Micah Clarke – Tome II – Le Capitaine Micah Clarke

X – Des choses étranges qui se passentdans le Donjon des Botelers.

– Écrivez les paroles de cet individu, dit leDuc à son secrétaire. Maintenant, monsieur, il peut se faire quevous ignoriez que Sa Gracieuse Majesté le Roi m’a conféré pleinspouvoirs pendant cette période d’agitation, et que j’ai sonautorisation pour agir à l’égard des traîtres sans jury ni juge. Àce que je comprends, vous avez un grade dans la troupe rebelledésignée ici sous le nom de régiment de Saxon, de l’infanterie ducomté de Wilts. Dites la vérité, si vous tenez à votre cou.

– Je dirai la vérité pour quelque chose qui aplus d’importance que cela, Votre Grâce, répondis je. Je commandeune compagnie dans ce régiment.

– Et qui est ce Saxon ?

– Je répondrai de mon mieux sur ce qui meregardera moi-même, dis-je, mais pas un mot qui puisse compromettreautrui.

– Ha ! hurla-t-il, tout bouillant decolère, voici que notre joli gentilhomme juge à propos de faire ledélicat en matière d’honneur, après avoir pris les armes contre sonRoi. Je vous le déclare, monsieur, votre honneur est déjà en sifâcheux état que vous pouvez bien y renoncer pour ne songer qu’àvotre sûreté. Le soleil va se coucher à l’ouest. Avant qu’il soitcouché, il peut se faire que ce soit aussi le couchant de votrevie.

– Je suis le gardien de mon honneur, VotreGrâce, répondis-je. Quant à ma vie, si je craignais beaucoup de laperdre, je ne serais pas ici. Il est bon de vous informer que moncolonel a juré d’exercer d’exactes représailles, dans le cas où ilm’arriverait malheur, sur vous ou sur toutes les personnes de votremaison qui tomberont entre ses mains. Cela, je le dis non pointcomme une menace, mais comme un avertissement, car je le sais hommeà ne point manquer à sa parole.

– Votre colonel, comme vous l’appelez, pourraavoir bientôt assez de difficulté à se sauver lui-même, répondit leDuc d’un air narquois. Combien d’hommes Monmouth a-t-il aveclui ?

Je souris et hochai la tête.

– Comment ferons-nous pour que ce traîtreretrouve sa langue ? demanda-t-il avec colère, en s’adressantà son Conseil.

– Je lui mettrais les poucettes, dit un vieuxsoldat à mine farouche.

– J’ai entendu dire qu’une mèche allumée entreles doigts opère des prodiges, suggéra un autre. Dans la guerred’Écosse, Sir Thomas Dalzell a pu convertir par cet argument-làplusieurs personnes de cette race si entêtée, si endurcie que sontles Covenantaires.

– Sir Thomas Dalzell, dit un gentleman âgé,vêtu de velours noir, a étudié l’art de la guerre chez lesMoscovites, dans leurs rencontres barbares et sanglantes avec lesTurcs. Dieu veuille que nous autres Chrétiens d’Angleterre, nousn’allions pas chercher nos modèles parmi les idolâtres vêtus depeaux de bêtes d’un pays sauvage.

– Sir William voudrait que la guerre se fîtconformément aux règles de la plus pure courtoisie, dit celui quiavait pris le premier la parole. Une bataille se livrerait comme ondanse un menuet solennel, sans aucune atteinte à la dignité ou àl’étiquette.

– Monsieur, répondit l’autre avec vivacité, jeme suis trouvé sur le champ de bataille, alors que vous étiezencore dans les langes, et j’ai joué de l’épée quand vous aviez àpeine la force d’agiter un hochet. Dans les sièges et dans lesengagements, le métier de soldat veut force et rigueur, mais je disque la torture, dont l’emploi a été supprimé par la loi anglaise,devrait l’être aussi par le droit des gens.

– Assez, gentilshommes, assez, s’écria le Duc,voyant que la dispute allait probablement s’échauffer. Nous faisonsgrand cas de votre opinion, Sir William, ainsi que de la vôtre,colonel Marne. Nous les discuterons plus amplement en notreparticulier. Hallebardiers, emmenez le prisonnier, et qu’on luienvoie un prêtre pour pourvoir aux besoins de son âme.

– Le conduirons-nous à la chambre de force,Votre Grâce ? demanda le capitaine des Hallebardiers.

– Non, au vieux donjon des Botelers,répondit-il.

Et j’entendis appeler le nom qui venaitensuite sur la liste, pendant qu’on me faisait franchir une portelatérale, précédé et suivi d’un garde.

Nous traversâmes un nombre infini de passages,de couloirs, qui retentissaient de nos pas lourds et du bruit desarmes, et nous arrivâmes enfin à l’aile ancienne.

Là, dans la tourelle de l’angle, existait unepetite chambre nue, où l’humidité entretenait la moisissure.

Elle avait un plafond élevé, en forme de voûteet une longue fente dans le mur extérieur laissait seule entrer lejour.

Une petite couchette de bois et un siègegrossier formaient tout le mobilier.

Ce fut là que m’introduisit le capitaine, qui,après avoir posté un factionnaire près de la porte, entra avec moiet délia mes poignets.

