Le Docteur Omega (Aventures fantastiques de trois Français dans la Planète Mars)

Chapitre 13VERS LA TERRE

Pendant un mois, le docteur Oméga envoya versla Terre près de cinq cents dépêches, mais nous ne reçûmes aucuneréponse.

Je finissais par perdre encore une foisconfiance et me demandais même si ce fameux télégramme du grandHelvétius n’avait pas été imaginé de toutes pièces par notre amidans le but de relever nos énergies chancelantes. Selon moi ilétait inadmissible que les communications ne se renouvelassentplus… Puisque nos appareils étaient si sensibles, si bienconstruits, pourquoi n’enregistraient-ils rien ?

Enfin… un soir la sonnerie vibra doucement etle docteur, fou de joie, s’installa devant sa tablette. Je vis lelevier se lever et frapper à petits coups la bande de papier qui sedéroulait sur le récepteur, puis il s’arrêta.

Je m’attendais de la part du vieux savant àune de ces démonstrations joyeuses qui ne manquaient jamaisd’accompagner ses expériences lorsque celles-ci réussissaient, maisà mon grand étonnement, il ne bougea pas plus qu’une statue. Ilparaissait consterné…

– Qu’y a-t-il ? interrogeai-jetimidement.

Le savant ne me répondit pas… Les yeux fixéssur la bande du récepteur, il semblait hypnotisé par les signesqu’il y lisait…

Enfin, se redressant d’un bond, ils’écria :

– Cette dépêche vient de Bohême… je lisparfaitement le mot « Prague »… mais quant aux autresphrases, je ne puis les comprendre… ah ! quel malheur de nepas connaître la langue tchèque !…

J’avais autrefois fait un assez long séjour àKladno chez un de mes amis, ingénieur métallurgiste, et jepossédais un peu la langue du beau pays de Bohême…

– Indiquez-moi, dis-je, docteur, quellessont les lettres représentées par ces traits…

Il me les transcrivit sur le dos de soncalepin et je parvins, sans trop de difficultés, à traduire cettephrase :

Vous prétendez être dans la planète Mars…Seriez-vous…

Mais, bien que je m’y appliquasse avec ardeur,je ne pus interpréter le reste de la dépêche…

Nous reçûmes ensuite d’autres communicationsqui demeurèrent pour nous incompréhensibles…

Il y avait parfois des intermittencesfréquentes dans ces transmissions télégraphiques et, comme je m’enétonnais beaucoup, le docteur m’expliqua que nos messages neparvenaient point toujours dans les régions habitées et cela àcause de la position relative de Mars et des modificationsconstantes de la surface du globe terrestre.

Enfin… une nuit, il nous arriva unecommunication très nette, très précise, signée encore une fois dunom d’Helvétius.

Voici ce que disait le grand savantanglais :

« Ai reçu dépêche… apprends avec plaisirqu’êtes dans Mars… Pourquoi revenez-vous pas ? Amis trèsinquiets. »

À ce mot d’« amis », le docteurOméga se prit à sourire…

Des amis ? mais il n’en avait jamaiseu ! il n’avait jusqu’alors rencontré sur son chemin que desgens qui le traitaient de fou, qui riaient de sa mise extravaganteou des confrères envieux qui s’efforçaient toujours de lerabaisser, et ne s’occupaient de lui que pour critiquer sesdécouvertes…

Et voilà maintenant qu’il avait des amis… Bienplus… ces amis étaient inquiets… Ils attendaient avec impatience,peut-être avec angoisse, son retour sur la Terre !

D’autres que le docteur Oméga se fussentgrisés… Mais ce vieillard était trop sceptique pour s’illusionner.Très calme, il laissa tomber cette phrase qui résumait bien en sonlaconisme brutal le cas qu’il faisait de ces subites protestationsd’amitié :

– Réussissez… vous aurez beaucoup d’amis…échouez… vous serez seul…

– C’est un peu la pensée d’Ovide que vousnous servez là, fis-je remarquer.

Le savant sourit, et me prenant les mains,m’attira vers lui en disant :

– J’exagère… monsieur Borel… car même sij’avais échoué, je sais que je n’aurais pas été seul… puisque vouset Fred me restiez… Vous êtes les deux seuls amis qui comptiez dansma vie… Quant aux autres, ce sont des quantités négligeables…

– Enfin… vous devez être heureux quandmême d’avoir bouleversé de fond en comble cette loi de lagravitation que l’on croyait immuable… vous avez dépassé Newton…vous êtes le plus grand homme…

Le docteur m’arrêta :

– Attendez, dit-il… que nous soyonsrevenus en France pour m’encenser…

– Alors, vous croyez que vous retournerezsur la Terre ?…

– J’en suis sûr…

– Cependant… la répulsite…

– On nous en fournira…

– Mais qui ?

– Helvétius.

Je fis un bond en arrière…

– Voyons, m’écriai-je… vousplaisantez !… cette découverte, vous seul en connaissez lesecret…

Le docteur sourit avec indulgence :

– Il me suffira, répondit-il… d’enenvoyer télégraphiquement la formule…

– Et vous croyez qu’on pourra, grâce àune simple formule, reconstituer exactement ce métalmerveilleux ?…

– J’en suis sûr… et tenez… je vaisimmédiatement expédier sur Terre des messages très précis danslesquels je livrerai ma découverte… Je m’étais bien promis de ne lafaire connaître que dans mon testament… mais il n’y a pas àhésiter… il le faut…

Et, pendant dix jours, le docteur lança dansl’espace près de deux cents télégrammes dont je me rappelleparfaitement la rédaction, moins celle, très compliquée, de laformule de la répulsite…

« Sommes prisonniers dans Mars à centmilles au sud des mers de glace, Cosmos détruit…Construisez nouveau Cosmos avec enveloppe répulsite etvenez à notre secours. Voici formule…. Oméga. »

Ces messages expédiés, le docteur se frottales mains et nous dit :

– Maintenant… mes amis, nous n’avons plusqu’à attendre… Sur les deux cents télégrammes, il est impossiblequ’il n’y en ait pas un qui soit reçu et compris… Patientons…d’ailleurs… je me tiendrai toujours en communication avec la Terre…et je serai ainsi au courant des diverses tentatives auxquelles onva se livrer en vue de notre délivrance.

Ce soir là… je m’endormis presque rassuré… etje fis des rêves délicieux…

Nous étions revenus sur le globe terrestre…une foule énorme nous acclamait… et un gros monsieur vêtu de noir,chauve et barbu – un ministre sans doute – nous remettait audocteur, Fred et moi d’énormes croix d’honneur en diamants, dontles rubans rouges claquaient joyeusement au vent comme desoriflammes de victoire…

Mais je fus arraché à ce songe enchanteur pardes hurlements épouvantables, des cris affreux et des piétinementssaccadés…

Me levant d’un bond, j’allumai une petitelampe portative et sortis de ma case métallique…

Le docteur était là devant la porte, rouge decolère, la figure marbrée de plaques bleues, les vêtements endésordre… D’un œil voilé de larmes il contemplait les restes de sontélégraphe sans fil…

Ses électrodes gisaient fracassées, ses fils,son antenne, son manipulateur, son récepteur, tout cela ne formaitplus qu’un amas de choses informes, des miettes pour mieux dire… Ledésastre était complet… irréparable…

Et ceux qui avaient détruit notre précieuxappareil l’avaient fait avec une telle habileté qu’il étaitmaintenant impossible d’utiliser aucun de ses débris… La table defer sur laquelle était installé le télégraphe avait été enlevée,car elle était trop solide pour être mise en pièces… Le grand mâtqui supportait l’antenne avait disparu…

Nos gardiens, ces hideux Mégalocéphales quenous traitions en amis, étaient, à n’en pas douter, les auteurs dece méfait… d’ailleurs leur attitude étrange, embarrassée, lestrahissait.

Au lieu de se tenir devant notre case, commeils avaient l’habitude de le faire chaque nuit, ils s’étaientréfugiés dans un coin et nous observaient sournoisement.

– Ce sont eux !… ce sont eux qui ontfait le coup, hurlait le docteur en montrant le poing aux Martiens…misérables !… lâches !… monstres !…bandits !…

Fred allait s’élancer sur les gnomes et lesmettre en bouillie, mais je le retins… En cet instant tragique etdouloureux, je fus le seul qui conserva son sang-froid… Tuer lesMartiens, c’était s’exposer à de cruelles représailles… On nousavait pardonné le meurtre de quelques individualités dépourvuesd’intelligence… on ne nous pardonnerait pas la mort desMégalocéphales… Razaïou nous ferait mettre à la torture… mutiler…Peut-être même donnerait-il l’ordre de nous brûler avec les rayonsverts…

Je parvins à grand’peine à calmer le docteur…Sa rage tomba enfin, mais il s’affaissa sur le sol ets’évanouit…

Pendant que nous cherchions à le faire revenirà lui, une tablette de fer lancée par un Mégalocéphale vint tomberà nos côtés…

C’était un message de Razaïou…

Il contenait ces mots en martien :

Barônioniz Babazeios îrvettir maïanoRazaïou sûliez oïodoum nhâtonoï orônos.

Ce qui voulait dire :

« Il déplaît au grand Razaïou de voir lesBabazeïos lancer des rayons dans l’espace. »

Le docteur avait repris ses sens… Je luimontrai la tablette :

Il la lut et murmura :

– J’aurais dû m’en douter…

Puis comme je lui demandais s’il pensaitpouvoir un jour reconstruire clandestinement les appareilsdétruits, il me répondit en secouant lentement la tête :

– Non… mon… ami il ne faut pas ysonger.

– Alors… m’écriai-je affolé… nous sommesperdus !

– Peut-être, fit le vieillard enregardant fixement la Terre, dont le globe lumineux commençait àpâlir sous les rayons du jour naissant…

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