Le Docteur Omega (Aventures fantastiques de trois Français dans la Planète Mars)

Chapitre 10LE GRAND RAZAÏOU

Ainsi, le Cosmos étaitdétruit !… de ce merveilleux engin conçu au prix de tantd’efforts, de patientes recherches, il ne restait plus rien.

Notre existence – en admettant qu’elle ne fûtpas brusquement tranchée par les Martiens – devait donc s’acheveren ce monde étrange, si différent du nôtre…

Quelle vie mènerions-nous dans cette planètemystérieuse où toutes les lois humaines semblaient bouleversées, oùrien ne répondait plus à nos besoins… à nos aspirations.

– Qui sait, disais-je tristement, si nousne serons pas réduits au rôle humiliant d’ilotes, de misérablesdomestiques ?

« On nous montrera sans doute comme desbêtes savantes… nous irons de ville en ville enchaînés, tels desours, muselés peut-être, et la maigre nourriture qu’on nousdonnera, il nous faudra la gagner par notre docilité, notresoumission à nos maîtres !…

Sur Terre… sur cette Terre si regrettée àlaquelle je ne pouvais songer sans que mes yeux se mouillassent,nous nous étions élevés – le docteur surtout – au-dessus de lamasse ordinaire ; ici, notre intelligence ne trouveraitprobablement aucune occasion de s’exercer, nous serions, selontoute apparence, considérés comme de singuliers spécimens d’unerace ridicule.

Nous fournirions sans doute matière à denombreuses dissertations, et il n’était pas impossible qu’unMartien, plus curieux que les autres, un de ces froids savants pourlesquels la vie n’est qu’une manifestation sans importance,s’avisât de tuer l’un de nous afin de l’examiner, le disséquer,pour se rendre compte du fonctionnement de nos organes et de leuranalogie avec ceux de ses congénères.

Pourvu encore qu’il ne lui prenne pasfantaisie de nous écorcher vifs comme de simples grenouilles delaboratoire ou de vulgaires cochons d’Inde !…

Pendant que je faisais ces tristes réflexions,le docteur Oméga, la tête penchée en avant, l’œil fixe, la lèvreinférieure pendante, semblait poursuivre une idée…

Parfois, il poussait un petit cri guttural etfaisait claquer ses doigts, ou bien il tirait désespérément sur lachaîne qui le rivait au mur.

Je cessai de monologuer afin de ne pointtroubler les méditations de mon ami… Car en le voyant si absorbé jefinis par me bercer de l’espoir que peut-être cet homme étonnanttrouverait le moyen de nous sauver…

Pourquoi pas, après tout ?… Était-ilinadmissible qu’il parvînt à reconstituer un nouveau navireaérien ?… Les Martiens étaient un peuple industrieux… ondevait trouver dans leurs usines tout ce qu’il fallait pourconfectionner un Cosmos…

Autant qu’il m’en souvient, nous restâmesenviron un jour et une nuit dans les casemates martiennes.

Depuis le moment où nous avions aperçu lesgnomes qui nous retenaient prisonniers, nous n’avions pris aucunenourriture et nous commencions à ressentir de douloureuxtiraillements d’estomac.

– Ces sauvages, dis-je au docteur,veulent donc nous laisser mourir de faim ?

– Cela m’étonnerait, répondit-il…

– Cependant, ils sont assez intelligentspour comprendre que nous ne pouvons nous nourrir en léchant lesmurs.

– Peut-être leur façon de s’alimenterest-elle différente de la nôtre… des êtres si petits doivent secontenter d’une nourriture insignifiante.

– Pensez-vous qu’ils soientcarnivores ?…

– Je n’en sais rien… mais celam’étonnerait beaucoup… je les crois plutôt végétariens…

Cette conversation fut brusquement interrompuepar l’arrivée de trois Martiens qui glissèrent sur le sol comme degros rats noirs, passèrent auprès de nous et disparurent dansl’ombre… Presque aussitôt, nous entendîmes un bruit sourd, puis laplate-forme sur laquelle nous nous trouvions, après avoir oscillédoucement de droite et de gauche s’éleva rapidement vers la voûtede la crypte…

– Mais… nous allons être écrasés !hurla Fred…

– Non… dit le docteur… voyez, la voûtes’entr’ouvre progressivement au fur et à mesure que nous montons…tout ici est réglé mécaniquement comme dans un théâtre… Ces petitsdiables sont décidément de grands ingénieurs…

En effet, le plafond s’était écarté et n’avaitpas tardé à disparaître dans des rainures invisibles.

Maintenant, nous étions à l’airlibre !

Autour de nous, la foule martienne s’agitaiten poussant des cris aigus et des centaines d’yeux glauques, rondset transparents, nous fixaient avec curiosité…

Nous remarquâmes qu’une grande estrademétallique s’élevait à quelques mètres de nous. Elle pouvaitmesurer environ trente pieds carrés et était occupée par plusieursnains à « grosses têtes ».

Nous allions évidemment comparaître devantl’élite intellectuelle de la planète Mars…

Les chaînes qui nous entouraient les chevillesse desserrèrent tout à coup et disparurent sous la plateforme… Nousn’étions plus attachés que par les mains, mais la tresse métalliquequi les retenait nous en laissait à peu près l’usage.

Une des « grosses têtes » fit unsigne et notre plancher roulant glissa jusqu’à l’estrade. Les« Mégalocéphales[1] »,dont nous n’étions plus séparés que de quelques mètres, nousregardèrent avec attention, puis causèrent longtemps entre eux.

Enfin, celui qui paraissait être le chef desgnomes à gros cerveau fit entendre un sifflement prolongé.

Il y eut une poussée dans la foule, quelquescris bizarres, puis on jeta dans notre enceinte un pauvre petitMartien qui poussait des gémissements lamentables…

– C’est une expérience, dit le docteur,ils veulent s’assurer si nous sommes réellement des sauvages…

Le malheureux sacrifié faisait des bondsdésespérés pour échapper à notre étreinte.

Le docteur le saisit délicatement, le soulevade terre et, le mettant sur ses bras, le caressa en souriant commeil eût fait d’un petit animal inoffensif.

Un murmure de sympathie monta de la foule.

Les « grosses têtes » seconcertèrent de nouveau et, après une discussion assez animée, nousvîmes un « Mégalocéphale » descendre résolument sur notreplate-forme…

Le savant martien ne semblait guèrerassuré ; cependant il faisait assez bonne contenance… ilsentait qu’on le regardait et il tenait à honneur de ne pointpasser pour un poltron. En sautillant, il s’avança vers le docteuret quand il ne fut plus qu’à un mètre de lui il prononça d’unepetite voix cassée :

– Pohogo !…Pohogo !…

Le docteur Oméga s’inclina cérémonieusement,toujours avec son Martien dans les bras, et répéta :Pohogo !…

Alors, le Mégalocéphale s’enhardit, il fit unpetit bond à la façon des kangourous, et avançant les tentaculesqui lui servaient de bras, il osa toucher notre vieil ami. Celui-cisourit aimablement et, à son tour, promena doucement sa main sur lahideuse figure du pygmée…

Des cris s’élevèrent autour de l’enceinte…

Puis, une à une, toutes les « GrossesTêtes » descendirent sur la plate-forme où nous noustrouvions…

Les savants de la planète Mars venaient encorps nous rendre visite… certains maintenant que nous étions desêtres inoffensifs…

Ils s’avancèrent lentement en roulant leursgros yeux à fleur de tête, puis ils s’assirent pour bien nousprouver sans doute que leurs intentions étaient toutespacifiques.

Nous les imitâmes…

Il y eut un moment de silence, puis l’un dessavants se leva enfin et, s’approchant de Fred, lui tira labarbe…

Le géant ne voulant pas être en rested’amabilité posa alors sa dextre sur la tête du Martien, mais ilavait la main terriblement lourde et le Mégalocéphale poussa un cride douleur.

Pour réparer la gaffe de Fred, le docteurs’approcha et frotta avec d’infinies précautions le crâne huileuxdu petit homme…

Ses camarades parurent très touchés de cegeste, et ce fut dès lors au docteur qu’ils prodiguèrent toutesleurs amabilités.

J’eus aussi mon tour et répondis comme ilconvenait aux avances des horribles nains… J’avoue que nous devionsêtre tous passablement grotesques et, quand je songe à cettepremière entrevue avec les Martiens, il m’arrive parfois de rireaux éclats…

Une chose inquiétait nos nouveaux amis… ilspalpaient et tiraient nos vêtements, se demandant sans doute quelleétait cette carapace bizarre qui n’adhérait pas à notre peau…

Je me rendis compte de leur étonnement etj’ôtai mon veston, mon gilet et ma chemise…

En voyant mon torse nu, ils se mirent à sautercomme des cabris, puis ils me posèrent tous, les uns après lesautres, leurs froids tentacules sur la peau, ce qui me causa unesensation plutôt désagréable…

Cependant, on devinait qu’ils voulaientcorrespondre avec nous autrement que par des signes.

