La Curée

La Curée

d’ Émile Zola
I

Au retour, dans l’encombrement des voitures qui rentraient parle bord du lac, la calèche dut marcher au pas. Un moment,l’embarras devint tel, qu’il lui fallut même s’arrêter.

Le soleil se couchait dans un ciel d’octobre, d’un gris clair,strié à l’horizon de minces nuages. Un dernier rayon, qui tombait des massifs lointains de la cascade, enfilait la chaussée, baignant d’une lumière rousse et pâlie la longue suite des voitures devenues immobiles. Les lueurs d’or, les éclairs vifs que jetaient les roues semblaient s’être fixés le long des réchampis jaune paille de la calèche, dont les panneaux gros bleu reflétaient des coins du paysage environnant. Et, plus haut, en plein dans la clarté rousse qui les éclairait par-derrière, et qui faisait luire les boutons de cuivre de leurs capotes à demi pliées, retombant du siège, le cocher et le valet de pied, avec leur livrée bleu sombre, leurs culottes mastic et leurs gilets rayés noir et jaune, se tenaient raides, graves et patients, comme des laquais de bonne maison qu’un embarras de voitures ne parvient pas à fâcher. Leurs chapeaux,ornés d’une cocarde noire, avaient une grande dignité. Seuls, les chevaux, un superbe attelage bai, soufflaient d’impatience.

– Tiens, dit Maxime, Laure d’Aurigny, là-bas, dans ce coupé… Vois donc, Renée.

Renée se souleva légèrement, cligna les yeux, avec cette moue exquise que lui faisait faire la faiblesse de sa vue.

– Je la croyais en fuite, dit-elle… Elle a changé lacouleur de ses cheveux, n’est-ce pas ?

– Oui, reprit Maxime en riant, son nouvel amant déteste lerouge.

Renée, penchée en avant, la main appuyée sur la portière bassede la calèche, regardait, éveillée du rêve triste qui, depuis uneheure, la tenait silencieuse, allongée au fond de la voiture, commedans une chaise longue de convalescente. Elle portait, sur une robede soie mauve, à tablier et à tunique, garnie de larges volantsplissés, un petit paletot de drap blanc, aux revers de veloursmauve, qui lui donnait un grand air de crânerie. Ses étrangescheveux fauve pâle, dont la couleur rappelait celle du beurre fin,étaient à peine cachés par un mince chapeau orné d’une touffe deroses du Bengale. Elle continuait à cligner des yeux, avec sa minede garçon impertinent, son front pur traversé d’une grande ride, sabouche, dont la lèvre supérieure avançait, ainsi que celle desenfants boudeurs. Puis, comme elle voyait mal, elle prit sonbinocle, un binocle d’homme, à garniture d’écaille, et, le tenant àla main, sans se le poser sur le nez, elle examina la grosse Laured’Aurigny tout à son aise, d’un air parfaitement calme.

Les voitures n’avançaient toujours pas. Au milieu des tachesunies, de teinte sombre, que faisait la longue file des coupés,fort nombreux au Bois par cet après-midi d’automne, brillaient lecoin d’une glace, le mors d’un cheval, la poignée argentée d’unelanterne, les galons d’un laquais haut placé sur son siège. Çà etlà, dans un landau découvert, éclatait un bout d’étoffe, un bout detoilette de femme, soie ou velours. Il était peu à peu tombé ungrand silence sur tout ce tapage éteint, devenu immobile. Onentendait, du fond des voitures, les conversations des piétons. Ily avait des échanges de regards muets, de portières àportières ; et personne ne causait plus, dans cette attenteque coupaient seuls les craquements des harnais et le coup de sabotimpatient d’un cheval. Au loin, les voix confuses du Bois semouraient.

Malgré la saison avancée, tout Paris était là : la duchessede Sternich, en huit-ressorts ;Mme de Lauwerens, en victoria trèscorrectement attelée ; la baronne de Meinhold, dans unravissant cab bai-brun ; la comtesse Vanska, avec ses poneyspie ; Mme Daste, et ses fameux stappersnoirs ; Mme de Guende etMme Teissière, en coupé ; la petite Sylvia,dans un landau gros bleu. Et encore don Carlos, en deuil, avec salivrée antique et solennelle ; Selim pacha, avec son fez etsans son gouverneur ; la duchesse de Rozan, en coupé-égoïste,avec sa livrée poudrée à blanc ; M. le comte de Chibray,en dog-cart ; M. Simpson, en mail de la plus belletenue ; toute la colonie américaine. Enfin deux académiciens,en fiacre.

Les premières voitures se dégagèrent et, de proche en proche,toute la file se mit bientôt à rouler doucement. Ce fut comme unréveil. Mille clartés dansantes s’allumèrent, des éclairs rapidesse croisèrent dans les roues, des étincelles jaillirent des harnaissecoués par les chevaux. Il y eut sur le sol, sur les arbres, delarges reflets de glace qui couraient. Ce pétillement des harnaiset des roues, ce flamboiement des panneaux vernis dans lesquelsbrûlait la braise rouge du soleil couchant, ces notes vives quejetaient les livrées éclatantes perchées en plein ciel et lestoilettes riches débordant des portières, se trouvèrent ainsiemportés dans un grondement sourd, continu, rythmé par le trot desattelages. Et le défilé alla, dans les mêmes bruits, dans les mêmeslueurs, sans cesse et d’un seul jet, comme si les premièresvoitures eussent tiré toutes les autres après elles.

Renée avait cédé à la secousse légère de la calèche se remettanten marche, et, laissant tomber son binocle, s’était de nouveaurenversée à demi sur les coussins. Elle attira frileusement à elleun coin de la peau d’ours qui emplissait l’intérieur de la voitured’une nappe de neige soyeuse. Ses mains gantées se perdirent dansla douceur des longs poils frisés. Une brise se levait. Le tièdeaprès-midi d’octobre qui, en donnant au Bois un regain deprintemps, avait fait sortir les grandes mondaines en voituredécouverte, menaçait de se terminer par une soirée d’une fraîcheuraiguë.

Un moment, la jeune femme resta pelotonnée, retrouvant lachaleur de son coin, s’abandonnant au bercement voluptueux detoutes ces roues qui tournaient devant elle. Puis, levant la têtevers Maxime, dont les regards déshabillaient tranquillement lesfemmes étalées dans les coupés et dans les landausvoisins :

– Vrai, demanda-t-elle, est-ce que tu la trouves jolie,cette Laure d’Aurigny ? Vous en faisiez un éloge, l’autrejour, lorsqu’on a annoncé la vente de ses diamants !… Àpropos, tu n’as pas vu la rivière et l’aigrette que ton père m’aachetées à cette vente ?

– Certes, il fait bien les choses, dit Maxime sansrépondre, avec un rire méchant. Il trouve moyen de payer les dettesde Laure et de donner des diamants à sa femme.

La jeune femme eut un léger mouvement d’épaules.

– Vaurien ! murmura-t-elle en souriant.

Mais le jeune homme s’était penché, suivant des yeux une damedont la robe verte l’intéressait. Renée avait reposé sa tête, lesyeux demi-clos, regardant paresseusement des deux côtés de l’allée,sans voir. À droite, filaient doucement des taillis, des futaiesbasses, aux feuilles roussies, aux branches grêles ; parinstants, sur la voie réservée aux cavaliers, passaient desmessieurs à la taille mince, dont les montures, dans leur galop,soulevaient de petites fumées de sable fin. À gauche, au bas desétroites pelouses qui descendent, coupées de corbeilles et demassifs, le lac dormait, d’une propreté de cristal, sans une écume,comme taillé nettement sur ses bords par la bêche desjardiniers ; et, de l’autre côté de ce miroir clair, les deuxîles, entre lesquelles le pont qui les joint faisait une barregrise, dressaient leurs falaises aimables, alignaient sur le cielpâle les lignes théâtrales de leurs sapins, de leurs arbres auxfeuillages persistants dont l’eau reflétait les verdures noires,pareilles à des franges de rideaux savamment drapées au bord del’horizon. Ce coin de nature, ce décor qui semblait fraîchementpeint, baignait dans une ombre légère, dans une vapeur bleuâtre quiachevait de donner aux lointains un charme exquis, un aird’adorable fausseté. Sur l’autre rive, le Chalet des Îles, commeverni de la veille, avait des luisants de joujou neuf ; et cesrubans de sable jaune, ces étroites allées de jardin, quiserpentent dans les pelouses et tournent autour du lac, bordées debranches de fonte imitant des bois rustiques, tranchaient plusétrangement, à cette heure dernière, sur le vert attendri de l’eauet du gazon.

Accoutumée aux grâces savantes de ces points de vue, Renée,reprise par ses lassitudes, avait baissé complètement lespaupières, ne regardant plus que ses doigts minces qui enroulaientsur leurs fuseaux les longs poils de la peau d’ours. Mais il y eutune secousse dans le trot régulier de la file des voitures. Et,levant la tête, elle salua deux jeunes femmes couchées côte à côte,avec une langueur amoureuse, dans un huit-ressorts qui quittait àgrand fracas le bord du lac pour s’éloigner par une allée latérale.Mme la marquise d’Espanet, dont le mari, alors aidede camp de l’empereur, venait de se rallier bruyamment, au scandalede la vieille noblesse boudeuse, était une des plus illustresmondaines du second Empire ; l’autre,Mme Haffner, avait épousé un fameux industriel deColmar, vingt fois millionnaire, et dont l’Empire faisait un hommepolitique. Renée, qui avait connu en pension les deux inséparables,comme on les nommait d’un air fin, les appelait Adeline et Suzanne,de leurs petits noms. Et, comme, après leur avoir souri, elleallait se pelotonner de nouveau, un rire de Maxime la fit setourner.

– Non, vraiment, je suis triste, ne ris pas, c’est sérieux,dit-elle en voyant le jeune homme qui la contemplait railleusement,en se moquant de son attitude penchée.

Maxime prit une voix drôle.

– Nous aurions de gros chagrins, nous serionsjalouse !

Elle parut toute surprise.

– Moi ! dit-elle. Pourquoi jalouse ?

Puis elle ajouta, avec sa moue de dédain, comme sesouvenant :

– Ah ! oui, la grosse Laure ! Je n’y pense guère,va. Si Aristide, comme vous voulez tous me le faire entendre, apayé les dettes de cette fille et lui a évité ainsi un voyage àl’étranger, c’est qu’il aime l’argent moins que je ne le croyais.Cela va le remettre en faveur auprès des dames… Le cher homme, jele laisse bien libre.

Elle souriait, elle disait « le cher homme », d’un tonplein d’une indifférence amicale. Et subitement, redevenue trèstriste, promenant autour d’elle ce regard désespéré des femmes quine savent à quel amusement se donner, elle murmura :

– Oh ! je voudrais bien… Mais non, je ne suis pasjalouse, pas jalouse du tout.

Elle s’arrêta, hésitante.

– Vois-tu, je m’ennuie, dit-elle enfin d’une voixbrusque.

Alors elle se tut, les lèvres pincées. La file des voiturespassait toujours le long du lac, d’un trot égal, avec un bruitparticulier de cataracte lointaine. Maintenant, à gauche, entrel’eau et la chaussée, se dressaient des petits bois d’arbres verts,aux troncs minces et droits, qui formaient de curieux faisceaux decolonnettes. À droite, les taillis, les futaies basses avaientcessé ; le Bois s’était ouvert en larges pelouses, en immensestapis d’herbe, plantés çà et là d’un bouquet de grandsarbres ; les nappes vertes se suivaient, avec des ondulationslégères, jusqu’à la Porte de la Muette, dont on apercevait trèsloin la grille basse, pareille à un bout de dentelle noire tendu auras du sol ; et, sur les pentes, aux endroits où lesondulations se creusaient, l’herbe était toute bleue. Renéeregardait, les yeux fixes, comme si cet agrandissement del’horizon, ces prairies molles, trempées par l’air du soir, luieussent fait sentir plus vivement le vide de son être.

Au bout d’un silence, elle répéta, avec l’accent d’une colèresourde :

– Oh ! je m’ennuie, je m’ennuie à mourir.

– Sais-tu que tu n’es pas gaie, dit tranquillement Maxime.Tu as tes nerfs, c’est sûr.

La jeune femme se rejeta au fond de la voiture.

– Oui, j’ai mes nerfs, répondit-elle sèchement.

Puis elle se fit maternelle.

– Je deviens vieille, mon cher enfant ; j’aurai trenteans bientôt. C’est terrible. Je ne prends de plaisir à rien… Àvingt ans, tu ne peux savoir…

– Est-ce que c’est pour te confesser que tu m’asemmené ? interrompit le jeune homme. Ce serait diablementlong.

Elle accueillit cette impertinence avec un faible sourire, commeune boutade d’enfant gâté à qui tout est permis.

– Je te conseille de te plaindre, continua Maxime ; tudépenses plus de cent mille francs par an pour ta toilette, tuhabites un hôtel splendide, tu as des chevaux superbes, tescaprices font loi, et les journaux parlent de chacune de tes robesnouvelles comme d’un événement de la dernière gravité ; lesfemmes te jalousent, les hommes donneraient dix ans de leur viepour te baiser le bout des doigts… Est-ce vrai ?

Elle fit, de la tête, un signe affirmatif, sans répondre. Lesyeux baissés, elle s’était remise à friser les poils de la peaud’ours.

– Va, ne sois pas modeste, poursuivit Maxime ; avouecarrément que tu es une des colonnes du second Empire. Entre nous,on peut se dire de ces choses-là. Partout, aux Tuileries, chez lesministres, chez les simples millionnaires, en bas et en haut, turègnes en souveraine. Il n’y a pas de plaisir où tu n’aies mis lesdeux pieds, et si j’osais, si le respect que je te dois ne meretenait pas, je dirais…

Il s’arrêta quelques secondes, riant ; puis il achevacavalièrement sa phrase.

– Je dirais que tu as mordu à toutes les pommes.

Elle ne sourcilla pas.

– Et tu t’ennuies ! reprit le jeune homme avec unevivacité comique. Mais c’est un meurtre !… Que veux-tu ?Que rêves-tu donc ?

Elle haussa les épaules, pour dire qu’elle ne savait pas. Bienqu’elle penchât la tête, Maxime la vit alors si sérieuse, sisombre, qu’il se tut. Il regarda la file des voitures qui, enarrivant au bout du lac, s’élargissait, emplissait le largecarrefour. Les voitures, moins serrées, tournaient avec une grâcesuperbe ; le trot plus rapide des attelages sonnait hautementsur la terre dure.

La calèche, en faisant le grand tour pour prendre la file, eutune oscillation qui pénétra Maxime d’une volupté vague. Alors,cédant à l’envie d’accabler Renée :

– Tiens, dit-il, tu mériterais d’aller en fiacre ! Ceserait bien fait !… Eh ! regarde ce monde qui rentre àParis, ce monde qui est à tes genoux. On te salue comme une reine,et peu s’en faut que ton bon ami, M. de Mussy, net’envoie des baisers.

En effet, un cavalier saluait Renée. Maxime avait parlé d’un tonhypocritement moqueur. Mais Renée se tourna à peine, haussa lesépaules. Cette fois, le jeune homme eut un geste désespéré.

– Vrai, dit-il, nous en sommes là ?… Mais, bon Dieu,tu as tout, que veux-tu encore ?

Renée leva la tête. Elle avait dans les yeux une clarté chaude,un ardent besoin de curiosité inassouvie.

– Je veux autre chose, répondit-elle à demi-voix.

– Mais puisque tu as tout, reprit Maxime en riant, autrechose, ce n’est rien… Quoi, autre chose ?

– Quoi ? répéta-t-elle…

Et elle ne continua pas. Elle s’était tout à fait tournée, ellecontemplait l’étrange tableau qui s’effaçait derrière elle. La nuitétait presque venue ; un lent crépuscule tombait comme unecendre fine. Le lac, vu de face, dans le jour pâle qui traînaitencore sur l’eau, s’arrondissait, pareil à une immense plaqued’étain ; aux deux bords, les bois d’arbres verts dont lestroncs minces et droits semblent sortir de la nappe dormante,prenaient, à cette heure, des apparences de colonnades violâtres,dessinant de leur architecture régulière les courbes étudiées desrives ; puis, au fond, des massifs montaient, de grandsfeuillages confus, de larges taches noires fermaient l’horizon. Ily avait là, derrière ces taches, une lueur de braise, un coucher desoleil à demi éteint qui n’enflammait qu’un bout de l’immensitégrise. Au-dessus de ce lac immobile, de ces futaies basses, de cepoint de vue si singulièrement plat, le creux du ciel s’ouvrait,infini, plus profond et plus large. Ce grand morceau de ciel sur cepetit coin de nature, avait un frisson, une tristesse vague ;et il tombait de ces hauteurs pâlissantes une telle mélancolied’automne, une nuit si douce et si navrée, que le Bois, peu à peuenveloppé dans un linceul d’ombre, perdait ses grâces mondaines,agrandi, tout plein du charme puissant des forêts. Le trot deséquipages, dont les ténèbres éteignaient les couleurs vives,s’élevait, semblable à des voix lointaines de feuilles et d’eauxcourantes. Tout allait en se mourant. Dans l’effacement universel,au milieu du lac, la voile latine de la grande barque de promenadese détachait, nette et vigoureuse, sur la lueur de braise ducouchant. Et l’on ne voyait plus que cette voile, que ce trianglede toile jaune, élargi démesurément.

Renée, dans ses satiétés, éprouva une singulière sensation dedésirs inavouables, à voir ce paysage qu’elle ne reconnaissaitplus, cette nature si artistement mondaine, et dont la grande nuitfrissonnante faisait un bois sacré, une de ces clairières idéalesau fond desquelles les anciens dieux cachaient leurs amoursgéantes, leurs adultères et leurs incestes divins. Et, à mesure quela calèche s’éloignait, il lui semblait que le crépuscule emportaitderrière elle, dans ses voiles tremblants, la terre du rêve,l’alcôve honteuse et surhumaine où elle eût enfin assouvi son cœurmalade, sa chair lassée.

Quand le lac et les petits bois, évanouis dans l’ombre, nefurent plus, au ras du ciel, qu’une barre noire, la jeune femme seretourna brusquement, et, d’une voix où il y avait des larmes dedépit, elle reprit sa phrase interrompue :

– Quoi ?… autre chose, parbleu ! je veux autrechose. Est-ce que je sais, moi ! Si je savais… Mais, vois-tu,j’ai assez de bals, assez de soupers, assez de fêtes comme cela.C’est toujours la même chose. C’est mortel… Les hommes sontassommants, oh ! oui, assommants…

Maxime se mit à rire. Des ardeurs perçaient sous les minesaristocratiques de la grande mondaine. Elle ne clignait plus lespaupières ; la ride de son front se creusait durement ;sa lèvre d’enfant boudeur s’avançait, chaude, en quête de cesjouissances qu’elle souhaitait sans pouvoir les nommer. Elle vit lerire de son compagnon, mais elle était trop frémissante pours’arrêter ; à demi couchée, se laissant aller au bercement dela voiture, elle continua par petites phrases sèches :

– Certes, oui, vous êtes assommants… Je ne dis pas celapour toi, Maxime, tu es trop jeune… Mais si je te contais combienAristide m’a pesé dans les commencements ! Et les autresdonc ! ceux qui m’ont aimée… Tu sais, nous sommes deux bonscamarades, je ne me gêne pas avec toi ; eh bien ! vrai,il y a des jours où je suis tellement lasse de vivre ma vie defemme riche, adorée, saluée, que je voudrais être une Laured’Aurigny, une de ces dames qui vivent en garçon.

Et comme Maxime riait plus haut, elle insista :

– Oui, une Laure d’Aurigny. Ça doit être moins fade, moinstoujours la même chose.

Elle se tut quelques instants, comme pour s’imaginer la viequ’elle mènerait, si elle était Laure. Puis, d’un tondécouragé :

– Après tout, reprit-elle, ces dames doivent avoir leursennuis, elles aussi. Rien n’est drôle, décidément. C’est à mourir…Je le disais bien, il faudrait autre chose ; tu comprends,moi, je ne devine pas ; mais autre chose, quelque chose quin’arrivât à personne, qu’on ne rencontrât pas tous les jours, quifût une jouissance rare, inconnue.

Sa voix s’était ralentie. Elle prononça ces derniers mots,cherchant, s’abandonnant à une rêverie profonde. La calèche montaitalors l’avenue qui conduit à la sortie du Bois. L’ombrecroissait ; les taillis couraient, aux deux bords, comme desmurs grisâtres ; les chaises de fonte, peintes en jaune, oùs’étale, par les beaux soirs, la bourgeoisie endimanchée, filaientle long des trottoirs, toutes vides, ayant la mélancolie noire deces meubles de jardin que l’hiver surprend ; et le roulement,le bruit sourd et cadencé des voitures qui rentraient, passaitcomme une plainte triste, dans l’allée déserte.

Sans doute Maxime sentit tout le mauvais ton qu’il y avait àtrouver la vie drôle. S’il était encore assez jeune pour se livrerà un élan d’heureuse admiration, il avait un égoïsme trop large,une indifférence trop railleuse, il éprouvait déjà trop delassitude réelle, pour ne pas se déclarer écœuré, blasé, fini.D’ordinaire, il mettait quelque gloire à cet aveu.

Il s’allongea comme Renée, il prit une voix dolente.

– Tiens ! tu as raison, dit-il ; c’est crevant.Va, je ne m’amuse guère plus que toi ; j’ai souvent aussi rêvéautre chose… Rien n’est bête comme de voyager. Gagner de l’argent,j’aime encore mieux en manger, quoique ce ne soit pas toujoursaussi amusant qu’on se l’imagine d’abord. Aimer, être aimé, on en avite plein le dos, n’est-ce pas ?… Ah ! oui, on en aplein le dos !…

La jeune femme ne répondant pas, il continua, pour la surprendrepar une grosse impiété :

– Moi, je voudrais être aimé par une religieuse. Hein, ceserait peut-être drôle !… Tu n’as jamais fait le rêve, toi,d’aimer un homme auquel tu ne pourrais penser sans commettre uncrime ?

Mais elle resta sombre, et Maxime, voyant qu’elle se taisaittoujours, crut qu’elle ne l’écoutait pas. La nuque appuyée contrele bord capitonné de la calèche, elle semblait dormir les yeuxouverts. Elle songeait, inerte, livrée aux rêves qui la tenaientainsi affaissée, et, par moments, de légers battements nerveuxagitaient ses lèvres. Elle était mollement envahie par l’ombre ducrépuscule ; tout ce que cette ombre contenait d’indécisetristesse, de discrète volupté, d’espoir inavoué, la pénétrait, labaignait dans une sorte d’air alangui et morbide. Sans doute,tandis qu’elle regardait fixement le dos rond du valet de piedassis sur le siège, elle pensait à ces joies de la veille, à cesfêtes qu’elle trouvait si fades, dont elle ne voulait plus ;elle voyait sa vie passée, le contentement immédiat de sesappétits, l’écœurement du luxe, la monotonie écrasante des mêmestendresses et des mêmes trahisons. Puis, comme une espérance, selevait en elle, avec des frissons de désir, l’idée de cet« autre chose » que son esprit tendu ne pouvait trouver.Là, sa rêverie s’égarait. Elle faisait un effort, mais toujours lemot cherché se dérobait dans la nuit tombante, se perdait dans leroulement continu des voitures. Le bercement souple de la calècheétait une hésitation de plus qui l’empêchait de formuler son envie.Et une tentation immense montait de ce vague, de ces taillis quel’ombre endormait aux deux bords de l’allée, de ce bruit de roueset de cette oscillation molle qui l’emplissait d’une torpeurdélicieuse. Mille petits souffles lui passaient sur la chair :songeries inachevées, voluptés innommées, souhaits confus, tout cequ’un retour du Bois, à l’heure où le ciel pâlit, peut mettred’exquis et de monstrueux dans le cœur lassé d’une femme. Elletenait ses deux mains enfouies dans la peau d’ours, elle avait trèschaud sous son paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve.Comme elle allongeait un pied, pour se détendre dans son bien-être,elle frôla de sa cheville la jambe tiède de Maxime, qui ne pritmême pas garde à cet attouchement. Une secousse la tira de sondemi-sommeil. Elle leva la tête, regardant étrangement de ses yeuxgris le jeune homme vautré en toute élégance.

À ce moment, la calèche sortit du Bois. L’avenue del’Impératrice s’allongeait toute droite dans le crépuscule, avecles deux lignes vertes de ses barrières de bois peint, qui allaientse toucher à l’horizon. Dans la contre-allée réservée auxcavaliers, un cheval blanc, au loin, faisait une tache clairetrouant l’ombre grise. Il y avait, de l’autre côté, le long de lachaussée, çà et là, des promeneurs attardés, des groupes de pointsnoirs, se dirigeant doucement vers Paris. Et tout en haut, au boutde la traînée grouillante et confuse des voitures,l’Arc-de-Triomphe, posé de biais, blanchissait sur un vaste pan deciel couleur de suie.

Tandis que la calèche remontait d’un trot plus vif, Maxime,charmé de l’allure anglaise du paysage, regardait, aux deux côtésde l’avenue, les hôtels, d’architecture capricieuse, dont lespelouses descendent jusqu’aux contre-allées ; Renée, dans sasongerie, s’amusait à voir, au bord de l’horizon, s’allumer un à unles becs de gaz de la place de l’Étoile, et à mesure que ces lueursvives tachaient le jour mourant de petites flammes jaunes, ellecroyait entendre des appels secrets, il lui semblait que le Parisflamboyant des nuits d’hiver s’illuminait pour elle, lui préparaitla jouissance inconnue que rêvait son assouvissement.

La calèche prit l’avenue de la Reine-Hortense, et vint s’arrêterau bout de la rue Monceau, à quelques pas du boulevard Malesherbes,devant un grand hôtel situé entre cour et jardin. Les deux grilleschargées d’ornements dorés, qui s’ouvraient sur la cour, étaientchacune flanquées d’une paire de lanternes, en forme d’urneségalement couvertes de dorures, et dans lesquelles flambaient delarges flammes de gaz. Entre les deux grilles, le conciergehabitait un élégant pavillon, qui rappelait vaguement un petittemple grec.

Comme la voiture allait entrer dans la cour, Maxime sautalestement à terre.

– Tu sais, lui dit Renée, en le retenant par la main, nousnous mettons à table à sept heures et demie. Tu as plus d’une heurepour aller t’habiller. Ne te fais pas attendre.

Et elle ajouta avec un sourire :

– Nous aurons les Mareuil… Ton père désire que tu sois trèsgalant avec Louise.

Maxime haussa les épaules.

– En voilà une corvée ! murmura-t-il d’une voixmaussade. Je veux bien épouser, mais faire sa cour, c’est tropbête… Ah ! que tu serais gentille, Renée, si tu me délivraisde Louise, ce soir.

Il prit son air drôle, la grimace et l’accent qu’il empruntait àLassouche, chaque fois qu’il allait débiter une de sesplaisanteries habituelles :

– Veux-tu, belle-maman chérie ?

Renée lui secoua la main comme à un camarade. Et d’un tonrapide, avec une audace nerveuse de raillerie :

– Eh ! si je n’avais pas épousé ton père, je crois quetu me ferais la cour.

Le jeune homme dut trouver cette idée très comique, car il avaitdéjà tourné le coin du boulevard Malesherbes, qu’il riaitencore.

La calèche entra et vint s’arrêter devant le perron.

Ce perron, aux marches larges et basses, était abrité par unevaste marquise vitrée, bordée d’un lambrequin à franges et à glandsd’or. Les deux étages de l’hôtel s’élevaient sur des offices, donton apercevait, presque au ras du sol, les soupiraux carrés garnisde vitres dépolies. En haut du perron, la porte du vestibuleavançait, flanquée de maigres colonnes prises dans le mur, formantainsi une sorte d’avant-corps percé à chaque étage d’une baiearrondie, et montant jusqu’au toit, où il se terminait par undelta. De chaque côté, les étages avaient cinq fenêtres,régulièrement alignées sur la façade, entourées d’un simple cadrede pierre. Le toit, mansardé, était taillé carrément, à larges panspresque droits.

Mais, du côté du jardin, la façade était autrement somptueuse.Un perron royal conduisait à une étroite terrasse qui régnait toutle long du rez-de-chaussée ; la rampe de cette terrasse, dansle style des grilles du parc Monceau, était encore plus chargéed’or que la marquise et les lanternes de la cour. Puis l’hôtel sedressait, ayant aux angles deux pavillons, deux sortes de toursengagées à demi dans le corps du bâtiment, et qui ménageaient àl’intérieur des pièces rondes. Au milieu, une autre tourelle, plusenfoncée, se renflait légèrement. Les fenêtres, hautes et mincespour les pavillons, espacées davantage et presque carrées sur lesparties plates de la façade, avaient, au rez-de-chaussée, desbalustrades de pierre, et des rampes de fer forgé et doré auxétages supérieurs. C’était un étalage, une profusion, un écrasementde richesses. L’hôtel disparaissait sous les sculptures. Autour desfenêtres, le long des corniches, couraient des enroulements derameaux et de fleurs ; il y avait des balcons pareils à descorbeilles de verdure, que soutenaient de grandes femmes nues, leshanches tordues, les pointes des seins en avant ; puis, çà etlà, étaient collés des écussons de fantaisie, des grappes, desroses, toutes les efflorescences possibles de la pierre et dumarbre. À mesure que l’œil montait, l’hôtel fleurissait davantage.Autour du toit, régnait une balustrade sur laquelle étaient posées,de distance en distance, des urnes où des flammes de pierreflambaient. Et là, entre les œils-de-bœuf des mansardes, quis’ouvraient dans un fouillis incroyable de fruits et de feuillages,s’épanouissaient les pièces capitales de cette décorationétonnante, les frontons des pavillons, au milieu desquelsreparaissaient les grandes femmes nues, jouant avec des pommes,prenant des poses, parmi des poignées de joncs. Le toit, chargé deces ornements, surmonté encore de galeries de plomb découpées, dedeux paratonnerres et de quatre énormes cheminées symétriques,sculptées comme le reste, semblait être le bouquet de ce feud’artifice architectural.

À droite, se trouvait une vaste serre, scellée au flanc même del’hôtel, communiquant avec le rez-de-chaussée par la porte-fenêtred’un salon. Le jardin, qu’une grille basse, masquée par une haie,séparait du parc Monceau, avait une pente assez forte. Trop petitpour l’habitation, si étroit qu’une pelouse et quelques massifsd’arbres verts l’emplissaient, il était simplement comme une butte,comme un socle de verdure, sur lequel se campait fièrement l’hôtelen toilette de gala. À la voir du parc, au-dessus de ce gazonpropre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cettegrande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la faceblême, l’importance riche et sotte d’une parvenue, avec son lourdchapeau d’ardoises, ses rampes dorées, son ruissellement desculptures. C’était une réduction du nouveau Louvre, un deséchantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III,ce bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d’été, lorsque lesoleil oblique allumait l’or des rampes sur la façade blanche, lespromeneurs du parc s’arrêtaient, regardaient les rideaux de soierouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée ; et, au traversdes glaces si larges et si claires qu’elles semblaient, comme lesglaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au-dehorsle faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaientdes coins de meubles, des bouts d’étoffes, des morceaux de plafondsd’une richesse éclatante, dont la vue les clouait d’admiration etd’envie au beau milieu des allées.

Mais, à cette heure, l’ombre tombait des arbres, la façadedormait. De l’autre côté, dans la cour, le valet de pied avaitrespectueusement aidé Renée à descendre de voiture. Les écuries, àbandes de briques rouges, ouvraient, à droite, leurs larges portesde chêne bruni, au fond d’un hangar vitré. À gauche, comme pourfaire pendant, il y avait, collée au mur de la maison voisine, uneniche très ornée, dans laquelle une nappe d’eau coulaitperpétuellement d’une coquille que deux Amours tenaient à brastendus. La jeune femme resta un instant au bas du perron, donnantde légères tapes à sa jupe, qui ne voulait point descendre. Lacour, que venaient de traverser les bruits de l’attelage, reprit sasolitude, son silence aristocratique, coupé par l’éternelle chansonde la nappe d’eau. Et seules encore, dans la masse noire del’hôtel, où le premier des grands dîners de l’automne allaitbientôt allumer les lustres, les fenêtres basses flambaient, toutesbraisillantes, jetant sur le petit pavé de la cour, régulier et netcomme un damier, des lueurs vives d’incendie.

Comme Renée poussait la porte du vestibule, elle se trouva enface du valet de chambre de son mari, qui descendait aux offices,tenant une bouilloire d’argent. Cet homme était superbe, tout denoir habillé, grand, fort, la face blanche, avec les favoriscorrects d’un diplomate anglais, l’air grave et digne d’unmagistrat.

– Baptiste, demanda la jeune femme, monsieur est-ilrentré ?

– Oui, madame, il s’habille, répondit le valet avec uneinclination de tête que lui aurait enviée un prince saluant lafoule.

Renée monta lentement l’escalier en retirant ses gants.

Le vestibule était d’un grand luxe. En entrant, on éprouvait unelégère sensation d’étouffement. Les tapis épais qui couvraient lesol et qui montaient les marches, les larges tentures de veloursrouge qui masquaient les murs et les portes, alourdissaient l’aird’un silence, d’une senteur tiède de chapelle. Les draperiestombaient de haut, et le plafond, très élevé, était orné de rosacessaillantes, posées sur un treillis de baguettes d’or. L’escalier,dont la double balustrade de marbre blanc avait une rampe develours rouge, s’ouvrait en deux branches, légèrement tordues, etentre lesquelles se trouvait, au fond, la porte du grand salon. Surle premier palier, une immense glace tenait tout le mur. En bas, aupied des branches de l’escalier, sur des socles de marbre, deuxfemmes de bronze doré, nues jusqu’à la ceinture, portaient degrands lampadaires à cinq becs, dont les clartés vives étaientadoucies par des globes de verre dépoli. Et, des deux côtés,s’alignaient d’admirables pots de majolique, dans lesquelsfleurissaient des plantes rares.

Renée montait, et, à chaque marche, elle grandissait dans laglace ; elle se demandait, avec ce doute des actrices les plusapplaudies, si elle était vraiment délicieuse, comme on le luidisait.

Puis, quand elle fut dans son appartement, qui était au premierétage, et dont les fenêtres donnaient sur le parc Monceau, ellesonna Céleste, sa femme de chambre, et se fit habiller pour ledîner. Cela dura cinq bons quarts d’heure. Lorsque la dernièreépingle eut été posée, comme il faisait très chaud dans la pièce,elle ouvrit une fenêtre, s’accouda, s’oublia. Derrière elle,Céleste tournait discrètement, rangeant un à un les objets detoilette.

En bas dans le parc, une mer d’ombre roulait. Les masses couleurd’encre des hauts feuillages secoués par de brusques rafalesavaient un large balancement de flux et de reflux, avec ce bruit defeuilles sèches qui rappelle l’égouttement des vagues sur une plagede cailloux. Seuls, rayant par instants ce remous de ténèbres, lesdeux yeux jaunes d’une voiture paraissaient et disparaissaiententre les massifs, le long de la grande allée qui va de l’avenue dela Reine-Hortense au boulevard Malesherbes. Renée, en face de cesmélancolies de l’automne, sentit toutes ses tristesses lui remonterau cœur. Elle se revit enfant dans la maison de son père, dans cethôtel silencieux de l’île Saint-Louis, où depuis deux siècles lesBéraud du Châtel mettaient leur gravité noire de magistrats. Puiselle songea au coup de baguette de son mariage, à ce veuf quis’était vendu pour l’épouser, et qui avait troqué son nom de Rougoncontre ce nom de Saccard, dont les deux syllabes sèches avaientsonné à ses oreilles, les premières fois, avec la brutalité de deuxrâteaux ramassant de l’or ; il la prenait, il la jetait danscette vie à outrance, où sa pauvre tête se détraquait un peu plustous les jours. Alors, elle se mit à rêver, avec une joie puérile,aux belles parties de raquette qu’elle avait faites jadis avec sajeune sœur Christine. Et, quelque matin, elle s’éveillerait du rêvede jouissance qu’elle faisait depuis dix ans, folle, salie par unedes spéculations de son mari, dans laquelle il se noieraitlui-même. Ce fut comme un pressentiment rapide. Les arbres selamentaient à voix plus haute. Renée, troublée par ces pensées dehonte et de châtiment, céda aux instincts de vieille et honnêtebourgeoisie qui dormaient au fond d’elle ; elle promit à lanuit noire de s’amender, de ne plus tant dépenser pour sa toilette,de chercher quelque jeu innocent qui pût la distraire, comme auxjours heureux du pensionnat, lorsque les élèveschantaient : Nous n’irons plus au bois, entournant doucement sous les platanes.

À ce moment, Céleste, qui était descendue, rentra et murmura àl’oreille de sa maîtresse :

– Monsieur prie madame de descendre. Il y a déjà plusieurspersonnes au salon.

Renée tressaillit. Elle n’avait pas senti l’air vif qui glaçaitses épaules. En passant devant son miroir, elle s’arrêta, seregarda d’un mouvement machinal. Elle eut un sourire involontaire,et descendit.

En effet, presque tous les convives étaient arrivés. Il y avaiten bas sa sœur Christine, une jeune fille de vingt ans, trèssimplement mise en mousseline blanche ; sa tante Élisabeth, laveuve du notaire Aubertot, en satin noir, petite vieille desoixante ans, d’une amabilité exquise ; la sœur de son mari,Sidonie Rougon, femme maigre, doucereuse, sans âge certain, auvisage de cire molle, et que sa robe de couleur éteinte effaçaitencore davantage ; puis les Mareuil, le père,M. de Mareuil, qui venait de quitter le deuil de safemme, un grand bel homme, vide, sérieux, ayant une ressemblancefrappante avec le valet de chambre Baptiste, et la fille, cettepauvre Louise, comme on la nommait, une enfant de dix-sept ans,chétive, légèrement bossue, qui portait avec une grâce maladive unerobe de foulard blanc, à pois rouges ; puis tout un grouped’hommes graves, gens très décorés, messieurs officiels à têtesblêmes et muettes, et, plus loin, un autre groupe, des jeuneshommes, l’air vicieux, le gilet largement ouvert, entourant cinq ousix dames de haute élégance, parmi lesquelles trônaient lesinséparables, la petite marquise d’Espanet, en jaune, et la blondeMme Haffner, en violet. M. de Mussy, cecavalier au salut duquel Renée n’avait pas répondu, était làégalement, avec la mine inquiète d’un amant qui sent venir soncongé. Et, au milieu des longues traînes étalées sur le tapis, deuxentrepreneurs, deux maçons enrichis, les Mignon et Charrier, aveclesquels Saccard devait terminer une affaire le lendemain,promenaient lourdement leurs fortes bottes, les mains derrière ledos, crevant dans leur habit noir.

Aristide Saccard, debout auprès de la porte, tout en pérorantdevant le groupe des hommes graves, avec son nasillement et saverve de méridional, trouvait le moyen de saluer les personnes quiarrivaient. Il leur serrait la main, leur adressait des parolesaimables. Petit, la mine chafouine, il se pliait comme unemarionnette ; et de toute sa personne grêle, rusée, noirâtre,ce qu’on voyait le mieux, c’était la tache rouge du ruban de laLégion d’honneur qu’il portait très large.

Quand Renée entra, il y eut un murmure d’admiration. Elle étaitvraiment divine. Sur une première jupe de tulle, garnie, derrière,d’un flot de volants, elle portait une tunique de satin verttendre, bordée d’une haute dentelle d’Angleterre, relevée etattachée par de grosses touffes de violettes ; un seul volantgarnissait le devant de la jupe, où des bouquets de violettes,reliés par des guirlandes de lierre, fixaient une légère draperiede mousseline. Les grâces de la tête et du corsage étaientadorables, au-dessus de ces jupes d’une ampleur royale et d’unerichesse un peu chargée. Décolletée jusqu’à la pointe des seins,les bras découverts avec des touffes de violettes sur les épaules,la jeune femme semblait sortir toute nue de sa gaine de tulle et desatin, pareille à une de ces nymphes dont le buste se dégage deschênes sacrés ; et sa gorge blanche, son corps souple, étaitdéjà si heureux de sa demi-liberté, que le regard s’attendaittoujours à voir peu à peu le corsage et les jupes glisser, comme levêtement d’une baigneuse, folle de sa chair. Sa coiffure haute, sesfins cheveux jaunes retroussés en forme de casque, et dans lesquelscourait une branche de lierre, retenue par un nœud de violettes,augmentaient encore sa nudité, en découvrant sa nuque que des poilsfollets, semblables à des fils d’or, ombraient légèrement. Elleavait, au cou, une rivière à pendeloques, d’une eau admirable, et,sur le front, une aigrette faite de brins d’argent, constellés dediamants. Et elle resta ainsi quelques secondes sur le seuil,debout dans sa toilette magnifique, les épaules moirées par lesclartés chaudes. Comme elle avait descendu vite, elle soufflait unpeu. Ses yeux, que le noir du parc Monceau avait emplis d’ombre,clignaient devant ce flot brusque de lumière, lui donnaient cet airhésitant des myopes, qui était chez elle une grâce.

En l’apercevant, la petite marquise se leva vivement, courut àelle, lui prit les deux mains ; et, tout en l’examinant despieds à la tête, elle murmurait d’une voix flûtée :

– Ah ! chère belle, chère belle…

Cependant, il y eut un grand mouvement, tous les convivesvinrent saluer la belle Mme Saccard, comme onnommait Renée dans le monde. Elle toucha la main presque à tous leshommes. Puis elle embrassa Christine, en lui demandant desnouvelles de son père, qui ne venait jamais à l’hôtel du parcMonceau. Et elle restait debout, souriante, saluant encore de latête, les bras mollement arrondis, devant le cercle des dames quiregardaient curieusement la rivière et l’aigrette.

La blonde Mme Haffner ne put résister à latentation ; elle s’approcha, regarda longuement les bijoux, etdit d’une voix jalouse :

– C’est la rivière et l’aigrette, n’est-ce pas ?…

Renée fit un signe affirmatif. Alors toutes les femmes serépandirent en éloges ; les bijoux étaient ravissants,divins ; puis elles en vinrent à parler, avec une admirationpleine d’envie, de la vente de Laure d’Aurigny, dans laquelleSaccard les avait achetés pour sa femme ; elles se plaignirentde ce que ces filles enlevaient les plus belles choses, bientôt iln’y aurait plus de diamants pour les honnêtes femmes. Et, dansleurs plaintes, perçait le désir de sentir sur leur peau nue un deces bijoux que tout Paris avait vus aux épaules d’une impureillustre, et qui leur conteraient peut-être à l’oreille lesscandales des alcôves où s’arrêtaient si complaisamment leurs rêvesde grandes dames. Elles connaissaient les gros prix, elles citèrentun superbe cachemire, des dentelles magnifiques. L’aigrette avaitcoûté quinze mille francs, la rivière cinquante mille francs.Mme d’Espanet était enthousiasmée par ces chiffres.Elle appela Saccard, elle lui cria :

– Venez donc qu’on vous félicite ! Voilà un bonmari !

Aristide Saccard s’approcha, s’inclina, fit de la modestie. Maisson visage grimaçant trahissait une satisfaction vive. Et ilregardait du coin de l’œil les deux entrepreneurs, les deux maçonsenrichis, plantés à quelques pas, écoutant sonner les chiffres dequinze mille et de cinquante mille francs, avec un respectvisible.

À ce moment, Maxime, qui venait d’entrer, adorablement pincédans son habit noir, s’appuya avec familiarité sur l’épaule de sonpère, et lui parla bas, comme à un camarade, en lui désignant lesmaçons d’un regard. Saccard eut le sourire discret d’un acteurapplaudi.

Quelques convives arrivèrent encore. Il y avait au moins unetrentaine de personnes dans le salon. Les conversationsreprirent ; pendant les moments de silence, on entendait,derrière les murs, des bruits légers de vaisselle et d’argenterie.Enfin, Baptiste ouvrit une porte à deux battants, et,majestueusement, il dit la phrase sacramentelle :

– Madame est servie.

Alors, lentement, le défilé commença. Saccard donna le bras à lapetite marquise ; Renée prit celui d’un vieux monsieur, unsénateur, le baron Gouraud, devant lequel tout le mondes’aplatissait avec une humilité grande ; quant à Maxime, ilfut obligé d’offrir son bras à Louise de Mareuil ; puis venaitle reste des convives, en procession, et, tout au bout, les deuxentrepreneurs, les mains ballantes.

La salle à manger était une vaste pièce carrée, dont lesboiseries de poirier noirci et verni montaient à hauteur d’homme,ornées de minces filets d’or. Les quatre grands panneaux avaient dûêtre ménagés de façon à recevoir des peintures de naturemorte ; mais ils étaient restés vides, le propriétaire del’hôtel ayant sans doute reculé devant une dépense purementartistique. On les avait simplement tendus de velours gros vert.Les meubles, les rideaux et les portières de même étoffe, donnaientà la pièce un caractère sobre et grave, calculé pour concentrer surla table toutes les splendeurs de la lumière.

Et, à cette heure, en effet, au milieu du large tapis persan, deteinte sombre, qui étouffait le bruit des pas, sous la clarté cruedu lustre, la table, entourée de chaises dont les dossiers noirs, àfilets d’or, l’encadraient d’une ligne sombre, était comme unautel, comme une chapelle ardente, où, sur la blancheur éclatantede la nappe, brûlaient les flammes claires des cristaux et despièces d’argenterie. Au-delà des dossiers sculptés, dans une ombreflottante, à peine apercevait-on les boiseries des murs, un grandbuffet bas, des pans de velours qui traînaient. Forcément, les yeuxrevenaient à la table, s’emplissaient de cet éblouissement. Unadmirable surtout d’argent mat, dont les ciselures luisaient, enoccupait le centre ; c’était une bande de faunes enlevant desnymphes ; et, au-dessus du groupe, sortant d’un large cornet,un énorme bouquet de fleurs naturelles retombait en grappes. Auxdeux bouts, des vases contenaient également des gerbes defleurs ; deux candélabres, appareillés au groupe du milieu,faits chacun d’un satyre courant, emportant sur l’un de ses brasune femme pâmée, et tenant de l’autre une torchère à dix branches,ajoutaient l’éclat de leurs bougies au rayonnement du lustrecentral. Entre ces pièces principales, les réchauds, grands etpetits, s’alignaient symétriquement, chargés du premier service,flanqués par des coquilles contenant des hors-d’œuvre, séparés pardes corbeilles de porcelaine, des vases de cristal, des assiettesplates, des compotiers montés, contenant la partie du dessert quiétait déjà sur la table. Le long du cordon des assiettes, l’arméedes verres, les carafes d’eau et de vin, les petites salières, toutle cristal du service était mince et léger comme de la mousseline,sans une ciselure, et si transparent, qu’il ne jetait aucune ombre.Et le surtout, les grandes pièces semblaient des fontaines defeu ; des éclairs couraient dans le flanc poli desréchauds ; les fourchettes, les cuillers, les couteaux àmanches de nacre, faisaient des barres de flammes ; desarcs-en-ciel allumaient les verres ; et, au milieu de cettepluie d’étincelles, dans cette masse incandescente, les carafes devin tachaient de rouge la nappe chauffée à blanc.

En entrant, les convives, qui souriaient aux dames qu’ilsavaient à leur bras, eurent une expression de béatitude discrète.Les fleurs mettaient une fraîcheur dans l’air tiède. Des fumetslégers traînaient, mêlés aux parfums des roses. Et c’était lasenteur âpre des écrevisses et l’odeur aigrelette des citrons quidominaient.

Puis, quand tout le monde eut trouvé son nom, écrit sur lerevers de la carte du menu, il y eut un bruit de chaises, un grandfroissement de jupes de soie. Les épaules nues étoilées dediamants, flanquées d’habits noirs qui en faisaient ressortir lapâleur, ajoutèrent leurs blancheurs laiteuses au rayonnement de latable. Le service commença, au milieu de petits sourires échangésentre voisins, dans un demi-silence que ne coupaient encore que lescliquetis assourdis des cuillers. Baptiste remplissait lesfonctions de maître d’hôtel avec ses attitudes graves dediplomate ; il avait sous ses ordres, outre les deux valets depied, quatre aides qu’il recrutait seulement pour les grandsdîners. À chaque mets qu’il enlevait, et qu’il allait découper, aufond de la pièce, sur une table de service, trois des domestiquesfaisaient doucement le tour de la table, un plat à la main, offrantle mets par son nom, à demi-voix. Les autres versaient les vins,veillaient au pain et aux carafes. Les relevés et les entrées s’enallèrent et se promenèrent ainsi lentement, sans que le rire perlédes dames devînt plus aigu.

Les convives étaient trop nombreux pour que la conversation pûtaisément devenir générale. Cependant, au second service, lorsqueles rôtis et les entremets eurent pris la place des relevés et desentrées, et que les grands vins de Bourgogne, le pommard, lechambertin, succédèrent au léoville et au château-laffite, le bruitdes voix grandit, des éclats de rire firent tinter les cristauxlégers. Renée, au milieu de la table, avait, à sa droite le baronGouraud, à sa gauche M. Toutin-Laroche, ancien fabricant debougies, alors conseiller municipal, directeur du Crédit viticole,membre du conseil de surveillance de la Société générale des portsdu Maroc, homme maigre et considérable, que Saccard, placé en face,entre Mme d’Espanet et Mme Haffner,appelait d’une voix flatteuse tantôt « Mon chercollègue », et tantôt « Notre grandadministrateur ». Ensuite venaient les hommespolitiques : M. Hupel de la Noue, un préfet qui passaithuit mois de l’année à Paris ; trois députés, parmi lesquelsM. Haffner étalait sa large face alsacienne ; puisM. de Saffré, un charmant jeune homme, secrétaire d’unministre ; M. Michelin, chef du bureau de lavoirie ; et d’autres employés supérieurs.M. de Mareuil, candidat perpétuel à la députation, secarrait en face du préfet, auquel il faisait les yeux doux. Quant àM. d’Espanet, il n’accompagnait jamais sa femme dans le monde.Les dames de la famille étaient placées entre les plus marquants deces personnages. Saccard avait cependant réservé sa sœur Sidonie,qu’il avait mise plus loin, entre les deux entrepreneurs, le sieurCharrier à droite, le sieur Mignon à gauche, comme à un poste deconfiance où il s’agissait de vaincre.Mme Michelin, la femme du chef de bureau, une joliebrune, toute potelée, se trouvait à côté de M. de Saffré,avec lequel elle causait vivement à voix basse. Puis, aux deuxbouts de la table, était la jeunesse : des auditeurs auConseil d’État, des fils de pères puissants, des petitsmillionnaires en herbe, M. de Mussy, qui jetait à Renéedes regards désespérés, Maxime ayant à sa droite Louise de Mareuil,et dont sa voisine semblait faire la conquête. Peu à peu, ilss’étaient mis à rire très haut. Ce fut de là que partirent lespremiers éclats de gaieté.

Cependant, M. Hupel de la Noue demanda galamment :

– Aurons-nous le plaisir de voir Son Excellence, cesoir ?

– Je ne crois pas, répondit Saccard d’un air important quicachait une contrariété secrète. Mon frère est si occupé !… Ilnous a envoyé son secrétaire, M. de Saffré, pour nousprésenter ses excuses.

Le jeune secrétaire, que Mme Michelin accaparaitdécidément, leva la tête en entendant prononcer son nom, et s’écriaà tout hasard, croyant qu’on s’était adressé à lui :

– Oui, oui, il doit y avoir une réunion des ministres àneuf heures chez le garde des sceaux.

Pendant ce temps, M. Toutin-Laroche, qu’on avaitinterrompu, continuait gravement, comme s’il eût péroré dans lesilence attentif du conseil municipal :

– Les résultats sont superbes. Cet emprunt de la Villerestera comme une des plus belles opérations financières del’époque. Ah ! messieurs…

Mais, ici, sa voix fut de nouveau couverte par des rires quiéclatèrent brusquement à l’un des bouts de la table. On entendait,au milieu de ce souffle de gaieté, la voix de Maxime, qui achevaitune anecdote : « Attendez donc, je n’ai pas fini. Lapauvre amazone fut relevée par un cantonnier. On dit qu’elle luifait donner une brillante éducation pour l’épouser plus tard. Ellene veut pas qu’un homme autre que son mari puisse se flatterd’avoir vu certain signe noir placé au-dessus de son genou. »Les rires reprirent de plus belle ; Louise riait franchement,plus haut que les hommes. Et doucement, au milieu de ces rires,comme sourd, un laquais allongeait en ce moment, entre chaqueconvive, sa tête grave et blême, offrant des aiguillettes de canardsauvage, à voix basse.

Aristide Saccard fut fâché du peu d’attention qu’on accordait àM. Toutin-Laroche. Il reprit, pour lui montrer qu’il l’avaitécouté :

– L’emprunt de la Ville…

Mais M. Toutin-Laroche n’était pas homme à perdre le fild’une idée :

– Ah ! messieurs, continua-t-il quand les rires furentcalmés, la journée d’hier a été une grande consolation pour nous,dont l’administration est en butte à tant d’ignobles attaques. Onaccuse le Conseil de conduire la Ville à sa ruine, et, vous levoyez, dès que la Ville ouvre un emprunt, tout le monde nousapporte son argent, même ceux qui crient.

– Vous avez fait des miracles, dit Saccard. Paris estdevenu la capitale du monde.

– Oui, c’est vraiment prodigieux, interrompit M. Hupelde la Noue. Imaginez-vous que moi, qui suis un vieux Parisien, jene reconnais plus mon Paris. Hier, je me suis perdu pour aller del’Hôtel de Ville au Luxembourg. C’est prodigieux,prodigieux !

Il y eut un silence. Tous les hommes graves écoutaientmaintenant.

– La transformation de Paris, continuaM. Toutin-Laroche, sera la gloire du règne. Le peuple estingrat : il devrait baiser les pieds de l’empereur. Je ledisais ce matin au Conseil, où l’on parlait du grand succès del’emprunt : « Messieurs, laissons dire ces braillards del’opposition : bouleverser Paris, c’est lefertiliser. »

Saccard sourit en fermant les yeux, comme pour mieux savourer lafinesse du mot. Il se pencha derrière le dos deMme d’Espanet, et dit à M. Hupel de la Noue,assez haut pour être entendu :

– Il a un esprit adorable.

Cependant, depuis qu’on parlait des travaux de Paris, le sieurCharrier tendait le cou, comme pour se mêler à la conversation. Sonassocié Mignon n’était occupé que de Mme Sidonie,qui lui donnait fort à faire. Saccard, depuis le commencement dudîner, surveillait les entrepreneurs du coin de l’œil.

– L’administration, dit-il, a rencontré tant dedévouements ! Tout le monde a voulu contribuer à la grandeœuvre. Sans les riches compagnies qui lui sont venues en aide, laVille n’aurait jamais pu faire si bien ni si vite.

Il se tourna, et avec une sorte de brutalitéflatteuse :

– MM. Mignon et Charrier en savent quelque chose, euxqui ont eu leur part de peine, et qui auront leur part degloire.

Les maçons enrichis reçurent béatement cette phrase en pleinepoitrine. Mignon, auquel Mme Sidonie disait enminaudant : « Ah ! monsieur, vous me flattez ;non, le rose serait trop jeune pour moi… », la laissa aumilieu de sa phrase pour répondre à Saccard :

– Vous êtes trop bon ; nous avons fait nosaffaires.

Mais Charrier était plus dégrossi. Il acheva son verre depommard et trouva le moyen de faire une phrase :

– Les travaux de Paris, dit-il, ont fait vivrel’ouvrier.

– Dites aussi, reprit M. Toutin-Laroche, qu’ils ontdonné un magnifique élan aux affaires financières etindustrielles.

– Et n’oubliez pas le côté artistique ; les nouvellesvoies sont majestueuses, ajouta M. Hupel de la Noue, qui sepiquait d’avoir du goût.

– Oui, oui, c’est un beau travail, murmuraM. de Mareuil, pour dire quelque chose.

– Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner,qui n’ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfantsla payeront, et rien ne sera plus juste.

Et comme, en disant cela, il regardait M. de Saffréque la jolie Mme Michelin semblait bouder depuis uninstant, le jeune secrétaire, pour paraître au courant de ce qu’ondisait, répéta :

– Rien ne sera plus juste, en effet.

Tout le monde avait dit son mot, dans le groupe que les hommesgraves formaient au milieu de la table. M. Michelin, le chefde bureau, souriait, dodelinait de la tête ; c’était,d’ordinaire, sa façon de prendre part à une conversation ; ilavait des sourires pour saluer, pour répondre, pour approuver, pourremercier, pour prendre congé, toute une jolie collection desourires qui le dispensaient presque de jamais se servir de laparole, ce qu’il jugeait sans doute plus poli et plus favorable àson avancement.

Un autre personnage était également resté muet, le baronGouraud, qui mâchait lentement comme un bœuf aux paupières lourdes.Jusque-là, il avait paru absorbé dans le spectacle de son assiette.Renée, aux petits soins pour lui, n’en obtenait que de légersgrognements de satisfaction. Aussi fut-on surpris de le voir leverla tête et de l’entendre dire, en essuyant ses lèvresgrasses :

– Moi qui suis propriétaire, lorsque je fais réparer etdécorer un appartement, j’augmente mon locataire.

La phrase de M. Haffner : « Nos enfantspayeront », avait réussi à réveiller le sénateur. Tout lemonde battit discrètement des mains, et M. de Saffrés’écria :

– Ah ! charmant, charmant, j’enverrai demain le motaux journaux.

– Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bontemps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu dessourires et des admirations que le mot du baron excitait. J’enconnais plus d’un qui ont joliment arrondi leur fortune.Voyez-vous, quand on gagne de l’argent, tout est beau.

Ces dernières paroles glacèrent les hommes graves. Laconversation tomba net, et chacun parut éviter de regarder sonvoisin. La phrase du maçon atteignait ces messieurs, roide comme lepavé de l’ours. Michelin, qui justement contemplait Saccard d’unair agréable, cessa de sourire, très effrayé d’avoir eu l’air uninstant d’appliquer les paroles de l’entrepreneur au maître de lamaison. Ce dernier lança un coup d’œil àMme Sidonie, qui accapara de nouveau Mignon, endisant : « Vous aimez donc le rose,monsieur ?… » Puis Saccard fit un long compliment àMme d’Espanet ; sa figure noirâtre, chafouine,touchait presque les épaules laiteuses de la jeune femme, qui serenversait avec de petits rires.

On était au dessert. Les laquais allaient d’un pas plus vifautour de la table. Il y eut un arrêt, pendant que la nappeachevait de se charger de fruits et de sucreries. À l’un des bouts,du côté de Maxime, les rires devenaient plus clairs ; onentendait la voix aigrelette de Louise dire : « Je vousassure que Sylvia avait une robe de satin bleu dans son rôle deDindonnette » ; et une autre voix d’enfantajoutait : « Oui, mais la robe était garnie de dentellesblanches. » Un air chaud montait. Les visages, plus roses,étaient comme amollis par une béatitude intérieure. Deux laquaisfirent le tour de la table, versant de l’alicante et du tokai.

Depuis le commencement du dîner, Renée semblait distraite. Elleremplissait ses devoirs de maîtresse de maison avec un souriremachinal. À chaque éclat de gaieté qui venait du bout de la table,où Maxime et Louise, côte à côte, plaisantaient comme de bonscamarades, elle jetait de ce côté un regard luisant. Elles’ennuyait. Les hommes graves l’assommaient.Mme d’Espanet et Mme Haffner luilançaient des regards désespérés.

– Et les prochaines élections, comments’annoncent-elles ? demanda brusquement Saccard àM. Hupel de la Noue.

– Mais très bien, répondit celui-ci en souriant ;seulement je n’ai pas encore de candidats désignés pour mondépartement. Le ministère hésite, paraît-il.

M. de Mareuil, qui, d’un coup d’œil, avait remerciéSaccard d’avoir entamé ce sujet, semblait être sur des charbonsardents. Il rougit légèrement, il fit des saluts embarrassés,lorsque le préfet, s’adressant à lui, continua :

– On m’a beaucoup parlé de vous dans le pays, monsieur. Vosgrandes propriétés vous y font de nombreux amis, et l’on saitcombien vous êtes dévoué à l’empereur. Vous avez toutes leschances.

– Papa, n’est-ce pas que la petite Sylvia vendait descigarettes à Marseille, en 1849 ? cria à ce moment Maxime dubout de la table.

Et comme Aristide Saccard feignait de ne pas entendre, le jeunehomme reprit d’un ton plus bas :

– Mon père l’a connue particulièrement.

Il y eut quelques rires étouffés. Cependant, tandis queM. de Mareuil saluait toujours, M. Haffner avaitrepris d’une voix sentencieuse :

– Le dévouement à l’empereur est la seule vertu, le seulpatriotisme, en ces temps de démocratie intéressée. Quiconque aimel’empereur aime la France. C’est avec une joie sincère que nousverrions monsieur devenir notre collègue.

– Monsieur l’emportera, dit à son tourM. Toutin-Laroche. Les grandes fortunes doivent se grouperautour du trône.

Renée n’y tint plus. En face d’elle, la marquise étouffait unbâillement. Et comme Saccard allait reprendre la parole :

– Par grâce, mon ami, ayez un peu pitié de nous, lui dit safemme, avec un joli sourire, laissez là votre vilainepolitique.

Alors, M. Hupel de la Noue, galant comme un préfet, serécria, dit que ces dames avaient raison. Et il entama le récitd’une histoire scabreuse qui s’était passée dans son chef-lieu. Lamarquise, Mme Haffner et les autres dames rirentbeaucoup de certains détails. Le préfet contait d’une façon trèspiquante, avec des demi-mots, des réticences, des inflexions devoix, qui donnaient un sens très polisson aux termes les plusinnocents. Puis on parla du premier mardi de la duchesse, d’unebouffonnerie qu’on avait jouée la veille, de la mort d’un poète etdes dernières courses d’automne. M. Toutin-Laroche, aimable àses heures, compara les femmes à des roses, etM. de Mareuil, dans le trouble où l’avaient laissé sesespérances électorales, trouva des mots profonds sur la nouvelleforme des chapeaux. Renée restait distraite.

Cependant, les convives ne mangeaient plus. Un vent chaudsemblait avoir soufflé sur la table, terni les verres, émietté lepain, noirci les pelures de fruit dans les assiettes, rompu labelle symétrie du service. Les fleurs se fanaient dans les grandscornets d’argent ciselé. Et les convives s’oubliaient là uninstant, en face des débris du dessert, béats, sans courage pour selever. Un bras sur la table, à demi penchés, ils avaient le regardvide, le vague affaissement de cette ivresse mesurée et décente desgens du monde qui se grisent à petits coups. Les rires étaienttombés, les paroles se faisaient rares. On avait bu et mangébeaucoup, ce qui rendait plus grave encore la bande des hommesdécorés. Les dames, dans l’air alourdi de la salle, sentaient desmoiteurs leur monter au front et à la nuque. Elles attendaientqu’on passât au salon, sérieuses, un peu pâles, comme si leur têteeût légèrement tourné. Mme d’Espanet était touterose, tandis que les épaules de Mme Haffner avaientpris des blancheurs de cire. Cependant, M. Hupel de la Noueexaminait le manche d’un couteau ; M. Toutin-Larochelançait encore à M. Haffner des lambeaux de phrase, quecelui-ci accueillait par des hochements de tête ;M. de Mareuil rêvait en regardant M. Michelin, quilui souriait finement. Quant à la jolieMme Michelin, elle ne parlait plus depuislongtemps ; très rouge, elle laissait pendre sous la nappe unemain que M. de Saffré devait tenir dans la sienne, car ils’appuyait gauchement sur le bord de la table, les sourcils tendus,avec la grimace d’un homme qui résout un problème d’algèbre.Mme Sidonie avait vaincu, elle aussi ; lessieurs Mignon et Charrier, accoudés tous deux et tournés vers elle,paraissaient ravis de recevoir ses confidences ; elle avouaitqu’elle adorait le laitage et qu’elle avait peur des revenants. EtAristide Saccard, lui-même, les yeux demi-clos, plongé dans cettebéatitude d’un maître de maison qui a conscience d’avoir griséhonnêtement ses convives, ne songeait point à quitter latable ; il contemplait avec une tendresse respectueuse lebaron Gouraud, appesanti, digérant, allongeant sur la nappe blanchesa main droite, une main de vieillard sensuel, courte, épaisse,tachée de plaques violettes et couverte de poils roux.

Renée acheva machinalement les quelques gouttes de tokai quirestaient au fond de son verre. Des feux lui montaient à laface ; les petits cheveux pâles de son front et de sa nuque,rebelles, s’échappaient, comme mouillés par un souffle humide. Elleavait les lèvres et le nez amincis nerveusement, le visage muetd’un enfant qui a bu du vin pur. Si de bonnes pensées bourgeoiseslui étaient venues en face des ombres du parc Monceau, ces penséesse noyaient, à cette heure, dans l’excitation des mets, des vins,des lumières, de ce milieu troublant où passaient des haleines etdes gaietés chaudes. Elle n’échangeait plus de tranquilles souriresavec sa sœur Christine et sa tante Élisabeth, modestes toutes deux,s’effaçant, parlant à peine. Elle avait, d’un regard dur, faitbaisser les yeux du pauvre M. de Mussy. Dans sonapparente distraction, bien qu’elle évitât maintenant de setourner, appuyée contre le dossier de sa chaise, où le satin de soncorsage craquait doucement, elle laissait échapper un imperceptiblefrisson des épaules, à chaque nouvel éclat de rire qui lui venaitdu coin où Maxime et Louise plaisantaient, toujours aussi haut,dans le bruit mourant des conversations.

Et derrière elle, au bord de l’ombre, dominant de sa hautetaille la table en désordre et les convives pâmés, Baptiste setenait debout, la chair blanche, la mine grave, avec l’attitudedédaigneuse d’un laquais qui a repu ses maîtres. Lui seul, dansl’air chargé d’ivresse, sous les clartés crues du lustre quijaunissaient, restait correct, avec sa chaîne d’argent au cou, sesyeux froids où la vue des épaules des femmes ne mettait pas uneflamme, son air d’eunuque servant des Parisiens de la décadence etgardant sa dignité.

Enfin, Renée se leva, d’un mouvement nerveux. Tout le mondel’imita. On passa au salon, où le café était servi.

Le grand salon de l’hôtel était une vaste pièce longue, unesorte de galerie, allant d’un pavillon à l’autre, occupant toute lafaçade du côté du jardin. Une large porte-fenêtre s’ouvrait sur leperron. Cette galerie était resplendissante d’or. Le plafond,légèrement cintré, avait des enroulements capricieux courant autourde grands médaillons dorés, qui luisaient comme des boucliers. Desrosaces, des guirlandes éclatantes bordaient la voûte ; desfilets, pareils à des jets de métal en fusion, coulaient sur lesmurs, encadrant les panneaux, tendus de soie rouge ; destresses de roses, avec des gerbes épanouies au sommet, retombaientle long des glaces. Sur le parquet, un tapis d’Aubusson étalait sesfleurs de pourpre. Le meuble de damas de soie rouge, les portièreset les rideaux de même étoffe, l’énorme pendule rocaille de lacheminée, les vases de Chine posés sur les consoles, les pieds desdeux tables longues ornées de mosaïques de Florence, jusqu’auxjardinières placées dans les embrasures des fenêtres, suaient l’or,égouttaient l’or. Aux quatre angles se dressaient quatre grandeslampes posées sur des socles de marbre rouge, auxquels lesattachaient des chaînes de bronze doré, tombant avec des grâcessymétriques. Et, du plafond, descendaient trois lustres àpendeloques de cristal, ruisselants de gouttes de lumière bleues etroses, et dont les clartés ardentes faisaient flamber tout l’or dusalon.

Les hommes se retirèrent bientôt dans le fumoir.M. de Mussy vint prendre familièrement le bras de Maxime,qu’il avait connu au collège, bien qu’il eût six ans de plus quelui. Il l’entraîna sur la terrasse, et après qu’ils eurent alluméun cigare, il se plaignit amèrement de Renée.

– Mais qu’a-t-elle donc, dites ? Je l’ai vue hier,elle était adorable. Et voilà qu’aujourd’hui elle me traite commesi tout était fini entre nous ? Quel crime ai-je pucommettre ? Vous seriez bien aimable, mon cher Maxime, del’interroger, de lui dire combien elle me fait souffrir.

– Ah ! pour cela, non ! répondit Maxime en riant.Renée a ses nerfs, je ne tiens pas à recevoir l’averse.Débrouillez-vous, faites vos affaires vous-même.

Et il ajouta, après avoir lentement exhalé la fumée de sonhavane :

– Vous voulez me faire jouer un joli rôle, vous !

Mais M. de Mussy parla de sa vive amitié, et ildéclara au jeune homme qu’il n’attendait qu’une occasion pour luiprouver combien il lui était dévoué. Il était bien malheureux, ilaimait tant Renée !

– Eh bien, c’est convenu, dit enfin Maxime, je lui dirai unmot ; mais, vous savez, je ne promets rien ; elle vam’envoyer coucher, c’est sûr.

Ils rentrèrent dans le fumoir, ils s’allongèrent dans de largesfauteuils-dormeuses. Là, pendant une grande demi-heure,M. de Mussy conta ses chagrins à Maxime ; il lui ditpour la dixième fois comment il était tombé amoureux de sabelle-mère, comment elle avait bien voulu le distinguer ; etMaxime, en attendant que son cigare fût achevé, lui donnait desconseils, lui expliquait Renée, lui indiquait de quelle façon ildevait se conduire pour la dominer.

Saccard étant venu s’asseoir à quelques pas des jeunes gens,M. de Mussy garda le silence et Maxime conclut endisant :

– Moi, si j’étais à votre place, j’agirais trèscavalièrement. Elle aime ça.

Le fumoir occupait, à l’extrémité du grand salon, une des piècesrondes formées par les tourelles. Il était de style très riche ettrès sobre. Tendu d’une imitation de cuir de Cordoue, il avait desrideaux et des portières en algérienne, et, pour tapis, unemoquette à dessins persans. Le meuble, recouvert de peau de chagrincouleur bois, se composait de poufs, de fauteuils et d’un divancirculaire qui tenait en partie la rondeur de la pièce. Le petitlustre du plafond, les ornements du guéridon, la garniture de lacheminée, étaient en bronze florentin vert pâle.

Il n’était guère resté avec les dames que quelques jeunes genset des vieillards à faces blanches et molles, ayant le tabac enhorreur. Dans le fumoir, on riait, on plaisantait très librement.M. Hupel de la Noue égaya fort ces messieurs en leur racontantde nouveau l’histoire qu’il avait dite pendant le dîner, mais en lacomplétant par des détails tout à fait crus. C’était saspécialité ; il avait toujours deux versions d’une anecdote,l’une pour les dames, l’autre pour les hommes. Puis, quand AristideSaccard entra, il fut entouré et complimenté ; et comme ilfaisait mine de ne pas comprendre, M. de Saffré lui dit,dans une phrase très applaudie, qu’il avait bien mérité de lapatrie en empêchant la belle Laure d’Aurigny de passer auxAnglais.

– Non, vraiment, messieurs, vous vous trompez, balbutiaitSaccard avec une fausse modestie.

– Va, ne te défends donc pas ! lui cria plaisammentMaxime. À ton âge, c’est très beau.

Le jeune homme, qui venait de jeter son cigare, rentra dans legrand salon. Il était venu beaucoup de monde. La galerie étaitpleine d’habits noirs, debout, causant à demi-voix, et de jupes,étalées largement le long des causeuses. Des laquais commençaient àpromener des plats d’argent, chargés de glaces et de verres depunch.

Maxime, qui désirait parler à Renée, traversa le grand salondans sa longueur, sachant bien où il trouverait le cénacle de cesdames. Il y avait, à l’autre extrémité de la galerie, faisantpendant au fumoir, une pièce ronde dont on avait fait un adorablepetit salon. Ce salon, avec ses tentures, ses rideaux et sesportières de satin bouton d’or, avait un charme voluptueux, d’unesaveur originale et exquise. Les clartés du lustre, trèsdélicatement fouillé, chantaient une symphonie en jaune mineur, aumilieu de toutes ces étoffes couleur de soleil. C’était comme unruissellement de rayons adoucis, un coucher d’astre s’endormant surune nappe de blés mûrs. À terre, la lumière se mourait sur un tapisd’Aubusson semé de feuilles sèches. Un piano d’ébène marquetéd’ivoire, deux petits meubles dont les glaces laissaient voir unmonde de bibelots, une table Louis XVI, une console jardinièresurmontée d’une énorme gerbe de fleurs, suffisaient à meubler lapièce. Les causeuses, les fauteuils, les poufs, étaient recouvertsde satin bouton d’or capitonné, coupé par de larges bandes de satinnoir brodé de tulipes voyantes. Et il y avait encore des siègesbas, des sièges volants, toutes les variétés élégantes et bizarresdu tabouret. On ne voyait pas le bois de ces meubles ; lesatin, le capiton couvraient tout. Les dossiers se renversaientavec des rondeurs moelleuses de traversins. C’était comme des litsdiscrets où l’on pouvait dormir et aimer dans le duvet, au milieude la sensuelle symphonie en jaune mineur.

Renée aimait ce petit salon, dont une des portes-fenêtress’ouvrait sur la magnifique serre chaude scellée au flanc del’hôtel. Dans la journée, elle y passait ses heures d’oisiveté. Lestentures jaunes, au lieu d’éteindre sa chevelure pâle, la doraientde flammes étranges ; sa tête se détachait au milieu d’unelueur d’aurore, toute rose et blanche, comme celle d’une Dianeblonde s’éveillant dans la lumière du matin ; et c’étaitpourquoi, sans doute, elle aimait cette pièce qui mettait sa beautéen relief.

À cette heure, elle était là avec ses intimes. Sa sœur et satante venaient de partir. Il n’y avait plus, dans le cénacle, quedes têtes folles. Renversée à demi au fond d’une causeuse, Renéeécoutait les confidences de son amie Adeline, qui lui parlait àl’oreille, avec des mines de chatte et des rires brusques. SuzanneHaffner était fort entourée ; elle tenait tête à un groupe dejeunes gens qui la serraient de très près, sans qu’elle perdît salangueur d’Allemande, son effronterie provocante, nue et froidecomme ses épaules. Dans un coin, Mme Sidonieendoctrinait à voix basse une jeune femme aux cils de vierge. Plusloin, Louise, debout, causait avec un grand garçon timide, quirougissait ; tandis que le baron Gouraud, en pleine clarté,sommeillait dans son fauteuil, étalant ses chairs molles, sacarrure d’éléphant blême, au milieu des grâces frêles et de lasoyeuse délicatesse des dames. Et, dans la pièce, sur les jupes desatin aux plis durs et vernis comme de la porcelaine, sur lesépaules dont les blancheurs laiteuses s’étoilaient de diamants, unelumière de féerie tombait en poussière d’or. Une voix fluette, unrire pareil à un roucoulement, sonnaient avec des limpidités decristal. Il faisait très chaud. Des éventails battaient lentement,comme des ailes, jetant à chaque souffle, dans l’air alangui, lesparfums musqués des corsages.

Quand Maxime parut sur le seuil de la porte, Renée, qui écoutaitla marquise d’une oreille distraite, se leva vivement, feignitd’avoir à remplir son rôle de maîtresse de maison. Elle passa dansle grand salon où le jeune homme la suivit. Là, elle fit quelquespas, souriante, donnant des poignées de main ; puis, attirantMaxime à l’écart :

– Eh ! dit-elle à demi-voix, d’un air ironique, lacorvée est douce, ce n’est plus si bête de faire sa cour.

– Je ne comprends pas, répondit le jeune homme qui allaitplaider la cause de M. de Mussy.

– Mais il me semble que j’ai bien fait de ne pas tedélivrer de Louise. Vous allez vite, tous les deux.

Et elle ajouta, avec une sorte de dépit :

– C’était indécent, à table.

Maxime se mit à rire.

– Ah ! oui, nous nous sommes conté des histoires. Jel’ignorais, cette fillette. Elle est drôle. Elle a l’air d’ungarçon.

Et comme Renée continuait à faire la grimace irritée d’uneprude, le jeune homme, qui ne lui connaissait pas de tellesindignations, reprit avec sa familiarité souriante :

– Est-ce que tu crois, belle-maman, que je lui ai pincé lesgenoux sous la table ? Que diable, on sait se conduire avecune fiancée !… J’ai quelque chose de plus grave à te dire.Écoute-moi… Tu m’écoutes, n’est-ce pas ?…

Il baissa encore la voix.

– Voilà… M. de Mussy est très malheureux, ilvient de me le dire. Moi, tu comprends, ce n’est pas mon rôle devous raccommoder, s’il y a de la brouille. Mais, tu sais, je l’aiconnu au collège, et comme il avait l’air vraiment désespéré, jelui ai promis de te dire un mot…

Il s’arrêta. Renée le regardait d’un air indéfinissable.

– Tu ne réponds pas ?… continua-t-il. C’est égal, macommission est faite, arrangez-vous comme vous voudrez… Mais, vrai,je te trouve cruelle. Ce pauvre garçon m’a fait de la peine. À taplace, je lui enverrais au moins une bonne parole.

Alors, Renée qui n’avait pas cessé de regarder Maxime de sesyeux fixes, où brûlait une flamme vive, répondit :

– Va dire à M. de Mussy qu’il m’embête.

Et elle se remit à marcher doucement au milieu des groupes,souriant, saluant, donnant des poignées de main. Maxime restaplanté, d’un air surpris ; puis il eut un rire silencieux.

Peu désireux de remplir sa commission auprès deM. de Mussy, il fit le tour du grand salon. La soiréetirait à sa fin, merveilleuse et banale comme toutes les soirées.Il était près de minuit, le monde s’en allait peu à peu. Ne voulantpas rentrer se coucher sur une impression d’ennui, il se décida àchercher Louise. Il passait devant la porte de sortie, lorsqu’ilvit, dans le vestibule, la jolie Mme Michelin, queson mari enveloppait délicatement dans une sortie de bal bleue etrose :

– Il a été charmant, charmant, disait la jeune femme.Pendant tout le dîner, nous avons causé de toi. Il parlera auministre ; seulement, ce n’est pas lui que ça regarde…

Et, comme, à côté d’eux, un laquais emmaillotait le baronGouraud dans une grande pelisse fourrée :

– C’est ce gros père-là qui enlèverait l’affaire !ajouta-t-elle à l’oreille de son mari, tandis qu’il lui nouait sousle menton le cordon du capuchon. Il fait ce qu’il veut auministère. Demain, chez les Mareuil, il faudra tâcher…

M. Michelin souriait. Il emmena sa femme avec précaution,comme s’il eût tenu au bras un objet fragile et précieux. Maxime,après s’être assuré d’un coup d’œil que Louise n’était pas dans levestibule, alla droit au petit salon. En effet, elle s’y trouvaitencore, presque seule, attendant son père, qui avait dû passer lasoirée dans le fumoir, avec les hommes politiques. Ces dames, lamarquise, Mme Haffner, étaient parties. Il nerestait plus que Mme Sidonie, disant combien elleaimait les bêtes à quelques femmes de fonctionnaires.

– Ah ! voilà mon petit mari, s’écria Louise.Asseyez-vous là et dites-moi dans quel fauteuil mon père a pus’endormir. Il se sera déjà cru à la Chambre.

Maxime lui répondit sur le même ton, et les jeunes gensretrouvèrent leurs grands éclats de rire du dîner. Assis à sespieds, sur un siège très bas, il finit par lui prendre les mains,par jouer avec elle, comme avec un camarade. Et, en vérité, dans sarobe de foulard blanc à pois rouges, avec son corsage montant, sapoitrine plate, sa petite tête laide et futée de gamin, elleressemblait à un garçon déguisé en fille. Mais, par instants, sesbras grêles, sa taille déviée, avaient des poses abandonnées, etdes ardeurs passaient au fond de ses yeux pleins encore depuérilité, sans qu’elle rougît le moins du monde des jeux deMaxime. Et tous deux de rire, se croyant seuls, sans mêmeapercevoir Renée, debout au milieu de la serre, à demi cachée, quiles regardait de loin.

Depuis un instant, la vue de Maxime et de Louise, comme elletraversait une allée, avait brusquement arrêté la jeune femmederrière un arbuste. Autour d’elle, la serre chaude, pareille à unenef d’église, et dont de minces colonnettes de fer montaient d’unjet soutenir le vitrail cintré, étalait ses végétations grasses,ses nappes de feuilles puissantes, ses fusées épanouies deverdure.

Au milieu, dans un bassin ovale, au ras du sol, vivait, de lavie mystérieuse et glauque des plantes d’eau, toute la floreaquatique des pays du soleil. Des Cyclanthus, dressant leurspanaches verts, entouraient, d’une ceinture monumentale, le jetd’eau, qui ressemblait au chapiteau tronqué de quelque colonnecyclopéenne. Puis, aux deux bouts, de grands Tornélia élevaientleurs broussailles étranges au-dessus du bassin, leurs bois secs,dénudés, tordus comme des serpents malades, et laissant tomber desracines aériennes, semblables à des filets de pêcheur pendus augrand air. Près du bord, un Pandanus de Java épanouissait sa gerbede feuilles verdâtres, striées de blanc, minces comme des épées,épineuses et dentelées comme des poignards malais. Et, à fleurd’eau, dans la tiédeur de la nappe dormante doucement chauffée, desNymphéa ouvraient leurs étoiles roses, tandis que des Euryaleslaissaient traîner leurs feuilles rondes, leurs feuilles lépreuses,nageant à plat comme des dos de crapauds monstrueux couverts depustules.

Pour gazon, une large bande de Sélaginelle entourait le bassin.Cette fougère naine formait un épais tapis de mousse, d’un verttendre. Et, au-delà de la grande allée circulaire, quatre énormesmassifs allaient d’un élan vigoureux jusqu’au cintre : lesPalmiers, légèrement penchés dans leur grâce, épanouissaient leurséventails, étalaient leurs têtes arrondies, laissaient pendre leurspalmes, comme des avirons lassés par leur éternel voyage dans lebleu de l’air ; les grands Bambous de l’Inde montaient droits,frêles et durs, faisant tomber de haut leur pluie légère defeuilles ; un Ravenala, l’arbre du voyageur, dressait sonbouquet d’immenses écrans chinois ; et, dans un coin, unBananier, chargé de ses fruits, allongeait de toutes parts seslongues feuilles horizontales, où deux amants pourraient se coucherà l’aise en se serrant l’un contre l’autre. Aux angles, il y avaitdes Euphorbes d’Abyssinie, ces cierges épineux, contrefaits, pleinsde bosses honteuses, suant le poison. Et, sous les arbres, pourcouvrir le sol, des fougères basses, les Adiantum, les Ptéridesmettaient leurs dentelles délicates, leurs fines découpures. LesAlsophila, d’espèce plus haute, étageaient leurs rangs de rameauxsymétriques, sexangulaires, si réguliers, qu’on aurait dit degrandes pièces de faïence destinées à contenir les fruits dequelque dessert gigantesque. Puis, une bordure de Bégonia et deCaladium entourait les massifs ; les Bégonia, à feuillestorses, tachées superbement de vert et de rouge ; lesCaladium, dont les feuilles en fer de lance, blanches et à nervuresvertes, ressemblent à de larges ailes de papillon ; plantesbizarres dont le feuillage vit étrangement, avec un éclat sombre oupâlissant de fleurs malsaines.

Derrière les massifs, une seconde allée, plus étroite, faisaitle tour de la serre. Là, sur des gradins, cachant à demi les tuyauxde chauffage, fleurissaient les Maranta, douces au toucher comme duvelours, les Gloxinia, aux cloches violettes, les Dracena,semblables à des lames de vieille laque vernie.

Mais un des charmes de ce jardin d’hiver était, aux quatrecoins, des antres de verdure, des berceaux profonds, querecouvraient d’épais rideaux de lianes. Des bouts de forêt viergeavaient bâti, en ces endroits, leurs murs de feuilles, leursfouillis impénétrables de tiges, de jets souples, s’accrochant auxbranches, franchissant le vide d’un vol hardi, retombant de lavoûte comme des glands de tentures riches. Un pied de Vanille, dontles gousses mûres exhalaient des senteurs pénétrantes, courait surla rondeur d’un portique garni de mousse ; les Coques duLevant tapissaient les colonnettes de leurs feuilles rondes ;les Bauhinia, aux grappes rouges, les Quisqualus, dont les fleurspendaient comme des colliers de verroterie, filaient, se coulaient,se nouaient, ainsi que des couleuvres minces, jouant ets’allongeant sans fin dans le noir des verdures.

Et, sous les arceaux, entre les massifs, çà et là, deschaînettes de fer soutenaient des corbeilles, dans lesquelless’étalaient des Orchidées, les plantes bizarres du plein ciel, quipoussent de toutes parts leurs rejets trapus, noueux et déjetéscomme des membres infirmes. Il y avait les Sabots de Vénus, dont lafleur ressemble à une pantoufle merveilleuse, garnie au talond’ailes de libellules ; les Æridès, si tendrementparfumées ; les Stanhopéa, aux fleurs pâles, tigrées, quisoufflent au loin, comme des gorges amères de convalescent, unehaleine âcre et forte.

Mais ce qui, de tous les détours des allées, frappait lesregards, c’était un grand Hibiscus de la Chine, dont l’immensenappe de verdure et de fleurs couvrait tout le flanc de l’hôtel,auquel la serre était scellée. Les larges fleurs pourpres de cettemauve gigantesque, sans cesse renaissantes, ne vivent que quelquesheures. On eût dit des bouches sensuelles de femmes quis’ouvraient, les lèvres rouges, molles et humides, de quelqueMessaline géante, que des baisers meurtrissaient, et qui toujoursrenaissaient avec leur sourire avide et saignant.

Renée, près du bassin, frissonnait au milieu de ces floraisonssuperbes. Derrière elle, un grand sphinx de marbre noir, accroupisur un bloc de granit, la tête tournée vers l’aquarium, avait unsourire de chat discret et cruel ; et c’était comme l’Idolesombre, aux cuisses luisantes, de cette terre de feu. À cetteheure, des globes de verre dépoli éclairaient les feuillages denappes laiteuses. Des statues, des têtes de femme dont le cou serenversait, gonflé de rires, blanchissaient au fond des massifs,avec des taches d’ombres qui tordaient leurs rires fous. Dans l’eauépaisse et dormante du bassin, d’étranges rayons se jouaient,éclairant des formes vagues, des masses glauques, pareilles à desébauches de monstres. Sur les feuilles lisses du Ravenala, sur leséventails vernis des Lataniers, un flot de lueurs blanchescoulait ; tandis que, de la dentelle des Fougères, tombaienten pluie fine des gouttes de clarté. En haut, brillaient desreflets de vitre, entre les têtes sombres des hauts Palmiers. Puis,tout autour, du noir s’entassait ; les berceaux, avec leursdraperies de lianes, se noyaient dans les ténèbres, ainsi que desnids de reptiles endormis.

Et sous la lumière vive, Renée songeait, en regardant de loinLouise et Maxime. Ce n’était plus la rêverie flottante, la grisetentation du crépuscule, dans les allées fraîches du Bois. Sespensées n’étaient plus bercées et endormies par le trot de seschevaux, le long des gazons mondains, des taillis où les famillesbourgeoises dînent le dimanche. Maintenant un désir net, aigu,l’emplissait.

Un amour immense, un besoin de volupté, flottait dans cette nefclose, où bouillait la sève ardente des tropiques. La jeune femmeétait prise dans ces noces puissantes de la terre, qui engendraientautour d’elle ces verdures noires, ces tiges colossales ; etles couches âcres de cette mer de feu, cet épanouissement de forêt,ce tas de végétations, toutes brûlantes des entrailles qui lesnourrissaient, lui jetaient des effluves troublants, chargésd’ivresse. À ses pieds, le bassin, la masse d’eau chaude, épaissiepar les sucs des racines flottantes, fumait, mettait à ses épaulesun manteau de vapeurs lourdes, une buée qui lui chauffait la peau,comme l’attouchement d’une main moite de volupté. Sur sa tête, ellesentait le jet des Palmiers, les hauts feuillages secouant leurarôme. Et plus que l’étouffement chaud de l’air, plus que lesclartés vives, plus que les fleurs larges, éclatantes, pareilles àdes visages riant ou grimaçant entre les feuilles, c’étaientsurtout les odeurs qui la brisaient. Un parfum indéfinissable,fort, excitant, traînait, fait de mille parfums : sueurshumaines, haleines de femmes, senteurs de chevelures ; et dessouffles doux et fades jusqu’à l’évanouissement, étaient coupés pardes souffles pestilentiels, rudes, chargés de poisons. Mais, danscette musique étrange des odeurs, la phrase mélodique qui revenaittoujours, dominant, étouffant les tendresses de la Vanille et lesacuités des Orchidées, c’était cette odeur humaine, pénétrante,sensuelle, cette odeur d’amour qui s’échappe le matin de la chambreclose de deux jeunes époux.

Renée, lentement, s’était adossée au socle de granit. Dans sarobe de satin vert, la gorge et la tête rougissantes, mouillées desgouttes claires de ses diamants, elle ressemblait à une grandefleur, rose et verte, à un des Nymphéa du bassin, pâmé par lachaleur. À cette heure de vision nette, toutes ses bonnesrésolutions s’évanouissaient à jamais, l’ivresse du dîner remontaità sa tête, impérieuse, victorieuse, doublée par les flammes de laserre. Elle ne songeait plus aux fraîcheurs de la nuit quil’avaient calmée, à ces ombres murmurantes du parc, dont les voixlui avaient conseillé la paix heureuse. Ses sens de femme ardente,ses caprices de femme blasée s’éveillaient. Et, au-dessus d’elle,le grand Sphinx de marbre noir riait d’un rire mystérieux, commes’il avait lu le désir enfin formulé qui galvanisait ce cœur mort,le désir longtemps fuyant, « l’autre chose » vainementcherchée par Renée dans le bercement de sa calèche, dans la cendrefine de la nuit tombante, et que venait brusquement de lui révélersous la clarté crue, au milieu de ce jardin de feu, la vue deLouise et de Maxime, riant et jouant, les mains dans les mains.

À ce moment, un bruit de voix sortit d’un berceau voisin, danslequel Aristide Saccard avait conduit les sieurs Mignon etCharrier.

– Non, vrai, monsieur Saccard, disait la voix grasse decelui-ci, nous ne pouvons vous racheter cela à plus de deux centsfrancs le mètre.

Et la voix aigre de Saccard se récriait :

– Mais, dans ma part, vous m’avez compté le mètre deterrain à deux cent cinquante francs.

– Eh bien ! écoutez, nous mettrons deux centvingt-cinq francs.

Et les voix continuèrent, brutales, sonnant étrangement sous lespalmes tombantes des massifs. Mais elles traversèrent comme un vainbruit le rêve de Renée, devant laquelle se dressait, avec l’appeldu vertige, une jouissance inconnue, chaude de crime, plus âpre quetoutes celles qu’elle avait déjà épuisées, la dernière qu’elle eûtencore à boire. Elle n’était plus lasse.

L’arbuste derrière lequel elle se cachait à demi, était uneplante maudite, un Tanghin de Madagascar, aux larges feuilles debuis, aux tiges blanchâtres, dont les moindres nervures distillentun lait empoisonné. Et, à un moment, comme Louise et Maxime riaientplus haut, dans le reflet jaune, dans le coucher de soleil du petitsalon, Renée, l’esprit perdu, la bouche sèche et irritée, pritentre ses lèvres un rameau du Tanghin, qui lui venait à la hauteurdes dents, et mordit une des feuilles amères.

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