C’était un homme à mine mélancolique.

Ses yeux graves, enfoncés, sa figure lugubre,juraient avec son équipement aux couleurs vives et le joli nœud derubans de son épée.

– Ayez du courage, mon garçon, dit-il d’unevoix creuse. On se sent étranglé, on gigote et c’est fini. Il y aun jour ou deux, nous avons eu la même corvée à faire, et l’homme aà peine gémi. Le vieux Spender, qui est maréchal-ferrant du Duc, aune façon à lui pour serrer le nœud, et non moins de jugement pourménager la chute, qui vaut celle de Dun, de Tyburn. Donc ayez ducourage, car vous ne passerez point par les mains d’unapprenti.

– Je voudrais pouvoir informer Monmouth queses lettres ont été remises, m’écriai-je, en m’asseyant sur le bordde la couchette.

– Sur ma foi, elles ont été remises. Quandvous auriez été le porteur de lettres à un penny de Mr RobertMurray, dont nous avons tant entendu parler à Londres au printempsdernier, elles ne seraient point parvenues plus directement.Pourquoi n’avez-vous parlé doucement au Duc ? C’est ungentilhomme bienveillant. Il a bon cœur, excepté quand on lecontrarie. Quelques mots sur le nombre des rebelles, sur leursdispositions, auraient pu vous sauver.

– Je m’étonne que vous, un soldat, vouspuissiez parler ou penser ainsi, dis-je avec froideur.

– Bon, bon, votre cou est à vous. S’il vousplaît de faire un saut dans le néant, ce serait dommage de vouscontrarier. Mais Sa Grâce a voulu que vous voyez le chapelain : ilfaut que j’aille le chercher.

– Je vous en prie, ne l’amenez pas, dis-je,car j’appartiens à une famille de dissenters, et j’aperçois uneBible là-bas dans cette niche. Aucun homme ne saurait m’aider à meréconcilier avec Dieu.

– Cela se trouve à point, répondit-il, car leDoyen Newby est venu de Chippenham, et en ce moment-ci, il discourtavec notre bon chapelain sur la nécessité de s’imposer desprivations, tout en s’humectant la gorge avec une bouteille deTokay premier choix. Au dîner, je l’ai entendu dire les grâces pource qu’il allait recevoir, et presque sans reprendre haleine,demander au maître d’hôtel comment il avait l’audace de servir à undiacre de l’Église un poulet non truffé. Mais peut êtredésirez-vous le secours spirituel du Doyen Newby ? Non ?En tout cas je ferai pour vous tout ce qu’on peut faireraisonnablement, puisque vous n’êtes pas pour longtemps entre nosmains. Et surtout ayez du courage.

Il sortit de la cellule, mais il rouvritbientôt la porte, et montra sa lugubre figure dansl’entrebâillement.

– Je suis le capitaine Sinclair, de la maisondu Duc, dit-il, si vous avez besoin de me demander quelque chose.Vous feriez bien de vous assurer le secours spirituel, car je vousapprendrai que dans cette cellule-ci il y a eu quelque chose depire que jamais ne le fut un gardien ou un prisonnier.

– Quoi donc ? demandai-je.

– Eh bien, oui, le diable, rien quecela ! répondit-il, en entrant et fermant la porte. Voicicomment cela s’est fait. Il y a deux ans, Hector Marot, ledétrousseur de grands chemins, fut enfermé dans cette même tour desBotelers. Cette nuit là, j’étais moi-même de garde dans le couloir,et à dix heures je vis le prisonnier assis sur le lit, tout commevous l’êtes en ce moment. À minuit, j’eus l’occasion de donner uncoup d’œil, selon mon habitude, dans l’espoir d’égayer ses heuresde solitude. Il avait disparu ! Oui, vous pouvez bien ouvrirde grands yeux. Je n’avais pas perdu de vue la porte un seulinstant, et vous vous rendrez compte par vous-même de lapossibilité qu’il fût parti par les fenêtres. Les murs et leplancher sont en blocs de pierre, autant dire du roc massif, pourla solidité. Lorsque j’entrai, il y avait une affreuse odeur desouffre, et la flamme de ma lanterne bleuit. Oui, il n’y a pas dequoi sourire. Si le diable n’est point parti en emportant Marot, jevous le demande, qu’est-ce qui l’a fait ? Car je suis bienconvaincu qu’un bon ange ne serait jamais venu le délivrer, commecela eut lieu jadis pour l’apôtre Pierre. Peut-être le Malintient-il à un autre oiseau de la même cage. Aussi puis-je vousavertir de vous prémunir contre ses attaques.

– Non, je ne le crains point, répondis-je.

– C’est bien, croassa le capitaine, ne soyezpas abattu.

Sa tête disparut et la clef tourna dans laserrure grinçante.

Les murs étaient d’une épaisseur telle, quequand la porte eut été fermée, il me fut impossible d’entendreaucun bruit.

À part la plainte du vent dans les branchesdes arbres en dehors de l’étroite fenêtre, tout était silencieuxcomme la tombe dans l’intérieur du donjon.

Ainsi abandonné à moi-même, je m’efforçai deme conformer au conseil du Capitaine Sinclair, et d’avoir le cœurferme, bien que ses propos fussent loin d’être encourageants.

Au temps de mon enfance, et toutparticulièrement parmi les sectaires avec lesquels je m’étaistrouvé en contact, la croyance que le Prince des Ténèbres semontrait à l’occasion, et qu’il intervenait sous une formecorporelle dans les affaires humaines était très répandue etincontestée.

Les philosophes, dans la paix de leur chambre,peuvent raisonner doctement sur l’absurdité de ces choses-là, maisdans un donjon où règne un demi-jour, où l’on est séparé du monde,où la lueur grise domine de plus en plus, où votre destinée estsuspendue au fléau de la balance, il en est tout autrement.

Si le récit du capitaine était vrai, l’évasionparaissait tenir du miracle.

J’examinai très attentivement les murs de lacellule.

Ils étaient formés de grands blocs carréshabilement ajustés ensemble.

La mince fente ou fenêtre était percée aumilieu d’un gros bloc de pierre.

Partout où la main pouvait atteindre, lasurface des murs était couverte de lettres et d’inscriptionsgravées par bien des générations de prisonniers.

Le sol était formé de dalles usées par lespas, et solidement réunies ensemble.

La recherche la plus minutieuse ne laissaitapercevoir aucun trou, aucune fissure par où un rat eût pus’enfuir, et à plus forte raison un homme.

C’est chose bien étrange, mes enfants, qued’être ainsi couché, d’avoir tout son sang-froid et de se dire queselon toutes les probabilités, dans quelques heures votre poulsaura battu pour la dernière fois, et que votre âme aura été lancéevers sa destination suprême.

C’est étrange, et très impressionnant.

Quand on se lance à cheval en pleine mêlée, lamâchoire contractée, les mains fortement serrées sur la bride etsur la poignée du sabre, on ne peut sentir les mêmes émotions, carl’esprit humain est ainsi fait qu’un frisson en efface toujours unautre. De même quand l’homme baisse et respire péniblement sur lelit ou il va mourir de maladie, on ne saurait dire qu’il a éprouvéce frisson, car l’esprit, affaibli par la maladie, ne peut ques’abandonner, et est incapable d’envisager de trop près ce à quoiil s’abandonne.

Mais quand un homme, plein de jeunesse et devigueur, est ainsi seul, qu’il voit la mort en face de lui,suspendue sur lui, il a pour entretenir ses pensées des chosestelles que, s’il survit, s’il atteint à l’âge où les cheveuxgrisonnent, toute sa vie subira l’empreinte, le changement queproduisent ces heures solennelles, ainsi qu’un cours d’eau dont ladirection est brusquement modifiée par le rude choc d’une rivecontre laquelle il s’est heurté.

Toutes les fautes, même les moindres, même lestravers, apparaissent avec clarté, en présence de la mort, commeles atomes de poussière deviennent visibles quand le rayon desoleil pénètre dans une chambre où l’on a fait l’obscurité.

Je les remarquai alors, et depuis, jel’espère, je les ai toujours remarqués.

J’étais assis la tête penchée sur ma poitrine,profondément absorbé par ce solennel enchaînement de pensées,lorsque j’en fus brusquement tiré par un bruit de coups trèsdistinct, tel que le produirait un homme qui voudrait attirerl’attention.

Je me levai d’un bond et plongeai mes regardsdans l’obscurité croissante sans pouvoir me rendre compte de quelcôté cela venait.

Je m’étais déjà presque persuadé que mes sensm’avaient trompé, quand le bruit se répéta, plus fort que lapremière fois.

Je levai les yeux et vis une figure quim’épiait à travers la meurtrière, ou plutôt une partie de lafigure, car je ne pouvais apercevoir que l’œil et le bord de lajoue.

En montant sur mon siège, je reconnus que cen’était rien autre que le fermier qui m’avait tenu compagnie enroute.

– Chut, mon garçon ! dit-il à demi-voixdans le plus pur anglais et non plus dans le patois de l’ouestcomme le matin.

Il passait son doigt à travers l’étroitefente, pour m’inviter au silence.

– Parlez bas, ou il pourra arriver que lagarde nous entende… Qu’est-ce que je puis faire pourvous ?

– Comment avez-vous fait pour savoir où jesuis ? demandai-je avec étonnement.

– Mais, mon homme, répondit-il, c’est que jeconnais cette maison-ci aussi bien que Beaufort lui-même laconnaît. Avant que Badminton fût construit, mes frères et moi, nousavons passé plus d’un jour à grimper sur la vieille tour desBotelers. Ce n’est pas la première fois que j’ai parlé par cettefenêtre. Mais vite, voyons, que puis-je faire pour vous ?

– Je vous suis obligé, monsieur, répondis je,mais je crains que vous ne puissiez rien faire pour m’être utile, àmoins vraiment, que vous ne soyez en mesure d’informer les amis quej’ai à l’armée, de ce qui m’est arrivé.

– Pour cela, je pourrais le faire, répondit lefermier Brown. Écoutez, mon garçon, ce que je vais vous dire àl’oreille et dont je n’ai soufflé mot à personne jusqu’à présent.Ma conscience me reproche parfois que nous étayons un Papiste, pourqu’il règne sur une nation protestante. Que les gouvernants soientcomme les gouvernés, voilà mon opinion. Aux élections, j’ai fait àcheval le voyage à Sudbury, et j’ai voté pour Maître Evans, deTurnford, qui était en faveur des Exclusionnistes. Pour sûr, si leBill en question avait été adopté, c’est le Duc qui serait assissur le trône de son père. La loi aurait dit oui. À présent elle dit: non. C’est une bien drôle chose que la loi, avec ses oui, oui,ses non, non, comme ceux de Barclay, le Quaker, qui est venu parici, complètement habillé de basane, et a qualifié le curé d’hommecoiffé d’un clocher. La loi est là. Ce n’est pas la peine de tirerdes coups de feu contre elle, ni de lui passer des piques autravers, ni de lancer contre elle un escadron. Si elle commence pardire non, elle dira non jusqu’à la fin du chapitre. Autant sebattre contre le livre de la Genèse. Que Monmouth fasse changer laloi, cela fera plus pour lui que tous les Ducs d’Angleterre. Carenfin, malgré tout, il est protestant, et je voudrais faire de monmieux pour le servir.

– Voyez-vous, dis-je, le capitaine Lockarbysert dans le régiment du Colonel Saxon, à l’armée de Monmouth. Siles choses tournent mal pour moi, je regarderais comme une preuvede grande bienveillance de votre part que vous lui fassiez part demon affection et lui demandiez d’annoncer l’événement de vive voixou par une lettre, avec tous les ménagements nécessaires, aux gensde Havant. Si j’étais certain que cela sera fait, ce serait ungrand soulagement pour mon esprit.

– Ce sera fait, mon garçon, dit le bonfermier. J’enverrai mon homme le plus sûr et mon cheval le plusrapide ce soir même, pour qu’on sache dans quel passe fâcheuse vousêtes. J’ai ici une lime qui pourrait vous être utile.

– Non, répondis-je, l’aide des hommes peutfaire bien peu de chose pour moi ici.

– Il y avait autrefois un trou dans la voûte.Regardez en haut, et tâchez de voir s’il y a quelque trace d’uneouverture.

– La voûte est bien haute, répondis-je, enlevant les yeux, mais il n’y a pas d’indice d’une ouverture.

– Il y en avait une, répéta-t-il. Mon frèreRoger est descendu par là avec une corde. Dans l’ancien temps,c’était ainsi qu’on descendait les prisonniers, comme on fit pourJoseph, dans le puits. La porte est chose toute moderne.

– Qu’il y ait un trou, qu’il n’y en ait pas,cela ne peut me servir à rien, répondis-je. Il m’est impossible degrimper jusque-là. Ne restez pas plus longtemps, mon ami, ou vousen aurez peut-être des ennuis.

– Alors adieu, mon brave cœur ! dit-il àdemi voix.

Et l’œil gris, si plein d’honnêteté, disparutde la fenêtre, ainsi que le bout de joue rouge.

Bien des fois, pendant cette longue soirée, jelevai les yeux, dans l’espoir insensé qu’il reviendraitpeut-être.

Le moindre froissement des branches au dehorsme faisait quitter mon siège, mais c’était bien pour la dernièrefois que j’avais vu le fermier Brown.

Cette visite amicale, si courte qu’elle eûtété, me soulagea grandement l’esprit, car j’avais la promesse d’unhomme digne de confiance, que, quoi qu’il arrivât, mes amissauraient quelque chose de mon sort.

Il faisait alors tout à fait sombre.

J’allais et venais dans la petite chambre,lorsque j’entendis la clef grincer dans la porte.

Le capitaine entra, portant une lampe et ungrand bol de pain et de lait.

– Voici votre souper, mon ami, dit-il.Prenez-le, que vous ayez ou non de l’appétit, car cela vous donnerade la force pour vous conduire en homme quand viendra le moment quevous savez. On dit qu’il fut beau de voir mourir Mylord Russell surle tertre de la Tour. Ayez du cœur. Que les gens puissent en direautant de vous ! Sa Grâce est dans une terrible humeur. Il vaet vient, se mord la lèvre, serre les poings en homme qui peut àpeine maîtriser sa colère. Il se peut que ce ne soit pas contrevous, mais je ne vois pas quelle autre chose l’a mis dans cettecolère.

Je ne répondis point à ce consolateur du genrede Job.

Aussi me laissa-t-il bientôt, après avoir poséle bol sur le siège et la lampe à côté.

Je mangeai tout ce qui m’était servi et alors,me sentant mieux, je m’étendis sur la couchette et tombai dans unsommeil sans rêves.

Ce sommeil dura probablement trois ou quatreheures.

J’en fus tout à coup tiré par un bruit pareilà des grincements de gonds.

Je me mis sur mon séant et regardai autour demoi.

La lampe avait fini par s’éteindre et lacellule était plongée dans une obscurité impénétrable.

Une lueur grisâtre à un bout indiquait seuleet vaguement la place de l’ouverture.

Ailleurs tout était d’une noirceur dense.

Je tendis l’oreille, mais je ne perçus aucunson.

Et pourtant j’étais certain de ne m’être pointtrompé, certain que le bruit qui m’avait éveillé s’était produitdans l’intérieur même de ma chambre.

Je me levai et fis à tâtons le tour des murs,en marchant lentement et promenant ma main sur les murs et laporte.