Un Mégalocéphale repoussant, avec une petiteface plus ridée qu’un pruneau, toucha la tête du docteur etzézaya.

– Zoûû…

Nous comprîmes aussitôt qu’en langage martien,une tête s’appelait zoûû…

Puis il posa successivement ses tentacules surnos membres qu’il désigna par des mots barbares…

Il appela nos bras des craozo, notrepoitrine une ranaïa, nos jambes des piillitt, nospieds des clakôôs…

Au fur et à mesure qu’il parlait, j’écrivais,avec leur prononciation approximative, tous les mots qui sortaientde sa petite bouche triangulaire, ce qui me permit de les répéterassez exactement…

Les « grosses têtes » furentémerveillées de mon intelligence…

Cependant, nous commencions, le docteur, Fredet moi à souffrir terriblement de la faim…

Pensant me faire comprendre des Martiens, jefis le geste bien connu qui consiste à approcher la main de labouche, mais cette tentative demeura sans succès… je me mis alors àremuer les mâchoires en imitant le bruit que l’on fait enmastiquant les aliments.

Les macrocéphales me regardèrent curieusementet ce fut tout…

– Ces monstres-là ne doivent jamaismanger, dis-je au docteur…

– En tout cas, répondit-il, ils nepeuvent broyer leur nourriture… car, ainsi que vous pouvez leconstater, leur bouche est dépourvue de gencives et de dents…

– Si encore nous trouvions dans lesparages quelque animal à dévorer…

Mais nos nouveaux amis, sans paraîtres’inquiéter de mon expressive mimique, continuaient à bredouillerdes mots aux terminaisons bizarres…

Enfin, un bruit métallique se fit entendre etles barrières qui nous entouraient s’écartèrent comme parenchantement.

La foule voulut se précipiter vers nous, maisles « Mégalocéphales » la tinrent à distance en braquantsur elle une petite boîte oblongue d’où sortaient, avec unpétillement continu, des lueurs phosphorescentes…

Il y eut une bousculade, des cris, et nousvîmes plusieurs spectateurs rouler sur le sol en agitant leurstentacules… En passant près d’eux, nous constatâmes avec surprisequ’ils avaient été atrocement brûlés…

– Que peut-il y avoir dans cetteboîte ? demandai-je au docteur…

– Je n’en sais rien… mais je ne seraispas étonné que ce fût du radium.

– Du radium… ici ?

– Pourquoi pas ?… D’ailleurs je lesaurai bientôt…

Et mon ami eut un petit clignement d’yeux, cequi, chez lui, était de bon augure…

Une sorte de chariot automobile venait des’avancer ; les « grosses têtes » nous invitèrent ày prendre place et montèrent à nos côtés.

Quand nous fûmes installés, un petit chauffeurappuya son tentacule droit sur un déclic et nous partîmes à untrain d’enfer…

Le singulier véhicule dans lequel nous noustrouvions était de forme ovoïde, et roulait presque à ras du sol,non point sur des roues, mais sur des cylindres, à la façon de ceslocomotives routières qui servent à écraser les cailloux sur lesroutes. Le moteur qui l’actionnait devait être des plus puissants,mais demeurait invisible… Malgré la vitesse à laquelle nousmarchions, je pouvais cependant apercevoir la ville, si l’on peutappeler de ce nom une suite ininterrompue de sombres bâtiments defer. Tantôt ils affectaient la forme de cônes, de pyramidestronquées ou d’aiguilles, tantôt ils figuraient des coupoles, desdisques et des dômes…

Une vapeur bleue noyait de temps à autre cesconstructions qui, vues ainsi à travers un léger brouillard,apparaissaient démesurément grossies…

Par instant des masses brillantes dont je nepouvais distinguer la forme passaient en sifflant comme des obusau-dessus de nos têtes et se croisaient avec d’énormesplates-formes volantes dont on voyait parfaitement les hélices…

Bientôt nous quittâmes la ville pour entrerdans un faubourg qui semblait couvert de suie et où s’élevaient desédifices plus noirs que ceux de Londres… puis nous filâmes àtravers une vaste plaine où des arbres s’élevaient de place enplace, des arbres gigantesques aux rameaux tombants…

Enfin une nouvelle ville se dessina àl’horizon au milieu de nuages rougeâtres…

– Razaïou !…Razaïou !… s’écrièrent nos compagnons en agitant leursgrosses têtes en cadence…

– Razaïou ! répétai-je trèshaut – ce qui me valut de la part des Martiens de longs etdésagréables frottements de tentacules…

L’automobile s’était arrêtée…

En face de nous courait un torrent impétueuxqui charriait non point de l’eau écumante, mais une matière enfusion d’où montaient d’énormes flocons de fumée âcre…

L’un des « Mégalocéphales » poussaun petit cri et aussitôt, d’un vaste échafaudage métallique que jen’avais pas remarqué, tant j’étais absorbé dans la contemplation dufleuve de feu, quatre chaînes descendirent et s’accrochèrentautomatiquement à notre véhicule qui, soulevé avec une forceprodigieuse, s’éleva dans les airs comme un aérostat… À une hauteurde cent pieds environ, cette singulière machine tournoya surelle-même et nous filâmes horizontalement au-dessus du gouffreembrasé.

– Ces Martiens sont des génies, s’exclamale docteur… ils ont trouvé les ponts aériens… C’estmerveilleux !… C’est féerique !… voyez comme tout ceciest merveilleusement réglé, quelle précision… tenez, maintenantnous descendons… nous sommes sur l’autre rive… Oh ! il estimpossible que je n’arrive pas, un jour, dans ce pays enchanté, àreconstruire un nouveau Cosmos… courage !… espoir…mes amis !…

Notre véhicule venait de toucher le sol ;les chaînes qui le maintenaient se décrochèrent et il reprit sacourse folle…

Bientôt une montagne se dressa devant nous… Ledocteur et moi nous attendions encore à être saisis par un enginmonstre, mais, à notre grand étonnement l’automobile en pleinevitesse aborda victorieusement cette rampe presque verticale et lagravit en un clin d’œil…

Nous nous trouvâmes alors en face d’un palaisqui dressait dans le ciel rouge ses tours et ses dômes de fer etdont les portes merveilleusement ouvragées affectaient la forme defleurs de lys ou de trèfles.

Elles ne s’ouvraient point en roulant surleurs gonds, mais se levaient et s’abaissaient comme des rideaux dethéâtre…

Des guirlandes de pierres précieuses couraientautour de l’édifice et retombaient gracieusement sur des chapiteauxfaits d’un métal vert aux tons changeants…

Notre véhicule pénétra dans une cour qui avaitla forme d’un trapèze et aussitôt une nuée de Martiens se rangea lelong des murs en agitant des sortes de grelots qui rendaient un sonétouffé.

Les Mégalocéphales nous invitèrentgracieusement à mettre pied à terre et nous nous dirigeâmes, aumilieu d’une foule enthousiaste, vers l’intérieur du palais…

Après avoir longé de longues galeries ornéesd’ouvrages en fer, nous parvînmes à une salle immense dont jerenonce à décrire la décoration tant elle était somptueuse etcompliquée…

Un trône de métal bleu surmonté d’un dais deverre rouge s’élevait sous une voûte décorée d’une mosaïque derubis et de topazes.

Nous allions comparaître devant Razaïou le roides Martiens…

J’avoue que j’éprouvai à ce moment une légèreémotion. Comment le grand chef de ce monde inconnu allait-il nousaccueillir ?

Était-ce un être intelligent ou simplementquelque brute couronnée !

Des trompettes emplirent la salle de leurspetits sons nasillards, la voûte s’illumina soudain et le Souverainparut…

Il était grotesque et j’eus peine à réprimerune exclamation de surprise.

Figurez-vous un ballon de baudruche posé surun corps de cigale… et vous aurez un portrait très exact du maîtredes régions martiennes…

Il était coiffé d’une sorte de tiarephosphorescente et tenait dans son tentacule droit un bâton deverre terminé par une ampoule dans laquelle brillait une petiteflamme bleue…

Des pierres de couleur couvraient sa poitrinejaune, et sur son ventre piriforme s’étalait un médaillon carré quicontenait un affreux portrait – celui de la reine, comme jel’appris plus tard.

Une clameur s’éleva :

– Razaïou !…Razaïou !…

Et les Martiens se couchèrent sur le dos enfrappant le sol de leurs têtes.

Nous crûmes devoir, par convenance, nouslivrer aussi à cette manifestation ridicule, ce qui parut beaucoupétonner Razaïou.

Il agita son petit sceptre et lesMégalocéphales s’approchèrent du trône avec un profond respect, letentacule gauche sur la gorge, la tête rejetée en arrière… Arrivésdevant le souverain, ils poussèrent trois cris et tournèrent sureux-mêmes comme des toupies…

Razaïou fit un geste et l’un desMégalocéphales prit la parole…

Il parla longtemps, d’une petite voix grêle,monotone…

Enfin il se tut et le Roi donna l’ordre denous faire avancer.

On avait ôté les chaînes qui nous entravaientles jambes, mais nous avions toujours les mains attachées.

Il faut croire que l’on n’avait pas encore ennous une absolue confiance.

Ce fut le docteur Oméga qui eut l’insignehonneur d’être présenté le premier à Sa Majesté Razaïou…

Il mit sa main gauche sur sa gorge, rejeta latête en arrière, poussa trois petits gloussements et se mit àtourner…

Le roi le regardait avec bienveillance…

Ensuite, ce fut mon tour… J’imitai le docteur…Quant à Fred, toujours très maladroit, il faillit renverser letrône de Razaïou. Celui-ci manifesta un trouble extrême, mais fortheureusement, je sauvai la situation en prononçant aussitôt lesquelques mots martiens que j’avais inscrits sur mon calepin. Le Roime toucha alors de son sceptre, mais parut fort étonné que moncorps ne fût pas plus dur. Je renouvelai la scène du déshabillage,et quand il vit mon torse nu, il me montra sa poitrine, sans doutepour me faire comprendre qu’il avait comme moi un habit de« peau ».

Il examina ensuite longuement la tête dudocteur, promena ses tentacules sur l’ivoire de son crâne et, serenversant ensuite dans le fauteuil qui lui servait de trône… ils’endormit.

L’audience était finie…

On nous débarrassa de nos chaînes et lesMégalocéphales nous conduisirent dans une pièce immense toute enfer où l’on se serait cru dans l’intérieur d’un réservoir…

La faim nous tourmentait de plus en plus… etla soif venait s’ajouter à notre torture :

– Ma foi, dit Fred, si l’on ne nous donnerien à manger, je prends un de ces vilains macaques et je le« boulotte ».

– Patience, mon ami, dit le docteur… Nete livre pas encore à quelque excentricité…

– C’est joli à dire… mais j’ai une faimde cannibale… si encore nous pouvions sortir… il doit bien y avoirdes animaux dans ce pays-là…

À peine avait-il achevé ces mots que quatreMartiens entrèrent, roulant devant eux un petit chariot de ferrecouvert d’une plaque de verre…

L’un des Mégalocéphales s’approcha du docteuret le toucha en disant :

– Babaïo…

Il tira alors la plaque de verre quirecouvrait le chariot et nous aperçûmes une quantité de petitesboules de couleur, assez semblables à des billes…

– Babaïo, répéta le Martien.

Puis il prit une boule et l’avala.

– Eh parbleu ! s’écria le docteur,mais ces boulettes sont tout simplement des pilules nutritives…essayons-en toujours.

Et nous nous mîmes à puiser dans lecoffre.

Notre faim se calma instantanément… mais lasoif nous desséchait toujours le palais…

Un des Mégalocéphales ouvrit alors un petitcompartiment ménagé dans une des parois de la boîte et nous indiquades lamelles jaunes qui ressemblaient assez à des morceaux de colleà bouche. Nous en absorbâmes chacun une douzaine…

Ô miracle ! notre soif s’éteignit…aussitôt ! et nous ressentîmes au palais une délicieusefraîcheur…

Fred n’en revenait pas… Quant au docteur, sonadmiration pour les Martiens ne connaissait plus de bornes.

– Ces gens-là sont merveilleux,surprenants, prodigieux ! clamait-il…

Quand notre repas fut terminé, lesMégalocéphales nous poussèrent doucement devant eux et nousconduisirent dans un grand parc, où se trouvaient réunis quelquesMartiens qui, à notre grand étonnement, ne ressemblaient pas à ceuxque nous avions déjà vus…

Ils avaient la tête exagérément petite etportaient une sorte de péplum formé d’aiguillettes en verre decouleur. Leurs yeux étaient ovales, leur bouche minuscule et leurnez ridiculement retroussé…

Néanmoins ces petits êtres n’avaient rien derepoussant, et, quoique leur figure ne fût point belle, elle étaitcependant assez sympathique…

Dès que nous nous approchâmes d’un de cesgroupes, ceux qui le composaient poussèrent des cris d’oiseauxeffarouchés et voulurent s’enfuir…

Un de nos guides les rassura par quelquesparoles et les petits êtres nous regardèrent en tremblant…

Dans un coin du parc, on voyait une sorte detonnelle faite de plantes qui avaient la forme de cactus…

Cérémonieusement les« Mégalocéphales » nous y conduisirent et nous noustrouvâmes en présence de trois petits monstres accoutrés de façonbizarre… L’un d’eux portait sur la tête une sorte de casque danslequel était encadré un portrait. C’était celui de Razaïou…

– Eh parbleu ! m’écriai-je !…je comprends maintenant… Ces Martiens sont des femmes… Nous sommesdevant la Reine…

– Bilitii… prononça un de nosguides…

Et il se mit à plat ventre…

Nous l’imitâmes aussitôt, mais à notre grandestupéfaction, quand nous nous relevâmes, la reine Bilitii et sessuivantes avaient disparu… Nous l’avions effrayée, et, bien qu’ellefût cependant avertie par nos « compagnons », ellen’avait pu supporter notre vue.

Nous ne fûmes pas autrement choqués de cetteattitude qui, sur Terre, nous eût paru de la dernièreincorrection.

D’ailleurs… n’étions-nous point en présenced’une reine !

Mme Bilitii était une petiteMartienne timorée. En apercevant trois êtres énormes, poilus etgrimaçants, elle avait éprouvé une répulsion bien compréhensible,imitant en cela la petite souveraine de Mildendo quand elle vitpour la première fois Gulliver. Les Mégalocéphales semblaientnavrés que nous eussions été si mal reçus par leur reine, et ilsnous emmenèrent dans une prairie où croissaient de grandes plantesrouges et des arbustes dont les troncs ressemblaient à des colonnesde marbre.

Des oiseaux hideux, au bec recourbé, aux ailesdentelées, aux pattes difformes, voltigeaient çà et là en poussantde petits cris rauques.

Parfois, ces volatiles étranges se posaientsur le sol et alors ils tournaient avec une rapidité surprenantejusqu’à ce qu’ils tombassent étourdis.

Plus loin, des animaux d’un vert pâle quiressemblaient à des concombres glissaient sans bruit devantnous…

Un d’entre eux s’approcha de moi, eut unebrusque contorsion et me sauta à la poitrine. Je reculaiprécipitamment et faillis tomber à la renverse, ce qui amusabeaucoup les Mégalocéphales.

J’appris plus tard que ces concombres rampantsétaient des chiens martiens.

Mais nous n’avions pas encore tout vu.

Bientôt se montrèrent des serpents noirs,minces comme des anguilles et velus comme des chenilles.

Cette fois, mon courage m’abandonna.

J’ai déjà dit que les ophidiens me faisaienttomber en pâmoison… Dès que ces vilaines bêtes apparurent, je memis à sauter sur place comme si j’étais au milieu du feu.

Je crus lire sur les physionomies desMégalocéphales – autant qu’on pouvait saisir une expression sur cespetites faces parcheminées – un sourire de pitié.

Évidemment, ils ne comprenaient pas quej’eusse peur de ces serpents qu’ils considéraient comme des animauxdomestiques, puisqu’ils les prenaient dans leurs tentacules et lescaressaient avec tendresse. Deux vilains reptiles enlacèrent lesjambes du docteur ; un autre grimpa sur ses épaules.

– Mais tuez donc ces vilaines bêtes,m’écriai-je…

– Vous n’y pensez pas, monsieur Borel, medit le vieux savant…

« Vous ne comprenez donc pas que cesserpents sont des animaux sacrés… qu’ils jouent ici le rôle deschats dans la religion égyptienne… tâchez de surmonter votredégoût… songez que si vous écrasiez une de ces vilaines bêtes, vousattireriez sur votre tête le courroux des Martiens…

« D’ailleurs, voyez… ces reptiles sontinoffensifs… ils se rapprochent beaucoup de nos couleuvresterrestres…

Mais le savant avait à peine achevé ces motsque je le vis faire un geste rapide et, presque aussitôt, il poussaun hurlement de douleur…

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