Double-Blanc

III

Sur mer, aux plus violentes tempêtes succèdeassez souvent un calme plat. De même, à Paris, il arrive que lesévénements se précipitent pendant quelques jours et puis que tout àcoup les choses reprennent pour un temps leur cours ordinaire.

Il faut bien qu’un drame ait des entractes,mais au théâtre le dénouement n’est jamais remis au lendemain,tandis que, dans la vie réelle, on l’attend parfois des mois etmême des années.

Ainsi, le drame auquel le dernier des Scaër setrouvait mêlé avait commencé en 1860 par un sanglantprologue&|160;; on était en 1870 et rien n’annonçait encore qu’ildût bientôt finir.

Après une semaine fertile en péripéties et encatastrophes, Hervé, depuis la résurrection d’Alain Kernoul, venaitde passer bien des heures paisibles.

Il s’était remis de tant de violentes émotionset il n’aurait tenu qu’à lui de les oublier pour songer à serefaire une existence à l’abri des orages.

Un égoïste comme Pibrac n’y aurait pasmanqué&|160;; et si Hervé se fût décidé à ne plus s’occuper que delui-même, il n’aurait pas eu grand chose à se reprocher, car iln’était pas personnellement intéressé à continuer la guerredéclarée à des ennemis puissants et dangereux.

Venger la mort – problématique – d’une enfantqu’il avait à peine eu le temps d’aimer et la mort d’une pauvrecréature qu’il n’avait vue qu’une seule fois, ce n’était pas un butauquel il fût tenu de sacrifier son avenir.

Il lui en coûtait déjà assez cher d’avoir prisparti pour les victimes, puisqu’il avait payé de sa ruine sagénéreuse conduite.

Il aurait pu s’en tenir là, rassembler lesdébris de sa fortune et partir pour en conquérir une autre àl’étranger.

Rien ne l’empêchait d’emmener Alain qu’il nevoulait pas abandonner et qui n’avait plus rien à faire à Paris, nià Trégunc, puisque Zina était morte.

Mais Hervé avait promis àMme&|160;de&|160;Mazatlan de rester pour l’aider àrassembler les preuves d’un crime que la prescription allaitbientôt couvrir. C’était une dernière partie à jouer, et qu’il lagagnât ou qu’il la perdît, Hervé aurait tenu parole à une femme quiavait fait sur lui une profonde impression.

Après les incidents de la journée du vendredi,Hervé, en quittant le gars aux biques sur la place Vendôme, avaitcouru chez la marquise qu’il n’avait pas vue depuis le mercredi desCendres et, n’ayant plus rien à lui cacher, il lui avait toutdit&|160;; tout, même la scène entre lui etMlle&|160;Solange, sous la neige et en fiacre, jusqueset y compris la rencontre du prétendu Canadien devant la grille del’hôtel du boulevard Malesherbes.

Sur quoi, Mme&|160;de&|160;Mazatlans’était mise à plaindre Mlle&|160;de&|160;Bernage livréeà un misérable qui vendait son silence à son complice en exigeantque ce complice lui sacrifiât sa fille.

Scaër s’était écrié que siMlle&|160;de&|160;Bernage avait eu du cœur, elle auraitrefusé de se prêter à ce honteux marché, mais il avait su gré à lamarquise du sentiment qu’elle exprimait et il s’était juré de plusbelle de lui obéir en toutes choses.

Elle n’en restait pas moins pour lui uneénigme vivante, cette adorable femme qui ne pouvait pas ne pas voirqu’il commençait à l’aimer et qui ne faisait rien pour l’encouragerni pour le décourager.

Elle ne lui donnait que des conseils&|160;:entre autres celui de laisser faire Alain et de la tenir au courantde ce qu’il ferait, mais de ne plus s’occuper de Bernage et de sabande, jusqu’au jour où elle jugerait qu’il était temps d’agir.

En revanche, elle avait autorisé Scaër à venirla voir aussi souvent qu’il voudrait et il usait largement de lapermission.

Il n’avait pas manqué une seule fois d’arriverchez elle à trois heures, et il était toujours reçu, sinonfamilièrement, du moins affectueusement. Il n’osait pas lui parlerd’amour, mais il pouvait se convaincre qu’il ne lui était pasindifférent et que l’heure viendrait peut-être où elle luifaciliterait un aveu.

Qu’attendait-elle&|160;? Hervé eut l’idée quele souvenir d’Héva Nesbitt la retenait.

Elle n’avait pas la certitude absolue que lapauvre Héva était morte, et elle hésitait à s’attacher à l’hommeque son amie d’enfance avait aimé.

Et s’il s’abstenait de la presser en sedéclarant, c’est qu’il craignait qu’elle ne le soupçonnât devouloir l’épouser pour sa fortune, quoiqu’il eût fait toutrécemment ses preuves de désintéressement.

Un mariage avec l’opulente veuve du marquis deMazatlan eût été très bien assorti, alors qu’il était encore leseigneur de Scaër, châtelain et propriétaire foncier.

Maintenant, à la veille d’être dépossédé deses terres, ce mariage aurait eu l’air d’une spéculation.

Il venait de passer par-dessus le mêmeinconvénient en se fiançant à la fille d’un spéculateur enrichi etil n’avait pas eu le bénéfice de cette concession, puisque lamésalliance ne s’était pas accomplie.

Aussi, n’était-il tenté qu’à demi de courirencore une fois la même chance.

Il ne se pressait donc pas et il se laissaitvivre, heureux d’oublier près de la marquise que sa situation étaitplus tendue que jamais.

Tout contribuait d’ailleurs à l’endormir dansles délices de ses visites quotidiennes à l’hôtel de la rueGuyot.

Le gars aux biques ne donnait pas signe devie, l’interne n’avait pas reparu, et Pibrac, qui sans doute étaittout à Margot, Pibrac ne s’était pas montré.

Solange n’avait pas renouvelé son escapade dumercredi des Cendres, et si elle continuait à sortir enhuit-ressorts avec son nouveau prétendu, Scaër ne l’avait plusrencontrée.

Il attendait donc tranquillement le moment oùil devait s’aboucher avec Alain et, du vendredi au mardi, le tempsne lui parut pas trop long.

Quand arriva le jour du rendez-vous sous lepont de la Tournelle, il était tout prêt à reprendre du serviceactif après un repos qui l’avait retrempé.

Il ne doutait pas qu’Alain eût bien employé lecongé qu’il avait demandé et il espérait que le gars luiapporterait des informations qui lui permettraient de marcher droitau but.

En attendant, il continuait à habiter l’hôteldu Rhin, quoiqu’il se fût aperçu que le portier le regardait d’unecertaine façon, depuis la malencontreuse visite du Cornouaillais enloques.

Évidemment, ce portier les avait vus conférerensemble, au pied de la Colonne, et la considération qu’ils avaientpour le baron de Scaër n’était plus la même.

Scaër d’ailleurs n’avait pas remarqué qu’onl’espionnât, quoiqu’il ouvrît l’œil, comme le lui avaitconseillé l’interne. L’homme rasé ne s’était plus retrouvé sur sonchemin, et cela par l’excellente raison que l’homme rasé, étantdevenu le gendre accepté de M.&|160;de&|160;Bernage, n’avait plusbesoin de faire l’agent de police pour surveiller un rivalévincé.

Il ne s’était pas montré non plus au cercleet, quoi qu’en dît Pibrac, on pouvait douter que son futurbeau-père l’y présentât, car lui-même n’y venait plus depuisquelques jours.

Hervé le savait, parce qu’il s’en étaitinformé en y déjeunant le mardi matin, et Hervé eût été surprisqu’il en fût autrement.

Bernage ne devait pas rechercher les occasionsde rencontrer un homme qu’il avait offensé en rompant brutalementun mariage arrêté depuis six mois.

Après ce déjeuner prémédité, Hervé avait lules journaux pour voir s’il y était question de l’incendie, et il yavait trouvé une indication intéressante, parmi beaucoup derenseignements insignifiants.

Une de ces feuilles, mieux informée que lesautres, affirmait que la maison brûlée appartenait à un étranger,absent depuis bien des années de Paris où il n’avait pas laissé dereprésentant, et que, faute de pouvoir le mettre personnellement endemeure de démolir les murs qui menaçaient ruine, l’autorité allaitd’office faire raser ce qui restait debout de l’édificedétruit.

La feuille bien informée ne donnait pas le nomdu propriétaire, mais elle mentionnait une particularité assezcurieuse.

Ce propriétaire, qui laissait son immeuble àl’abandon, envoyait chaque année, au mois de mars et par lettrechargée, une somme plus forte que le montant de ses impositionsdont il ne connaissait pas le chiffre exact, puisqu’on ne savait oùlui adresser les avertissements.

On ne lui envoyait pas non plus lesquittances, puisqu’on ne connaissait pas le lieu de sa résidencequi, du reste, changeait souvent, car les lettres chargées nevenaient presque jamais du même pays.

Il en arrivait de toutes les parties du monde,l’Europe exceptée. Cet original s’en rapportait à la bonne foi dupercepteur qui n’abusait pas sa confiance, et l’État ne s’étaitjamais plaint de ce contribuable exemplaire qui s’acquittait paravance.

Le renseignement que Scaër avait inutilementessayé d’obtenir au bureau des contributions lui arrivait ainsi dela façon la plus inattendue, et ce renseignement s’accordait avecles suppositions auxquelles Scaër s’était arrêté.

Le propriétaire absent devait être GeorgesNesbitt et les impôts étaient payés sous son nom parM.&|160;de&|160;Bernage qui avait des correspondants partout, etqui tenait beaucoup à éviter que la maison fût saisie et vendue àla requête des agents du fisc, faute de paiement des impôts.

Le journal ne disait pas si elle étaitassurée, ni si le feu y avait été mis volontairement, mais sur cedernier point, le doute n’était plus possible&|160;: l’incendien’était pas accidentel et l’incendiaire avait agi par ordre deBernage qui, fatigué peut-être de payer, s’était décidé à détruirela maison pour anéantir la preuve matérielle d’un crime.

S’il y avait un cadavre sous les ruines, il yresterait, à moins que l’assassin ne profitât de l’événement pourle faire disparaître.

C’était précisément ce qu’il fallait empêcher,et Hervé ne voyait pas encore comment il s’y prendrait pourdevancer les assassins, s’ils tentaient quelque opération de cegenre.

Une semaine s’était écoulée depuis lesinistre. Ils avaient donc eu six nuits pour essayer.

Il est vrai que les premières journées ne leuravaient pas été propices. Les pompiers étaient restés soixanteheures et plus sur le terrain à inonder d’eau les ruines fumantes.Après les pompiers étaient venus les agents de ville poursurveiller les décombres. Le commissaire de police les avaitinspectés et on avait dû y faire des rondes aussi bien la nuit quele jour.

Mais aussi la surveillance avait dû serelâcher depuis qu’on avait organisé un service d’ordre, et trèsprobablement il ne restait plus là que des plantons, comme on enmet pour garder les constructions inachevées.

Les assassins avaient donc pu s’introduiredans la maison, et d’ailleurs rien ne démontrait qu’ils n’eussentpas opéré avant l’incendie, alors qu’ils pouvaient entrer comme ilsle voulaient, leur gérante ayant certainement gardé les clés detoutes les portes.

Quoi qu’il en fût, Hervé devait se hâter et iln’attendait pour agir que de s’être remis en contact avec Alain quiallait lui apporter un concours précieux et peut-être desindications utiles. Mais l’heure n’était pas venue de le rencontreret, après une longue station au cercle, il s’achemina pédestrementvers l’hôtel de la marquise.

Si Hervé se rendait, à l’heure où il avaitaccoutumé d’y aller, chez Mme&|160;de&|160;Mazatlan, cen’était pas qu’il se proposât de lui parler de son projet d’entreren action le soir même.

Il aurait craint de faire naître en elle desespérances qui peut-être ne se réaliseraient pas, et aussi del’inquiétude, car il ne doutait pas qu’elle s’intéressât assez àlui pour se préoccuper du danger qu’il allait courir.

Il comptait se borner à lui dire qu’il devaittrès prochainement voir Alain Kernoul et il voulait profiter del’occasion pour lui demander si, de son côté, elle n’avait rienappris de neuf.

Il s’était aperçu qu’elle évitait del’entretenir de l’emploi qu’elle faisait de son temps, et commeelle l’avait prié de ne plus s’occuper de ce qui se passait àl’hôtel de Bernage, il se figurait qu’elle menait sans bruit uneenquête dont elle se réservait de lui faire connaître le résultatlorsqu’il aurait abouti.

Il aurait préféré une entente complète, maisil ne pouvait pas se permettre de réclamer contre le systèmequ’elle avait cru devoir adopter, et il ne la soupçonnait pas des’occuper d’autre chose que de venger la mort d’Héva Nesbitt enlivrant à la justice les scélérats qui l’avaient assassinée.

Il se proposait donc de s’en tenir à desquestions discrètes et de ne pas insister si la marquise neparaissait pas disposée à y répondre.

Il prépara même, chemin faisant, celles qu’ilvoulait lui poser, mais il en fut pour sa peine, car, en arrivantrue Guyot, il trouva, à la porte de l’hôtel, le fidèle Dominguezqui lui dit que Mme&|160;de&|160;Mazatlan venait desortir en voiture et qu’elle ne rentrerait que pour dîner.

Elle avait chargé son intendant de prierM.&|160;de&|160;Scaër de bien vouloir l’excuser de ne le recevoirque le lendemain.

Il n’y avait vraiment pas de quoi s’étonnerque la marquise eût profité du beau temps pour aller au Bois, et lesoin qu’elle avait pris de faire savoir à Hervé qu’ellel’attendrait, le jour suivant, témoignait assez que ses bonnesdispositions n’avaient pas changé.

Hervé eut cependant comme un pressentimentqu’on lui cachait quelque chose, mais il n’était pas homme àinterroger un domestique.

Il se borna à répondre qu’il regrettaitbeaucoup de ne pas l’avoir rencontrée, qu’il ne manquerait pas dese présenter demain, à la même heure, et qu’il espérait être plusheureux.

C’était un contre-temps, mais il en prit assezfacilement son parti en se disant qu’il valait mieux ne la voirqu’après avoir vu le gars aux biques, car il serait moins gêné pours’expliquer lorsqu’il saurait ce qu’on pouvait attendre du concoursd’Alain et il aurait peut-être à annoncer à sa charmante alliée desrésultats acquis.

Il rebroussa chemin, et comme il avait àperdre tout le reste de la journée, il entra au parc Monceau pours’y asseoir au soleil en réfléchissant à sa situation.

Un ciel clair et l’approche du printemps yavaient attiré de nombreux promeneurs, et beaucoup de famillesbourgeoises s’alignaient en espalier le long des grandes allées oùles enfants jouaient comme pendant la belle saison.

Hervé cherchait une place moins fréquentéequand il aperçut, assis en rond au détour d’un sentier écarté etcausant avec vivacité, M.&|160;de&|160;Bernage, M.&|160;Ricœur deMontréal et Mme&|160;de&|160;Cornuel.

Ils lui tournaient le dos ou à peu près, etils ne le voyaient pas, mais il les reconnut, lui, à leursprestances, à un bout de favori qui dépassait le profil perdu deBernage, à la taille carrée de son futur gendre et à un certaincachemire ajusté que la gouvernante mettait toujours pour sortirquand il ne faisait ni trop froid ni trop chaud.

S’il eût cédé à son premier mouvement, il seserait hâté de passer outre. L’idée lui vint, non pas de se cacherpour entendre ce qu’ils disaient, mais de les observer de loin.

Un gentleman qui se respecte n’écoute pas auxportes, ni à travers un massif de verdure, ce qui reviendrait aumême&|160;; il peut bien se permettre de suivre des yeux les gestesde gens qui ne savent pas qu’il les regarde.

C’est de l’espionnage à distance et Scaërtransigea avec ses principes, sous prétexte que, dans certains cas,certaines capitulations de conscience sont excusables.

Il commença par exécuter un mouvement tournantqui l’amena derrière un rideau d’arbustes verts, assez éloigné dugroupe pour que les propos qui s’échangeraient n’arrivassent pas àses oreilles, et assez clairsemé pour lui offrir des échappées devue, tout en le couvrant assez pour que les causeurs nes’aperçussent pas qu’il était là.

Il y prit position sur le même banc qu’unenourrice serrée de près par un fantassin qui lui disait desdouceurs et qui ne s’inquiéta pas de ce bourgeois nouveau venu.

