Le Docteur Omega (Aventures fantastiques de trois Français dans la Planète Mars)

Le Docteur Omega (Aventures fantastiques de trois Français dans la Planète Mars)

d’ Arnould Galopin

À mon ami Henry de la Vaulx.

Chapitre 1 L’HOMME MYSTÉRIEUX

Comment je connus le docteur Oméga ?

Ceci est toute une histoire… une histoire étrange… fantastique… inconcevable, et peut-être serait-il à souhaiter que je n’eusse jamais rencontré cet homme !…

Ainsi ma vie n’eût pas été bouleversée par des événements tellement extraordinaires que je me demande parfois si je n’ai pas rêvé la surprenante aventure qui m’advint et fit de moi un héros, bien que je fusse assurément le moins audacieux des mortels.

Mais les coupures de journaux, de magazines et de revues qui traînent sur ma table sont là pour me rappeler à la réalité.

Non !… je n’ai point rêvé… je n’ai pas été le jouet de quelque hallucination morbide…

Pendant près de seize mois j’ai effectivement quitté ce monde.

Quel être bizarre que l’homme !…

C’est presque toujours au moment où il est le plus tranquille, où il jouit enfin d’un bonheur ardemment convoité qu’il recherche les plus sottes complications et se crée comme à plaisir des soucis parfaitement inutiles.

Après avoir longtemps pourchassé la fortune sans parvenir à la saisir au vol, j’avais eu la chance inespérée d’hériter un million d’un vieil oncle que j’avais toujours cru pauvre comme Job parce qu’il vivait dans une affreuse bicoque et portait des vêtements sordides qui ne tenaient plus que par miracle.

Après sa mort on avait cependant trouvé danssa paillasse mille billets de mille francs.

Ils étaient bien un peu fripés, mais je vousprie de croire que je ne fis aucune difficulté pour lesaccepter.

Dès que je fus en possession de cet héritage,je me retirai aussitôt en province.

J’acquis à Marbeuf, ma ville natale, un jolicottage entouré d’un parc de cinq hectares et j’abandonnai sansregret ce tourbillon parisien dans lequel s’émoussent parfois lesénergies et sombrent si souvent les espoirs.

Moi qui avais été un bûcheur… un infatigableouvrier de lettres, je renonçai subitement, dès que je fus riche, àtout travail de plume, voire même à toute lecture.

Enfermé dans mon home, je vivais cependantsans ennui.

Il paraît que certaines natures n’ont pointbesoin d’un monde d’incidents pour s’occuper ou s’amuser, et ce quiparaîtrait monotone aux uns abonde pour d’autres en excitationsvives, en plaisirs ineffables.

Tout ce qui était activité bruyante etdésordonnée affligeait mon oreille par ses discordances et meprocurait même une sensation douloureuse.

J’aurais voulu qu’il n’y eût autour de moid’autre bruit que celui de mon violon.

Car, j’oubliais de le dire, une chose… uneseule, me rattachait encore au monde civilisé : la passion dela musique.

J’avais acheté le Stradivarius d’un grandvirtuose mort subitement en exécutant un concerto de Spohr etj’avais eu la chance d’obtenir cet instrument presque pourrien : quarante-cinq mille francs.

Cela fera, je le sais, sourire tous ceux quiont la musique en horreur.

Mettre quarante-cinq mille francs à un violon,c’est de la folie !

Possible, mais chacun son goût.

J’aime mieux exécuter sur un Stradivarius lesœuvres de nos vieux maîtres que de brûler les routes à cent àl’heure.

Je passais donc mon temps à promener sur lescordes de mon instrument un superbe archet en bois de Pernamboucdont la monture à elle seule était une petite merveille.

Aussitôt levé je m’installais devant monpupitre, et travaillais avec ardeur les plus arides concertos dePaganini, d’Alard et de Vieuxtemps.

On ne pourra pas dire que je jouais dans lebut d’émerveiller mes contemporains.

J’étais tout simplement un violonistesolitaire, pénétré de son art, un exécutant passionné, infatigableet modeste.

De temps à autre, je recevais la visite d’unvieil ami, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,qui avait été autrefois mon collaborateur et avec lequel j’avaisobtenu quelques succès de librairie.

Eh bien ! l’avouerai-je ?… quand cetami sonnait à ma grille et que j’apercevais dans l’allée sa longuesilhouette d’échassier, je ne pouvais réprimer un mouvement demauvaise humeur.

Je m’efforçais cependant de le bien recevoir(on ne devient pas un sauvage du jour au lendemain) mais, quandj’avais subi sa présence une journée entière, je commençais àmanifester de l’impatience… Le deuxième jour de son arrivée je nel’écoutais déjà plus, et, pendant qu’il se lançait dans de longuesdissertations sur la récente découverte d’un« palimpseste » du Moyen Âge, distraitement, je jouais ensourdine quelque adagio de Beethoven.

Cet ami trouva sans doute que j’étais, avecmon violon, aussi ennuyeux que M. Ingres, car il ne revintplus.

Cependant, à force de lire sans cesse desdoubles croches et des triples croches, mes yeux se fatiguaientparfois ; mes doigts, par suite d’un surmenage excessif,devenaient raides et malhabiles.

Alors, je serrais soigneusement mon violondans un étui en palissandre, véritable chef-d’œuvre de la fin dudix-septième siècle, et j’allais m’asseoir sur une petite terrassesituée à l’extrémité de mon parc, en bordure de la route.

Là, tout en rêvant sonates, ariettes oucantilènes, je laissais errer mon regard sur le paysage quis’étendait devant moi.

À perte de vue, c’étaient des bois touffusparmi lesquels pointaient ça et là les toits d’ardoise de clochersuniformes… À mes pieds, c’est-à-dire au bas de la terrasse,quelques maisons s’alignaient le long d’une rue à peinecarrossable, la plupart d’une architecture navrante ; leursmurs, faits de briques rouges et noires disposées avec symétrie,ressemblaient assez à de vastes échiquiers.

À l’extrémité du village, dormait une grandeplaine monotone au centre de laquelle s’élevaient deux affreuxhangars en planches goudronnées que j’avais toujours pris pour desusines ou des remises aérostatiques.

Ces lugubres bâtiments gâtaient bien un peumon horizon, mais je ne m’en affligeais pas outre mesure…

J’étais d’ailleurs, en fait d’esthétique,d’une indifférence sans pareille.

Un soir que je me trouvais sur ma terrasse,l’esprit perdu en quelque rêverie mélodique, je ne m’étais pasaperçu que la nuit était venue…

J’allais me lever pour regagner mon cottage,quand soudain, devant moi, une lueur sinistre bondit dans le ciel,se déployant comme un immense serpent de feu… un grandétincellement illumina brusquement les champs assoupis, et un bruitformidable, un fracas tumultueux comme la voix de mille cataractesemplit les échos… La terre fut secouée d’un frisson.

Je me sentis projeté à bas de monrocking-chair et les vitres de mon kiosque tombèrent en pluie surma tête…

Je poussai un cri.

Mon jardinier et mon valet de chambreaccoururent aussitôt et me relevèrent avec des airs éplorés.Peut-être craignaient-ils que je ne fusse dangereusementatteint ; peut-être envisageaient-ils aussi avec inquiétudel’éventualité d’une mort qui les eût privés d’un maître idéal, peuexigeant sur le service et d’une place tranquille qui était unevéritable sinécure. Quand ils virent que je n’étais point blesséleur figure se rasséréna.

– Qu’y a-t-il ?… que s’est-ilpassé ? m’écriai-je…

Un homme qui longeait le mur du parc entenditmon interrogation et à la hâte me jeta ces mots :

– C’est un des hangars du docteur Omégaqui vient de sauter…

Puis il se dirigea en courant vers le lieu dusinistre.

– Le docteur Oméga ?… le docteurOméga ?… murmurai-je en regardant mes domestiques… Quel estcet individu ?… vous le connaissez ?

– C’est, me répondit le jardinier, unvieil original qui ne parle à personne… Il est étonnant quemonsieur ne l’ait pas encore remarqué, car il passe tous les matinssur cette route vers neuf heures. Le docteur Oméga est un petithomme habillé de noir ; il a une figure sinistre et l’on ditdans le pays qu’il jette des sorts ; les paysans le fuientcomme la peste… ils évitent même de le regarder… car ses yeux,paraît-il, portent malheur…

– Ah ! fis-je distraitement.

Et, après m’être épousseté avec mon mouchoir,je quittai la terrasse.

Toute la soirée je demeurai songeur… Il me futmême impossible de jouer du violon. Je mis cette nervosité sur lecompte de la forte émotion que j’avais ressentie et je montai mecoucher.

En arrivant dans ma chambre, je constatai quela glace de mon armoire était fendue et que mon portrait – unpastel qui me représentait à l’âge de vingt ans – était tombé aupied de mon lit.

– Pour une explosion, remarqua mon valetde chambre, on peut dire que c’en est une et une belle… Elle a dûfaire des victimes… Quelle force !… Il est certain que cedocteur doit une indemnité à monsieur… Il faudra lui faireremplacer la glace et le cadre du tableau…

– C’est bien, fis-je… nous verrons cela…tirez les rideaux.

Le domestique obéit et, quand je n’eus plusbesoin de lui il sortit…

Pendant un quart d’heure, je me promenai dansma chambre en fumant une cigarette, puis je me couchai et éteignisma lampe.

Chose singulière, moi qui d’habitudem’endormais toujours comme un bienheureux, je ne pus fermer l’œilce soir-là…

Je pensais sans cesse au hangar, àl’explosion, au docteur Oméga, et je cherchais, malgré moi, à mereprésenter la physionomie de cet homme qui inspirait une tellecrainte à tout le village.

Qui sait, pensais-je, s’il n’a pas été écrasésous les décombres de sa bâtisse ? Et je me prenais à leplaindre.

Cela devenait une obsession.

Enfin je m’assoupis.

Mais bientôt je fus réveillé subitement par uncraquement léger… une sorte de glissement. J’écoutai quelquessecondes en retenant ma respiration, puis je m’assis doucement surma couche. Je n’entendis plus rien.

– J’aurai rêvé, pensai-je.

Cependant, comme j’avais la tête lourde, je melevai et ouvris la fenêtre.

Une chauve-souris passa en voltigeant etplongea dans un taillis.

Au loin, une brume bleutée flottait sur lesarbres que la lune éclairait par instants.

Une faible lueur semblable à celle d’un foyerqui couve brillait dans la plaine… c’étaient les décombres duhangar qui achevaient de se consumer…

Je fis le tour de ma chambre, heurtant du piedles objets que l’obscurité me rendait suspects, puis, complètementrassuré, je fermai la croisée et regagnai mon lit.

Combien de temps sommeillai-je ? je nesaurais le dire…

Tout à coup j’éprouvai une bizarre impressionde malaise… Il me semblait que j’étouffais, que j’avais un poidsénorme sur la poitrine.

Je fis un bond formidable et alors j’entendistrès distinctement le bruit d’un corps tombant sur le parquet…

Un engourdissement subit, une sensationétrange pénétrèrent instantanément tout mon être. Mon cœur battitun tocsin désordonné… mes membres frissonnèrent… j’éprouvai ungrand froid intérieur et des picotements à fleur de peau.

Je ne pouvais plus douter maintenant…

Il y avait quelqu’un dans ma chambre !…j’en étais sûr…

Longtemps je demeurai immobile, enfoui sousmes couvertures… Enfin, petit à petit, je me risquai à sortir latête.

Autour de moi tout était silencieux.

Je commençais à reprendre confiance et medonnais déjà mille raisons pour apaiser mon effroi, quand unehorrible vision me glaça le sang dans les veines.

Au pied de mon lit… dans l’obscurité… deuxyeux me fixaient… deux yeux phosphorescents qui me parurenténormes.

Une terreur folle m’envahit… mes dentsclaquèrent. Je perdis complètement la tête… mon imaginations’exalta et je vis des choses effrayantes.

Les meubles de ma chambre parurent s’animer etbientôt une sorte de nuage lumineux éclaira une épouvantablefigure.

Un être diabolique, un monstre à l’air féroce,était à quelques pas de moi. Il ricanait en me fixant, et unehouppe de cheveux blancs semblable à une aigrette se dressait ets’agitait sur son crâne luisant…

Ses yeux étranges, étincelants, roulaient dansleurs orbites, lentement découverts ou voilés par de grossespaupières rouges qui s’abaissaient et remontaient presquerégulièrement.

En même temps j’entendis un énorme bruit demâchoires qui s’entrechoquaient et sur ma glace brisée je lus enlettres de feu ce mot fatidique : Oméga !

Je ne me rappelle plus ce qui se passaensuite, car je m’évanouis.

Quand je repris mes sens, mon valet de chambrebaissait les stores pour me protéger du soleil qui donnait en pleinsur mon lit. Je me frottai les yeux, jetai autour de moi un regardahuri, puis j’examinai le plafond, les murs et les meubles ; àpart la fêlure de la glace, je ne constatai rien d’anormal.

Cependant je n’étais pas encore rassuré et,comme mon domestique allait sortir, je le retins sous un prétextequelconque… Je ne voulais pas rester seul…

Au moment où je m’apprêtais à me lever, jeremarquai qu’un chat, un gros matou noir que je n’avais jamais vuchez moi, dormait au pied de mon lit. Effrayé probablement par lebruit de l’explosion, il s’était réfugié dans ma chambre… et, s’ytrouvant bien, il y était resté…

Alors la lumière se fit dans mon esprit… Jecompris tout… Ce poids que j’avais senti sur la poitrine… ce corpstombant sur le parquet… ces yeux brillants… oui… tout s’expliquaitmaintenant.

L’animal s’était couché sur moi… De là cetteoppression que j’avais éprouvée… Il s’était ensuite placé au piedde mon lit et ces deux globes phosphorescents qui m’avaient tanteffrayé… c’étaient ses yeux.

Tout cela s’était passé dans un demi-sommeilet mon pauvre cerveau, fortement ébranlé par les incidents de lajournée, avait alors battu la campagne…

Je m’étais endormi en songeant au docteurOméga et mon imagination s’était forgé des idées fantastiques,comme cela arrive souvent quand un fait vous a profondément frappéavec le sommeil.

Je me levai, pris un bain et me sentis presquecalmé. Cependant, au bout d’une heure ou deux, je redevins nerveux,irritable. Le souvenir du docteur me hantait de nouveau.

J’essayai de jouer du violon…

Je manquai toutes mes harmoniques et monarchet, mal équilibré dans ma main, grinça lamentablement sur lescordes.

C’était désespérant.

Je frappai du pied avec colère et sortis.

Je gagnai alors la terrasse et m’accoudai surle mur qui surplombait la route.

J’étais furieux… furieux d’avoir mal dormi…d’avoir eu ce maudit cauchemar… furieux aussi de songer sans cesseà ce docteur Oméga qui aurait dû m’être tout à faitindifférent.

Quelle fatalité me poussait donc à toujoursm’occuper de cet homme ?

Certains experts en sciences psychiques nemanqueraient pas d’expliquer cet état d’âme singulier par unphénomène de télépathie ou de transmission de pensée, mais rienentre le docteur Oméga et moi ne pouvait donner lieu à semblablesupposition. Comment deux êtres qui ne se sont jamais vus, quis’ignorent réciproquement, pourraient-ils se trouver en communiond’esprit ?…

J’en étais là de mes réflexions quandj’entendis au-dessous de moi, sur la route, une petite voixchevrotante, nasillarde, horripilante.

Je me penchai en dehors du mur et ne pusretenir un cri de stupéfaction.

Cette voix !… c’était celle du docteurOméga… oui… c’était lui que j’avais devant les yeux… C’était bienl’homme que m’avaient dépeint mes domestiques.

Et il chantait… ! il chantait !…quelques heures après l’affreuse catastrophe qui probablement avaitdû faire des victimes.

C’était inouï… incompréhensible !…

J’allais l’interpeller quand il fit un brusquecrochet et prit à gauche un petit sentier qui serpentait entre deshaies.

J’eus alors l’idée de lui crier des’arrêter…

J’allais même le faire, mais un sentiment deconvenance me retint.

Je ne pouvais décemment héler ainsi un hommeque je ne connaissais pas.

Il me fut enfin permis d’examiner à loisir cetextravagant personnage, car il se présentait de trois quarts dansle chemin qu’il suivait.

C’était un tout petit homme qui ressemblaitbeaucoup à feu M. Renan. Il avait comme lui une grosse tête,de longs cheveux blancs, une face grasse et blême.

Il était coiffé d’un chapeau de soie, malgréla chaleur – nous étions en plein été – et vêtu d’une redingotenoire aux larges basques dans les poches desquelles on apercevaitdes rouleaux de papier blanc.

Il marchait en sautillant et ses bottines quicraquaient faisaient un petit bruit assez semblable au chant ducri-cri.

À la main, il tenait une badine avec laquelleil traçait de temps à autre des figures sur le sol, sans pour celainterrompre son agaçante mélopée.

Au fur et à mesure qu’il s’éloignait, peu àpeu sa voix s’atténuait…

Ce ne fut bientôt plus qu’un faible murmure àpeine perceptible… un petit roucoulement ridicule.

Cette brusque apparition, loin de calmer macuriosité, ne fit au contraire que l’aviver.

Ce bonhomme, qui en toute autre circonstancen’eût même pas retenu mon attention, me fit l’effet d’un êtreétrange… diabolique…

Il m’apparut comme un de ces damnés, dontparle Dante, qui chantent au milieu du feu… comme un mauvaisesprit, un gnome malfaisant plein d’une infernale malice.

Est-ce que l’on chante quand on a failli semerla mort autour de soi ?

Toute la journée je fus d’une humeur de dogueet mes domestiques, qui étaient habitués à ne jamais recevoir dereproches, ne furent pas peu surpris en m’entendant les invectiverà tout propos.

Je ne songeais même plus à mon pauvreStradivarius. Seul le docteur faisait l’objet de toutes mesréflexions.

Sa figure, que je connaissais maintenant,prenait tour à tour dans mon esprit des expressions bizarres.

J’en arrivai même à faire cetteremarque : le monstre que j’avais vu dans mon cauchemar et ledocteur Oméga se ressemblaient étrangement.

C’était à croire qu’il y avait dans mon rêveun semblant de vérité et que mon imagination affolée n’avait pasentièrement inventé la scène de la nuit.

Une curiosité de plus en plus cuisantem’aiguillonnait.

Je voulais à toute force connaître cevieillard énigmatique… je voulais lui parler, ne fût-ce qu’uninstant… l’interroger… savoir enfin à quel mystérieux travail il selivrait.

Mon parti fut vite pris.

Le lendemain, à l’heure de la promenade dudocteur, je me trouverais sur son chemin.

Comme je craignais d’avoir encore un affreuxcauchemar pendant mon sommeil, je ne me couchai pas ce soir-là.

Je m’étendis dans un fauteuil et laissai malampe allumée.

Que la nuit me parut longue !

Enfin, un petit filet blafard glissa entre lesdoubles rideaux de ma fenêtre.

Je m’habillai sans l’aide de mon valet dechambre, et sortis du parc par une barrière qui donnait sur leschamps.

C’était folie de quitter si tôt ma demeure,puisque celui que je voulais voir ne passait habituellement qu’àneuf heures au pied de la terrasse. Mais une impatience fébrile metorturait… Je n’aurais pu rester chez moi. Il me fallait dumouvement pour tromper mon attente.

À peine eus-je dépassé les prés qui bordentmon cottage que je fus, comme malgré moi, poussé justement du côtéoù je ne voulais pas aller.

J’avais beau m’arrêter, louvoyer, prendre dessentiers inconnus, une force invincible me ramenait toujours versun chemin montant qui conduisait à la plaine habitée par ledocteur. Enfin, j’arrivai à un endroit où la côte s’arrêtaitbrusquement.

Devant moi s’étendait la vallée et, sous lesoleil levant, les routes lointaines, que la perspective rendaitplus escarpées, prenaient des tons d’or en fusion.

Comme mes yeux s’étaient portés sur la plaine,je vis une masse compacte de débris fumants qui se composaient degrosses poutres, de planches et de ferrures bizarremententremêlées.

Une sorte de réverbération verdâtre produitesans doute par la décomposition d’acides et de substances chimiquesflottait au-dessus de ces ruines.

Il me sembla même apercevoir, au milieu desdécombres, des corps carbonisés qui levaient vers le ciel leursbras tordus et noircis.

M’étant approché, je reconnus que ce que jeprenais pour des corps, c’était tout simplement de petitsréservoirs cylindriques auxquels adhéraient encore des supports debois brûlé.

Au milieu de cet enchevêtrement, un globeterrestre demeuré intact, mais noirci par la fumée, émergeait,telle une grosse tête de nègre, et cela avait quelque chose degrotesque et de lamentable.

Plus loin des livres étaient éparpillés… unvieux chapeau haut de forme et une robe de chambre rouge accrochésà une cloison branlante.

Autour du lieu de l’explosion la terre étaitcrevassée, labourée… quelques arbres avaient été coupés à ras dusol.

J’étais occupé à contempler ce tristespectacle quand une petite voix joyeuse s’éleva tout à coup.

Je me retournai d’un bond et me trouvai enface du docteur Oméga…

Il me salua en souriant, mais il me parutqu’il y avait dans cette amabilité quelque chose d’ironique et decruel.

– Hein ?… fit-il avec un ricanementaigu, cela a merveilleusement sauté !

– Oui… en effet… balbutiai-je… et il estfort heureux qu’il n’y ait pas eu de victimes…

Le docteur parut ne pas entendre cetteréflexion. Je m’enhardis.

– Vous êtes sans doute inventeur,monsieur ? lui dis-je.

Il fit un signe de tête affirmatif.

J’allais lui demander en quoi consistaient sesinventions, mais je n’osai pas.

Je ne pouvais cependant le laisser partirainsi ; il fallait qu’il s’expliquât.

Heureusement, j’eus un trait de génie.

– Moi aussi, m’écriai-je, je suis…inventeur…

Le vieillard me regarda quelques secondes avecattention, et il faut croire qu’il fut satisfait de cet examen, carun petit sourire plissa sa grosse face glabre. Me posantbrusquement la main sur l’épaule, il me fit cette questioninattendue :

– Êtes-vous un homme courageux ?

– Pourquoi cela ?… interrogeai-je,assez inquiet.

– Vous le saurez plus tard… je vousdemande si vous êtes un homme courageux.

– Certainement, répondis-je en cambrantla taille et en fronçant le sourcil.

– Avez-vous quelquefois eu peur dansvotre vie ?…

– Jamais !… mentis-je avecaplomb.

– C’est bien, dit le docteur… vous êtescelui que je cherchais… Comment vous appelez-vous ?

– Denis Borel…

– Venez me voir ce soir… à neufheures.

– Là ?… fis-je en désignant du doigtle hangar demeuré debout malgré la catastrophe.

– Oui… là… Vous sonnerez à cette petiteporte… mais, je vous préviens, sonnez fort… car je suis un peusourd… allons, au revoir… à ce soir, mon ami !…

Et le docteur me serra la main.

Ce contact me fit un effet désagréable.

J’eus comme la sensation d’avoir touché unepeau de serpent…

Mon ami !… Il m’a appelé son ami !…pensais-je en m’en retournant…

Du diable si je me rends à soninvitation ! cet homme est tout simplement un fou…

S’il voulait causer avec moi… il pouvait lefaire à l’instant. Ah ! s’il se figure par exemple que je vaisvenir dans sa baraque en pleine nuit… il se trompe.

Je ne me soucie guère de passer une soiréeavec un dément…

Rentré chez moi, je déjeunai de fort bonappétit et, dans l’après-midi, je jouai du violon pendant deuxheures.

J’exécutai à ravir la Ronde desLutins de Bazzini… et il me sembla même que mes pizzicatipouvaient presque rivaliser avec ceux de Jan Kubelik.

Cependant, quand vint le soir, mon obsessionme reprit.

La conversation de la matinée me revint àl’esprit, et, de déductions en déductions, j’en arrivai à medemander si le docteur était réellement un aliéné.

Après tout, me disais-je, ses yeux n’ont riend’inquiétant… Ils sont un peu durs, c’est vrai, mais cela tientsans doute à ce qu’ils sont d’un bleu très clair.

Ses gestes ne paraissent pas ceux d’unhalluciné… les fous ont des mouvements saccadés, brusques, nerveux,et, ma foi ! le docteur Oméga est plutôt sobre de gestes.C’est sûrement un original… mais qui ne l’est pas ?

Ceux qui passent leur existence à cherchersans cesse ont bien le droit, après tout, d’être un peu singuliersd’allures…

Rien ne vous détache des choses extérieurescomme la fièvre de l’invention.

Somme toute, les penseurs sont des êtres àpart, au cerveau merveilleux, puissant, trop compliqué pour êtrecompris des vagues individualités qui traitent d’utopie tout ce quidépasse leur conception.

Ai-je vraiment le droit de considérer ledocteur Oméga comme un fou avant d’avoir jugé son œuvre ? Sicet homme était un génie ?

L’heure du dîner arriva.

Je ne touchai pas aux plats qu’on meservit ; je me contentai d’un bouillon dans lequel je cassaideux œufs et je bus un demi-verre de vin.

Lorsque je me levai de table j’étais plusinquiet, plus perplexe que jamais.

Je m’assis dans mon salon et réfléchis denouveau.

Si je n’allais pas au rendez-vous que ledocteur m’avait fixé, je passerais à ses yeux pour un poltron etquand il me rencontrerait dans la suite, il me rirait au nez.

D’un autre côté, je m’intéressais trop à cethomme pour ne point profiter de la circonstance qui m’était offertede le connaître enfin.

Une chose m’inquiétait toutefois :Pourquoi m’avait-il demandé si j’avais déjà eu peur dans mavie ?…

Bah ! fis-je, nous verronsbien !

La demie de huit heures venait de sonner. Jem’étais levé et me disposais à partir quand une réflexion nouvellem’arrêta.

Si le docteur allait me soumettre à quelqueterrible épreuve ?… Si c’était vraiment un foudangereux ?… Ah ! ma foi, tant pis ! je medéfendrai… D’ailleurs je serai armé… j’emporterai mon Smith etWesson.

Je verrai bien en arrivant quelle sera sonattitude… Si elle me semble équivoque, j’aurai vite fait de faussercompagnie à ce mystérieux inventeur.

Dans le cas où il voudrait me retenir deforce, je parviendrai bien à lui échapper… que diable !

Je suis jeune, vigoureux… lui, c’est unvieillard… J’en aurai facilement raison…

Déjà j’étais dans le vestibule.

Je demandai mon manteau de caoutchouc, car letemps était à l’orage, et je glissai mon Smith dans la poche decôté de mon veston.

Mon domestique, qui vit ce geste, ne putréprimer un mouvement d’effroi.

– Monsieur sort ? me demanda-t-ild’un air hébété.

– Oui… qu’y a-t-il làd’extraordinaire ?

– C’est que depuis que je suis à sonservice, monsieur n’est jamais sorti de la maison.

– J’ai un rendez-vous, répondis-je.

Et j’ajoutai par pure forfanterie, en appuyantbien sur les mots :

– Un rendez-vous avec le docteurOméga…

Le valet roula des yeux épouvantés.

– Vous allez chez ce… vieuxsorcier ?… Oh !… prenez garde, monsieur… cet homme estcapable de tout… cet après-midi on m’a encore raconté sur soncompte des choses effrayantes… si vous saviez…

Je haussai les épaules et m’en allai d’un aircalme, bien que je fusse intérieurement fort troublé.

Dès que je me trouvai sur la route, je me misà marcher très vite en faisant sonner les talons…

De gros nuages roulaient dans le ciel leursvolutes sombres… Je n’y voyais pas à dix pas devant moi.

Cependant, quand j’eus dépassé les premièresmaisons du village, la lune se montra un instant. Mon ombre alorsse dessina sur le sol… une ombre démesurée, gigantesque, quiformait devant moi une énorme tache vacillante.

Comme je passais devant une ferme, située àl’entrée de la plaine, un chien se mit à hurler et je fus pris d’untremblement nerveux.

Mon courage allait-il m’abandonner ?

Mais je me redressai, assujettis ma casquetteet me dirigeai résolument vers le hangar, dont une seule fenêtreétait éclairée.

Arrivé devant le noir bâtiment, j’hésitaiquelques secondes ; enfin, saisissant une chaînette quipendait à droite de la porte, je la tirai brusquement.

Il m’est impossible d’exprimer l’effet queproduisit sur moi le son de la petite cloche que je venaisd’agiter ; un trépassé auquel la Providence aurait laissé lacruelle faculté d’entendre sonner son glas, ne serait pas plusémotionné que je le fus en cet instant.

Bientôt une lumière brilla au travers d’unjudas grillé ; la porte s’ouvrit et je me trouvai en face dudocteur Oméga.

Il était nu-tête et sur son crâne d’ivoire jeremarquai avec effroi une petite houppe de cheveux blancs qui setenait droite comme une aigrette.

Instantanément, je me souvins du rêve quej’avais fait et mes jambes flageolèrent sous moi.

Je fis même un mouvement de recul pourm’enfuir, mais à ce moment, le docteur qui venait de fermer laporte disait avec un petit rire qui ressemblait à un gloussement degallinacé :

– Là… comme cela… elle ne s’ouvrira plus…Voyez mon système de fermeture… Est-il assez ingénieux ? etcependant il est fort simple.

Il y eut un petit déclic, puis le bonhommeajouta :

– C’est un vrai verrou de sûreté… unverrou comme il n’y en a pas… Mais montez donc.

Et le petit vieux me précéda, tenant à la mainune lampe de cuivre qui projetait le long des murs une clartétremblotante.

Je m’assurai vivement que mon revolver étaittoujours dans ma poche… J’en sentis la crosse et reprisconfiance.

Le docteur montait les escaliers tellementvite que j’avais peine à le suivre ; cet homme avait desjarrets d’acier.

Arrivé sur un palier très étroit, il ouvritune porte et s’effaça en disant :

– Entrez… mon ami…

Je ne sais pourquoi… quand il m’appelait sonami j’éprouvais une sorte de gêne… de malaise.

Je me figurais voir dans ce mot une cruellemoquerie… comme une ironique menace.

Je pénétrai dans une pièce de formepentagonale et d’assez grande dimension.

À droite, en entrant, on voyait une fenêtreunique, étroite et longue, qui ressemblait plutôt à unemeurtrière.

Tout au fond de la salle, dans une sorte decouloir formant cul-de-sac et blindé comme la soute d’un cuirassé,on apercevait un foyer incandescent que surmontait un cubilotcylindrique recouvert d’un capuchon de tôle.

– Asseyez-vous… mon ami, me dit ledocteur en m’indiquant un siège de bois grossièrement façonné.

Et comme, malgré son invitation, je restaisdebout, il insista :

– Mais asseyez-vous donc… je vousprie…

J’obéis machinalement. Le vieillard se plaçaalors en face de moi.

La moitié de son visage était noyée d’ombre etla partie éclairée me parut d’une blancheur de cire…

Je remarquai alors qu’un de ses yeux brillaitd’un éclat singulier et chaque fois que cet œil lumineux me fixait…involontairement je frissonnais.

Au dehors le vent soufflait avec fureur.

On entendait craquer les arbres et lagirouette placée sur le toit du hangar tournait follement avec unbruit de crécelle.

Enfin, le vieillard fit claquer ses doigts etrapprocha vivement son siège du mien.

– Vous voudriez sans doute savoir, medit-il, en ricanant, pourquoi je vous ai fait venir ici ?…

– Ma foi… répondis-je, j’avoue que…

Le docteur se frotta les mains, puis après unregard en dessous, il reprit :

– Je cherchais un homme courageux pourm’accompagner dans un voyage fantastique – c’est le mot – un voyageextraordinaire que je ne croyais jamais accomplir, mais qu’unerécente découverte a rendu possible… Je suis arrivé à trouver uncorps qui est repoussé par la pesanteur… et s’en sert comme d’unpoint d’appui pour s’élever dans les airs…

Je faisais de la tête des signes admiratifs,mais plus le docteur se lançait dans des explications touffues,plus cette opinion s’ancrait dans mon esprit : « cethomme est décidément fou… cependant… c’est une folie douce… en nele contrariant pas, je n’ai rien à craindre. »

J’eusse même été complètement rassuré, si detemps à autre, le bonhomme ne se fût retourné brusquement sur sonsiège pour regarder derrière lui…

Plusieurs fois même il se leva et je le vis sediriger vers le cubilot qui chauffait dans le fond de la pièce.

Ce manège m’intriguait et le vieillard lutsans doute dans mes yeux la question que je n’osais lui poser, caril me dit :

– Vous vous demandez pourquoi je vais sisouvent jeter un coup d’œil sur le récipient qui se trouve là-bas…Je vais vous le dire…

« Il y bout une substance que je soumetsà une forte pression et il suffirait d’un moment de négligence pourque ce hangar-ci sautât comme l’autre.

Je sentis un petit froid me passer le long ducorps.

– Oui… reprit le docteur… c’est unrécipient comme celui que vous voyez au fond de ce couloir qui aamené la catastrophe d’avant-hier…

« Un de mes ouvriers avait négligé, ensortant, de ralentir l’ardeur du foyer…

Et mon interlocuteur se leva de nouveau pouraller examiner son appareil.

– Nous pouvons, dit-il, en revenants’asseoir, atteindre 15 atmosphères… c’est la limite extrême, maisà 14 atmosphères 3/4… il faut ouvrir l’œil.

– À combien êtes-vous en ce moment ?demandai-je avec inquiétude…

– Oh !… à 14 à peine… nous pouvonsêtre tranquilles… Je vous disais donc tout à l’heure que j’avaistrouvé un corps qui supprimait l’action ordinaire de la pesanteur…Cela semble impossible et cependant, c’est la vérité…

Le docteur, ayant remarqué sur mon visage unelueur d’incrédulité, ajouta, en élevant un peu la voix :

– Vous ne me croyez pas ?…

– Mais si…

– Non… vous doutez, je vois cela… Ehbien ! vous allez être convaincu…

« Tenez… ouvrez ce coffre que vous voyezlà et prenez-y le premier objet qui vous tombera sous la main.

Je me serais bien gardé de contrarier le vieuxsavant. Je soulevai donc le couvercle du grand bahut qu’ilm’indiquait et y saisis une épaisse plaque de métal.

– Jamais je ne pourrai soulever cela,m’exclamai-je.

– Essayez… fit le docteur avec un petitrire.

Je réunis toutes mes forces et empoignail’énorme bloc.

Ô prodige !… ô miracle !… Jel’enlevai sans difficulté… il pesait moins qu’une plume… Bien plus…je remarquai qu’il s’élevait malgré moi et j’avais même toutes lespeines du monde à le retenir…

– Eh bien, que pensez-vous decela ?… me demanda le docteur, en m’enlevant des mains le blocmétallique qu’il replaça dans son coffre.

– C’est merveilleux !… inouï !…phénoménal !… prodigieux !… m’exclamai-je avecchaleur.

Ma subite transition du doute à l’enthousiasmeamena un sourire de satisfaction sur la figure du docteur.

Je regardais cet homme avec émerveillement. Ilme semblait maintenant qu’il se dégageait de sa personne quelquechose de surhumain, et je crus voir une auréole illuminer sonfront.

Ce petit vieillard, qui m’avait paru odieux etridicule, se métamorphosait pour moi en demi-dieu.

– Vous voyez, me dit-il, que j’ai résoluréellement le plus merveilleux des problèmes scientifiques…Consentez-vous maintenant à m’accompagner dans le grand voyage queje vais tenter ?

Comment hésiter, après ce que je venais devoir… j’étais fasciné… émerveillé… littéralement ébloui…

– Oh ! docteur… répondis-je, je suisprêt à vous suivre partout… où que vous alliez… fût-ce au bout dumonde.

– Nous irons plus loin que cela, prononçale vieillard d’un ton grave.

Mais soudain, malgré moi, je tressaillis… Jevenais d’entendre un ronron bizarre… un roûû… roûû… singulier… deplus en plus sonore… Instinctivement… je tournai les yeux vers lecubilot.

– Oh ! ne craignez rien, fit ledocteur en souriant… c’est le métal qui commence à subir sadernière cuisson… Nous sommes à 14 atmosphères 1/4… Dans quelquesminutes je ralentirai la combustion…

– Alors ?… il n’y a aucundanger ?

– Pour le moment… non…

Et le savant continua, très calme :

– J’aurais pu emmener avec moi pourm’accompagner quelqu’un de mes ouvriers… mais il ne me faut passeulement un homme hardi… courageux… j’ai surtout besoin d’uncompagnon intelligent qui puisse me seconder utilement… prendre desnotes… écrire mes impressions…

– Un secrétaire…

– C’est cela même…

– Oui, oui… je comprends, fis-jedistraitement, en regardant de nouveau le récipient dont les roûû…devenaient menaçants…

Il me sembla même entendre de petitscraquements comme si les parois de la sphère de fonte se fussenttendues sous l’effort du métal en fusion…

Néanmoins je m’efforçai de ne rien laisserparaître de mon effroi… Les battements de mon cœur soulevaient mesvêtements… mais mon visage demeurait assez calme, bien qu’unepetite sueur froide coulât le long de mes tempes.

– Je crois qu’il serait grand temps,dis-je enfin d’une voix timide, de faire tomber la pression…

Le savant eut un petit mouvement d’épaules etne répondit pas.

Tout à coup un fracas épouvantable se fitentendre au rez-de-chaussée. Une porte battit avec violence.

– Qu’est cela ? fit le vieillard ense dressant subitement… Mes verrous de sûreté auraient-ils glissédans leur gâche… non… cela est impossible… attendez-moi uneseconde… je vais voir… Le temps de descendre et de remonter…

– Je vous suis… je vous suis…m’écriai-je.

Mais le docteur était déjà sorti et la portepar laquelle il venait de disparaître s’était referméeinstantanément, grâce à un système invisible qui était encore uneinvention de cet homme étonnant. Je l’entendis descendre quatre àquatre les escaliers… puis il y eut un bruit de planches qui seheurtent et la petite voix du savant s’éleva glapissante…furieuse.

Que s’était-il passé ?

Je demeurai cloué sur place, angoissé,tremblant.

Les grognements du cubilot s’accentuaient…C’était maintenant un rugissement semblable à celui d’un monstre enfurie…

Me ruant sur la porte… j’essayai de l’ouvrir…le verrou de sûreté la maintenait solidement… Je tentai del’enfoncer… elle résista à mes secousses désespérées.

En bas, le savant criait toujours… je collaimon oreille contre le parquet et j’entendis distinctement cesmots :

– Le cubilot !… Lecubilot !…

C’en était fait de moi !… Ce que jeredoutais était arrivé… le docteur ne pouvait plus remonter.

Rassemblant toute mon énergie, je m’approchaidu récipient, et sans hésiter, tournai brusquement une manette decuivre fixée dans le capuchon de tôle. C’était peut-être lesalut !…

Malédiction ! J’avais hâté maperte !…

Aussitôt la substance en fusion se mit àbourdonner avec plus de force… l’aiguille du manomètre fit un petitbond et tremblota sur le cadran… Un flamboiement aveuglant emplitla pièce… une chaleur étouffante me suffoqua.

Je voulus crier. Mais le sang afflua à magorge… ma langue demeura collée à mon palais…

Alors je compris que c’était la fin…

Je reculai à l’extrémité de la pièce, fixantd’un œil égaré la lueur sinistre qui rayonnait de plus en plus et,me cachant le visage dans les mains, je me laissai tomber comme unemasse…

L’angoisse m’étrangla, anéantissant dans moncerveau en délire les derniers vestiges de la raison.

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