraire à mon goût, et ne
m’y montrerais qu’à mon désavantage. Je prévoyais que soute-
nant mal par ma présence l’opinion de capacité qu’avaient pu leur
donner mes livres, je me décréditerais chez les Corses, et per-
drais, autant à leur préjudice qu’au mien, la confiance qu’ils
m’avaient donnée et sans laquelle je ne pouvais faire avec succès
l’œuvre qu’ils attendaient de moi. J’étais sûr qu’en sortant ainsi
de ma sphère, je leur deviendrais inutile, et me rendrais malheu-
reux.

Tourmenté, battu d’orages de toute espèce, fatigué de voyages

et de persécutions depuis plusieurs années, je sentais vivement le
besoin du repos, dont mes barbares ennemis se faisaient un jeu
de me priver ; je soupirais plus que jamais après cette aimable
oisiveté, après cette douce quiétude d’esprit et de corps que
j’avais tant convoitée, et à laquelle, revenu des chimères de
l’amour et de l’amitié, mon cœur bornait sa félicité suprême. Je
n’envisageais qu’avec effroi les travaux que j’allais entreprendre,
la vie tumultueuse à laquelle j’allais me livrer ; et si la grandeur,
la beauté, l’utilité de l’objet, animaient mon courage,
l’impossibilité de payer de ma personne avec succès me l’ôtait

– 659 –

absolument. Vingt ans de méditation profonde, à part moi,
m’auraient moins coûté que six mois d’une vie active, au milieu
des hommes et des affaires, et certain d’y mal réussir.

Je m’avisai d’un expédient qui me parut propre à tout conci-

lier. Poursuivi dans tous mes refuges par les menées souterraines
de mes secrets persécuteurs, et ne voyant plus que la Corse où je
pusse espérer pour mes vieux jours le repos qu’ils ne voulaient me
laisser nulle part, je résolus de m’y rendre, avec les directions de
Buttafuoco, aussitôt que j’en aurais la possibilité ; mais, pour y
vivre tranquille, de renoncer, du moins en apparence, au travail
de la législation, et de me borner, pour payer en quelque sorte à
mes hôtes leur hospitalité, à écrire sur les lieux leur histoire, sauf
à prendre sans bruit les instructions nécessaires pour leur devenir
plus utile, si je voyais jour à y réussir. En commençant ainsi par
ne m’engager à rien, j’espérais être en état de méditer en secret, et
plus à mon aise, un plan qui pût leur convenir, et cela sans renon-
cer beaucoup à ma chère solitude, ni me soumettre à un genre de
vie qui m’était insupportable, et dont je n’avais pas le talent.

Mais ce voyage, dans ma situation, n’était pas une chose aisée

à exécuter. À la manière dont M. Dastier m’avait parlé de la
Corse, je n’y devais trouver, des plus simples commodités de la
vie, que celles que j’y porterais : linge, habits, vaisselle, batterie de
cuisine, papier, livres, il fallait tout porter avec soi. Pour m’y
transplanter avec ma gouvernante, il fallait franchir les Alpes, et
dans un trajet de deux cents lieues traîner à ma suite tout un ba-
gage ; il fallait passer à travers les états de plusieurs souverains,
et, sur le ton donné par toute l’Europe, je devais naturellement
m’attendre, après mes malheurs, à trouver partout des obstacles
et à voir chacun se faire un honneur de m’accabler de quelque
nouvelle disgrâces et violer tous les droits des gens et de
l’humanité. Les frais immenses, les fatigues, les risques d’un pa-
reil voyage, m’obligeaient d’en prévoir d’avance et d’en bien peser
toutes les difficultés. L’idée de me trouver enfin seul, sans res-
source à mon âge, et loin de toutes mes connaissances, à la merci
de ce peuple barbare et féroce, tel que me le peignait M. Dastier,
était bien propre à me faire rêver sur une pareille résolution avant

– 660 –

de l’exécuter. Je désirais passionnément l’entrevue que Buttafuo-
co m’avait fait espérer, et j’en attendais l’effet pour prendre tout à
fait mon parti.

Tandis que je balançais ainsi, vinrent les persécutions de Mo-

tiers, qui me forcèrent à la retraite. Je n’étais pas prêt pour un
long voyage, et surtout pour celui de Corse. J’attendais des nou-
velles de Buttafuoco ; je me réfugiai dans l’île de Saint-Pierre,
d’où je fus chassé à l’entrée de l’hiver, comme j’ai dit ci-devant.
Les Alpes couvertes de neige rendaient alors pour moi cette émi-
gration impraticable, surtout avec la précipitation qu’on me pres-
crivait. Il est vrai que l’extravagance d’un pareil ordre le rendait
impossible à exécuter : car du milieu de cette solitude enfermée
au milieu des eaux, n’ayant que vingt-quatre heures depuis
l’intimation de l’ordre pour me préparer au départ, pour trouver
bateaux et voitures pour sortir de l’île et de tout le territoire ;
quand j’aurais eu des ailes, j’aurais eu peine à pouvoir obéir. Je
l’écrivis à M. le Baillif de Nidau, en répondant à sa lettre, et je
m’empressai de sortir de ce pays d’iniquité. Voilà comment il fal-
lut renoncer à mon projet chéri, et comment, n’ayant pu dans
mon découragement obtenir qu’on disposât de moi, je me déter-
minai, sur l’invitation de Milord Maréchal, au voyage de Berlin,
laissant Thérèse hiverner à l’île de Saint-Pierre, avec mes effets et
mes livres, et déposant mes papiers dans les mains de du Peyrou.
Je fis une telle diligence, que dès le lendemain matin, je partis de
l’île et me rendis à Bienne encore avant midi. Peu s’en fallut que
je n’y terminasse mon voyage, par un incident dont le récit ne doit
pas être omis.

Sitôt que le bruit s’était répandu que j’avais ordre de quitter

mon asile, j’eus une affluence de visites du voisinage, et surtout
de Bernois qui venaient avec la plus détestable fausseté me fla-
gorner, m’adoucir et me protester qu’on avait pris le moment des
vacances et de l’infréquence du Sénat pour minuter et m’intimer
cet ordre, contre lequel, disaient-ils, tout le Deux-Cents était in-
digné. Parmi ce tas de consolateurs, il en vint quelques-uns de la
ville de Bienne, petit État libre enclavé dans celui de Berne, et
entre autres un jeune homme appelé Wildremet, dont la famille

– 661 –

tenait le premier rang, et avait le principal crédit dans cette petite
ville. Wildremet me conjura vivement, au nom de ses conci-
toyens, de choisir ma retraite au milieu d’eux, m’assurant qu’ils
désiraient avec empressement de m’y recevoir ; qu’ils se feraient
une gloire et un devoir de m’y faire oublier les persécutions que
j’avais souffertes ; que je n’avais à craindre chez eux aucune in-
fluence des Bernois ; que Bienne était une ville qui ne recevait des
lois de personne, et que tous les citoyens étaient unanimement
déterminés à n’écouter aucune sollicitation qui me fût contraire.

Wildremet, voyant qu’il ne m’ébranlait pas, se fit appuyer de

plusieurs autres personnes, tant de Bienne et des environs que de
Berne même, et entre autres du même Kirkebergher dont j’ai par-
lé, qui m’avait recherché depuis ma retraite en Suisse, et que ses
talents et ses principes me rendaient intéressant. Mais des sollici-
tations moins prévues et plus pondérantes furent celles de
M. Barthès, secrétaire d’ambassade de France, qui vint me voir
avec Wildremet, m’exhorta fort de me rendre à son invitation, et
m’étonna par l’intérêt vif et tendre qu’il paraissait prendre à moi.
Je ne connaissais point du tout M. Barthès ; cependant je le
voyais mettre à ses discours la chaleur, le zèle de l’amitié, et je
voyais qu’il lui tenait véritablement au cœur de me persuader de
m’établir à Bienne. Il me fit l’éloge le plus pompeux de cette ville
et de ses habitants, avec lesquels il se montrait si intimement lié,
qu’il les appela plusieurs fois devant moi ses patrons et ses pères.

Cette démarche de Barthès me dérouta dans toutes mes

conjectures. J’avais toujours soupçonné M. de Choiseul d’être
l’auteur caché de toutes les persécutions que j’éprouvais en
Suisse. La conduite du résident de France à Genève, celle de
l’ambassadeur à Soleure, ne confirmaient que trop ces soupçons ;
je voyais la France influer en secret sur tout ce qui m’arrivait à
Berne, à Genève, à Neuchâtel, et je ne croyais avoir en France au-
cun ennemi puissant que le seul duc de Choiseul. Que pouvais-je
donc penser de la visite de Barthès, et du tendre intérêt qu’il pa-
raissait prendre à mon sort ? Mes malheurs n’avaient pas encore
détruit cette confiance naturelle à mon cœur, et l’expérience ne
m’avait pas encore appris à voir partout des embûches sous les

– 662 –

caresses. Je cherchais avec surprise la raison de cette bienveil-
lance de Barthès ; je n’étais pas assez sot pour croire qu’il fît cette
démarche de son chef ; j’y voyais une publicité et même une affec-
tation qui marquait une intention cachée, et j’étais bien éloigné
d’avoir jamais trouvé dans tous ces petits agents subalternes cette
intrépidité généreuse qui, dans un poste semblable, avait souvent
fait bouillonner mon cœur.

J’avais autrefois un peu connu le Chevalier de Beauteville

chez M. de Luxembourg ; il m’avait témoigné quelque bienveil-
lance ; depuis son ambassade, il m’avait encore donné quelques
signes de souvenir, et m’avait même fait inviter à l’aller voir à So-
leure : invitation dont, sans m’y rendre, j’avais été touché, n’ayant
pas accoutumé d’être traité si honnêtement par les gens en place.
Je présumai donc que M. de Beauteville, forcé de suivre ses ins-
tructions, en ce qui regardait les affaires de Genève, me plaignant
cependant dans mes malheurs, m’avait ménagé, par des soins
particuliers, cet asile de Bienne pour y pouvoir vivre tranquille
sous ses auspices. Je fus sensible à cette attention, mais sans en
vouloir profiter, et, déterminé tout à fait au voyage de Berlin,
j’aspirais avec ardeur au moment de rejoindre Milord Maréchal,
persuadé que ce n’était plus qu’auprès de lui que je trouverais un
vrai repos et un bonheur durable.

À mon départ de l’île, Kirkebergher m’accompagna jusqu’à

Bienne. J’y trouvai Wildremet et quelques autres Biennois qui
m’attendaient à la descente du bateau. Nous dînâmes tous en-
semble à l’auberge, et en y arrivant, mon premier soin fut de faire
chercher une chaise, voulant partir dès le lendemain matin. Pen-
dant le dîner, ces messieurs reprirent leurs instances pour me
retenir parmi eux, et cela avec tant de chaleur et des protestations
si touchantes malgré toutes mes résolutions, mon cœur, qui n’a
jamais su résister aux caresses, se laissa émouvoir aux leurs ; sitôt
qu’ils me virent ébranlé, ils redoublèrent si bien leurs efforts,
qu’enfin je me laissai vaincre, et consentis de rester à Bienne, au
moins jusqu’au printemps prochain.

– 663 – Aussitôt Wildremet se pressa de me pourvoir d’un logement,

et me vanta comme une trouvaille une vilaine petite chambre sur
un derrière, au troisième étage, donnant sur une cour, où j’avais
pour régal l’étalage des peaux puantes d’un chamoiseur. Mon
hôte était un petit homme de basse mine et passablement fripon,
que j’appris le lendemain être débauché, joueur, et en fort mau-
vais prédicament dans le quartier ; il n’avait ni femme, ni enfants,
ni domestiques, et tristement reclus dans ma chambre solitaire,
j’étais, dans le plus riant pays du monde, logé de manière à périr
de mélancolie en peu de jours. Ce qui m’affecta le plus, malgré
tout ce qu’on m’avait dit de l’empressement des habitants à me
recevoir, fut de n’apercevoir, en passant dans les rues, rien
d’honnête envers moi dans leurs manières, ni d’obligeant dans
leurs regards. J’étais pourtant tout déterminé à rester là, quand
j’appris, vis et sentis, même dès le jour suivant, qu’il y avait dans
la ville une fermentation terrible à mon égard ; plusieurs empres-
sés vinrent obligeamment m’avertir qu’on devait dès le lendemain
me signifier, le plus durement qu’on pourrait, un ordre de sortir
sur-le-champ de l’État, c’est-à-dire de la ville. Je n’avais personne
à qui me confier ; tous ceux qui m’avaient retenu s’étaient épar-
pillés ; Wildremet avait disparu ; je n’entendis plus parler de Bar-
thès, et il ne parut pas que sa recommandation m’eût mis en
grande faveur auprès des patrons et des pères qu’il s’était donnés
devant moi. Un M. de Vau-Travers, Bernois, qui avait une jolie
maison proche de la ville, m’y offrit cependant un asile, espérant,
me dit-il, que j’y pourrais éviter d’être lapidé. L’avantage ne me
parut pas assez flatteur pour me tenter de prolonger mon séjour
chez ce peuple hospitalier.

Cependant, ayant perdu trois jours à ce retard, j’avais déjà

passé de beaucoup les vingt-quatre heures que les Bernois
m’avaient données pour sortir de tous leurs États, et je ne laissais
pas, connaissant leur dureté, d’être en quelque peine sur la ma-
nière dont ils me les laisseraient traverser, quand M. le Baillif de
Nidau vint tout à propos me tirer d’embarras. Comme il avait
hautement improuvé le violent procédé de Leurs Excellences, il
crut, dans sa générosité, me devoir un témoignage public qu’il n’y
prenait aucune part, et ne craignit pas de sortir de son bailliage

– 664 –

pour venir me faire une visite à Bienne. Il vint la veille de mon
départ ; et, loin de venir incognito, il affecta même du cérémonial,
vint in fiocchi dans son carrosse avec son secrétaire, et m’apporta
un passeport en son nom, pour traverser l’État de Berne à mon
aise, et sans crainte d’être inquiété. La visite me toucha plus que
le passeport. Je n’y aurais guère été moins sensible, quand elle
aurait eu pour objet un autre que moi. Je ne connais rien de si
puissant sur mon cœur qu’un acte de courage fait à propos, en
faveur du faible injustement opprimé.

Enfin, après m’être avec peine procuré une chaise, je partis le

lendemain matin de cette terre homicide, avant l’arrivée de la dé-
putation dont on devait m’honorer, avant même d’avoir pu revoir
Thérèse, à qui j’avais marqué de me venir joindre, quand j’avais
cru m’arrêter à Bienne, et que j’eus à peine le temps de contre-
mander par un mot de lettre, en lui marquant mon nouveau dé-
sastre. On verra dans ma troisième partie, si jamais j’ai la force de
l’écrire, comment, croyant partir pour Berlin, je partis en effet
pour l’Angleterre, et comment les deux dames qui voulaient dis-
poser de moi, après m’avoir, à force d’intrigues, chassé de la
Suisse, où je n’étais pas assez en leur pouvoir, parvinrent enfin à
me livrer à leur ami.

J’ajoutai ce qui suit dans la lecture que je fis de cet écrit à

M. et Mme la comtesse d’Egmont, à M. le prince Pignatelli, à
Mme la marquise de Mesnie, et à M. le marquis de Juigné.

J’ai dit la vérité. Si quelqu’un sait des choses contraires à ce

que je viens d’exposer, fussent-elles mille fois prouvées, il sait des
mensonges et des impostures, et s’il refuse de les approfondir, et
de les éclaircir avec moi, tandis que je suis en vie, il n’aime ni la
justice ni la vérité. Pour moi, je le déclare hautement et sans
crainte : quiconque, même sans avoir lu mes écrits, examinera
par ses propres yeux mon naturel, mon caractère, mes mœurs,
mes penchants, mes plaisirs, mes habitudes, et pourra me croire
un malhonnête homme, est lui-même un homme à étouffer.

– 665 – J’achevai ainsi ma lecture, et tout le monde se tut.

Mme d’Egmont fut la seule qui me parut émue ; elle tressaillit
visiblement, mais elle se remit bien vite et garda le silence, ainsi
que toute la compagnie. Tel fut le fruit que je tirai de cette lecture
et de ma déclaration.

FIN DU LIVRE DOUZIÈME ET DE LA SECONDE PARTIE

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer