Les Nouvelles aventures de Jeff Peters

II

Après le breakfast, nous sortons sous leporche, allumons chacun un des flor de upas perfectos del’aubergiste et jetons un coup d’œil sur la Géorgie.

Le décor qui s’étale sous nos yeux ne noussemble pas particulièrement opulent. Aussi loin qu’on peut voir, iln’y a rien que des collines rouges crevassées de ravines, etmouchetées de bosquets de pins. La flore consiste surtout enbuissons de ronce. À une vingtaine de kilomètres, dans la directiondu Nord, on aperçoit une petite chaîne de montagnes relativementboisées.

Cette ville de Mountain Valley semblait avoirété piquée par la mouche tsé-tsé. Une douzaine de promeneurs, toutau plus, se baladaient sur les trottoirs ; mais ce qu’onvoyait surtout, c’étaient des tonneaux de gouttières, de lavolaille et des gamins qui fouillaient avec des bâtons dans lescendres produites par la combustion des décors du Théâtre del’Oncle Tom.

Et juste à ce moment-là, voilà qu’il passe, del’autre côté de la rue, un homme de haute taille, vêtu d’une longueredingote noire et d’un chapeau de castor. Toutes les personnesprésentes s’inclinent, et traversent la rue pour aller lui serrerla main ; d’autres sortent des magasins et des maisons pour lehéler ; des femmes se penchent aux fenêtres et sourient ;et tous les gosses cessent de jouer pour le regarder. Notreaubergiste sort sous le porche et se plie en deux comme un mètre decharpentier en susurrant ; « Bonjour,Colonel ! » – alors que celui-ci a déjà dépassé l’hôteld’une encablure.

– Grand-père, demande Caligula, est-ceque c’est l’empereur Alexandre ? Et pourquoi l’appelle-t-on« le Grand » ?

– Gentlemen, dit l’hôtelier, celui quevous voyez là n’est autre que le Colonel Jackson T. Rockingham,Président de la Compagnie de Chemin de Fer Sunrise and EdenvilleTap Railroad, maire de Mountain Valley, et Directeur du Comitéd’Immigration et des Embellissements Publics de Perry County.

– Absent depuis de longues années ?demandé-je. Juste de retour, sans doute ?

– Non, Monsieur : le Colonel Jacksonva chercher son courrier à la poste. Ses compatriotes sont heureuxde l’saluer ainsi tous les matins. Le Colonel est l’citoyen le plusprominent d’la ville. Non seulement il détient la plupart desactions de la Sunrise and Edenville Tap Railroad, mais il est aussipropriétaire de mille hectares de terres là-bas, d’l’aut’e côtéd’la rivière. Mountain Valley est fière, Monsieur, d’honorer uncitoyen qui a autant d’valeur et d’esprit public.

Durant une heure, cet après-midi là, Caligulase prélasse sous le porche dans une chaise longue avec un journalsous le nez, ce qui paraît anormal chez un homme qui faitprofession de mépriser l’imprimerie. À la fin, il se lève etm’entraîne vers le bout du porche, au milieu des torchons quisèchent au soleil. Je présume qu’il vient d’imaginer une nouvellecombine ; car il mordille le bout de sa moustache et faitclaquer l’élastique de sa bretelle gauche : c’est un symptômeque je connais bien.

– Qu’est-ce que ce sera ?demandé-je. Pourvu qu’il ne s’agisse ni d’actions de minesflottantes ni d’allumettes Pensylvaniennes, je consens à discuterle coup.

– Allumettes Pensylvaniennes ?Ah ! oui ! – Tu veux parler de ces salopards qui brûlentles pieds des vieilles femmes pour leur faire avouer où elles ontcaché le magot ? – Pouah !

Quand Caligula parle affaires, son éloquenceest toujours brève et amère.

– Tu vois ces montagnes ? dit-il enles montrant du doigt. – Et tu as vu ce Colonel qui possède deschemins de fer et qui fait autant de volume quand il va au bureaude poste que Roosevelt lorsqu’il défile dans son char de triomphe.Hé bien voilà : nous allons emporter le colonel dans lesmontagnes et lui infliger une rançon de dix mille dollars.

– Illégalité, dis-je, en secouant latête.

– Je savais que tu allais dire ça, répondCaligula. Certes, à première vue, ça paraît devoir bousculer un peula paix et la dignité. Mais ce n’est pas vrai. J’ai glané cetteidée dans le journal. Est-ce qu’on peut calomnier une combineéquitable que les États-Unis eux-mêmes ont absoute, endossée etratifiée ?

– Un enlèvement, dis-je, est une fonctionimmorale portée sur la liste des dérogations aux statuts. Si lesÉtats-Unis l’ont adopté, ça doit être à la suite de la promulgationd’une éthique nouvelle, similaire à la loi sur les loyers etl’électrification des campagnes.

– Écoute, dit Caligula. Je vaist’expliquer le cas qui est exposé dans le journal. Il y a uncitoyen grec nommé Burdick Harris qui a été capturé par lesAfricains pour être rançonné. Et voilà les États-Unis qui envoientdeux canonnières à Tanger et obligent le Roi du Maroc à payersoixante-dix mille dollars au chef kidnappeur, Raisouli.

– Doucement ! Doucement !dis-je. Ça me paraît trop international pour être ingurgité d’unseul coup. Découpe-moi ça en petites tranches denationalisations.

– Hé bien, voilà ! dit Caligula.C’est une dépêche de Constantinople. Tu verras ça dans sixmois : ça sera confirmé dans les revues mensuelles. Et alorson ne tardera pas à la retrouver à côté des photos de l’éruption duVésuve et de la catastrophe de Pompéi dans les magazines illustrésqu’on lit chez les coiffeurs en attendant un fauteuil. C’est toutce qu’il y a de régulier, Jeff. Ce chef kidnappeur Raisouli cacheBurdick Harris dans les montagnes, et fait publier son prix auprèsdes gouvernements des différentes nations. Hé bien, tu ne voudraispas supposer une minute que le nôtre s’en serait mêlé et auraitfavorisé cette combine si ça n’était pas une opération régulière,hein ?

– Heu, non ! dis-je. J’ai toujourssoutenu la politique du Président, et je ne pourrais pas, en touteconscience, critiquer l’administration républicaine en ce moment.Mais, si Harris est un Grec, en vertu de quel système de protocoleinternational l’oncle Sam peut-il intervenir ?

– Ça n’est pas exactement expliqué dansle journal, dit Caligula. Je suppose que c’est une question de –sentiment. Tu sais que notre Ministre des Affaires Étrangères estd’origine écossaise ; – et ces Grecs portent des petitesculottes, eux aussi. Bref, ils envoient le Brooklyn etl’Olympialà-bas, et font pointer leurs canons de trentepouces sur l’Afrique. Puis, le Ministre demande par câble desnouvelles des persona grata. « Comment vont-ils cematin ? Est-ce que Burdick Harris est toujours en vie ?Ou bien Mr Raisouli est-il trépassé ? » Et à cesmots le Roi du Maroc envoie les soixante-dix mille dollars, – etBurdick est relâché ! Et cette petite affaire de rançon causebeaucoup moins d’aigreur entre les nations que l’accaparement d’uneîle de Guano par les Russes dans le détroit du Kamtchaka. EtBurdick Harris accorde des interviews et déclare aux reporters dansla langue grecque, qu’il a beaucoup entendu parler des États-Unis,et qu’il admire Roosevelt presque autant que Raisouli, qui est l’undes plus corrects et loyaux kidnappers avec lesquels il ait jamaistravaillé. Ainsi, Jeff, conclut Caligula, tu vois que nous avons laloi des nations de notre côté. Nous allons séparer ce Colonel dutroupeau, et l’enfermer dans ces petites montagnes, et coincer seshéritiers et fondés de pouvoirs pour dix mille dollars.

– Hé bien, répliqué-je, sacré vieillepetite terreur territoriale, à tête de carotte, allons-y pour tacombine internationale : j’en suis. Mais n’essaye pas debluffer le vieux Jeff Peters. Je doute que tu aies parfaitementassimilé la substance de cette affaire Burdick Harris, Calig. Etsi, un de ces matins, nous recevons un télégramme du Ministèredemandant des nouvelles de la santé de l’opération, je suis d’avisd’acquérir les deux mules les plus accessibles et les plus rapidesdu voisinage, et de galoper diplomatiquement par-dessus lafrontière, jusqu’à la paisible nation limitrophe dénomméeAlabama.

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