Les Veillées du hameau près de Dikanka – Tome I

VIII

 

La queue bassecomme un chien,

Comme Caïn, ilne fut plus que frayeur,

Une roupie luiperla au nez.

(Kotliarewski.L’Énéide.)

 

L’épouvante avait cloué sur place tous ceuxqui se trouvaient dans la maison. Le compère, bouche bée,paraissait pétrifié ; les yeux lui sortaient à ce point desorbites qu’ils semblaient prêts à faire feu et il tendait,immobiles dans l’air, ses doigts écarquillés. Pris d’une terreurdésormais rebelle à tout apaisement, le fanfaron de haute tailleavait bondi jusqu’au plafond, cognant de la tête les traverses del’étagère. Les planches cédèrent et le fils du pope chut sur le soldans un grand charivari de tessons.

– Aïe, aïe, aïe ! hurlaitdésespérément l’un des hôtes que la terreur avait culbuté sur unbanc et qui dans cette posture battait le vide de ses bras et deses jambes.

– Au secours ! bramait à pleingosier un autre, précipité dans des transes mortelles et qui seblottissait sous sa pelisse en peau de mouton.

Le compère, qu’un second accès de frayeuravait tiré de sa pétrification, s’en allait à quatre pattes etagité de convulsions chercher refuge sous les cotillons de safemme. Le bravache efflanqué s’insinua dans le poêle, malgrél’exiguïté de l’ouverture, et rabattit sur lui le couvercle. Quantà Tchérévik, pareil à quelqu’un que l’on aurait douché d’eaubouillante, il s’était coiffé d’un pot en guise de chapeau, et seruant au dehors, galopait comme un fou au hasard des rues, sansmême voir où il posait le pied. Seule, la fatigue le força àralentir l’allure ; son cœur cognait comme un pilon à moudrele grain et dans son épuisement il était sur le point de défaillir.Soudain, il lui sembla entendre qu’un inconnu lui donnait la chasseet son imagination battit la campagne.

– Le diable, c’est le diable !vociféra-t-il, hors de lui et décuplant ses efforts ; mais uninstant après il s’écroulait sans connaissance.

– Le diable, c’est le diable !criait-on derrière lui et la seule chose dont il eut conscienceavant de perdre tout à fait le sentiment fut la chute de quelqu’unqui culbutait bruyamment sur lui. Dès lors, il demeura muet et sansmouvement au beau milieu de la route, comme le pitoyable occupantd’un étroit cercueil.

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