Puis, je passai en tous sens sur le sol pourme rendre compte de l’état du plancher.

Autour de moi, comme sous mes pieds je nereconnus aucun changement.

Dès lors d’où venait le bruit ?

Je m’assois sur le bord du lit et attendispatiemment dans l’espoir de l’entendre une seconde fois.

Il se répéta bientôt.

C’était un gémissement sourd, un craquementpareil à celui qui se produit quand on remue avec lenteur etprécaution une porte ou un volet restés longtemps immobiles.

En même temps, une lumière d’un jaune foncéparut en haut, sortant d’une mince fente dans le toit en voûteconcave qui était au-dessus de moi.

Pendant que je l’épiais, cette fente s’élargitpeu à peu et s’agrandit comme si l’on tirait un panneau àcoulisses, et enfin je vis un trou assez grand, par lequel passaitune tête qui me regardait, et dont le contour était dessiné par lalumière confuse qui se trouvait derrière elle.

Le bout noué d’une corde fut passé à traverscette ouverture et tomba presque sur le sol de la prison.

C’était une grosse et solide corde de chanvre,assez forte pour porter le poids d’un homme lourd, et en tirantdessus, je m’aperçus qu’elle était fortement assujettie enhaut.

Évidemment mon bienfaiteur inconnu désiraitque je m’en servisse pour monter.

Je le fis donc, en me servant d’une main aprèsl’autre.

J’éprouvai quelque peine à passer mes épaulesà travers le trou, et je réussis à atteindre la pièce qui setrouvait au-dessus.

Pendant que j’étais encore à me frotter lesyeux après ce passage brusque de l’obscurité à la lumière, la cordefut rapidement remontée, et le panneau glissant refermé.

Pour ceux qui n’étaient point dans le secret,il ne restait rien qui pût expliquer ma disparition.

Je me trouvai en présence d’un homme replet,de petite taille, vêtu d’un justaucorps grossier et de culottes debasane, ce qui lui donnait jusqu’à un certain point l’air d’unvalet d’écurie.

Il avait un large chapeau de feutre trèsenfoncé sur ses yeux et le bas de sa figure était entouré d’uneépaisse cravate.

Il tenait une lanterne de corne, dont lalumière me permit de voir que la chambre, où nous nous trouvions,avait la même dimension que l’oubliette située au-dessous d’elle etn’en différait que par la présence d’une large fenêtre, qui donnaitsur la parc.

Il n’y avait dans cette pièce aucun meuble,mais elle était traversée par une grande poutre, sur laquelle avaitété assujettie la corde qui avait servi à mon ascension.

– Parlez bas, l’ami, dit l’inconnu. Les murssont épais, et les portes ferment bien, mais je ne tiens pas à ceque vos gardiens sachent par quels moyens vous avez étévolatilisé.

– À vrai dire, monsieur, répondis-je, je puisà peine croire que ce soit autre chose qu’un rêve. Il estextraordinaire qu’on puisse pénétrer aussi aisément dans ma prison,et plus extraordinaire encore pour moi de me trouver un ami quiveuille s’exposer ainsi pour moi.

– Regardez par ici, dit-il, en abaissant salanterne de façon à éclairer la partie du plancher où le panneauétait encastrée, ne voyez-vous pas combien est vieille et moisie lamaçonnerie qui l’entoure ? Cette ouverture du toit est aussiancienne que le donjon même, et bien plus ancienne que la porte parlaquelle vous y avez été introduit. C’était, en effet, une de cescellules en forme de bouteille ou oubliettes, que les rudes gens dejadis avaient inventées pour garder sûrement leurs prisonniers. Unefois descendu par ce trou dans le puits aux parois de pierre,l’homme n’avait plus qu’à se ronger le cœur, car son destin étaitscellé. Et pourtant, comme vous le voyez, le même procédé qui jadisempêchait son évasion, vous a rendu aujourd’hui la liberté.

– Grâce à votre clémence, Monseigneur, dis-je,en jetant un regard pénétrant sur mon interlocuteur.

– À présent, assez de déguisement commecela ! s’écria-t-il d’un ton boudeur, en rejetant en arrièrele chapeau à larges bords et me montrant, ainsi que je m’yattendais, les traits du Duc. Même un jeune soldat sans expériencevoit clair à travers mes efforts pour garder l’incognito. Je crainsde ne faire qu’un piètre conspirateur, capitaine, car j’ai lecaractère ouvert… Oui, après tout, comme le vôtre. Je ne sauraisprendre un meilleur terme de comparaison.

– Quand on a entendu une fois la voix de VotreGrâce, on ne l’oublie pas aisément, dis-je.

– Surtout quand elle parle de chanvre et deprisons, répondit-il en souriant. Mais si je vous ai fourré enprison, vous devez avouer que je vous ai offert une compensation envous en retirant au bout de ma ligne, comme on tire une épinoched’une bouteille. Mais comment en êtes-vous arrivé à me remettre detels papiers en présence de mon conseil ?

– J’ai fait tout mon possible pour lesremettre en particulier, dis-je, et je vous ai envoyé un messagedans ce but.

– C’est vrai, répondit-il, mais il m’arrivedes messages de cette sorte de tout soldat qui veut vendre sonépée, de tout inventeur qui a la langue longue et la bourse plate.Comment deviner que l’affaire était réellementimportante ?

– J’ai craint de laisser échapper une chancequi pourrait ne jamais revenir, dis-je. On m’a appris que VotreGrâce n’a que peu de loisir dans l’époque présente.

– Je ne saurais vous blâmer, répondit-il, enarpentant la pièce, mais c’était malencontreux. J’aurais pudissimuler les dépêches, mais cela eût excité les soupçons. Votreplan aurait été percé à jour. Il y a bien des gens qui portentenvie à ma haute fortune, et qui sauteraient sur une occasion de menuire auprès du Roi Jacques. Sunderland ou Somers, n’importe lequeld’entre eux, attiseraient la moindre rumeur en une flamme qu’ilserait impossible d’éteindre. Il n’y avait donc d’autre parti àprendre que de montrer les papiers. La langue la plus venimeuse n’apu rien trouver à blâmer dans ma conduite. Quelle attitudeauriez-vous conseillée en pareilles circonstances ?

– Celle qui aurait consisté à aller droit aubut, répondis-je.

– Oui, oui, monsieur La Probité, mais leshommes publics sont tenus à marcher avec toute la précautionpossible, car la ligne droite les conduirait trop souvent au borddu précipice. La Tour ne serait pas assez vaste pour loger tous seshôtes, si tout le monde allait le cœur dans sa main. Mais à vous,dans ce tête-à-tête, je puis dire mes pensées véritables sanscrainte d’être trahi ou mal compris. Je n’écrirai pas un mot sur dupapier. Il faut que votre mémoire soit la feuille qui portera maréponse à Monmouth. Et pour commencer, effacez-en tout ce que vousavez entendu dans la salle du Conseil. Que cela soit comme si l’onn’avait rien dit ! Est-ce fait ?

– Je comprends que cela ne représentait pointles véritables pensées de Votre Grâce.

– Il s’en fallait de beaucoup, capitaine. Maisje vous en prie, dites-moi quelles raisons les rebelles ont-ils decompter sur le succès ? Vous avez dû entendre votre colonel etd’autres discuter sur ce sujet, ou remarquer d’après leur attitudece qu’ils en pensaient. A-t-on bon espoir de tenir tête aux troupesdu Roi ?

– Jusqu’à présent, répondis-je, on n’a eu quedes succès.

– Contre les gens de la milice. Mais ilsverront qu’il en est tout autrement quand ils auront affaire à destroupes exercées. Et pourtant !… et pourtant… Il y a une choseque je sais, c’est que tout échec de l’armée de Feversham causeraitun soulèvement général dans tout le pays. D’autre part, le parti duRoi est actif. Chaque courrier nous apporte la nouvelle derenforcements par des levées. Albemarle maintient encore la milicedans l’Ouest. Le comte de Pembroke est en armes dans le Comté deWilts. Lord Lumley arrive de l’Est avec les troupes du Sussex. LeComte d’Abingdon tient le Comté d’Oxford. À l’Université, lesbonnets et les robes font partout place aux casques et auxcuirasses. Les régiments hollandais de Jacques se sont embarqués àAmsterdam. Et pourtant Monmouth a gagné deux batailles. Pourquoin’en gagnerait-il pas une troisième. Les eaux sont troubles… bientroubles.

Le Duc allait et venait, les sourcils froncés,se disait tout cela à lui-même plutôt qu’à moi, hochait la tête del’air d’un homme dans la plus embarrassante incertitude.

– Je voudrais que vous disiez à Monmouth,fit-il enfin, que je lui sais gré des papiers qu’il m’a envoyés,que je les lirai et les examinerai avec l’attention convenable, etque je l’aiderais si je n’étais entravé par des gens qui me serrentde près et qui me dénonceraient si je laissais voir mes véritablespensées. Dites-lui que s’il amène son armée dans ce pays-ci, jepourrai alors me déclarer ouvertement pour lui, mais que le faireen ce moment serait ruiner la fortune de ma maison sans lui êtreutile en quoi que ce soit. Pouvez-vous lui porter cemessage ?

– Je le ferai, Votre Grâce.

– Dites-moi, demanda-t-il, comment Monmouth secomporte-t-il en cette entreprise.

– En chef sage et vaillant, répondis-je.

– C’est étrange, murmura-t-il. À la cour, onne cessait de dire, par manière de plaisanterie, qu’il avait àpeine assez d’énergie ou de constance pour achever une partie à laballe et qu’il jetait toujours sa raquette avant d’avoir amener lecoup gagnant. Ses projets étaient comme une girouette, tournant àtous les vents. Il n’avait de constant que son inconstance. Il estvrai qu’il a commandé les troupes du Roi en Écosse, mais tout lemonde savait que Claverhouse et Dalzell ont été les véritablesvainqueurs au Pont de Bothwell. À mon avis, il ressemble à ceBrutus de l’Histoire Romaine qui feignit d’être faible d’espritpour masquer ses ambitions.

Le Duc avait repris ses propos qu’il adressaità lui-même plutôt qu’à moi.

Aussi ne fis-je aucune remarque, si ce n’estpour rappeler que Monmouth s’était gagné le cœur du petitpeuple.

– C’est là qu’est sa force, dit Beaufort. Il adans les veines le sang de sa mère. Il ne trouve pas indigne deserrer la patte sale de Jerry le rétameur, ou de disputer le prixde la course à un rustaud sur la pelouse du village. Ce sont cesmêmes rustauds qui l’ont soutenu, alors que des amis de la hautenoblesse sont restés à l’écart. Je voudrais bien pouvoir lire dansl’avenir. Mais vous avez mon message, capitaine, et j’espère que sivous y changez quelque chose en le faisant connaître, ce sera poury mettre plus de chaleur et de bienveillance. Maintenant il esttemps que vous partiez, car les gardes seront relevés dans moins detrois heures et votre évasion sera découverte.

– Mais comment partir ? demandai-je.

– Par ici, répondit-il, en ouvrant la fenêtreet faisant glisser la corde sur la poutre dans ce sens. La cordesera peut-être trop courte d’un ou deux pieds, mais vous avez de lataille de reste pour y suppléer. Lorsque vous aurez pris terre,suivez le chemin sablé qui tourne à droite jusqu’à ce qu’il vousamène sous les grands arbres du parc. Le septième de ces arbres aune grosse branche qui passa par-dessus le mur de clôture. Grimpezsur cette branche et laissez-vous tomber de l’autre côté. Vous ytrouverez mon valet qui vous attend avec votre cheval. Et en selle,jouez de l’éperon, en toute hâte, avec la vitesse de la poste, dansla direction du Sud. Quand il fera jour, vous devrez vous trouveren dehors du terrain dangereux.

– Mon épée ! demandai-je.

– Tout ce qui vous appartient est ici. Reditesà Monmouth ce que je vous ai dit et faites lui savoir que je vousai traité avec toute la bienveillance possible.

– Mais que dira le Conseil de Votre Grâce, enapprenant ma disparition ?

– Peuh ! mon garçon, ne vous mettez pasen peine de cela. Je partirai pour Bristol dès la pointe du jour etje donnerai à mon conseil assez de sujets de réflexions pour qu’iln’ait pas le loisir de songer à ce que vous êtes devenu. Lessoldats ne verront là qu’un autre exemple de l’intervention du Pèredu Mal, qui depuis longtemps passe pour être épris de cette celluleau-dessous de nous. Sur ma foi, si tout ce qu’on raconte est vrai,il s’y est passé assez de choses horribles pour faire sortir toutce qu’il y a de diables dans l’abîme. Mais le temps presse. Passezsans bruit par la fenêtre. C’est cela ! Rappelez-vous lemessage.

– Adieu, Votre Grâce, répondis-je.

Et, saisissant la corde, je me laissai glisserà terre rapidement, sans bruit.

Alors il la remonta et ferma la fenêtre.

Lorsque je regardai autour de moi, mon regardtomba sur la fente étroite qui s’ouvrait sur ma cellule et àtravers laquelle ce brave fermier Brown avait causé avec moi.

Une demi-heure auparavant, j’étais étendu surla couchette de la prison, sans espoir, sans aucune idéed’évasion.

Et maintenant me voilà de nouveau au grandair.

Nulle main ne s’étend pour m’arrêter.

Je respire librement.

Prison et potence ont également disparu, commede mauvais rêves qu’on chasse en se réveillant.

Le cœur, capable de se bien tremper, s’adoucitgrâce à la certitude de la sécurité.

Aussi j’ai vu un honnête commerçant secomporter bravement tant qu’il fut convaincu que sa fortune avaitété engloutie par l’Océan, mais perdre toute sa philosophie enapprenant que la nouvelle était fausse, et que ses biens avaienttraversé le péril sains et saufs.

Pour ma part, assuré comme je le suis que lehasard n’a aucune part dans les affaires humaines, je sentais quej’avais été soumis à cette épreuve pour m’inspirer des penséessérieuses, et que j’en avais été tiré afin de pouvoir traduire cespensées en actes.

Comme gage des efforts que je ferais dans cebut, je me mis à genoux sur l’herbe à l’ombre de la tour desBotelers, et je priai, afin de devenir en ce monde un homme utile,d’obtenir le secours nécessaire pour m’élever au-dessus de mesbesoins et de mes intérêts pour concourir à tout ce qui se feraitde bon ou de noble dans mon temps.

Il s’est bien passé cinquante ans, mes chersenfants, depuis le jour ou je courbai mon intelligence devant legrand Inconnu, dans le parc de Badminton éclairé par la lune, maisje puis dire sincèrement qu’à partir de ce jour-là jusqu’au jourprésent, les objets, que je m’étais proposés, m’ont servi deboussole sur les flots sombres de la vie – boussole à laquelle ilm’arrive parfois de ne point obéir – car la chair est faible etfrêle, mais qui du moins a toujours été là, pour que je puisse laconsulter dans les périodes de doute et de danger.

Le sentier de droite traversait des bosquetset longeait des pièces d’eau peuplées de carpes pendant un bonmille.

J’arrivai enfin à la rangée d’arbres quisuivait le mur de clôture.

Je ne vis pas un être vivant sur mon trajet,excepté une harde de daims qui s’enfuirent comme des ombres légèressous le clair de lune pâlissant.

Je me retournai.

Je vis les hautes tours et les pignons del’aile des Botelers se dessiner en noir d’un air menaçant contre leciel étoilé.

J’arrivai au septième arbre.

Je grimpai sur la grosse branche qui passaitpar-dessus la muraille du parc et je me laissai tomber de l’autrecôté, où je trouvai mon bon vieux gris-pommelé m’attendant sous lasurveillance d’un palefrenier.

Je m’élançai en selle, me ceignis une foisencore de mon épée et partie au galop, d’un train aussi rapide quele comportaient quatre jambes pleines de bonne volonté, pourretourner à mon point de départ.

Je chevauchai pendant toute cette nuit-là sanstirer les rênes, traversant des hameaux endormis, des fermesbaignées de clair de lune, longeant des cours d’eau brillants,furtifs, franchissant des collines couvertes de bouleaux.

Quand le ciel d’Orient passa de la teinterouge à la teinte écarlate, et que le grand soleil montra son bordpar-dessus les hauteurs bleues du comté de Somerset, j’avais déjàaccompli une bonne partie de mon trajet.

C’était au matin d’un jour de sabbat et detous les villages arrivait le doux tintement d’appel descloches.

Je ne portais alors sur moi plus de papierscompromettants.

Aussi pouvais-je voyager avec plusd’insouciance.

Quelque part, un gardien de route au regardpénétrant me demanda où j’allais, mais lorsque je lui eus réponduque je venais de chez Sa Grâce le Duc de Beaufort, cela suffit pourdissiper ses soupçons.

Plus loin, près d’Axbridge, je rencontrai unmarchand de bestiaux qui se rendait à Wells au trot lourd de soncob luisant.

Je chevauchai quelque temps en sa compagnie etappris que toute la région nord du comté de Somerset étaitmaintenant en pleine révolte, et que Wells, Shepton Mallet etGlastonbury étaient occupés par les volontaires en armes du RoiMonmouth.

Toutes les forces royales s’étaient repliéesvers l’Ouest ou l’Est, jusqu’à ce qu’il leur vint des renforts.

En traversant les villages, je vis le drapeaubleu aux clochers des églises, les paysans s’exerçant sur lapelouse, et je n’aperçus nulle part de fantassins ou de dragonspour faire reconnaître l’autorité des Stuarts.

Mon trajet me fit passer par Shepton Diallet,l’auberge du joueur de flûte, Bridgewater, et North Petherton.

Enfin, quand arriva la fraîcheur du soir,j’arrêtai mon cheval fatigué à l’enseigne des Mainsjointes et aperçus les clochers de Taunton dans la valléeau-dessous de moi.

Une cruche de bière pour le cavalier, un grandseau d’avoine pour le cheval rendirent leur ardeur à l’un et àl’autre, et nous nous étions remis en route, quand accoururent,descendant la pente avec toute la vitesse dont ils étaientcapables, une quarantaine de cavaliers.

Ils allaient d’un tel train, que je m’arrêtai,ne sachant si c’étaient des amis ou des ennemis, mais quand cetourbillon arriva près de moi, je reconnus dans les deux officiersqui les conduisaient, Ruben Lockarby et Sir Gervas Jérôme.

En me voyant, ils agitèrent les mains, etRuben fit un bond qui le jeta sur la crinière de son cheval, où ilresta un instant, jambe de çà, jambe de là, jusqu’au moment oùl’animal le rejeta en selle.

– C’est Micah ! criait-il d’une voixhaletante.

Après quoi il resta la bouche béante, leslarmes jaillissant sur sa bonne figure.

– Corbleu, l’ami ! Comment êtes-vous venuici ? dit Sir Gervas en me lardant avec son index comme pours’assurer que j’étais là en chair et en os. Nous partions enenfants perdus dans le pays de Beaufort, pour le rosser et luibrûler sous le nez sa belle maison, s’il vous était arrivé malheur.Un valet d’écurie est arrivé il n’y a qu’un instant, envoyé par unfermier de là-bas, pour nous informer que vous étiez sous le coupd’une condamnation à mort. Sur quoi je suis parti, avec ma perruqueà moitié frisée, et j’ai appris que l’ami Lockarby avait obtenu deLord Grey un congé pour se rendre dans la Nord avec ces hommes.Mais comment avez-vous été traité ?

– Bien et mal, répondis-je en serrant lesmains d’amis. La nuit dernière, je ne comptais pas voir un nouveaulever de soleil, et pourtant vous me revoyez ici bien portant, aucomplet. Mais il faudrait du temps pour raconter tout cela.

– Oui, et le Roi Monmouth sera sur les épines,en vous attendant. Volte-face, mes gars, et en route pour le camp.Jamais mission ne fut plus vite et plus heureusement terminée quela nôtre. Il aurait fait mauvais pour Badminton si vous aviez étéendommagé.

Les troupiers firent demi-tour et revinrent aupetit trot à Taunton, où je rentrai entre mes deux fidèlesamis.

Ils m’apprirent tout ce qui s’était passé enmon absence, et de mon côté je leur contai mes aventures.

La nuit était venue avant que nous eussionsfranchi les portes.

J’y confiai Covenant aux soins du valetd’écurie du Maire et me rendis tout droit au château pour faire monrapport sur ma mission.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer