Mister Flow

Chapitre 8

 

« Allez au lit !… »

Elle était effrayante à voir. Je ne me le fispas répéter et je courus m’y mettre. Je n’étais responsable derien, moi !… Je n’avais rien à me reprocher ! Et jedormis, soulagé de mes travaux de cambriolage pour cette nuit-là,mon Dieu, la conscience tranquille !…

Pas pour longtemps, du reste ! Dès lapremière heure du jour, rumeurs dans l’hôtel. Fathi faisait unraffut comme si on lui avait réellement pris quelque chose… Or, lesfameux bijoux étaient encore dans sa ceinture, qu’il trouvaitbeaucoup plus sûre que tous les coffrets du monde. Aussi eût-il dûbien rire ! Mais cet Hindou ne goûte pas les mêmes joies quenous. Je parle en général, car, réflexion faite, je n’étais pasabsolument enchanté de l’événement.

Avoir passé par de pareilles transes et meréveiller gros Jean comme devant !…

Quand nous nous retrouvâmes, Helena et moi,nous faisions une singulière figure.

« Chéri, me dit-elle, je n’ai pas eu letemps, cette nuit, de vous féliciter. Mais nous en retrouveronsl’occasion, je vous promets. Il faut que je vous dise, Rudy,qu’après votre départ le hideux Abraham est venu me trouver avecson petit papier en règle et les chèques tout prêts. Je les lui aiarrachés et les lui ai jetés au nez. Il était furieux, tandis qu’ilen ramassait soigneusement les morceaux… Mais il doit bien rire, cematin, depuis que cet imbécile de Fathi a raconté partout qu’ilavait toujours les bijoux sur lui !… »

Pendant ce temps, une discrète enquête futrapidement menée. Nulle plainte n’était déposée. Elle n’alla pasloin… Toute la police était bien occupée. Une note parut dans lesjournaux disant que les cambrioleurs de Sir Archibald jouaient demalheur et qu’après avoir fait « chou blanc » auxCharmilles, ils avaient tenté de cambrioler les bijoux deLady Helena, mais qu’ils n’avaient réussi qu’à emporter un coffretvide.

On était à la veille du Grand Prix : onparla d’autre chose.

Sur ces entrefaites, on annonça à HelenaAbraham Moritz et Jacob. Elle donna l’ordre de les introduire et jeme retirai. Je ne la revis plus qu’à cinq heures. Elle avait unvêtement sombre et déclarait qu’elle m’emmenait « faire unpetit tour pour changer d’air ». Nous partîmes enauto :

« J’y pense, fit-elle ; il faut quevous passiez chez vos fournisseurs. Nous dînerons àRouen. »

Elle conduisait elle-même, comme la premièrefois. Elle était très gaie, cela m’étonna plus que tout.

« J’ai revu Moor, l’entraîneur, voussavez ! Spadest « donné » à quinze contreun ! Une petite « boule » à faire, cher !

– Mais nous n’avons pas le sou !

– Oh ! d’ici demain !…

– J’admire votre belle confiance !

– Cher Rudy !… Il ne faut jamaisdésespérer du Seigneur !… Bénissons-le déjà d’avoir de quoidîner. Victor m’a avancé cinquante louis et Mary vingt-cinq !Voilà cinq cents francs pour vous, je vous prie !… »

Et, comme je faisais un geste pour lesrepousser :

« Mais vous êtes bête, petit chéridarling ! N’êtes-vous pas mon gigolo ! Don’tbe silly !… Allons ! cher, ne vous fâchez pas !Je sais que vous êtes un homme d’honneur. Je ne doute pas que vousme les rendiez !… »

Dans ces conditions, je voulus bien consentirà empocher le billet, mais je me sentais rougir sous la brique deMr. Prim. Helena s’amusait bien :

« Vous savez pourquoi les deux damnésjuifs sont revenus me voir, Rudy ?…

– Ma foi ! je ne m’en doute pas…

– Pour se moquer de moi, d’abord !…Oh ! pour cela surtout, avec des airs apitoyés. Je leur auraisvolontiers « boxé les oreilles ». Mais je me suis bienretenue, car je voulais leur demander de l’argent. Une petite sommeà mettre sur Spad : mille louis !… Ils ontrépondu qu’ils y consentaient, mais que je devais signer pour ledouble et que c’était un petit cadeau, parce qu’ils ne rentreraientjamais dans leur argent !…

– Les bandits !…

– C’est cela, exactement ! C’est cela queje leur ai répondu. Mais en leur souriant tout à faitgracieusement, je vous assure, et ils n’en ont pas paru fâchés. Ilsm’ont dit, en se retirant, que l’on se reverrait, je leur airépondu : « Plus tôt que vous ne pensez !… »Ils n’ont pas compris. Ils ne pouvaient pas comprendre. Dites donc,chéri, que pensez-vous de ces gens-là ?

– Je vous l’ai dit, Helena !

– Tout le monde n’est pas de votre avis. Jacobest un gros monsieur, à Rouen, tout à fait considéré. A realgentleman. Il est juge consulaire et Mme Jacob est à latête de quelques bonnes œuvres. Ne trouvez-vous pas celaattendrissant ?

– Ils méritent la prison !…

– Non ! Il y a d’honnêtes gens enprison ! Cependant, ils méritent quelque chose ; je saisbien, moi, ce qu’ils méritent…

– Parlez, Helena, je sens que vous avez unepensée.

– Plusieurs. Mais il y en a une à laquelle jetiens particulièrement, aujourd’hui… Elle n’est pas tout à fait demoi, du reste… Elle est de Durin !

– Dites-moi cela !

– Puisque vous le désirez,darling ! Ne trouvez-vous pas que « MonsieurJacob », qui a fait fortune en « détroussant » toutle monde, en trompant tout le monde, sans aucun risque, sansbravoure, ne mérite pas sa chance ?

– Non ! il ne la mérite pas !…

– Et que ce serait « pain bénit »,comme disent les Français, s’il était « détroussé » à sontour !…

– Évidemment, Helena… évidemment.

– Et que l’homme qui ferait rendre gorge à« Monsieur Jacob » serait, en vérité,providentiel ?

– Sans doute !… Mais je ne vois pas lemoyen de faire rendre gorge à « Monsieur Jacob »…

– Il y en a un, cher Rudy !… c’est de levoler comme il a volé tout le monde !… »

Depuis quelques minutes, je ne pouvaisdissimuler ma gêne… À cette attaque brutale, je répondis :

« Primitif ! moyenprimitif !

– C’est le meilleur, Rudy ! Et souvent leseul !… en tout cas, le seul digne vraiment d’un hommecourageux… Tout le reste n’est que combinaison de boutiquiers.Durin me l’a souvent dit : pour celui qui a dans ses veines unsang de gentleman, il n’y a de possible, dès qu’il s’agit des’adjuger le bien d’autrui, que la rapine. C’estl’histoire de toutes les grandes familles, croyez-moi. Doug lesavait, lui qui descend des… Pardonnez-moi, cher, j’allais trahirson secret ! Mais, en vérité, je crois que nous nous égarons.Il ne faut pas tant de discours pour vous réjouir à l’avance dubutin que nous allons faire chez cet affreuxhomme !… »

Je me retournai, d’un bloc : « Etvous avez compté sur moi, Helena ?

– Certes !… Vous avez le cœurbrave ! J’ai vu cela, cette nuit.

– Voyons ! Voyons ! Voyons !C’est sérieusement que vous me proposez une chose pareille ?Cette nuit… cette nuit… vous me l’avez assez démontré. Je necambriolais personne. Je vous rendais… mon Dieu, je vous rendaisservice… un petit service !…

– Il s’agit de m’en rendre un grand,Rudy ! Reculerez-vous ? Je dois me venger de ce mufle,this cad qui s’est si bien moqué de moi tantôt !…Songez qu’il n’y a aucun danger à courir !… Durin a toutprévu, pour cette affaire-là !…

– Mais je ne suis pas Durin, moi !…

– Je m’en aperçois ! J’ai encorefeuilleté le petit dossier, les plans de l’hôtel Boieldieu. Toutcela était dans le sac que vous m’avez apporté… Une si belleaffaire ! Me ferez-vous regretter que Durin soit enprison ? Allons, ne faites donc pas cette tête-là,darling !…Vous êtes « sans prix », tout àfait drôle, vous savez ! Je ne vous reconnais plus… Un hôtelparticulier… Tout le monde absent ! Toute la famille àDeauville !… Vous ne risquez pas, cette fois, de vous heurterà un voyageur qui rentre dans un hôtel. C’est beaucoup plus simple,je vous assure, que de travailler dans un couloir de palace… C’estun enfantillage auprès de ce que vous avez fait cette nuit !Enfin, vous ne serez pas seul ! Bien entendu, je vousaccompagne, je vous guide !… Je suis allée avec Archibald,déjà deux fois, voir les collections de Jacob ! Je vous assureque nous nous amuserons beaucoup tous les deux… Vous verrezcomme c’est rigolo ! Une réelle party ! Whaton !

– Non, Helena, non !… ne comptez pas surmoi. Ne comptez pas sur moi pour nous faire courir un pareilrisque. Vous n’en avez pas le droit. Ce temps-là est passé !…Vous me le disiez vous-même !… Maintenant, vous êtes unelady !… Songez à ce que vous perdriez si…

– N’en parlons plus, Rudy !… » Etelle ne m’en parla plus. Moi non plus. Mais nous ne cessâmes d’ypenser. Et, de mon côté, elles n’étaient pas gaies, mes pensées…Elles étaient de deux sortes. D’abord : « Voilà où tu enes ! Au seuil du crime, au vol avec effraction. Encore unpetit coup d’épaule d’Helena et tu le franchis. Vas-tu te laisserfaire ?… » Ensuite : « Si tu ne te laisses pasfaire, tu vas perdre Helena !… » C’est que je l’aimais,cette femme ! Ah ! je l’aimais, mon petit rat d’hôtel ensoie noire ! Ma superbe lady !… Oui, mais ! cequ’elle me demandait là était, comme on dit, un peu fort « decafé » pour un avocat, ou tout simplement pour un honnêtehomme !… Assurément, l’idée du vol dont serait victime cetteignoble crapule de Jacob ne m’était point tout à fait déplaisante.Je dirais même qu’un autre se serait chargé de la besogne sous mesyeux que je me serais bien gardé de le déranger dans son petittravail et, ma foi, que tous mes vœux eussent été pour lui. Mais ilne s’agissait pas d’un autre. Il s’agissait de maître Rose, maîtreAntonin Rose, avocat à la cour d’appel de Paris ! Non !cela n’était pas possible ! Pas possible,réellement !…

N’y pensons plus ! N’y pensonsplus !…

Abominable Jacob, va !… Je vais perdreHelena pour ne pas causer de désagréments à « MonsieurJacob » ! Et quels désagréments ! Nous n’allions pasemporter son hôtel, ni son précieux mobilier. Quoi que nousfassions, « Monsieur Jacob » n’aurait guère à en souffrirque dans son avarice… Oh ! Helena avait bien des raisons pourelle ! Et comme je la comprenais !… Je la comprenais maisje ne la suivrais pas !… Mettons que ce fût par pusillanimitéet même par lâcheté ! On est comme on est !… Je n’ai pasreçu la forte éducation d’Helena, moi !… Je suis élève del’école de droit, moi !… On ne m’a jamais enseigné le rôleprovidentiel du cambrioleur dans la société moderne !… Etpuis, mon éducation familiale !… On ne se débarrasse pas detout cela comme on voudrait !… Ai-je dit « comme onvoudrait » ?… Je ne veux rien !… Je ne veuxrien !… Mettons que c’est de l’atavisme et n’en parlonsplus !… Surtout ne regardons plus Helena !… ne regardonsplus son petit pied sur les pédales, et ne songeons plus à cettepremière soirée de cambriolage dans la villa desCharmilles quand elle avait revêtu son costume de petitrat d’hôtel en soie noire !

Je ne saurais dire où nous avons dîné. Auxenvirons de Rouen ; il n’était plus question, ce soir-là, desfournisseurs. Il n’était plus question de rien… Helena parlait dechoses et d’autres qui n’avaient pour nous aucun intérêt. Je merappelle qu’elle me demanda si j’aimais la pêche à la ligne et sij’étais fort aux dominos. Au dessert, elle me dit :

« Je vais vous mettre à la gare,darling ! Vous prendrez le premier train pourDeauville.

– Comment ? Je ne reviens pas avecvous ?

– Non ! j’ai pensé qu’il valait mieuxainsi, pour vous !… S’il m’arrivait une chose… juste une choseinattendue et que je ne peux prévoir, certainement… vous ne seriezpas compromis, Rudy ! N’est-ce pas ce que vous cherchezaprès ?…

– Mais, Helena, je ne sais pas !… Vousrestez à Rouen ?…

– Oh ! je serai peut-être rentrée àDeauville avant vous… Oui, je reste encore un peu à Rouen…

– Des courses ? Ne puis-je vousaccompagner ?

– Non ! j’ai une petite course à faire,du côté du cours Boieldieu. Mais je pense qu’il vaut mieux que jesois seule, n’est-ce pas ?

– Helena, vous ne ferez pas cela ! Je nevous laisserai pas faire cela !…

– Montez ! petit chéri ! Comeon ! » Dans l’auto : « Moi je ne vousquitterai pas !…

– All right then, je vous invite aucinéma. »

Je voudrais être à cent lieues de là, nel’avoir jamais connue, cette femme !… Et, cependant, jereste !… Plus elle me fait peur, plus je me colle àelle ! Ce n’est pas la première fois que j’en faisl’expérience. Je devrais me méfier, sachant ce qu’elle médite.Certainement, elle trouve qu’il est trop tôt pour agir. J’ai encorequelques heures devant moi. En quelques heures, elle pourra revenirsur son dangereux dessein. Je l’y aiderai. C’est mon devoir. Jereste parce que c’est mon devoir de ne pas laisser une femme quej’aime faire une bêtise pareille.

Au cinéma : une histoire tout à faitordinaire de bandits mystérieux mais des plus sympathiques quideviennent vertueux à la fin et finissent dans de justes noces.

« Tu vois, chéri, me dit-elle, comme touts’arrange dans la vie. Tu ne trouves pas cela encourageant, envérité ?… Mais, entre nous, les auteurs n’y connaissent rien,absolument ! Surtout quand on est poursuivi par la police. Ilsne savent pas !… J’écrirai à la firme. C’est honteux.

– Je vous en supplie, Helena, causons un peusérieusement !

– Sérieusement, of course !Oui ! Il y a encore un train pour vous à onze heures, jecrois… Mais il faut se décider, vous n’avez plus que dix minutes,darling !…

– Helena, je ne vous quitterai pas !…

– Well ! vous l’avez déjàdit : alors taisez-vous. Moi, je m’amuse comme je peux !Je ne sais pas jouer aux dominos. Je joue cricket toujours, moi. Etje prends de la distraction à préparer à « MonsieurJacob » une bonne tête pour demain ! Sans compter, petitchéri darling, qu’il y a Spad à quinze contreun ! Y avez-vous pensé ? Non, vous ne pensez àrien ! Oh ! Rudy ! ne jouez pas l’âne ! Je vousdis que nous aurons les Rubens de M. Jacob et quelques petitesautres choses, j’espère. On les attend ! C’estarrangé avec Démétrius. Je vous dis tout cela pour vous instruireet que vous me laissiez maintenant travailler dans la paix !Excuse-me, darling ! »

Je monte dans l’auto et ce n’est pas à la garequ’elle m’emmène. La sueur coule sur le maquillage de cet odieuxMr. J. A. L… Prim que je voudrais voir à ma place autrement qu’enpeinture. Voici le cours Boieldieu. Nous stoppons dans la nuit desgrands platanes. Pas un passant. Helena a apporté une petitesacoche de voyage et une canne. De la sacoche, elle tire deuxpaires de chaussons de bain, quelques outils, un trousseau declefs, et de la canne, qui n’est qu’un étui, elle extrait unematraque. Elle retire ses bas, met ses chaussons, rafle son petitbagage et s’apprête à descendre. Je la retiens par la manche de sonmanteau :

« Well what’s up ? je vousinvite à prendre un bain de pied ! l’eau sera fraîche, cesoir, darling !… »

Et elle me montra le reflet d’un petitruisseau, affluent du Robec, qui coule à deux pas. Ce n’est qu’unfossé séparant de droite et de gauche les propriétésriveraines :

« Allons, ne soyez pas stupide,dear… Venez avec moi, je pourrais menoyer ! »

Soudain, furieux contre moi-même, je faissauter mes souliers. Et voilà que, moi aussi, je chausse lessandales. Tout cela en grognant je ne sais quoi de fort désagréablepour l’amour-propre des femmes dont on ne saurait mesurerl’extravagance. Mais elle ne fait qu’en rire, tout en surveillantle boulevard désert. Puis elle me prend le bras, gentiment, et nousvoici dans le ruisseau. Tout juste si nous avons de l’eau au-dessusde la cheville :

« C’est épouvantable, ce fleuve déchaîné,raille Helena, merci, Rudy, d’être descendu dans cet abîme !je vois que vous m’aimez vraiment ! »

Elle compte les portes, à gauche. À latroisième, elle s’arrête, grimpe sur le talus, inspecte. Elle estséparée d’un très grand jardin, planté d’arbres, par un treillis defer et cette petite porte. À ce moment, il y a des grognements dansl’ombre et deux énormes chiens bondissent, prêts à nous dévorer.Elle leur parle, fouille dans sa poche et leur jette deuxboulettes. Ils ont bon appétit, c’est vite fait. C’est effrayant,foudroyant. Une double plainte sourde et puis, plus rien, lesilence. Elle redescend près de moi, me tasse avec elle contre letalus. Je ne respire plus. Je crois que nous courons les plusgrands dangers : cinq minutes ainsi, j’ai les pieds glacés. Jetente un dernier effort :

« Il est encore temps.Réfléchissez ! »

Elle me met son petit poing sur la bouche. Jesuis prêt à défaillir : « Get out ! mesouffle-t-elle… allons ! fichez le camp, vous megênez ! »

Tout de même, je ne suis pas lâche ! Jene veux pas qu’elle me prenne pour un lâche !

Sous le coup de fouet, je bondis sur letalus :

« Finissons-en !

– Imprudent ! well, et legardien ! s’il avait entendu les chiens !…

– Ah ! il y a un gardien !… »Et je m’aplatis. Elle s’aplatit près de moi. Son doigt me désigne,à travers les arbres, sur la gauche, éclairé par la lune, un toit.C’est la loge du gardien, au coin de la grande grille qui ouvre surle boulevard. Enfin, elle se redresse, en me frappant surl’épaule : « Le gardien n’a rien entendu, nous sommesO.K. !… »

Trousseau de clefs, petit outil, porteouverte. Dans le jardin, nous faisons le tour, sur la droite, d’untertre gazonné en pente, au sommet duquel se dresse un kiosque autoit de branches, d’une rusticité classique. Nous glissons commedes ombres. Je regarde la matraque d’Helena et je souhaite pour legardien, autant que pour nous, qu’il ne se réveille pas.

Il me semble bien que j’ai fini de faire letrembleur. Je suis assez content de moi, pour une première fois,pour une vraie première fois. Sous nos semelles de corde, nos pasne s’entendent point, même sur le gravier des allées. Il embaume,ce jardin. Est-ce que M. Jacob aimerait les fleurs ? Çame gênerait. Nous longeons des serres. Nous arrivons sur lesderrières de l’hôtel. Nous n’avons plus rien à craindre du gardien.Une porte de véranda. J’admire Helena. Quelle dextérité ! quelsang-froid ! quelle sûreté de main ! Deux pesées et nousn’avons plus qu’à nous présenter. Nous sommes dans l’hôtel.

Mon Dieu ! comme c’est simple !Jamais je ne me serais imaginé que c’était aussi simple quecela ! Heureusement que ça ne se sait pas ! Ceux de lapartie ne s’en vantent pas, évidemment, pour ne pas augmenter laconcurrence ! Je ne dis pas que c’est un métier de tout repos,mais enfin il y en a de plus dangereux, quoique honnêtes.

Déjà, je suis en train de« plastronner ». C’est que je m’épate moi-même. Envérité, là-bas, aux Charmilles, quand j’opérais pourrire : eh bien ! je ne riais pas du tout. J’étaisprofondément ému. J’ai fait du chemin ! Soudain, un gested’Helena rabat ma superbe. Elle écoute, tout simplement.Aurait-elle entendu quelque chose ?… Elle a sorti sa petitelanterne sourde.

La dernière chose que j’ai vue c’est samatraque… On doit donner des coups terribles avec ce petit serpentnoir de caoutchouc. J’ai entendu dire qu’un coup solide, bienplacé, assomme un homme ! On peut tuer avec ça !…

Horreur ! je sens qu’elle me glisse samatraque dans la main…

Je soupire :

« Helena !…

– Stupid boy ! ça n’est pas pours’en servir, elle me gêne !…

– Il n’y a personne, dans l’hôtel ?…

– Si ! Au second… Une gouvernante et unepetite fille ! » Je m’affole : « MonDieu !…

– Oh ! ne pleurez pas, « bébé àpanades ». Pleurez pas !… J’ai apporté ce qu’il faut… duchloroforme pour la gouvernante…

– Et, pour… la petite fille ?

– Une barre de chocolat ! Montons, lagalerie est au premier… »

Derrière la lanterne sourde, nous gravissonsle large escalier encombré d’antiquailles. Et nous voici dans lagalerie. Des meubles, des vases, des bijoux anciens, des toiles surles murs et, sous des vitrines, de merveilleuses dentelles desFlandres. La flèche de lumière glisse sur toutes ces richessesvraies ou fausses. Seules, les dentelles intéressent Helena qui,après avoir détaché la vitre de la pointe aiguë d’un diamant detravail, jette tout le paquet à nos pieds.

Nous traversons ensuite une grande pièce dontles murs sont recouverts des fameuses tapisseries de Bayeux. Helenaregrette de ne pouvoir les emporter sans courir trop derisques.

Elle hésite cependant une seconde. Je me voisdéjà ployant sous les tentures comme un portefaix, car, enfin, ilfaut bien que je serve à quelque chose. Nous sommes enfin devant laporte qui ferme le petit salon aux Rubens, mais ils sont sous clefet double verrou de sûreté. Dix minutes de travail. Au moment où laporte cède, un craquement qui me déchire l’âme. Nous voici changésen statues. Cinq minutes de silence, mais rien ne vient noustroubler. Est-ce bête d’avoir des peurs pareilles pour un petitbruit comme ça dans la nuit ! Helena, j’en suis sûr, n’a paspeur, elle ! Elle reste cinq minutes immobile parce que c’estcertainement recommandé après un bruit insolite par le parfaitmanuel des cambrioleurs. Allons ! je vois que cela vamieux !… Et puis une femme et une petite fille !Hein ? Même si elles ont entendu quelque chose… Je les voisd’ici ; tremblant d’épouvante sous leurs couvertures. C’estmoi Croquemitaine !

Nous ne perdons pas de temps en appréciationsplus ou moins artistiques sur les Rubens. Moi je n’aime pas lesRubens. Ses femmes, ça n’est pas mon genre. Helena m’avoue qu’ellene les aime pas non plus. Mais nous faisons comme si nous lesaimions. Helena a vite fait de les détacher de leurs cadres et deles rouler. Elle me les passe. Elle me charge aussi des dentellesdes Flandres. Mais elle m’a repris la matraque et elle marchedevant.

J’ai l’air d’un déménageur. J’ai soif. Jeprendrais bien un coup de pinard. Helena connaît les usages. Nouspénétrons dans la cuisine où nous dénichons un litre de vin rouge,un siphon, un litre d’eau-de-vie et, dans le garde-manger, unmorceau de fromage de gruyère. Avec un quignon de pain, voilà notreaffaire. Et nous faisons le casse-croûte sur le coin de la table debois blanc, soigneusement raclé. Ça n’est pas un repas de théâtre,un souper de cambrioleurs à la manque comme auxCharmilles. On a fait du vrai travail et on se restaure,comme des ouvriers.

Helena coupe sa croûte et mange son fromagesur le pouce, en me regardant avec un sourire silencieux qui en ditlong sur l’estime que je commence à lui inspirer. Un coup degniole… Nous choquons nos verres. Elle m’embrasse et nous mêlonsnos haleines ouvrières. Et j’ai trouvé que cette petite scène avaitbien son charme, elle aussi !

Maintenant, nous roulons sur la route avecnotre butin. À Évreux, nous nous sommes arrêtés devant une auto quistationnait au coin d’une rue. Helena m’a repoussé dans le fond,s’est chargée des paquets, du rouleau, a tout jeté dans l’autreauto dont la portière s’était ouverte à notre arrivée :conciliabule dans l’auto fantôme. La portière se rouvre et Helename rejoint. J’ai pu craindre un moment qu’elle me plantât là.Imagination stupide ! Helena m’aime…

Elle est revenue avec deux cents billets et unchèque de cent mille. Démétrius ne fait peut-être pas une aussibelle affaire que ça ! Les dentelles ne sont pas si étonnantesqu’on le dit et les Rubens l’embarrasseront bien s’il ne parvientpas à les faire passer en Amérique ! D’abord, sont-ce desRubens ? On dit l’avis des experts assez partagé. Qui peut sevanter, aujourd’hui, de démêler le vrai et le faux ?

« Les billets sont-ils faux ? »demandai-je. Elle m’embrassa : « Ah ! Rudy, voilàcomme je vous aime !… Eh bien, comment trouvez-vous notrepetite expédition ?

– Vous disiez vrai, Helena, c’est trèsrigolo !

– Et pas de remords ? » Je pensais àla bonne figure que ferait, le lendemain, « MonsieurJacob ». « Aucun, Helena, aucun !… »

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer