La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon

d’ Émile Zola
Préface

Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres,se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j’aurai entre les mains tout un groupe social,je ferai voir ce groupe à l’œuvre, comme acteur d’une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l’ensemble.

Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances.Physiologiquement, ils sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d’une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments,les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines,naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices. Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses classes en marcheà travers le corps social, et ils racontent ainsi le Second Empire,à l’aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d’Étatà la trahison de Sedan.

Depuis trois années, je rassemblais les documents de ce grandouvrage, et le présent volume était même écrit, lorsque la chutedes Bonaparte, dont j’avais besoin comme artiste, et que toujoursje trouvais fatalement au bout du drame, sans oser l’espérer siprochaine, est venue me donner le dénouement terrible et nécessairede mon œuvre. Celle-ci est, dès aujourd’hui, complète ; elles’agite dans un cercle fini ; elle devient le tableau d’unrègne mort, d’une étrange époque de folie et de honte.

Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans mapensée, l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous leSecond Empire. Et le premier épisode : La Fortune desRougon, doit s’appeler de son titrescientifique : Les Origines.

ÉMILE ZOLA. Paris, le1er juillet 1871.

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