Double-Blanc

ÉPILOGUE

Dieu voulut.

Promptement guéri de sa blessure, Hervé pritpart à tous les combats jusqu’à la fin du siège. Il en revint sainet sauf, et depuis dix-sept ans la marquise de Mazatlan est devenuela baronne de Scaër.

Ils se sont mariés après la Commune ; ilsont eu trois fils et ils sont parfaitement heureux – comme lesépoux à la fin des contes de fées.

C’est justice, car leur histoire est bien unconte de fées. Ils ont eu bien des peines, mais il ne manque à leurbonheur que la joie d’avoir près d’eux Alain Kernoul.

Le pauvre gars aux biques est mort lelendemain de l’affaire de Bagneux, où il s’était conduit en héros.Il est mort dans les bras de son maître, qui lui a tenu parole enfondant une messe à perpétuité dans l’église de Trégunc pour lerepos de l’âme de Zina.

La marquise a hérité de sa cousine, après unvoyage en Amérique qu’elle a dû entreprendre pour faire reconnaîtreses droits. Toutes les questions de survie ont été jugées en safaveur, grâce au témoignage de ce Disney qui a produit au tribunalla confession écrite de l’abominable Berry.

Il a été établi que la malheureuse Héva avaitsurvécu à son oncle d’abord et ensuite à sa mère assassinée commeelle, et un instant avant elle, dans les ruines de Rustéphan.

De cette fortune inattendue,Mme de Scaër a fait un noble usage. Elle n’apas fondé un hôpital à Paris, où il y en a déjà bien assez, maiselle en a fait bâtir deux dans le pays de Cornouailles, sanscompter un asile pour les veuves de marins et pour lesorphelins.

Autour de Trégunc, il n’y a plus depauvres.

Elle habite avec son mari le château qu’ilsont fait restaurer. Ils n’y donnent pas de fêtes à leurs voisins eton n’y court pas des rallye-paper, comme l’avait rêvé jadis lamalheureuse Solange.

Ils n’y font que du bien et cela suffit àremplir leur existence. Leurs enfants grandissent et prospèrent.Les terres, dégagées d’hypothèques et cultivées avec intelligence,produisent le double de ce qu’elles rapportaient au temps où Hervéles hérita de son père.

Il avait mis dix ans à se ruiner ; iln’en a pas mis davantage à se refaire et il laissera à ses fils unegrande situation.

Delle, qui est devenu un médecin de premierordre, un prince de la science, comme on dit maintenant, Delle,l’ancien interne de l’Hôtel-Dieu, lâche quelquefois sa clientèlepour s’en aller passer vingt-quatre heures chez les châtelains deTrégunc, qui lui font fête, on le croira sans peine.

Il leur apporte des nouvelles de Paris, où ilsne vont guère, et ils aiment à parler ensemble du passé.

À son dernier voyage, il leur a appris ce quec’était que la prétendue veuve d’un colonel de dragons, l’odieuseCornuel que le brave Kernoul regrettait de n’avoir pas tuée de samain.

Cette créature, après avoir fait toutes sortesde métiers inavouables, avait été autrefois la maîtresse deBernage, du vivant de sa femme qui en était morte de chagrin.

Elle avait trempé dans tous les crimes de cemisérable et l’obus allemand qui l’a envoyée en enfer a écrasé unevipère.

Delle les a renseignés aussi sur Pibrac, quivient de faire une fin qu’on aurait pu prédire sans êtresorcier.

Après avoir dissipé son bien jusqu’au derniersou, pendant que sa digne compagne, Margot, s’enrichissait encourant d’autres aventures, il s’est estimé très heureux del’épouser, pour avoir, comme il le dit cyniquement, ses repasréglés, et elle ne lui fait pas la vie douce.

Chacun, en ce monde et dans l’autre, récoltece qu’il a semé.

Delle, après la guerre, n’a pas peu contribuéà éclairer la justice française sur le double meurtre de Rustéphan.Les squelettes étaient restés dans le trou où il les avait laissés,et quand on les a retrouvés, il a démontré scientifiquement quec’étaient bien ceux de deux femmes, une très jeune et l’autre d’âgemûr. On a pu, grâce à lui et en interrogeant les vieux paysans dela contrée, reconstituer la scène de l’assassinat. On a fait appelà leurs souvenirs et la mémoire leur est revenue. Des Bretons quis’étaient tus après la disparition des étrangères, en 1860, se sontrappelé au bout de dix ans qu’ils avaient entendu crier pendant unenuit d’octobre.

Les coupables ont échappé au châtiment légal,mais il n’est plus resté de doutes dans l’esprit des magistrats quiont dirigé la nouvelle enquête.

Et les os des deux victimes reposent en terresainte, dans le cimetière de Trégunc, à côté du tombeau desScaër.

Hervé et sa femme y vont souvent prier, et illeur arrive aussi d’aller, comme en pèlerinage, à ce dolmen deTrévic où ils se sont rencontrés, pour la première fois, sans seconnaître.

Ils viennent s’asseoir à l’ombre des pierrescolossales, les yeux tournés vers la mer vengeresse qui a engloutiles assassins d’Héva et, la main dans la main, ils évoquent lepassé : leurs douleurs et leurs joies ; et quand il leurarrive de parler de la scène du bal de l’Opéra, Hervé s’amuse àappeler sa chère femme par le surnom que Pibrac lui avait donné àcause du domino qu’elle portait.

Il l’appelle : Double-Blanc etelle ne s’en fâche pas, car elle sait bien que leur bonheur à tousdeux n’a tenu qu’à un incident de cette nuit du samedi gras.

Si elle n’avait pas eu le courage d’entrerdans la loge où s’agitaient Pibrac et sa bande tapageuse, ellen’aurait jamais épousé Hervé de Scaër.

Tout chemin mène au mariage.

FIN

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer