Mister Flow

Chapitre 7

 

Helena ne voulut point laisser refroidir mesbonnes intentions. Dès le lendemain, elle m’apprenait que« c’était pour la nuit même » et elle ne m’en parla plus,me laissant à mes réflexions.

Elles ne furent point maussades. Évidemment,il y avait un moment ennuyeux à passer, mais après ! Et puis,j’étais devenu amoureux fou d’Helena. Enfin, puisque j’étais résoluà risquer le coup, je voulais me montrer aux yeux de la noble lady,comme on dit, en beauté !

Pour être plus sûr de moi, je fis, ce jour-là,quelques petites stations dans les bars de la ville et la Compagniedes I.B.F. aidant, car on les rencontre toujours dans les bonsendroits, je me sentais plein de courage et de décision. Lepoker dice, cependant, continuait à ne m’être guèrefavorable. Mais j’avais une façon de jeter au barman :« Mettez tout ça à mon compte et à ce soir ! » quime valait des marques de respect que je n’eusse certainement pointobtenues en payant. Inutile de dire que je ne fis aucune apparitionau bar du Casino. À La Potinière, je m’en tirai en me levant pourbavarder avec Harry, au bras duquel je m’éloignai toutdoucettement, en oubliant de régler ma consommation. Ainsi, chaquejour m’apprenait à vivre et d’une façon qui me comblait desatisfaction pour mon ingéniosité grandissante. Je ne m’étonnaisplus que, par ces temps de vie chère, on parvînt à faire figuremême sans grande pécune. Moi, je n’en avais pas du tout etj’occupais une chambre à vingt-cinq louis dans le meilleur hôtel dela plage, j’avais ma table aux Ambassadeurs, une maîtresse enviableentre toutes, la fréquentation des grands seigneurs et crédit danstous les établissements de boisson. Il ne s’agit, au fond, que desavoir s’y prendre et j’étais persuadé que beaucoup de ceux quim’entouraient n’étaient pas beaucoup plus riches que moi.

L’après-midi, nous allâmes aux courses (Helenaavait fait prendre des billets d’entrée par Fathi) et ce fut unenchantement. Jamais les femmes ne m’avaient paru aussi jolies. Ilfaisait un temps magnifique. Jamais je n’avais encore contemplé unpareil bouquet de toilettes, ni d’aussi jolies jambes (je veuxdire : en pareille quantité). Helena, mise à miracle, étaittrès entourée et j’étais fier de me montrer à ses côtés, d’autantqu’elle prenait souvent mon bras et s’y appuyait avec le plustendre abandon. Un moment, elle me quitta pour s’entretenirquelques minutes avec Moor, l’entraîneur, qui passait. Elle revintet me dit, à l’écart : « Moor ne m’a jamais donné quedeux tuyaux et ils sont arrivés tous deux à une belle cote. Moor mefait la cour depuis longtemps, le rustre ! et il m’estreconnaissant que je ne l’aie pas renvoyé déjà à son crottin. Enattendant, il m’a donné un tuyau sûr, pour dimanche.

– Dans le Grand Prix ?

– Non !… un prix sans importance que l’onconsidère comme couru… Mais l’affaire est arrangée. Le favori seratiré : c’est ce que j’ai compris. Moor m’a dit de jouerSpad. On l’a à dix contre un. Crois-tu que c’est rageant,Rudy, de n’avoir pas un penny !

– Vous en aurez demain, Helena !

– Je vous adore, Rudy ! » Soudain,j’aperçus Alcide Victor qui nous observait. Mais je fis comme si jene l’avais pas vu, ce cher faiseur de têtes… Le dîner, auxAmbassadeurs, fut des plus gais. Aimable société, j’étais déjàchauffé à blanc. Je fus, paraît-il, étourdissant. Et Helena me ditencore : « Je vous adore, Rudy ! » Comme je nesavais pas danser, elle me fit la grâce de ne danser avec personneet ce n’était pas là un mince sacrifice. Nous nous retirâmes debonne heure. Elle avait fait louer une baignoire au théâtre.C’était jour d’opéra, mais je serais bien embarrassé de vous direlequel. Derrière les grillages dorés, Helena m’étourdissait decaresses. Sa bouche me brûlait, j’aurais bien passé la nuit là,mais il fallut partir. Nous revînmes, toujours suivis par Fathi,aux salles de baccara. On y étouffait. Mais Helena devait sentirque tout cet or, remué autour de moi, achevait ma préparation. Elleme maintint là, devant les tables, impuissant. Je finis pardemander grâce… Elle me dit : « Non ! pasencore ! Je travaille pour vous, Rudy !… J’ai su par Maryquels étaient les habitants de notre couloir, au palace. Ils nesont pas encore rentrés à l’hôtel. En voici trois. Et elle me lesdésigna. Quand ils auront quitté la partie, nous seronstranquilles, tu ne feras pas de mauvaise rencontre. » Dans lemoment, elle échangea un long regard avec une vilaine figure que jeconnaissais bien. C’était le traitant en bijoux qui, le premiersoir, au « Privé », bavardait en me crachant dans le cou.J’avais eu des tuyaux, depuis, sur le personnage. Il s’appelaitAbraham Moritz ; la saison précédente il avait eu une sottehistoire au Normandy. Après avoir, comme de coutume, dans la nuit,suivi la partie au Casino, il se promenait, dès huit heures dumatin, dans les couloirs du Normandy devant la porte de ces damespour lesquelles le sort avait été particulièrement cruel et quiétaient en possession de bijoux d’importance. À la premièreapparition d’une femme de chambre, il faisait savoir que« Monsieur Abraham était là et qu’il sollicitait l’honneurd’être reçu ». Il l’était ou il ne l’était pas. Il ne selassait jamais. Ce furent les gérants qui se fatiguèrent derencontrer toujours « Monsieur Abraham » dans cet hôteloù il n’avait même pas une chambre. Ils le prièrent de déguerpiret, comme il voulut le prendre de haut, ce fut un agent qui vint lesortir, avec tous les honneurs dus à sa persévérance. Cette année,il avait pris carrément une petite chambre au Royal et il nesemblait point qu’il le regrettât, surtout depuis qu’il connaissaitles embarras financiers de Lady Skarlett.

« Ah ! Ah ! fis-je, c’estnotre homme aux bijoux ?…

– C’est lui, darling, mais ne leregardez pas !… » Elle m’entraîna sur la terrasse quicommuniquait directement avec les salles de jeu par desportes-fenêtres que l’on avait laissées ouvertes par ces chaleurs.« Rudy, il ne faut pas que l’on puisse soupçonner que vousallez être pour quelque chose dans tout ce qui va se passer… Vousêtes de mon avis, Rudy ?

– Tout à fait de votre avis, Helena !

– Il faut prier Dieu que nous soyons toujoursaussi d’accord, darling, pour le meilleur comme pour lepire !

– Il faut, Helena !…

– Nous allons finir la soirée chez Léonie etnous allons certainement y rencontrer cet homme ainsi que quelquesautres. Je vous prie de ne pas le regarder plus que les autres et,de tout ce qui se dira, peut-être, vous ne comprendrez rien !…Vous êtes un petit I.B.F. qui ne s’intéresse qu’à son verre… Jevous emmène parce qu’ils pensent bien que je ne puis sortir seule àcette heure.

– Quelle est cette Léonie ?…

– Rien du tout !… Une dame qui tient unbar près de la gare. Maintenant, restez ici, je vais me débarrasserde mes bijoux à l’hôtel, dans les mains de Fathi, et attendez-moiau coin de la rue et de la place Morny. »

Elle me quitta. Il pouvait être deux heures dumatin. À deux heures et demie, je faisais les cent pas au coin dela place Morny. Tout ce quartier était maintenant désert. Les rarespassants qui me frôlaient rentraient du cercle et s’écartaient demoi. Avec ma canne dans ma poche, mon col relevé, mon feutrerabattu sur le visage, j’avais l’air de m’être posté là pour faireun mauvais coup. L’» expédition » commence, pensai-je,et, assez inquiet de moi-même, je ne jouissais pas de la peur quej’inspirais aux autres. Ainsi, peu à peu, mon exaltation tombait etje me pris à la regretter.

Je vis bientôt s’avancer une silhouetteféminine, enveloppée d’un manteau sombre, une capote enfoncée surles yeux. Je ne doutai point que ce fût Helena. Elle vint à moi, meprit le bras et dirigea mes pas. Nous traversâmes la place, dont ledernier café venait de fermer et, cinq minutes plus tard, Helenafrappait trois coups de poing sur une petite porte qui s’ouvrit etse referma derrière nous.

« Oh ! bonsoir, Lady Helena !salua l’accueillante Léonie… Vous avez eu une bonne idée de venirce soir, vous trouverez joyeuse compagnie…

– Tant mieux, Léonie ! répondit Helena…car je m’ennuie tant, depuis le départ de SirArchibald !… »

Nous étions dans un bar des plus ordinaires etrien de particulier ne signalait Léonie, qui avait la figure forthonnête au-dessus d’une poitrine bien portante. Son petit commercen’allait pas fort le jour, mais elle avait imaginé d’accueillircertains clients la nuit, quand tous les autres établissementsétaient fermés. Un cabinet leur était réservé derrière la sallecommune. À cette heure, c’est elle qui servait. Pas de domestique.Elle ne s’occupait que de vendre ses petits verres le plus cherpossible. Le reste lui était complètement indifférent. C’étaitappréciable.

Passant au milieu des tables, sur lesquellesdes tabourets étaient déjà empilés, elle nous ouvrit la porte dupetit cabinet du fond où nous fûmes accueillis assez bruyamment parune demi-douzaine d’habitués, tous des hommes, qui me parurentassez mal élevés, car ils ne se levèrent point à l’arrivée de LadySkarlett, se bornant à nous faire place à côté d’eux et à nousserrer la main au-dessus de la table. Lady Helena me présentait,mais ils me connaissaient tous et j’aurais pu, si j’avais été moinspréoccupé, mesurer là l’importance du personnage que je jouais àDeauville.

Ces figures ne me disaient rien encore, maisje sus, par la suite, grâce à Helena, ce qu’elles étaient et cequ’elles cachaient. Tout cela n’était pas un monde bien propre. Ily avait là le fameux Lévis, qui avait déjà fait parler de lui, avecson singulier « matryscope », appareil destineé à décelerla grossesse et qui, avec le premier argent des gogos, avait fondéla « Compagnie industrielle transcontinentale »… Ce« transcontinentale » en disait long sur l’appétit dujeune homme qui était décidé à répandre son activité dans les deuxhémisphères. Il était élégant, du reste, de propos énergiques, avecdes yeux de Levantin, tout ce qu’il faut pour séduire.

Un autre jeune homme, que l’on appelaitDémétrius, s’était spécialisé dans le « lavage » deschèques. Leurs compagnons étaient plus âgés, d’apparence plustranquille et devaient, depuis longtemps, avoir trouvé, comme ondit, le filon pour faire fortune sans trop de risques. On lessentait à l’abri des coups du sort et ils consentaient, avec unsourire d’indulgence, à écouter les théories de ces jeunes gens quirêvaient de bâtir des fortunes mondiales. C’étaient des sages.

M. Parent, par exemple, était tout à faitdigne de respect. Il avait commencé par être petit clercd’huissier, puis il avait fait son droit, passé ses examens,s’était fait inscrire au barreau de Paris (comme moi), s’était viterendu compte qu’il faisait fausse route (comme moi) et s’étaitétabli homme d’affaires. Deux pièces, rue Turbigo, mais ce n’étaitpas là qu’il opérait. Il était tout le temps sur les routes,n’emportant avec lui qu’une valise et son« portefeuille ». Il emportait aussi quelque chose detrès lourd, mais qui ne se voyait pas : sa science approfondiedes lois relatives aux opérations financières. Le coup de génie decet homme avait été de choisir sa clientèle dans le clergé, qu’ilséduisait par une affectation d’opinions ultra-réactionnaires. On aconservé, au parquet, comme des modèles, les textes de sescirculaires. Il écrivait à ses victimes :

« Conservateur, au point de vuepolitique, par tradition de famille, je suis également conservateurpar tradition financière. En ce temps de négation sociale etreligieuse, les amis de l’ordre doivent serrer les rangs autour descapitaux. »

Pour sa part, il s’y entendait. Voici comme ilopérait, généralement dans les campagnes. Il entrait en relationsavec le curé, se faisant recommander par quelque ecclésiastiquequ’il venait de flouer et qui ne connaissait pas encore sonmalheur. On déjeunait ou l’on dînait, mais c’était généralement audessert que l’affaire se concluait. Pendant le repas, on avaitparlé affaires, placement de fonds :

« Montrez-moi donc votre portefeuille,disait notre homme, et je vous montrerai le mien ! Je voisbien que vous en êtes resté aux fonds d’État et aux Chemins de fer.La misère !… Je sais bien, d’autre part, que les valeursindustrielles et étrangères ne sont point de tout repos, mais,quand on sait s’y prendre, on s’en tire à peu près sûrement, carelles ne sont point toutes mauvaises. »

Finalement, il prouvait qu’avec les mêmescapitaux le brave curé pouvait, sans grand risque, tripler,quadrupler ses revenus. Le curé mordait d’autant à l’appât queM. Parent semblait n’avoir voulu que l’instruire. Et ce n’estqu’après bien des hésitations que le voyageur condescendait àéchanger une grande partie des valeurs de tout repos de son hôtecontre les paperasses qu’il avait, lui, rapportées des « PiedsHumides ». Le tour était joué. Il l’avait renouvelé cent fois,deux cents fois et, toujours, l’ecclésiastique s’y laissaitprendre. Il engageait même M. Parent à passer chez sonvicaire, quand celui-ci avait des fonds à placer. M. Parentavait été poursuivi cinq ou six fois. Convoqué chez le juged’instruction, il y arrivait, tranquille comme Baptiste :

« Mon Dieu ! monsieur le juge, jen’ai trompé personne !

M. le curé n’est pas un imbécile. Il estd’âge à comprendre les risques que l’on court quand on met sesfonds dans l’industrie. Si l’affaire avait réussi, il ne se seraitpas plaint. Elle était mauvaise. Je n’y suis pour rien. J’en ai étémoi-même victime, car, y ayant foi, j’ai refusé de lui passer tousmes paquets. Enfin, monsieur le juge d’instruction, y a-t-il uneloi qui défende d’échanger telle obligation ou telle action contretelle autre ? Non, cette loi n’existe pas et ne sauraitexister ! »

Après quelques explications de ce genre, leparquet avait fini par laisser M. Parent gagner sa vie commeil l’entendait. Maintenant, il était millionnaire.

Mais, le plus réussi de tous dans cette joliecollection, c’était M. Jacob. Il était au bout de la table etje le reconnus tout de suite comme l’un des deux individus qui mecrachaient dans le cou, le soir de mon arrivée au« Privé ». Or, si Abraham Moritz était bien bijoutier,M. Jacob, lui, ne l’était pas. C’était le fameux antiquaire deRouen. Helena devait me raconter comment il avait fondé sa fortuneen vendant quinze cent mille francs à M. William Knox, de NewYork, une collection de « Boucher » dont pas un neméritait le prix de la toile. Knox n’avait voulu rien dire, de peurde porter un préjudice irrémédiable à toute sa galerie et, aussi,de passer pour un sot. Voyant que le faux lui réussissait si bien,Jacob résolut de continuer dans la partie, mais, cette fois, dansle meuble, car, pour les faux en peinture, il était brûlé auprèsdes experts. Il vint s’établir à Rouen, au cœur de la Normandie. Ilramassa ce qu’il put trouver d’authentique, au plus juste prix, etdépeça tous ces meubles. Avec une planche de l’un, une porte del’autre, une serrure de celui-ci ; un pied de celui-là, ilrefit tous les mobiliers qu’il lui fallait pour faire marcher sesaffaires. Il y a des ouvriers incomparables dans le genre. Les plusmalins y sont trompés. Jacob faisait travailler ses artistes ensecret, dans un coin retiré de la vieille ville de Bayeux. Quandl’objet était prêt et suffisamment vermoulu, il était expédié dansson hôtel du cours Boieldieu où, pendant la bonne saison, lesétrangers qui fréquentaient nos plages étaient invités à veniradmirer ces purs joyaux qui avaient, naturellement, tous leurhistoire se rattachant, pour une petite partie, à l’histoire deFrance.

Avec tous ces dollars et toutes ces livres,Jacob put se payer le luxe de travailler aussi dans l’authentique,ce qui faisait passer le reste, et il mit son amour-propre àacquérir, au plus juste prix, des pièces de collections et destoiles qui avaient la forte cote. Dans le moment, il avait destapisseries de Bayeux qui lui servaient de réclame et deux petitsRubens dont il réclamait un million. Jacob, entre-temps, s’étaitlivré à d’excellentes opérations de terrain du côté de Saint-Sever.On ne connaissait pas la fortune de Jacob. Que l’on ne s’étonnepoint que je m’attarde un peu sur les aventures de ces messieursréunis, ce soir-là, chez Léonie. On en connaîtra prochainement laraison.

La conversation était générale et quelconque.Elle roulait sur les courses, autour des bouteilles de champagne,quand la porte s’ouvrit. Abraham Moritz fit son entrée. Je dusserrer la main de ce gentilhomme. Au milieu du silence général, unéchange de propos assez bref eut lieu alors entre le nouveau venu,Jacob et Helena, mais je n’y compris rien, car ils se servaientd’une langue que je ne connaissais point et que je sus, par lasuite, être du yiddish. Helena ne paraissait pointcontente, mais je vis qu’elle cédait et, quand elle se leva, j’euslieu de croire qu’ils étaient tous d’accord. Nous sortîmes tous lesdeux et nous prîmes le chemin de l’hôtel.

« Les bandits ! gronda-t-elle, maisils me le paieront ! »

Puis, elle proféra de sourdes syllabes oùs’exhalait sa grande irritation et dans lesquelles je ne saisissaisque deux ou trois jurons énergiques. Car j’ai déjà dit que cettefemme, d’une grâce et d’une distinction royales, jurait, parinstants, comme un charretier. Je n’osais l’interroger. Elle finitpar me dire : « Cher, vous venez d’assister à un conseild’administration. Ces messieurs ont fondé une société pourm’acheter mon collier et mes bijoux. Il y en a, au moins, pour unetrentaine de millions. Mais ils me font valoir les petits ennuisqui les menacent. Et ils m’offrent sept tout juste. C’est à prendreou à laisser ! »

Faut-il le dire ? Au fond, tout au fondde moi-même, j’eusse désiré, lâchement, que l’affaire ne se fîtpoint. Je me raccrochais à cela au moment d’agir. Je commençais àtrouver que sept millions, c’était bien peu pour le mal quej’allais me donner !…

« Si j’ai accepté, petit chéridarling, c’est bien pour vous !… »

Je rentrai à l’hôtel les jambes cassées. Elleme poussa dans sa chambre, me fit ses dernièresrecommandations :

« Soyez calme, rappelez-vous bien votrepetite leçon d’hier. Vous ne courez aucun risque, tous les voisinssont rentrés. Restez en tuxedo ; si l’on vousrencontre près du lavabo, personne ne s’étonnera. En vérité, jevoudrais faire ce petit ouvrage. Que ne suis-je pas à votre place,Rudy !… »

Elle me glissa elle-même, dans la pocheintérieure de mon pardessus, les outils nécessaires en medemandant : « Ça, c’est pour quoi faire ? Andthis one ?… et cet autre ?.. et ça ? » Jerépondis comme dans un rêve, mais à son entière satisfaction. Ellem’embrassa d’un petit baiser net sur les lèvres et je me trouvaidans le couloir, les mains aux tempes, la gorge sèche, les dentsserrées. C’est là, décidément, l’état physique normal ducambrioleur apprenti. C’était la seconde fois que j’éprouvais cetteimpression d’angoisse étouffante. Je vous assure que c’estextrêmement désagréable. Ceux qui n’en guérissent pas feront biende ne pas persévérer dans le métier. C’est comme pour le mal demer ; si vous ne l’avez pas surmonté au bout du troisièmevoyage, remettez-vous à planter vos choux.

** *

Eh bien ! maintenant, je puis vous ledire, tout cela c’étaient des idées !… car tout s’est trèsbien passé !…

Personne n’est venu me déranger. L’affaires’est déroulée comme Helena l’avait dit. Elle a simulé un malaise.J’ai entendu Fathi se lever. J’ai attaqué la porte avec la décisiondu désespéré, ce qui l’a fait craquer un peu fort et m’a rejetéhaletant dans le lavabo, mais la plainte d’Helena et la voix deFathi me rendant un nouveau courage, j’achevai ma besogne. Lecoffre-fort céda à mes instances et à celles du levier-découpeur deDurin, en un temps que je ne saurais apprécier, car il me parutinterminable… Mais j’étais résolu alors à ne pas m’en aller sans enavoir eu raison, me disant qu’il valait mieux pour moi être surprisdans la chambre que dans le couloir, puisque j’aurais là, tout desuite, Helena, entre Fathi et moi, pour étouffer le scandale. Aprèsm’être emparé du coffret, je refermai le placard, ainsi que laporte, aussi bien que possible. Je retournai au lavabo, commec’était convenu. Quelques minutes plus tard, la porte d’Helenas’entrouvrait. J’étais bientôt près d’elle. Elle me prit leprécieux coffret des mains, avec son plus aimable sourire.

« Croyez-vous, me dit-elle, que Fathi nevoulait pas me quitter ! Il voulait absolument passer la nuitsur ma descente de lit. Maintenant, nous pouvons être tranquilles,il s’est recouché dans sa chambre ! »

Ce disant, elle faisait jouer la fermeture àsecret, connue d’elle, de Sir Archibald et de Fathi, et elle ouvritle coffret…

Il n’y avait rien dedans !…

Mais cela, n’est-ce pas, elle ne pouvait pasle prévoir ?… Tout cela s’était très bien passé,jusque-là !

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