Micah Clarke – Tome II – Le Capitaine Micah Clarke

VI – Un échange de poignées de mainsentre moi et le Brandebourgeois.

Le Roi Monmouth avait convoqué une réunion duconseil pour la soirée et donné au colonel Decimus Saxon l’ordred’y venir.

Je m’y rendis avec lui, muni du petit paquetque Sir Jacob Clancing avait confié à ma garde.

Arrivés au château, nous apprîmes que le Roin’était pas encore sorti de sa chambre.

On nous introduisit dans le grand hall pourl’attendre.

C’était une belle pièce avec de hautesfenêtres et un superbe plafond de bois sculpté.

Tout au fond on avait fixé les armoiries deMonmouth, mais sans la barre à senestre qu’il avait portéejusqu’alors.

Là étaient réunis les principaux chefs del’armée, un grand nombre des officiers subalternes desfonctionnaires de la ville, et d’autres personnes qui avaient desrequêtes à présenter. Lord Grey de Wark était debout près d’unefenêtre et contemplait la campagne d’un air sombre.

Wade et Holmes hochaient la tête et causaientà demi-voix dans un coin.

Ferguson allait et venait à grands pas, saperruque posée de travers, lançant à tue-tête des exhortations etdes prières, qu’il prononçait avec l’accent écossais le plusmarqué.

Un certain nombre de personnages, aux costumesplus gais, s’étaient groupés devant la cheminée sans feu etécoutaient l’un d’eux racontant une histoire dans un langage bourréde jurons, et qui les faisait rire aux éclats.

Dans un autre coin, un groupe de fanatiques,en vêtements noirs ou bruns, avec de larges poignets blancs et desmanteaux traînants, faisaient cercle autour de quelqu’un desprédicants les plus goûtés et discutaient à demi-voix laphilosophie calviniste dans ses rapports avec la science dugouvernement.

Un petit nombre de soldats aux costumes et auxfaçons simples qui n’étaient ni des courtisans, ni des sectairesallaient et venaient, ou regardaient fixement par les fenêtres lecamp plein d’animation qui était formé sur la pelouse duchâteau.

Saxon me conduisit vers l’un de ces hommesremarquable par sa haute stature et la largeur de ses épaules, etle tirant par la manche, il lui tendit la main comme à un vieilami.

– Mein Gott ! s’écrial’aventurier allemand, car c’était celui-là même que Saxon m’avaitdésigné le matin, je me suis dit que c’était bien vous, Saxon,quand je vous ai vu près de la porte, quoique vous soyez encoreplus maigre qu’autrefois. Comment se fait-il qu’après avoir lampéautant de bonne bière bavaroise que vous l’avez fait, vous soyezresté aussi décharné. Cela dépasse mon intelligence. Et comment vosaffaires ont-elles marché ?

– Comme, jadis, dit Saxon, plus de coups quede thalers, et j’ai eu plus souvent besoin d’un chirurgien que d’uncoffre-fort. Quand vous ai-je vu pour la dernière fois, monami ? N’était-ce pas à l’affaire de Nuremberg, quand jecommandais l’aile droite, et vous l’aile gauche de la grossecavalerie ?

– Non, dit Buyse, je vous ai rencontré depuislors, sur le terrain des affaires. Avez-vous oublié l’escarmouchesur les bords du Rhin, quand vous avez déchargé sur moi votre fusilhollandais ? Sans un gredin qui éventra mon cheval, je vousaurais fait sauter la tête aussi aisément qu’un gamin abat deschardons avec un bâton.

– Oui, répondit Saxon avec placidité, jel’avais oublié. Vous avez été fait prisonnier, si je m’en souviensbien, mais par la suite vous avez assommé la sentinelle avec voschaînes et franchi le Rhin à la nage sous le feu d’un régiment. Etcependant, je crois, nous vous avions offert les mêmes avantagesque vous receviez des autres.

– On m’a fait, en effet, de ces sales offres,dit l’Allemand, d’un ton âpre. À quoi j’ai répondu que si jevendais mon épée, je ne vendais pas mon honneur. Il est bon que descavaliers de fortune fassent voir ce qu’est pour eux un contrat…comment dites-vous… inviolable pour toute la durée de la guerre.Alors on redevient parfaitement libre de changer sonpayeur-général. Pourquoi pas ?

– C’est vrai, mon ami, c’est vrai, réponditSaxon. Les mendiants d’Italiens et de Suisses ont fait du métier unvrai commerce. Ils se sont vendus avec tant de sans-gêne, corps etâme, à celui qui a la bourse la mieux garnie, que nous devons nousmontrer chatouilleux sur le point d’honneur. Mais vous vousrappelez la poignée de main d’autrefois que pas un homme duPalatinat n’était de force à échanger avec vous. Voici moncapitaine, Micah Clarke. Il faut qu’il voie quelle chaude bienvenuepeut vous faire un Allemand du Nord.

Le Brandebourgeois montra ses dents blanchesdans un ricanement en me tendant sa large main brunie. Dès que lamienne y fut enfermée, il mit brusquement toute sa force à laserrer, si bien que le sang se porta vivement aux ongles, et quej’eus toute la main paralysée, impuissante.

– Donner wetter ! s’écria-t-ilen riant à gorge déployée au sursaut de douleur et de surprise quej’avais fait. C’est une grosse farce à la Prussienne et les gaminsd’Angleterre n’ont pas assez d’estomac pour cela.

– À vrai dire, fis-je, c’est la première foisque j’ai vu cet amusement et je ne demanderais pas mieux que de m’yexercer sous un maître aussi capable.

– Comment ? Encore une fois ?s’écria-t-il, mais vous devez être encore tout échaudé de lapremière. Eh bien, je ne vous la refuserai pas, quoique, aprèscela, vous n’ayez plus la même force pour serrer la poignée devotre sabre.

En disant ces mots, il tendit sa main, que jesaisis avec force, pouce contre pouce, en levant le coude pourmettre toute ma force dans cette pression.

Ainsi que je l’avais remarqué, son artificeconsistait à paralyser l’autre main par un grand et brusquedéploiement de force.

J’y résistai en déployant moi-même toute lamienne.

Pendant une ou deux minutes, nous restâmesimmobiles, nous regardant dans les yeux.

Puis, je vis une goutte de sueur rouler surson front.

Je fus alors certain qu’il était vaincu.

La pression diminua lentement.

Sa main devint inerte, molle pendant que lamienne continuait à se serrer si bien qu’enfin, d’une voixgrognonne et étouffée, il fut contraint de me demander de lelâcher.

– Diable et Sorcellerie ! s’écria-t-il enessuyant le sang qui sortait goutte à goutte sous ses ongles,j’aurais mieux fait de mettre mes doigts dans un piège à rats. Vousêtes le premier qui ait pu échanger une vraie poignée de mains avecAntoine Buyse.

– Nous produisons du muscle en Angleterreaussi bien que dans le Brandebourg, dit Saxon qui riait aux éclatsen voyant la déconfiture du soldat allemand. Hé, tenez, j’ai vu cejeune garçon prendre à bras-le-corps un sergent de dragons degrandeur naturelle et le jeter dans une charrette aussi aisémentqu’il eût fait d’une pelletée de terre.

– Pour fort, il l’est ! grogna Buyse, quitordait encore sa main paralysée, aussi fort que Goetz à la main defer. Mais à quoi sert la force toute seule pour le maniement d’unearme ? Ce n’est pas la force du coup, mais la manière dont ilest porté, qui produit l’effet. Tenez, votre sabre est plus lourdque le mien, à première vue, et cependant ma lame ferait uneentaille plus profonde. Eh ! n’est-ce pas un jeu plus digned’un guerrier que ne l’est un amusement d’enfants, comme unserrement de main, et le reste ?

– C’est un jeune homme modeste, dit Saxon, etpourtant je parierais pour son coup contre le vôtre.

– Quel enjeu ? grogna l’Allemand.

– Autant de vin que nous pourrons en boire enune séance.

– Ce n’est pas peu dire, en effet, fit Buyse,un couple de gallons pour le moins. Eh bien soit. Acceptez-vous lalutte ?

– Je ferai ce que je pourrai, dis-je, bien queje n’aie guère l’espoir de frapper aussi fort qu’un vieux soldatéprouvé.

– Que le diable emporte vos compliments !cria-t-il d’un ton rageur. Ce fut avec de douces paroles que vousavez pris mes doigts dans ce piège à imbéciles que voilà.Maintenant voici mon vieux casque d’acier espagnol. Comme vous levoyez, il porte une ou deux traces de coups, et une nouvelle marquene lui fera pas grand mal. Je le pose ici sur cette chaise qui estassez haute pour donner un jeu suffisant au coup de sabre.Allons-y, mon gentilhomme, et voyons si vous êtes capable d’ymettre votre marque.

– Frappez le premier, monsieur, dis-je,puisque vous avez porté le défi.

– Il me faudra abîmer mon propre casque pourrefaire ma réputation de soldat, grommela-t-il. Soit, soit, cesjours-ci il a résisté à plus d’un coup de taille.

Il tira son sabre, fit reculer la foule quis’était amassée autour de nous, brandit la lame avec une vigueurétonnante autour de sa tête, et l’abattit dans tout son élan, avecjustesse, sur le casque d’acier poli.

L’objet rebondit très haut, puis retomba àgrand bruit sur le parquet de chêne.

On y voyait une longue et profonde entaillequi avait pénétré à travers l’épaisseur du métal.

– Bien frappé ! Un beau coup !crièrent les spectateurs.

– C’est de l’acier mis à l’épreuve et troisfois trempé, garanti capable de faire glisser une lame de sabre,dit quelqu’un après avoir ramassé le casque pour l’examiner.

Puis il le replaça sur la chaise.

– J’ai vu mon père trancher de l’acier trempéavec ce vieux sabre, dis-je, en tirant l’arme qui avait cinquanteans d’âge. Il y mettait un peu plus de force que vous ne l’avezfait. Je lui ai entendu dire qu’un bon coup venait plutôt du dos etdes reins que des seuls muscles du bras.

– Ce n’est pas une conférence qu’il nous faut,mais un beispiel ou exemple, railla l’Allemand. C’est àvotre coup que nous avons affaire, et non aux leçons de votrepère.

– Mon coup, dis-je, est d’accord avec lesleçons de mon père.

Puis faisant tournoyer le sabre, je l’abattisde toute ma force sur le casque de l’Allemand.

La bonne vieille lame du temps de laRépublique trancha la plaque d’acier, coupa la chaise en deux etenfonça sa pointe à deux pouces de profondeur dans le parquet dechêne.

– Ce n’est qu’un tour, expliquai-je, un tourque j’ai exécuté à la maison dans les soirées d’hiver.

– Voilà un tour que je ne me soucierais guèrede voir faire sur moi, dit Lord Grey au milieu du murmure générald’applaudissements et de surprise. Par ma foi, mon homme, vous êtesvenu au monde deux siècles trop tard. Quelle valeur auraient euevos muscles avant que la poudre à canon eût mis tous les hommes aumême niveau !

– Merveilleux ! grogna Buyse,merveilleux ! J’ai passé l’âge de la force, mon jeunemonsieur, et je puis bien vous laisser la palme de la vigueur.C’était vraiment un coup magnifique. Voilà qui m’a coûté un barilou deux de vin des Canaries, et un bon vieux casque, mais je ne leregrette pas, car la chose s’est faite en toute loyauté. Je suisheureux que ma tête n’ait pas été dedans. Saxon, que voici, nous afait voir quelques beaux tours à l’épée, mais il n’a pas le poidsqu’il faut pour des coups assommants comme celui-ci.

– J’ai encore le coup d’œil juste et la mainferme, bien que le défaut d’exercice leur ait fait perdre quelquechose, dit Saxon, trop heureux de saisir cette occasion d’attirersur lui les regards des chefs. Au sabre, avec l’épée et la dague,l’épée et le bouclier, un seul fauchon ou l’assortiment defauchons, mon défi d’autrefois tient toujours contre le premiervenu, à l’exception de mon frère Quartus, qui joue aussi bien quemoi, mais il a un demi-pouce de taille qui lui donne l’avantage surmoi.

– J’ai étudié l’escrime au sabre sous lesignor Contarini, de Paris, dit Lord Grey. Quel a étévotre maître ?

– Mylord, dit Saxon, j’ai étudié sous lesignor l’Âpre Nécessité, d’Europe. Pendant trente-cinqans, chaque jour de ma vie a dépendu de ce que j’étais en mesure deme défendre avec ce bout d’acier. Voici un petit tour qui exigequelque justesse de coup d’œil. Il consiste à lancer cet anneau auplafond et à le recevoir à la pointe d’une rapière. Cela semblepeut-être facile, et cependant on ne peut y arriver sans quelquepratique.

– Facile ! s’écria Wade, l’homme de loi,personnage à figure carrée, au regard hardi. Mais l’anneau estjuste assez large pour votre petit doigt. On pourrait réussir cetour une fois par hasard, mais on ne peut y compter.

– Je mets une guinée sur chaque coup, ditSaxon, et jetant en l’air le petit cercle d’or, il brandit sarapière et lança un coup de pointe.

L’anneau glissa avec un bruit métallique lelong de la lame et sonna contre la garde, dextrement enfilé. D’unvif mouvement du poignet, il le lança de nouveau au plafond, oùl’anneau heurta une poutre sculptée et changea de direction, maisil fit encore un prompt mouvement en avant, se plaça dessous et lereçut sur la pointe de son épée.

– Sûrement il y a dans l’assistance quelquecavalier capable de faire ce tour-là aussi bien que moi, dit-il enremettant l’anneau à son doigt.

– Colonel, je crois que je pourrais m’yrisquer, dit une voix.

Nous regardâmes autour de nous et vîmes queMonmouth était entré dans la salle et attendait en silence, près dugroupe nombreux.

Il était resté inaperçu grâce à l’attentiongénérale qu’avait absorbée notre rivalité.

– Non, non, gentilshommes, reprit-il d’un toncharmant, pendant que nous nous inclinions et faisions des salutsd’un air assez embarrassé… Mes fidèles compagnons ne sauraientmieux employer leur temps qu’à reprendre un peu le souffle avecquelques petits jeux à l’épée. Je vous en prie, colonel, prêtez-moivotre rapière.

Il ôta de son doigt un anneau où étaitenchâssé un diamant, le lança en l’air et l’enfila avec autantd’adresse que l’avait fait Saxon.

– Je me suis exercé à ce tour à la Haye, où,sur ma foi, j’avais beaucoup trop de loisirs à consacrer à depareilles bagatelles. Mais que signifient ces plaques d’acier, etces éclats de bois épars sur le plancher ?

– Un fils d’Anak est apparu parmi nous, ditFerguson, levant de mon côté sa figure toute ravagée et rougie parla scrofule. Un Goliath de Gath dont le coup est pareil à celuid’une ensouple de tisserand. N’a-t-il pas la joue lisse d’un petitenfant et les muscles de Bellemoth.

– Un coup adroit, en vérité, dit le Roi enramassant la moitié de la chaise. Et comment se nomme notrechampion ?

– Il est mon capitaine, Majesté, dit Saxon enremettant au fourreau l’épée que le Roi lui avait tendue, MicahClarke, natif du Hampshire.

– Ce pays-là produit une bonne vieille raceanglaise, dit Monmouth, mais comment se fait-il que vous voustrouvez ici, monsieur ? J’ai convoqué ce matin ma suitepersonnelle, et les colonels des régiments. Si tous les capitainesdoivent être admis à nos conseils, nous serons obligé de le tenirsur la pelouse du château, car il n’y aura pas de salle assezgrande pour nous.

– Majesté, répondis-je, si je me suis hasardéà venir ici, c’est que, au cours de mon voyage j’ai été chargéd’une commission, qui consistait à remettre un paquet entre vosmains. J’ai donc cru qu’il était de mon devoir de ne pas perdre unmoment pour m’acquitter de ma mission.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.

– Je l’ignore, répondis-je.

Le Docteur Ferguson chuchota quelques mots àl’oreille du Roi, qui se mit à rire, et tendit la main pour prendrele paquet.

– Ta ! Ta ! dit-il, les temps desBorgia et des Médicis sont passés, docteur. En outre ce jeune hommen’est point un conspirateur italien et la Nature lui a donné commecertificat d’honnêteté de loyaux yeux bleus et une chevelurecouleur de chanvre. C’est bien lourd… un lingot de plomb, à enjuger par le poids. C’est enfermé dans de la toile cousue avec dugros fil. Ha ! c’est un barreau d’or, d’or vierge massif,n’est-ce pas bien extraordinaire. Chargez-vous de cela, Wade, etveillez à ce que cela entre dans le trésor commun. Ce petit morceaude métal peut fournir dix piquiers. Qu’est-ce que ceci ? Unelettre et un pli fermé. « À James, Duc de Monmouth. »Hum ! ceci a été écrit avant que nous eussions pris notretitre royal : « Sir Jacob Clancing, jadis de Snellaby-Hall,envoie ses salutations et une preuve d’affection. Menez la bonneœuvre à la bonne fin. Cent lingots pareils vous attendent quandvous aurez traversé les plaines de Salisbury. » De magnifiquespromesses, Sir Jacob ! Je souhaiterais que vous les eussiezenvoyées. Eh bien, messieurs, vous le voyez, l’aide et lestémoignages de bonne volonté affluent vers nous. N’est-ce pasl’heure de la marée montante ? L’usurpateur a-t-il quelqueespoir de se maintenir ? Ses gens lui resteront-ilsattachés ? En un mois, et même moins du temps, je vous verraitous réunis autour de moi à Westminster, et alors aucun devoir neme sera plus agréable que de pourvoir à ce que tous, du plus hautjusqu’au moindre, vous soyez récompensés de votre loyauté enversvotre monarque en cette heure sombre pour lui, en cette heurepérilleuse.

Un murmure de gratitude s’éleva du milieu descourtisans à ce gracieux discours, mais l’Allemand tira saxon parla manche et dit tout bas :

– Il a son accès de chaleur maintenant. Vousallez le voir se refroidir bientôt.

– Quinze cents hommes m’ont rejoint ici, où jen’en attendais qu’un millier au plus, reprit le Roi. Si nous avionsde grandes espérances lors de notre débarquement à Lyme Cobb, oùnous étions accompagné de quatre-vingts personnes, que devons-nouspenser maintenant, quand nous nous trouvons dans la principaleville du Somerset avec huit mille braves autour de nous ?Encore une affaire comme celle d’Axminster, et le pouvoir de mononcle s’écroulera comme un château de cartes. Mais réunissez-vousautour de la table, messieurs, et nous allons discuter sur lesaffaires selon toutes les règles.

– Voici encore un bout de papier que vousn’avez pas lu, sire, dit Wade en lui tendant un billet qui avaitété inclus dans la note.

– C’est une attrape rimée, ou un refrain deronde, dit Monmouth en y jetant un coup d’œil. Quel sensdonnerons-nous à ceci ?

Quand ton étoile sera dans le trineaspect,

Entre l’éclat et les ténèbres,

Duc Monmouth, Duc Monmouth,

Méfie-toi du Rhin.

– Ton étoile dans le trine aspect ?Qu’est-ce que cette mauvaise plaisanterie.

– S’il plaît à Votre Majesté, dis-je, j’ai desmotifs de croire que la personne qui vous a envoyé ce message estun des adeptes profondément versés dans les arts de la divination,et qui prétendent annoncer les destinées des hommes d’après lesmouvements des corps célestes.

– Ce gentleman a raison, sire, fit remarquerLord Grey. Ton étoile dans le trine aspect, est un termed’astrologie qui signifie que votre planète natale sera dans unecertaine région du ciel. Ces vers tiennent de la prophétie. LesChaldéens et les Égyptiens du temps jadis passent pour avoir acquisune grande habileté dans cet art, mais j’avoue que je ne fais pasgrand cas de l’opinion de ces prophètes des temps nouveaux qui sedonnent la peine de répondre aux sottes questions de la premièreménagère venue :

Et qui révèlent grâce à Vénus ou à la Lune

Qui a volé un dé à coudre ou une cuiller.

dit à demi-voix Saxon, citant un passage deson poème favori.

– Eh ! voici que nos colonels prennent lamaladie de la rime, dit le Roi en riant. Nous allons donc poserl’épée pour prendre la harpe, ainsi que le fit Alfred en ce mêmepays. Ou bien je deviendrai un Roi des bardes et des trouvères,comme le bon Roi René de Provence. Mais, messieurs, si c’estvraiment une prophétie, elle est, à mon avis, de bon augure pournotre entreprise. Sans doute je suis invité à me défier du Rhin,mais il est bien peu probable que notre querelle se décide par lesarmes sur ses rives.

– Tant pis ! murmura l’Allemand entre sesdents.

– Ainsi donc nous pouvons remercier ce SirJacob et son gigantesque messager pour sa prédiction autant quepour son or. Mais voici le digne Maire de Taunton, le plus âgé denos conseillers et le plus récent de nos chevaliers. CapitaineClarke, je vous prie de vous poster en dedans de la porte et devous opposer à toute intrusion. Ce qui se passe entre nous, sera,j’en suis certain, en sûreté sous votre garde.

Je m’inclinai et pris le poste qui m’étaitassigné pendant que les conseillers et les chefs militairess’asseyaient autour de la grande table de chêne qui occupait lecentre du hall.

La douce lumière du soir se répandait à flotspar les trois fenêtres de l’ouest, tandis que les conversations dessoldats campés sur la pelouse du château résonnait comme lebourdonnement endormant des insectes.

Monmouth allait et venait d’un pas rapide,d’un air embarrassé, jusqu’au bout de la pièce, jusqu’à ce que toutle monde fût assis.

Alors il se tourna vers le groupe et luiadressa la parole :

– Vous avez dû deviner, messieurs, dit-il, quesi je vous ai réunis aujourd’hui, c’est pour profiter de votresagesse collective et me fixer sur le parti que nous avons àprendre. Nous nous sommes avancés d’environ quarante milles dansnotre royaume, et nous avons trouvé partout le chaleureux accueilauquel nous nous attendions. Bien près de huit mille hommes suiventnos étendards et un nombre égal ont dû être renvoyés faute d’armes.Nous nous sommes trouvés deux fois en présence de l’ennemi, et lerésultat de ces rencontres nous a livré ses mousquets et ses piècesde campagne. Depuis le début jusqu’au dernier moment, il ne s’estrien passé qui n’ait tourné à notre avantage. Nous devons faire ensorte que l’avenir soit aussi heureux que le passé. C’est pourassurer ce succès que je vous ai réunis, et maintenant je vousdemande de me donner votre avis sur notre situation, et de melaisser combiner notre plan d’action après que je vous auraientendus. Il y a parmi vous des hommes d’état, il y a parmi vousdes militaires, il y a parmi vous des hommes de piété qui peuventapercevoir un éclair de lumière alors qu’hommes d’état etmilitaires sont dans les ténèbres. Donc parlez sans crainte,faites-moi connaître vos pensées.

De mon poste central près de la porte jevoyais parfaitement les rangées de figures de chaque côté de latable, les solennels Puritains à la face rasée, les soldats brûléspar le soleil, les courtisans à moustaches et en perruquesblanches.

Mes yeux se portèrent surtout sur les traitsscorbutiques de Ferguson, sur le profil dur, aquilin de Saxon, surla face grossière de l’Allemand et sur la figure pointue et pensivedu lord de Wark.

– Si aucun autre ne veut exprimer une opinion,s’écria le fanatique docteur, je vais parler moi-même, comme étantinspiré par une voix intérieure. Car n’ai-je pas travaillé pour lacause, ne m’en suis-je pas fait l’esclave, pâtissant, souffrant,bien des choses par le fait de l’audacieux ? Par quoi monesprit a fructifié avec abondance. N’ai-je pas été foulé comme dansun pressoir à vin et jeté au rebut avec des sifflets et dumépris ?

– Nous connaissons vos mérites et vossouffrances, docteur, dit le Roi. La question qui nous est soumiseest de savoir ce que nous avons à faire.

– Une voix ne s’est-elle pas fait entendre àl’Orient ? cria le vieux Whig. Un nom ne s’est-il pas élevécomme celui d’une grande clameur, de grands pleurs pour un Covenantviolé et une génération pécheresse. D’où venait ce cri ?Quelle était cette voix ? N’était-elle pas celle de cet homme,Robert Ferguson, qui s’est dressé contre les grands de la terre etn’a pas voulu se laisser apaiser ?

– Oui, oui, docteur, dit Monmouth, avecimpatience. Parlez de ce qui nous occupe, ou faites place à unautre.

– Je vais m’expliquer clairement, Majesté.N’avez-vous pas appris qu’Argyle est pris. Et pourquoi est-ilpris ? Parce qu’il n’a point eu la confiance qu’il devaitavoir dans les œuvres du Tout-Puissant, parce qu’il lui a fallurejeter l’aide des enfants de lumière pour accepter celle desrejetons du Prélatisme, hommes aux jambes nues, à moitié païens, àmoitié papistes. S’il avait marché dans la voie du Seigneur, il neserait point enfermé dans la Prison d’Édimbourg, avec la corde oula hache en perspective. Que n’a-t-il ceint ses reins, pour marcherdroit en avant, avec l’étendard de la lumière, au lieu de s’amuserici et là, à attendre, ainsi qu’un Didyme au cœur incertain. Etnotre sort sera le même ou pire encore, si nous n’avançons pas dansl’intérieur, si nous ne plantons pas nos étendards devant cetteville coupable de Londres, la ville où l’œuvre du Seigneur doitêtre faite, où l’ivraie doit être séparée du froment, et entassée àpart pour être brûlée.

– En somme, vous êtes d’avis que nous nousmettions en marche, demanda Monmouth.

– Que nous marchions en avant, Majesté, et quenous nous préparions à être les instruments de la grâce, que nousnous abstenions de souiller la cause de l’Évangile en portant lalivrée du diable, dit-il en lançant un regard féroce à un cavalierau costume brillant qui était assis de l’autre côté de la table,qu’on renonce à jouer aux cartes, à chanter des chansons profanes,et à lancer des jurons, autant de fautes qui sont commises chaquesoir par les membres de cette armée, ce qui est un grand scandaleenvers Dieu et le peuple.

Un murmure d’assentiment et d’approbations’éleva parmi les Puritains les plus fermes de l’assemblée, quandils entendirent exprimer cette opinion, pendant que les gens decour échangeaient des coups d’œil et avançaient les lèvres d’un airmoqueur. Monmouth alla et vint deux ou trois fois et demanda unautre avis.

– Vous, Lord Grey, dit-il, vous êtes un soldatet un homme d’expérience ; quel est votre avis ?Devons-nous faire halte ici ou pousser sur Londres ?

– Nous diriger vers l’Est serait aller à notreperte, selon mon humble jugement, répondit Grey, en parlant aveclenteur, et du ton d’un homme qui a longtemps et mûrement réfléchiavant de se prononcer. Jacques Stuart a beaucoup de cavalerie, etnous en sommes entièrement dépourvus. Nous pouvons tenir fermederrière des haies, dans un pays accidenté, mais quelle chanceaurions-nous au milieu de la plaine de Salisbury ? Entouréspar les dragons, nous serions comme un troupeau de moutons cernépar une bande de loups. En outre, chaque pas que nous faisons dansla direction de Londres nous éloigne du terrain qui nous estfavorable, et du pays fertile qui fournit à nos besoins, en mêmetemps que cela raccourcit la distance que Jacques Stuart doitparcourir pour amener ses troupes et ses subsistances. Ainsi donc,à moins que nous ne recevions la nouvelle d’un soulèvementimportant en notre faveur à Londres, nous ferions mieux de défendrenotre terrain et d’attendre une attaque.

– Vous raisonnez avec finesse et justesse,Mylord Grey, dit le Roi. Mais combien de temps attendrons-nous cesoulèvement qui ne se produit jamais, ces appuis toujours promisqui n’arrivent point. Voici sept longs jours que nous sommes enAngleterre et pendant ce temps, pas un des membres de la Chambredes Communes n’est venu à nous, et parmi les Lords il n’y a queLord Grey qui était lui-même en exil. Pas un baron, pas un comte,et un seul baronnet a pris les armes pour nous. Où sont les hommeque Danvers et Wildman m’avaient promis de Londres ? Où sontles remuants apprentis de la Cité qui, disait-on, me demandaientinstamment ? Où sont les insurrections qui devaient s’étendrede Berwick à Portland, à ce qu’on annonçait. Pas un homme n’abougé, excepté ces bons paysans. J’ai été trompé, attiré dans unpiège, poussé dans une trappe par de vils agents qui m’ont entraînéà l’abattoir.

Il allait et venait en se tordant les mains,se mordant les lèvres, le désespoir marqué en grands traits sur safigure.

Je remarquai que Buyse disait quelques mots àl’oreille de Saxon.

C’était sans doute une allusion à la crise defroid dont il avait parlé.

– Parlez, colonel Buyse, dit le Roi, faisantun violent effort pour maîtriser son émotion. En qualité de soldat,êtes-vous d’accord avec Mylord Grey ?

– Interrogez Saxon, Majesté, réponditl’Allemand. Dans une réunion du Conseil, mon opinion, ainsi que jel’ai remarqué, est toujours la même que la sienne.

– Alors nous nous adressons à vous, colonelSaxon, dit Monmouth. Nous avons dans ce conseil un parti en faveurd’une marche en avant, et un autre qui propose de maintenir notreposition. Si votre vote devait faire pencher la balance, quedécideriez-vous ?

Tous les regards se retournèrent vers notrechef, car son attitude martiale et le respect que lui témoignaitBuyse, un vétéran, faisaient supposer avec toute probabilité queson avis l’emporterait.

Il resta un instant silencieux, les mains sursa figure.

– Je vais dire ce que je pense, Majesté,fit-il enfin. Feversham et Churchill marchent vers Salisbury avectrois mille hommes d’infanterie, et ils ont lancé en avant huitcents hommes de la garde bleue et deux ou trois régiments dedragons. Nous serions donc forcés de livrer bataille dans la plainede Salisbury, comme l’a dit Lord Grey, et notre infanterie, qui ades armes de toutes les sortes, ne serait guère capable de résisterà leur caractère. Tout est possible au Seigneur, ainsi que le ditsagement le docteur Ferguson ; nous sommes comme des grains depoussière dans le creux de sa main. Toutefois il nous a donné de lacervelle pour que nous soyons en état de choisir le meilleur parti,et si nous omettons d’en faire usage, nous aurons à supporter lessuites de notre sottise.

Ferguson eut un rire dédaigneux, et marmottaune prière, mais bon nombre de Puritains hochèrent la tête en signed’assentiment, reconnaissant que cette façon de voir les chosesn’avait rien de déraisonnable.

– D’un autre côté, reprit Saxon, il me sembleégalement impossible que nous restions ici. Les amis qu’a VotreMajesté dans toute l’Angleterre seraient entièrement découragés sil’armée restait immobile, sans frapper un coup. Les paysansretourneraient près de leurs femmes, dans leurs foyers. Un telexemple est contagieux. J’ai vu une grande armée se fondre comme unglaçon au soleil. Une fois qu’ils seraient partis, il ne serait pasfacile de les réunir de nouveau. Pour les retenir, il faut lesoccuper. Ne jamais les laisser une minute sans rien faire, lesexercer, les faire marcher, les faire manœuvrer, les fairetravailler, leur prêcher, les faire obéir à Dieu et à leur colonel.Rien de cela n’est possible dans une garnison confortable. Nous nepouvons espérer de mener à sa fin cette entreprise, tant que nousne serons pas arrivés à Londres. Ainsi donc, Londres doit êtrenotre but. Mais il y a bien des routes pour y arriver. Sire, vousavez bien des partisans à Bristol et dans les Terres du centre, àce que j’ai entendu dire. S’il m’est permis de donner un conseil,je dirais : Marchons de ce côté-là. Chaque jour qui passeaugmentera le nombre de vos troupes et les rendra meilleures, sil’on s’aperçoit qu’on se remue. Supposez que nous prenions Bristol– et j’ai ouï dire que les ouvrages ne sont pas très forts – celanous donnerait une très bonne prise sur la navigation, et un centred’action comme il y en a peu. Si tout va bien pour nous, nouspourrions marcher sur Londres à travers les comtés de Gloucester etde Worcester. En attendant, je serais d’avis qu’une journée depeine et d’humiliation soit imposée pour appeler une bénédictionsur la cause.

Cette allocution, où étaient habilementcombinées la sagesse de ce monde et le zèle spirituel, conquit lesapplaudissements de toute l’assemblée, et surtout du Roi Monmouth,dont l’humeur mélancolique se dissipa comme par enchantement.

– Par ma foi, Colonel, dit-il, ce que vousdites est clair comme le jour. Naturellement, si nous prenons de laforce dans l’Ouest et si mon oncle est menacé de perdre despartisans quelque part, il n’aura aucune chance de tenir contrenous. S’il veut nous combattre sur notre propre terrain, il luifaudra dégarnir de troupes le Nord, le Sud et l’Est, chose àlaquelle on ne peut songer. Nous pouvons fort bien entreprendre lamarche sur Londres par la route de Bristol.

– Je trouve le conseil bon, remarqua LordGrey, mais je tiendrais à savoir sur quoi se fonde le colonelSaxon, pour dire que Churchill et Feversham sont en route avectrois mille hommes d’infanterie régulière, et plusieurs régimentsde dragons.

– Sur les paroles d’un officier des Bleus aveclequel je me suis entretenu à Salisbury, répondit Saxon. Il m’afait ses confidences, croyant que je faisais partie de la maison duDuc de Beaufort. Quant à la cavalerie, une troupe de celle-ci nousa poursuivis dans la Plaine de Salisbury avec des mâtins. Une autrenous a attaqués à moins de vingt milles d’ici, et a perdu unevingtaine d’hommes et un cornette.

– Nous avons entendu parler de l’affaire ditle Roi. Elle a été bravement menée. Mais si ces gens-là sont aussiprès, nous n’avons pas beaucoup de temps pour nos préparatifs.

– Leur infanterie ne peut être ici avant unesemaine, dit le Maire, et à ce moment-là nous serions de l’autrecôté des murs de Bristol.

– Il y a un point sur lequel on pourraitinsister, dit Wade, l’homme de loi. Ainsi que le dit avec grandevérité Votre Majesté, nous avons été cruellement désappointés parce fait qu’aucuns gentilshommes, et fort peu de membres importantsdes Communes ne se sont déclarés pour nous. La raison de cela, àmon avis, est que chacun d’eux attend que son voisin se mette enmouvement. S’il nous en venait un ou deux, les autres netarderaient pas à les imiter. Comment donc faire pour amener un oudeux Ducs sous nos étendards ?

– Voilà la question, Maître Wade, dit Monmouthen hochant la tête d’un air de découragement.

– Je crois que la chose est possible, réponditle légiste whig. De simples proclamations adressées à toutl’ensemble des citoyens n’attraperont pas ces poissons dorés. Ilsne mordront point à l’hameçon s’il n’y a point d’appât. Jerecommanderais une sorte de convocation, d’invitation qui seraitenvoyée à chacun d’eux, et qui les sommerait de se rendre à notrecamp, avant une certaine date, sous peine de haute trahison.

– Ainsi parla l’esprit des formes légales, ditle Roi Monmouth en riant. Mais vous avez omis de nous dire commentla dite citation ou sommation serait signifiée à ces mêmesdélinquants.

– Le Duc de Beaufort, reprit Wade, sanss’arrêter à l’objection du Roi, est Président de Galles, et commele sait Votre Majesté, lieutenant de quatre comtés anglais. Soninfluence s’étend sur tout l’Ouest. Il a deux cents chevaux dansses écuries à Badminton, et, à ce que j’ai ouï dire, mille hommess’assoient chaque jour à ses tables. Pourquoi ne ferait-on pas unetentative particulière pour gagner un tel personnage, d’autantmieux que nous nous proposons de marcher dans sadirection ?

– Malheureusement Henri, Duc de Beaufort, estdéjà en armes contre son souverain, dit Monmouth, d’un airsombre.

– Il l’est, Sire, mais on peut le décider àtourner en votre faveur l’armée qu’il a levée contre vous. Il estprotestant. On le dit Whig. Pourquoi ne lui enverrions-nous pas unmessage ? On flatterait son orgueil. On ferait appel à sareligion. On lui ferait des caresses et des menaces. Quisait ? Il peut avoir des griefs personnels que nous ignorons.Il est peut-être mûr pour une pareille démarche.

– Votre conseil est bon, Wade, dit Lord Grey,mais je trouve que Sa Majesté a fait une question bien naturelle.Je crains que votre messager n’en vienne à se balancer au boutd’une corde sur un des chênes de Badminton, si le Duc veut faireparade de son loyalisme envers Jacques Stuart. Où trouver un hommeà la fois assez avisé, et assez hardi pour une pareille mission,sans risquer un de nos chefs, dont nous aurions peine à nous passeren un temps pareil ?

– C’est vrai, répondit Monmouth, il vaudraitmieux renoncer tout à fait à cette aventure que de la tenter d’unefaçon maladroite et comme à regret. Beaufort croirait que c’est uncomplot ayant pour but non point de le gagner, mais de lecompromettre. Mais où veut en venir notre géant de la porte, avecces signes qu’il nous fait ?

– S’il plaît à Votre Majesté, demandai-je,m’autorisera-t-elle à parler ?

– Nous ne demandons pas mieux que de vousécouter, capitaine, répondit-il d’un ton plein de bienveillance,pour peu que votre intelligence soit proportionnée à votre force,votre opinion doit avoir du poids.

– Alors, Majesté, dis-je, je m’offrirais commemessager propre à me charger de l’affaire. Mon père m’a commandé den’épargner ni ma vie, ni mes membres en cette querelle, et sil’honorable Conseil pense qu’on peut gagner le Duc, je suis prêt àgarantir que le message lui sera remis, si un homme à cheval peutaccomplir la chose.

– Je déclare qu’on ne saurait choisir unmeilleur héraut, s’écria Saxon. Ce jeune homme a du sang-froid etun cœur à toute épreuve.

– Alors, jeune monsieur, nous agréons votreoffre vaillante et loyale, dit Monmouth. Êtes-vous d’accord sur cepoint, messieurs ?

Un murmure d’assentiment partit del’assemblée.

– Vous rédigerez la lettre, Wade. Offrez-luide l’argent, la préséance dans l’ordre des Ducs, la présidence desGalles à perpétuité, ce que vous voudrez, si vous pensez pouvoir lefaire hésiter. Si non, le séquestre, l’exil, l’infamie éternelle.Puis, écoutez-moi bien, vous pouvez joindre une copie des documentsécrits par Van Brunow, prouvant le mariage de ma mère, ainsi queles attestations des témoins. Tenez tout cela prêt pour demainmatin à la pointe du jour, heure où le messager pourra se mettre enroute.

– Tout cela sera prêt, Majesté, dit Wade.

– En ce cas, messieurs, reprit le RoiMonmouth, je puis vous renvoyer à vos postes. S’il survient quelquechose de nouveau, je vous réunirai une seconde fois pour mettre àprofit votre sagesse. Nous séjournerons ici, avec la permission deSir Stephen Timewell, jusqu’à ce que les hommes soient reposés etles recrues enrôlées. Alors nous nous mettrons en marche dans ladirection de Bristol, et nous verrons quelle sorte de chance nousaurons dans le Nord. Si Beaufort passe de notre côté, tout irabien. Adieu, mes bons amis, je n’ai pas besoin de vous recommanderla diligence et la fidélité.

Le Conseil se leva à ce congé du Roi, etchacun s’inclinant devant-lui sortit à la file du Hall du Château.Plusieurs des membres se groupèrent autour de moi pour me donnerdes indications au sujet de mon voyage, ou des avis sur la conduiteà tenir.

– C’est un homme plein d’orgueil etd’insolence, dit quelqu’un. Parlez-lui humblement. Sans quoi iln’écoutera pas votre message et vous fera chasser de sa présence àcoups de fouet.

– Non, non, s’écriait un autre, il est vif,mais il aime un homme qui soit homme. Parlez-lui honnêtement,franchement : il est plus probable qu’il entendra raison.

– Parlez-lui comme le Seigneur vous inspirerade le faire, dit un Puritain. C’est son message que vous portez,autant que celui du Roi.

– Tâchez de l’entraîner à l’écart sous quelqueprétexte, dit Buyse, puis hop ! en route, avec votre homme entravers de la selle. Tonnerre de grêle, voilà qui serait bienjoué.

– Qu’on le laisse tranquille, s’écria Saxon.Le gars a autant de bon sens qu’aucun de vous : il verra biende quel côté le chat saute. Allons, ami, revenons auprès de noshommes.

– Vraiment, je suis fâché de vous perdre,dit-il, pendant que nous nous faisions passage à travers la fouledes paysans et des soldats sur la pelouse du Château. Votrecompagnie vous regrettera vivement. Lockarby devra en commanderdeux. Si tout va bien, vous devez être de retour dans trois ouquatre jours. Je n’ai pas besoin de vous dire que vous allez à undanger réel. Si le Duc tient à prouver à Jacques qu’il n’entend pasqu’on cherche à le séduire, il ne peut le faire qu’en punissant lemessager, et en sa qualité de lieutenant du comté, il a le droit dele faire dans les temps d’agitation politique. C’est un homme dur,si les on-dit sont vrais. D’autre part, si vous avez la chance deréussir, cela peut être le fondement de votre fortune, ainsi que lemoyen de sauver Monmouth. Ah ! il a besoin d’aide, par le LordHarry ! Jamais je ne vis une cohue comme son armée. Buyse ditqu’ils se sont battus avec entrain à Axminster, mais il estd’accord avec moi pour déclarer que quelques coups de canon etquelques charges de cavalerie les éparpilleront par tout le pays.Avez-vous quelques messages à laisser ?

– Non, rien que de rappeler mon affection à mamère.

– C’est bien. Si vous succombez d’une façondéloyale, je n’oublierai pas Sa Grâce le Duc de Beaufort, et lepremier de ses gentilshommes qui tombera entre mes mains sera penduaussi haut qu’Aman. Et maintenant vous n’avez rien de mieux à faireque de gagner votre chambre, et de dormir aussi bien que possible,car votre nouvelle mission commence demain au chant du coq.

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