En ce tassant sur lui-même, Hervé trouva desjoints entre les branches et put ne rien perdre de la pantomime quil’intéressait.

C’était, pour le moment, Bernage qui avait laparole, et il appuyait son discours de gestes très marqués,scandant ses phrases d’énergiques mouvements de main, de haut enbas, comme on en fait pour appuyer une admonestation.

M.&|160;Ricœur, moins démonstratif, secontentait d’approuver par des hochements de tête affirmatifs.

Mme&|160;de&|160;Cornuel s’agitaitencore moins&|160;: à peine, de temps à autre, un haussementd’épaules ou un geste de protestation.

Elle avait tout l’air d’être sur la selletteet de dédaigner de se défendre contre les accusations ou lesreproches des deux hommes qui semblaient s’être constitués entribunal, avec Bernage pour ministère public et le Canadien pourjuge unique.

Quel crime pouvaient-ils bien imputer à cettefemme qui possédait probablement tous leurs secrets et qui neparaissait pas s’émouvoir beaucoup de leurs objurgations&|160;?

Des crimes&|160;? ils avaient dû en commettreensemble et, entre complices, on ne se malmène pas ainsi.

Il s’agissait sans doute d’une faute qu’elleavait faite dans l’exécution de quelque plan ténébreux&|160;; unefaute grave, puisque la réprimande était vive, et cette faute,Hervé croyait deviner en quoi elle consistait.

Mais pourquoi s’avisaient-ils de tenir leursassises au milieu d’un jardin ouvert à tout venant, au lieu dedélibérer dans quelque salon de l’hôtel du boulevardMalesherbes&|160;?

Hervé conjectura qu’ils tenaient à ne pas êtredérangés par Mlle&|160;de&|160;Bernage qui chez son pèreavait ses coudées franches, et qui ne s’était peut-être pas soumiseaussi complètement que pouvaient le faire supposer ses promenadesen voiture avec M.&|160;Ricœur de Montréal.

Ce qu’il y avait de certain, c’était qu’on nel’avait pas convoquée à ce conseil de famille en plein vent, ettrès probablement on y traitait des sujets qui passaient sacompétence.

La discussion se prolongeait, mais peu à peuelle devint moins animée. Mme&|160;de&|160;Cornuel, sansgesticuler et sans élever la voix, produisit sans doute desjustifications qui calmèrent son vieil ami Bernage, car il cessa depérorer pour l’écouter avec une attention soutenue et elle finitpar tenir le dé de la conversation, c’est-à-dire qu’à elle seule,elle parlait beaucoup plus que ses deux interlocuteurs, car lefutur gendre se taisait et le futur beau-père risquait par ci, parlà, quelques objections, pendant qu’elle exposait un plan quivraisemblablement leur souriait.

Scaër bénissait le hasard qui l’avait conduitlà tout à point pour surprendre ce trio en flagrant délit deconciliabule, et s’il n’avait rien entendu, il comptait bien mettreà profit ce qu’il avait vu.

Les gens qu’il épiait ne s’étaient pas encoredoutés de sa présence et il ne craignait pas qu’ils ledécouvrissent dans son embuscade, car ils n’auraient pas pu passerde front dans l’étroite allée où il se tenait, et si, parimpossible, ils avaient pris ce chemin pour s’en aller, il en eûtété quitte pour s’accouder sur ses genoux en baissant le nez et encachant son visage.

En prévision de ce cas et afin d’essayer cetteposture, il s’était mis à tracer avec le bout de sa canne des rondssur le sable.

Le colloque prit fin et les causeurs seséparèrent. Bernage et le soi-disant Canadien regagnèrent la grandeallée centrale qui traverse le parc d’un bout à l’autre, tandis queMme&|160;de&|160;Cornuel, prenant une direction toutopposée, s’acheminait vers le boulevard de Courcelles.

Évidemment, ils s’étaient mis d’accord avantde clore l’entretien et ils allaient maintenant agir deconcert.

Hervé les laissa s’éloigner, et vingt minutesaprès leur départ, il s’en alla, sans se presser, par l’avenueHoche, qui s’appelait alors l’avenue de la Reine-Hortense.

Il avait pris ce chemin afin d’éviter derencontrer les conjurés qui venaient de se disperser, et comme rienne le pressait, il monta jusqu’à la place de l’Étoile pour rentrerdans Paris en descendant l’avenue des Champs-Élysées.

Elle regorgeait d’équipages, de cavaliers etde promeneurs élégants, cette magnifique avenue par laquelledevaient passer, l’année suivante, les Allemands vainqueurs.

Personne alors ne songeait à la guerre etParis n’avait jamais été si brillant. On se ruait au plaisir, commesi la fin du monde eût été proche, et pourtant nul n’avait lepressentiment des malheurs qui allaient fondre sur la France.

Hervé moins que tout autre, et, en ce moment,il pensait beaucoup plus au présent qu’à l’avenir.

Il cherchait à deviner ce que ses troisennemis avaient pu se dire pendant cette conférence au parc Monceauet surtout ce qu’ils allaient faire.

Certainement, ils venaient d’arrêter un plande campagne et ils ne perdraient pas de temps pour l’exécuter.

Mme&|160;de&|160;Cornuel devaitcoopérer à l’exécution, ce n’était pas douteux. Peut-être mêmeétait-ce elle qui l’avait conçu, ce plan adopté, après discussion,par ses deux complices.

Ils lui avaient reproché d’abord une faussemanœuvre, mais elle s’était disculpée, et elle en avait proposéd’autres qui répareraient l’erreur commise et qui assureraient lesuccès final.

Quel but visaient-ils et contre quiallaient-ils tourner les armes dont ils disposaient&|160;?

Évidemment, contre Scaër et contreMme&|160;de&|160;Mazatlan qui les gênaient&|160;;peut-être aussi contre Alain, que la Cornuel connaissait bien etqui pouvait devenir dangereux&|160;; mais ils ne devaient pas tenirà les exterminer. Ils avaient déjà assez de méfaits à cacher, etils ne supprimeraient pas impunément ces trois personnes comme ilsavaient fait disparaître jadis Héva Nesbitt, sa mère et son oncle.Il leur suffisait de les surveiller.

Leur but, c’était d’effacer les traces descrimes de 1860, en attendant que la dixième année fût révolue.

Il s’en fallait de quelques mois seulement et,après, ils n’auraient plus rien à redouter de la justice.

Ces traces, on les trouverait dans la maisonde la rue de la Huchette, si l’incendie ne les avait pasanéanties.

C’était là que les coupables allaientopérer.

Il s’agissait de les gagner de vitesse.

Ces raisonnements occupèrent Hervé jusqu’àl’heure où il dut songer à ne pas manquer le rendez-vous pris avecAlain Kernoul.

Il dîna seul dans un restaurant desChamps-Élysées, peu fréquenté pendant l’hiver&|160;: il dînalonguement, et, réconforté par un repas arrosé de grands vins, ilse dirigea par les quais vers le pont de la Tournelle.

La nuit était noire et le temps s’étaitrefroidi. Hervé cheminait à contre vent sur des quais exposés àtoutes les bises. Il avait déjà beaucoup marché dans la journée etle trajet lui parut long.

Il pestait même contre Alain qui lui avaitdonné rendez-vous à l’autre bout de Paris, alors qu’il aurait puchoisir le fond de la place du Carrousel aussi désert, le soir, queles dessous du pont de la Tournelle et moins périlleux. Il se ditpourtant que le gars aux biques ne faisait rien sans réflexion etqu’il devait avoir eu de bonnes raisons pour préférer les bords dela Seine.

Hervé, du reste, s’était précautionné dès lematin contre les inconvénients et contre les dangers d’uneconférence nocturne sur une berge écartée, en plein hiver. Ils’était vêtu chaudement, il avait mis dans sa poche un revolverchargé et il tenait à la main une canne solide.

Ainsi équipé, il pouvait braver lesintempéries et il ne craignait personne.

Il était d’ailleurs décider à jouer sa vie,s’il le fallait, pour atteindre son but qui était de démasquer lesassassins d’Héva en découvrant la preuve matérielle de leurcrime.

Il arriva sans incident à la pointe de l’îleSaint-Louis et dix heures sonnaient à l’horloge de l’Hôtel de Villequand il s’engagea sur le quai d’Orléans, qui précède le quai deBéthune.

À dix heures du soir, le boulevard desItaliens est aussi animé qu’en plein jour, mais dans l’îleSaint-Louis, tout le monde dort. Pas une boutique ouverte, si tantest qu’il y ait des boutiques sur ce quai où les chalands sontrares, pas une fenêtre éclairée, pas un passant attardé.

La rivière même était silencieuse et sombre.La navigation cesse aussitôt que le soleil est couché et à bord desbateaux amarrés le long des rives, les mariniers éteignent leursfalots à l’heure où jadis on sonnait le couvre-feu.

–&|160;Allons&|160;! se dit Hervé, personne nedérangera notre entrevue… et ce n’est pas ici comme au parcMonceau… on ne pourra pas nous épier sous l’arche, comme j’ai épiétantôt ces coquins sous l’orme… il me paraît qu’il y fait noircomme dans un four, sous ce pont… Pourvu que le gars ne se fassepas attendre&|160;!…

Le seigneur de Scaër monologuait ainsi endescendant la rampe qui allait du quai à la berge. Quand il fut aubas, il lui sembla voir quelque chose remuer dans l’ombre projetéepar le pont et il mit la main sur son revolver.

Mais un appel connu des Bretons frappa sonoreille&|160;: le chant du hibou, qui fut le cri de ralliement desChouans et qu’on n’entend jamais à Paris.

Hervé comprit que c’était Alain quis’annonçait ainsi et il ne se trompait pas, car le gars aux biques,sortant de son embuscade sous la voûte, s’avança vivement à larencontre de son maître.

–&|160;Comment diable&|160;! t’y es-tu prispour me reconnaître&|160;? lui demanda Hervé. On n’y voitgoutte.

–&|160;J’y vois la nuit comme leschats-huants, répondit Alain.

–&|160;Et tu les imites dans la perfection. Tuas bien fait de chanter, car je te prenais pour un rôdeur et je mepréparais à te recevoir en te brûlant la figure, dit Scaër enexhibant son revolver.

–&|160;Je l’ai bien pensé et c’est pour ça queje me suis annoncé de loin. Il pourra servir, votre pistolet.

–&|160;Contre qui&|160;? Est-ce qu’on t’asuivi&|160;?

–&|160;Je ne crois pas, mais là où nousallons, il fera bon être armé. J’ai apporté une trique…

–&|160;Où veux-tu donc me mener&|160;?

–&|160;Dans la maison brûlée, notre maître.N’était-ce pas convenu&|160;?

–&|160;Tu as découvert un moyen d’yentrer&|160;?

–&|160;Un moyen sûr. J’ai passé toute la nuitdernière dans la cour. Ah&|160;! je n’ai pas perdu mon temps depuisque je vous ai quitté sur la place Vendôme&|160;! D’abord, j’aitrouvé un logement rue des Grands-Degrés, tout près de la rue de laHuchette… et puis je me suis habillé comme vous voyez.

Le gars aux biques portait, sous une limousinede roulier, un bourgeron bleu serré à la taille par une ceinturerouge qui maintenait un pantalon de velours à l’instar descharbonniers auvergnats, il avait chaussé de gros souliers à clouset il s’était coiffé d’un chapeau à larges bords comme les forts dela halle.

–&|160;Je gagerais que le chef de lafiguration du Châtelet ne me reconnaîtrait pas, s’il passait à côtéde moi dans la rue, reprit Alain.

–&|160;C’est très bien, mais…

–&|160;Je me suis pouillé comme çapour faire des connaissances dans le quartier… autour de la placeMaubert… et j’en ai fait… j’ai aidé les maraîchers qui viennent aumarché à décharger leurs voitures et les débardeurs du quai de laTournelle à décharger les bateaux… j’ai fréquenté labibine de la rue des Anglais.

–&|160;La bibine&|160;? répétaScaër.

–&|160;Oui, c’est un cabaret où il n’y a quedes ivrognes et des voleurs.

–&|160;Et pourquoi mènes-tu cette jolievie&|160;?

–&|160;Pour faire peau neuve… et j’y airéussi. Je vais et je viens rue de la Huchette… je passe sous lenez de cette crémière qui m’a dénoncé et elle ne me regardeseulement pas.

–&|160;Comment as-tu pu t’introduire dans lamaison et y coucher&|160;?

–&|160;Y coucher, ça n’est pas le mot. Je suisresté assis toute la nuit sur un tas de moellons et je n’ai pasdormi une minute. Voilà ce que c’est… depuis deux jours, lessergents de ville sont partis et on a mis là pour garder lesdécombres un vieux cantonnier qui a été soldat. Il aime à boire etje lui ai payé des litres chez le marchand de vins… nous sommesmaintenant une paire d’amis. Hier soir, je me suis arrangé pour lerencontrer, comme il arrivait prendre sa faction et je lui aidemandé s’il voulait me permettre de me chauffer au feu qu’ilallume au milieu de la cour… J’avais dans ma poche une bouteilled’eau-de-vie que je lui ai montrée… Il a bu tant qu’il a voulu etil ne demande qu’à recommencer.

–&|160;Alors, tu crois que, moi aussi…

–&|160;Si vous arriviez avec moi, il seméfierait à cause de vos beaux habits. Il faudra attendre qu’ilsoit ivre-mort. Ça ne sera pas très long. Et quand il n’aura plussa connaissance, je viendrai vous chercher. On a posé une barrièreà la place de la porte qui a brûlé, mais je sais l’ouvrir… et jevous l’ouvrirai.

–&|160;Ce soir&|160;?

–&|160;Dans une heure, si vous voulez, car unefois que nous serons dans la maison, nous aurons de la besogne, etce ne sera pas trop du reste de la nuit pour y faire des fouilles.C’est le bon moment pour y aller.

–&|160;N’est-ce pas trop tôt&|160;?

–&|160;Non, notre maître. Les débits ferment àdix heures… personne ne nous verra… et d’ailleurs, vous resterez unpeu en arrière quand nous approcherons de la maison… vousm’attendrez dans la rue du Chat-qui-Pêche, et pour saouler le pèreCrochet, il ne me faudra pas plus de trente à quarante minutes… Onboit dur au pardon de Trégunc, mais jamais je n’ai vuboire comme ce vieux-là… il viderait un litre de trois-six d’uncoup… il n’a pas besoin du gobelet… il avale ça à larégalade.

–&|160;Pourvu qu’on ne l’ait pas remplacédepuis hier&|160;?…

–&|160;Non… non… je l’ai rencontré tantôt, àla brune, dans la rue de la Bûcherie… il s’en allait à son poste etil voulait m’emmener avec lui… il a fallu que je lui promette devenir lui dire bonsoir quand j’aurais fini ma journée. Il comptesur une autre tournée d’eau-de-vie et je suis sûr qu’il languitdéjà de ne pas me voir arriver.

–&|160;Partons, alors&|160;! Le chemin estlibre, je suppose&|160;?

–&|160;Voyez&|160;! notre maître… pas uneâme&|160;!… nous sommes seuls…

–&|160;Non. Il y a quelqu’un là-haut.

Les becs de gaz du quai éclairaient le busted’un homme accoudé sur le parapet du pont.

–&|160;Oh&|160;! murmura Kernoul, c’est unbourgeois qui prend l’air.

L’homme disparut et Alain reprit&|160;:

–&|160;Le voilà parti, il ne s’occupait pas denous, et je crois bien qu’il ne nous a pas vus. Il faudrait qu’ileût de bons yeux.

–&|160;Les mouchards en ont d’excellents.

–&|160;Pas meilleurs que les miens, notremaître, et j’ai eu beau les ouvrir depuis trois jours, je n’ai vupersonne sur mes talons. Si la police faisait suivre quelqu’un, cene serait pas vous, ce serait moi. Et puisqu’on ne m’a pas suivi,nous pouvons marcher.

–&|160;Eh bien&|160;! marchons&|160;! ditHervé.

Il reprit vivement, comme un homme qui seravise tout à coup&|160;:

–&|160;Et ton épaule démise&|160;!… Tu n’asplus le bras en écharpe&|160;?

–&|160;Non, Dieu merci&|160;!… Je ne m’en serspas encore comme auparavant, mais ça ne tardera pas et, enattendant, je m’apprends à manier mon bâton de la main gauche.

–&|160;Tu ferais mieux de te soigner.L’interne te l’a recommandé.

–&|160;Je me soignerai quand nous en auronsfini avec ces faillis chiens.

–&|160;Alors, en route&|160;!

Le maître et le serviteur remontèrent ensemblesur le quai, traversèrent le pont où il n’y avait plus personne etsuivirent le quai de la Tournelle jusqu’à l’entrée du pont del’Archevêché.

Là, Alain, tournant à gauche, s’engagea dansune petite rue en pente.

–&|160;C’est ici que je loge, dit-il enmontrant du doigt une maison noire et une porte bâtarde au-dessusde laquelle se balançait une lanterne jaune portant cetteinscription&|160;: «&|160;Ici, on loge à la nuit.&|160;»

Hervé se dit que le gars aux biques avait éludomicile dans une véritable souricière où il était sans cesseexposé à une visite de police, mais il garda sa réflexion pourlui.

La rue des Grands-Degrés qu’ils avaient prisedonne dans la rue de la Bûcherie, qui aboutit à la rue de laHuchette dont elle n’est que le prolongement.

–&|160;Vous voyez que nous ne serons pasdérangés, notre maître, dit Alain quand ils arrivèrent devant laruelle du Chat-qui-Pêche. Je vais filer devant, et d’ici à troisquarts d’heure, je reviendrai vous chercher, si ça ne vous fait pasde peine de m’attendre.

–&|160;J’attendrai tout le temps qu’il faudra.Tu as donc apporté de quoi saouler ton homme&|160;?

Alain montra une bouteille qu’il avait cachéedans sa ceinture et prit les devants pendant que son maîtres’embusquait contre la clôture en planches qui barrait l’entrée dela petite rue.

La position n’avait rien d’agréable, car lefroid devenait de plus en plus piquant, et Scaër, tout en piétinantpour se réchauffer, se prit à souhaiter que sa faction ne seprolongeât pas trop. Il était solide et il en avait supporté biend’autres quand il chassait en battue dans sa forêt de Carnoël, maisil n’était pas invulnérable et une fluxion de poitrine n’aurait pasavancé ses affaires.

Il avait adopté sans discussion le plan dugars aux biques, mais il ne se croyait pas assuré du succès. Iln’en admirait pas moins la hardiesse et la fertilité d’invention dece Cornouaillais, si vite dégrossi par six mois de figuration surun théâtre et si bien trempé par le malheur qui venait de lefrapper.

Alain ne parlait plus de Zina, mais il ypensait sans cesse, et c’était la résolution prise de venger lamort de sa femme qui faisait de lui un auxiliaire aussi ingénieuxqu’intrépide.

Il reparut, comme il l’avait dit, au bout dequarante minutes et, sans dire un mot, il fit signe à Hervé de lesuivre le long de la palissade qui bordait les ruines du côté de larue de la Huchette, et qui présentait, en face de l’entrée de lamaison, une solution de continuité, tout juste assez large pourqu’un homme pût y passer.

Alain s’y glissa et Hervé s’y glissa aprèslui.

L’allée par laquelle on entrait dans la maisonavant l’incendie avait maintenant l’aspect d’une brèche ouverte parle canon dans la muraille d’une forteresse.

La porte avait disparu, le plafond s’étaiteffondré, l’escalier n’était plus qu’un amas de planchescarbonisées&|160;; des débris de toutes sortes obstruaient lepassage, mais l’accès de la cour n’était pas impossible. Il nes’agissait que de franchir ou de tourner ces obstacles, et Alain,qui connaissait le chemin, servit de guide à son maître jusqu’aubout du couloir.

Là, on avait fixé une barrière mobile et on yavait mis un cadenas&|160;; précaution inutile, car on aurait pufaire sauter d’un coup de pied cette clôture fragile.

Alain n’eut pas besoin de recourir à ceprocédé violent. Le gardien lui avait ouvert, quand il s’étaitprésenté en brandissant la bouteille d’eau-de-vie, comme unparlementaire arbore un drapeau blanc aux avant-postes. Et lecadenas, non refermé, pendait, avec sa clef, accroché, en dedans, àla barrière.

Après avoir fait passé son maître, le gars auxbiques, pour se préserver d’une surprise, s’empressa de remettre lecadenas en place.

C’est ce qu’on appelle, en termes destratégie, assurer ses derrières.

Alain pensait à tout.

Scaër se retrouva dans cette cour carrée qu’ilavait déjà vue et qu’il eut quelque peine à reconnaître, encombréede moellons et de plâtras, qui formaient de véritablesbarricades.

Par cette nuit noire, Scaër n’aurait riendistingué, mais la lueur d’un foyer placé au centre du quadrilatèreéclairait à demi les bâtiments éventrés.

Ces vulgaires constructions, noircies, rôties,percées à jour, avaient pris des aspects de ruines antiques.

C’est un effet assez fréquent des grandsincendies.

Le palais de la Cour des comptes, brûlé parles communards, a maintenant l’aspect d’un monument de la vieilleRome, détruit par les barbares.

–&|160;Il est là, derrière ce tas de pierres,dit Alain, il a sifflé le litre comme il aurait sifflé un petitverre, il dort comme une brute et il va cuver son trois-six jusqu’àdemain matin. Venez voir ça, notre maître.

Il fallut passer par-dessus des monceaux dedécombres pour arriver jusqu’à l’ivrogne, étendu sur le ventre, àcôté du brasier qu’il avait allumé pour se chauffer avec despoutres arrachées des planchers et des persiennes tombées.

Il tenait encore à la main le goulot de labouteille vide.

Ce gardien autorisé n’avait pas du tout l’aird’un ancien militaire. Il était vêtu à peu près comme un rôdeur debarrières et Scaër s’étonna qu’on eût choisi un pareil chenapanpour surveiller la maison incendiée, au lieu de charger de cettemission de confiance quelque brave pensionnaire de l’hôtel desInvalides.

C’est une faveur assez recherchée par cesvieux guerriers, accoutumés à bivouaquer. Ils gagnent ainsi de quois’acheter du tabac et ils font consciencieusement leur devoir.

Pourquoi donc avait-on préféré ce drôle qui selaissait payer à boire par le premier venu et qui s’enivrait sifacilement&|160;?

Près de lui, on sentait l’eau-de-vie à pleinnez, comme s’il se fût amusé à arroser d’alcool les débris surlesquels il se vautrait.

–&|160;Es-tu bien sûr qu’il dort&|160;?demanda Scaër à demi-voix.

–&|160;Un coup de canon ne le réveilleraitpas… Voyez plutôt, répondit Alain en le poussant du pied.

L’ivrogne ne bougea pas, et Hervé revint del’idée qui lui était venue à l’esprit. Il avait cru un instant quecet homme était un mouchard déguisé et qu’il faisait semblant dedormir pour les espionner.

Rassuré maintenant, il ne songea plus qu’àvisiter les ruines où il espérait trouver les preuves qu’ilcherchait.

Les rez-de-chaussée étaient seuls accessibles,car le feu avait détruit tous les escaliers qui conduisaient auxétages supérieurs.

Hervé, pour diriger ses recherches, nepossédait comme point de repère que les indications qui figuraientsur le carnet volé.

Il l’avait sur lui, ce carnet, et il sefaisait fort de reconnaître, en la comparant au dessin qui lareprésentait, la chambre où une croix rouge marquée au crayonindiquait le point où il fallait chercher.

Mais si cette chambre était au premier étage,elle était inaccessible à des explorateurs qui n’étaient pas munisd’échelles.

Et puis, dans lequel des quatre corps de logisqui entouraient la cour se trouvait-elle&|160;? Rien ne l’indiquaitsur le croquis. Le plan tracé sur un autre feuillet de l’agendasemblait désigner le côté de la rue Zacharie, mais ce n’était pastrès clair, et Hervé, incertain, ne se pressait pas de donner sesordres à Alain, qui avait tout l’air de les attendre. Il sedemandait aussi comment ils s’y prendraient pour reconnaître dansles ténèbres l’endroit signalé, car il n’avait pas pensé à apporterde quoi s’éclairer.

«&|160;On ne s’avise jamais de tout.&|160;»C’est un proverbe dont le gars aux biques, en cette circonstance,démontra la fausseté.

–&|160;Voilà ce qu’il nous faut, dit-il enramassant une lanterne que l’ivrogne avait posée sur le pavé. Elleest garnie d’huile pour brûler toute la nuit&|160;; nous n’auronspas la peine de l’allumer puisque le père Crochet a pris ce soinet, si elle venait à s’éteindre, j’ai dans ma poche de quoi larallumer.

–&|160;Bon&|160;! dit Hervé, mais par oùcommencerons-nous l’inspection&|160;?

–&|160;Si vous m’en croyez, notre maître, nouscommencerons par le bâtiment où j’ai vu de la lumière, une nuit,cet hiver. J’ai dans l’idée que le secret est là.

–&|160;Parbleu&|160;! tu as raison… ceux qui ysont venus devaient connaître la cachette… je suppose qu’ils sontentrés par la rue Zacharie, mais nous ne pouvons pas faire commeeux. Par où passerons-nous&|160;?

–&|160;Par une brèche que je connais. Hier,j’ai fait le tour de la cour… le mur est tout crevassé de cecôté-là et j’y ai découvert un trou, juste à hauteur d’homme… nousn’aurons besoin ni de grimper, ni de nous mettre à quatrepattes.

–&|160;Très bien. Montre-moi le chemin, mongars.

–&|160;Venez, notre maître.

Alain tenait la lanterne&|160;; il l’éleva àbout de bras pour guider Scaër qui suivit ce fanal, et tantôtlouvoyant, tantôt escaladant, car le chemin était parseméd’entassements de décombres, ils arrivèrent non sans peine à lamuraille indiquée par le Cornouaillais.

Si elle tenait encore debout, c’était bien parmiracle, car la violence du feu concentré dans l’intérieur dubâtiment l’avait trouée par places, comme auraient pu le faire desboulets de canon.

La maison, bâtie, comme on dit, de boue et decrachat, n’avait pas résisté à un incendie, évidemment préparé etalimenté par des gens intéressés à la détruire.

Ils y avaient à peu près réussi, et il nefaisait pas bon s’aventurer sous ses ruines branlantes quimenaçaient de s’écrouler d’un instant à l’autre.

Scaër n’était pas homme à reculer, et il passaaprès Alain qui venait d’entrer par la crevasse.

Ils se trouvèrent dans une salle basse dontils n’apercevaient pas le fond et où ils respiraient une odeurinfecte, l’odeur du pétrole répandu à profusion.

Le feu avait commencé là, ce n’était pasdouteux, et il avait fait de terribles ravages.

Les planchers des étages supérieurs avaientété consumés&|160;; le toit s’était effondré. À la place du corpsde logis, il ne restait plus que le vide sous le ciel, quelquechose comme un immense puits, dont les murs calcinés formaient lesparois.

Le sol était couvert de cendres noires où onenfonçait jusqu’à la cheville. Peut-être avait-on entassé là desmeubles ou des bois de construction qui avaient flambé jusqu’à ladernière parcelle.

Comment se reconnaître dans ce localbouleversé par l’incendie&|160;? Les cloisons qui le divisaientsans doute avant la catastrophe n’existaient plus. Il ne restaitpas le moindre vestige de la chambre dessinée sur le carnet.

Et pourtant, elle avait dû être là, toutl’indiquait. Ce n’était pas sans motif qu’on y avait préparé lefoyer de l’incendie. On voulait anéantir, avant tout le reste, cecôté de l’édifice, parce qu’il recelait la preuve matérielle ducrime de 1860. On espérait qu’il n’y resterait pas pierre surpierre et que tout disparaîtrait dans un écrasement général.

On s’était trompé, puisque des pans de mursétaient restés debout. Et s’il fallait s’en rapporter aux signesfigurés sur le carnet, c’était précisément dans l’épaisseur d’unmur qu’on avait caché… quoi&|160;?… un trésor ou uncadavre&|160;?…

Un trésor, c’était peu probable, et Hervé nes’expliquait pas d’où lui était venue cette idée qui lui avait uneou deux fois traversée la cervelle. Pourquoi l’aurait-on laissé làce trésor, au lieu de le transporter en lieu sûr avant de brûler lamaison&|160;?

Tout laissait supposer, au contraire, qu’onavait maçonné dans une des murailles le corps d’une victime&|160;:celui de Georges Nesbitt, peut-être, de Georges Nesbitt quepersonne n’avait vu depuis dix ans&|160;; ou ceux de sa nièce et desa belle-sœur, disparues depuis longtemps.

Quoi qu’il en fût, un crime devait avoir étécommis là. Il s’agissait d’en retrouver la trace et c’étaitmalaisé.

Ils commencèrent par faire le tour de lasalle, Alain portant la lanterne et la promenant le long desmurailles pendant que son maître, le carnet à la main, comparaitles indications avec les pans de murs qu’ils inspectaientsuccessivement.

Au fond, tout au fond, du côté du quai, ilsfinirent par en rencontrer un qui avait résisté, parce qu’il étaitplus massif et plus solidement construit.

L’emplacement paraissait correspondre à lacroix au crayon rouge marquée sur le plan.

Il y avait eu là des meubles scellés au murpar des crampons de fer qu’on voyait encore, des meubles que le feuavait réduits en cendres et qui avaient bien pu masquer unecachette.

En y regardant de plus près, Hervé s’aperçutque le plâtre effrité laissait à découvert une surface lisse d’uneteinte plus foncée, et en y portant la main, il sentit que sous leplâtre il y avait une plaque en fer.

Il la heurta du poing et il lui sembla qu’ellesonnait creux.

–&|160;Nous y sommes, dit Alain.

Hervé n’en doutait pas, mais il ne suffisaitpas d’avoir découvert la cachette&|160;; il restait à savoir cequ’elle contenait et comment forcer la clôture métallique qui laprotégeait&|160;?

Alain, qui avait prévu tant de choses, n’avaitpas songé à se munir d’un levier pour la soulever ou d’un marteaupour la briser.

L’expédition était à recommencer.

Mais c’était quelque chose que d’avoir reconnula place où il fallait fouiller. Il ne s’agissait plus que derevenir la nuit prochaine et d’apporter cette fois de bonsoutils.

Le maître et le serviteur tinrent conseil. Ilstombèrent bientôt d’accord qu’il n’y avait rien à faire pour lemoment et que rien ne les empêcherait de risquer une nouvelletentative qui serait certainement couronnée de succès.

Avant de battre en retraite, Scaër voulutachever d’explorer ce rez-de-chaussée où ils auraient à opérer lelendemain.

Ils passèrent derrière le mur creux, par uneouverture qui, avant l’incendie, était fermée par une porte, et enavançant, Alain, qui marchait le premier, sentit tout à coup leterrain manquer sous ses pas et n’eut que le temps de se rejetervivement en arrière pour ne pas disparaître dans un trou.

Hervé, qui le suivait de près, le reçut dansses bras et le remit d’aplomb en lui demandant sur quoi il venaitde trébucher.

–&|160;J’ai mis le pied sur la première marchede l’escalier d’une cave, répondit le gars aux biques.

Et abaissant la lanterne qu’il n’avait paslâchée, il montra à son maître une ouverture béante, au ras dusol.

–&|160;Il y avait là une trappe et la trappe abrûlé, reprit-il. J’ai bien manqué rouler jusqu’au fond, carl’escalier me fait l’effet d’être à pic et je serais resté sur lecoup.

–&|160;Il serait bon de savoir où il aboutit,cet escalier, dit Scaër. Si nous y descendions&|160;?…

–&|160;Nous arriverions dans un caveau où leslocataires, quand il y en avait, serraient leurs provisions… ça nenous avancerait pas beaucoup.

–&|160;Je me figure qu’il y a là un souterrainqui a une sortie dans la rue. Cette maison n’est pas une maisoncomme une autre et les gens qui la laissaient à l’abandon devaientavoir un moyen d’y pénétrer sans être vus.

–&|160;Ma foi&|160;! c’est bien possible, etsi vous y tenez…

Alain n’acheva pas. Son maître lui ferma labouche en lui disant de prêter l’oreille.

Des bruits montaient des profondeurs dusous-sol&|160;; des bruits confus et intermittents&|160;; desbruits de pas et des bruits de voix. On marchait et ons’arrêtait&|160;; on parlait et on se taisait.

–&|160;Tu entends&|160;? murmura Scaër, onvient par là…

–&|160;C’est vrai… la police, peut-être…Allons-nous-en, notre maître… nous aurons le temps de filer par lacour.

–&|160;Non… je veux voir qui c’est…cachons-nous et attendons, dit Hervé en entraînant Alain de l’autrecôté du mur de séparation.

Il l’emmena jusqu’à la brèche par laquelle ilsétaient entrés et par laquelle ils pouvaient sortir.

–&|160;Éteins ta lanterne, lui dit-il toutbas.

Le gars aux biques obéit enmurmurant&|160;:

–&|160;J’ai en poche de quoi la rallumer.C’est tout ce qu’il faut.

Ils se collèrent contre la muraille et ils nebougèrent plus.

Dans la cour, le feu que l’ivrogne avaitallumé pour se chauffer ne flambait presque plus et la clarté quiaurait pu trahir leur présence se mourait.

Ils étaient protégés par l’obscurité&|160;;leur ligne de retraite était assurée&|160;; en cas d’attaque, Hervéavait son revolver et Alain son bâton. Ils étaient donc en état dese défendre, et en mesure de se dérober&|160;: à leur choix.

Ils n’attendirent pas longtemps. Parl’ouverture béante au bout du mur de séparation, un homme passa,puis un autre, chacun d’eux tenant à la main une lanterne sourde,c’est-à-dire fermée de trois côtés par des cloisons opaques etn’éclairant que par sa quatrième face.

C’est un ustensile à l’usage des voleurs, etces gens avaient bien les allures de malandrins qui viennent faireun mauvais coup.

Ils avançaient à pas de loup, mais ilssavaient très bien ce qu’ils voulaient, car, sans hésiter et sanstâtonner, ils tournèrent court et ils s’arrêtèrent devant la plaquedont Hervé avait reconnu l’existence, un instant auparavant.

Eux aussi venaient pour la cachette et ilsn’avaient pas eu besoin de la chercher. Ils y étaient allés toutdroit.

Ils commencèrent par poser au pied du murleurs lanternes, sans songer à s’en servir pour inspecter lesprofondeurs de la salle.

Ils se croyaient bien sûrs d’être seuls.

Scaër ne pouvait pas voir les visages restésdans l’ombre, mais à la taille et à l’encolure, il lui semblareconnaître M.&|160;de&|160;Bernage et son futur gendre.

S’il lui était resté quelques doutes sur leurparticipation aux crimes de 1860, leur présence en ce lieu et àcette heure les aurait dissipés.

Hervé s’expliquait maintenant la pantomime àlaquelle il avait assisté de loin dans le parc Monceau. C’était laCornuel qui leur avait conseillé cette expédition nocturne et ilsn’avaient pas perdu de temps pour l’entreprendre.

Mais, pourquoi venaient-ils&|160;? Pourvisiter la cachette, sans doute, et il devenait probable qu’ellecontenait un trésor qu’ils voulaient emporter. Sans quoi, ilsn’auraient pas pris tant de peine.

Ce trésor, Scaër n’avait aucune envie de leleur disputer. Il lui suffisait de les voir opérer et de savoir cequ’ils allaient en faire.

Il ne s’agissait pour cela que de prendrepatience, car ils paraissaient disposés à aller vite enbesogne.

L’un d’eux, le plus petit, tira de sa poche unoutil qui pouvait bien être un ciseau à froid et se mit avec ardeurà desceller la plaque en pratiquant des pesées de place enplace.

L’autre se contentait de surveiller le travailet de donner des indications en désignant les points où le métal sesoulevait sous l’effort de l’outil manié par des mainsvigoureuses.

Au bout de dix minutes, la plaque détachée dumur commençait à céder sous la pression du poids qui pesait surelle de l’intérieur et elle ne tarda guère à s’abattre sur lestravailleurs en entraînant dans sa chute un corps plus volumineuxque consistant.

Quelque chose comme un mannequin, ayant formehumaine, et ce mannequin resta étendu à plat sur le plancher de lasalle, au milieu d’un nuage de poussière.

Ceux qui l’avaient déniché levèrent aussitôtleurs lanternes pour examiner la cachette vide et, de son posted’observation, Scaër put voir qu’elle était peu profonde.

On avait creusé le mur tout juste assez pour yloger un cadavre.

Ils se mirent ensuite à attacher avec unecorde qu’ils avaient apportée ce pauvre corps qui n’était plusqu’un squelette habillé et, quand ce fut fait, ils s’y attelèrent,en ayant soin de ne pas oublier les lanternes.

Ils en avaient besoin pour s’en aller commeils étaient venus, et de plus, ils tenaient à ne pas laisser detraces de leur passage.

Où allaient-ils ainsi et qu’allaient-ils fairedu cadavre&|160;? S’ils l’avaient enlevé, ce n’était certes paspour l’enterrer ailleurs.

Hervé pensa que c’était peut-être pour lebrûler. Mais où auraient-ils procédé à cette opération&|160;? S’ilsl’avaient tentée, ç’eût été sur place, et ils traînaient cestristes restes comme les équarrisseurs traînent un cheval mort.

Hervé résolut de les suivre, non seulementpour savoir à quoi s’en tenir, mais aussi pour constater l’identitéde ces deux voleurs de cadavres.

Il croyait bien les avoir reconnus, et dureste, Bernage et son complice étaient seuls intéressés à fairedisparaître le corps d’une de leurs victimes, mais Hervé tenait àacquérir une certitude.

Il espérait même arriver à un résultat plusdécisif, et c’était cet espoir qui l’avait empêché de se jeter surces scélérats. Ils étaient deux, mais avec l’aide du gars auxbiques, la partie eût été au moins égale. Seulement, il se seraitexposé à manquer son but, qui était de les livrer à la justice. Ilsse seraient défendus et ils devaient être armés. Une bataille àcoups de pistolet dans les ténèbres aurait pu tourner à leuravantage, et s’il y avait eu des tués ou des blessés, Hervé auraitété fort empêché d’expliquer comment il s’était mis dans le cas dejouer du revolver.

Dehors, au contraire, il lui suffisait detirer en l’air pour attirer du monde, peut-être même des sergentsde ville, quoique déjà, dans ce temps-là, on ne les vît pas souventlà où leur présence eût été utile.

Alain avait deviné la pensée de sonmaître.

Alain était prêt. Hervé lui dit tout bas deprendre sa lanterne, sans la rallumer, et ils retrouvèrent sanslumière le passage qu’ils avaient déjà franchi, le passage entre lemur de la cour centrale et le mur de séparation.

Ils retrouvèrent aussi, à fleur de sol,l’ouverture de l’escalier et, cette fois, ils évitèrent d’y tomber,en se servant de leurs bâtons pour tâter le terrain, comme font lesaveugles, avant de mettre un pied devant l’autre.

Scaër voulut absolument passer le premier,quoique le gars aux biques le suppliât tout bas de n’en rienfaire.

En cas de retour offensif des deux coquinsqu’ils suivaient, Scaër tenait à recevoir le choc avant Alain, quin’avait pas encore recouvré complètement l’usage de son brasdroit.

L’escalier était raide, mais il n’était paslong, et après avoir descendu une douzaine de marches, Hervé pritpied sur un terrain plane, toujours dans une obscuritéprofonde.

Il étendit les mains et, de chaque côté, sesmains touchèrent un mur. Au même moment, des bouffées d’air froidlui arrivèrent au visage. Il en conclut qu’il se trouvait dans uncouloir étroit qui aboutissait directement à une issue, mais il nedevinait pas où pouvait déboucher ce chemin creusé à dix pieds encontre-bas du rez-de-chaussée de la maison.

Avant de s’y engager, il écouta avec attentionet il perçut le bruit léger d’un frôlement continu. Les banditscontinuaient à traîner le corps.

Donc, ceux qui les suivaient étaient dans labonne voie, et Hervé hésita d’autant moins à avancer qu’il entrevitun instant un point lumineux.

Sans doute une des lanternes qui, heurtéeinvolontairement contre la muraille, avait pirouetté sur elle-mêmeet présenté en arrière la vitre lumineuse.

Ce n’était qu’un phare à éclipses prolongées,mais il suffisait qu’il eût brillé quelques secondes pour indiquerle chemin aux deux Bretons.

Il s’agissait donc de ne pas trop serapprocher et de marcher tout doucement, car le moindre bruitaurait trahi leur présence.

Il arriva même que Scaër ayant trébuché sur uncaillou, le traînage cessa immédiatement et deux lueursreparurent.

Les voleurs de cadavres avaient entendu ets’étaient arrêtés court. Peut-être allaient-ils revenir sur leurspas. Hervé arma son revolver pour se préparer à les recevoir. Il leleur aurait mis sous le nez, s’ils s’étaient approchés et, en lesmenaçant de leur brûler la cervelle, ils les aurait poussés jusqu’àla sortie.

Il ne fut pas obligé d’en venir à cetteextrémité.

Les deux complices, n’entendant plus rien,crurent sans doute qu’une pierre avait fait ce bruit en sedétachant de la voûte, et ils se remirent en marche avec leursinistre remorque.

Hervé leur laissa prendre un peu d’avance etles suivit en redoublant de précaution.

Alain, toujours muet comme un poisson etmarchant aussi moelleusement qu’un chat, emboîtait le pas à sonmaître.

Il n’en finissait pas, ce corridor. Depuisqu’ils y cheminaient, ils avaient eu trois fois le temps de passersous les murs de la maison incendiée et d’atteindre un autreescalier qui devait remonter au niveau de la rue.

Et, depuis quelques instants, Hervé voyait, enface de lui, des clartés ou plutôt des reflets qui avaient toutl’air d’être ceux de becs de gaz allumés dans le lointain.

Ces reflets s’accentuèrent à ce point qu’ilfut contraint de s’arrêter, sous peine d’entrer dans une zonelumineuse où il eût cessé d’être invisible.

En même temps, il aperçut une grille barrantl’entrée du couloir et les silhouettes des deux bandits sedétachant sur le fond plus clair de l’air extérieur.

Alors, il comprit.

Ce souterrain, creusé sous le quai,aboutissait à la Seine.

Tout s’expliquait. Les deux complices avaientpris ce chemin, connu d’eux seuls, pour être sûrs d’entrer et desortir sans être vus, et ils allaient sans doute jeter le cadavre àla rivière.

Hervé les avait vus distinctement tracasser lagrille et un grincement de ferrailles lui apprit qu’ils l’avaientfermé à clé, derrière eux, après l’avoir ouverte en arrivant, etqu’ils étaient en train de la rouvrir pour s’en aller.

Il ne tenait qu’à lui de les déranger aumilieu de leur opération en tombant sur eux à l’improviste, maisles motifs qui l’avaient empêché de les assaillir dans le corridorle retinrent encore une fois.

Il voulait livrer bataille en plein air, là oùle bruit de la lutte attirerait des agents ou des passants, et nonpas dans un souterrain où même les coups de revolver n’attireraientpersonne.

Il se figurait qu’ils allaient déboucher deplain-pied sur une berge, en contre-bas du quai Saint-Michel.

Ils auraient à traverser cette berge, enremorquant le cadavre pour gagner le bord de l’eau, et ce serait levrai moment de les attaquer, avant qu’ils eussent le temps de lefaire disparaître.

Seulement, il fallait manœuvrer adroitement etlestement, car si, une fois dehors, ils refermaient la grille,Hervé et Alain se trouveraient pris comme dans une souricière.

Et d’autre part, si Hervé se montrait troptôt, les deux coquins se retourneraient contre lui et la luttes’engagerait dans le corridor, ce qu’il voulait éviter.

Il se tint donc coi, mais il se tint prêt, etdu point où il s’était arrêté, il put suivre des yeux tous lesmouvements de ses adversaires, suffisamment éclairés par lesreflets du gaz municipal.

Il les vit éteindre leurs lanternes, pousserla grille qui s’ouvrait du dedans au dehors, s’avancer jusqu’àl’extrême limite du souterrain, tendre le cou, baisser la tête etregarder au-dessous d’eux.

L’ouverture se trouvait donc à une certainehauteur et non pas au niveau de la berge, comme le supposaitScaër.

Qu’allaient faire maintenant les deuxcoquins&|160;? Scaër ne le devinait pas. Il fut très surpris devoir le plus grand se mettre à plat ventre, ses jambes pendant dansle vide, se laisser glisser jusqu’à ce qu’on ne vît plus que satête et finalement disparaître tout à fait.

L’autre, resté à l’entrée du couloir, se mit àpousser le cadavre jusqu’à ce qu’il dépassât le mur, lui fit fairela bascule après avoir pris à deux mains la corde qui l’attachait,laissa filer doucement cette corde, la lâcha quand la tension eutcessé, et s’affala à son tour en manœuvrant de la même façon queson camarade.

Où étaient-ils descendus avec leur répugnantfardeau&|160;? Pour le savoir, Hervé avança et il allait se pencherpour regarder en contre-bas, quand, à sa grande stupéfaction, ilvit émerger le bout d’une gaffe, c’est-à-dire d’une perche terminéepar un croc.

Celui qui tenait l’autre extrémité de cetinstrument à l’usage des mariniers s’en servit pour accrocher undes barreaux de la grille, restée ouverte, et pour essayer de larefermer en lui donnant, d’en bas, une violente impulsion.

Il y serait parvenu plus facilement, s’il eûtopéré avec ses mains, avant de prendre le même chemin que soncomplice, mais il allait certainement y réussir quand même.

Avec une présence d’esprit extraordinaire,Hervé manœuvra pour l’en empêcher, tout en lui laissant croire quec’était fait.

Il empoigna un autre barreau et il tira dansle même sens que le grappin, pendant qu’il plaçait son pied entrela grille et le mur. En même temps, pour imiter le bruit d’un pêneclaquant dans une serrure, il frappait le fer avec le canon de sonrevolver.

La gaffe disparut aussitôt. Le stratagèmeavait réussi. Hervé restait libre de sortir et de poursuivrel’ennemi qui ne se doutait pas de sa présence.

Avant de se lancer, il voulut voir sur quelterrain il allait s’engager, et il s’approcha jusqu’à toucher lagrille entrouverte. Il passa même sa tête par l’entrebâillement, etalors il reconnut l’erreur dans laquelle il était tombé.

La berge qu’il avait rêvée n’existait pas. LaSeine baignait le mur du quai et l’orifice du souterrain setrouvait à deux mètres au-dessus de l’eau.

Les voleurs de cadavre, pour monter et pourdescendre, s’étaient servis des anneaux de fer scellés dans lesoubassement de la muraille, après y avoir amarré l’embarcationdans laquelle ils étaient venus, et cette embarcation, ils sepréparaient à s’en servir pour s’en aller.

Ils y avaient placé le corps, et l’un d’eux,assis à l’avant, tenait déjà les rames, pendant que l’autredétachait la chaîne qui la retenait.

–&|160;Ah&|160;! Monsieur le baron, ils vontnous échapper, si vous ne tirez pas dessus, dit à demi-voix Alainqui était venu sans bruit rejoindre son maître.

Scaër fut bien tenté de suivre le conseil quelui donnait le gars aux biques.

Il avait à la main son revolver tout armé, età cette distance il ne les aurait pas manqués.

Un scrupule le retint, scrupule tardif etexagéré. Il les aurait volontiers attaqués de front&|160;; il luirépugnait de faire feu sur eux comme il aurait fusillé des canardssauvages.

Et puis, il n’avait pas prévu ce dénouementet, faute d’y être préparé, la décision lui fit défaut.

Il se disait aussi que mieux valait voird’abord ce qu’ils allaient faire.

Peut-être gagner le milieu de la rivière et yjeter le cadavre. Ils venaient de pousser au large et ils ramaientvigoureusement.

Le canot qu’ils montaient était taillé pour lacourse et ils avaient l’air de ne pas en être à leur premièrenavigation, car ils manœuvraient comme des membres duRowing-Club.

Et ils savaient parfaitement où ils allaient,car après s’être éloignés de la rive, ils s’étaient mis sanshésiter à remonter la Seine.

Il fallait s’y attendre, car s’ils l’avaientdescendue, ils n’auraient pas tardé à être arrêtés par le barrageétabli au-dessous du Pont-Neuf, et ils ne pouvaient pas songer à sedébarrasser du cadavre dans une écluse où stationnaient de nombreuxchalands habités par des marins d’eau douce.

En amont, au contraire, après avoir dépassé lepoint où les deux bras de la rivière se réunissent, ilstrouveraient de l’espace, en se tenant à égale distance des deuxrives, trop éloignées l’une de l’autre pour qu’on pût, d’un desbords, surveiller leurs mouvements et, quand il leur plairait, ilspourraient débarquer sur une berge déserte.

Ils s’étaient bien gardés de jeter le corpsdevant le quai Saint-Michel, beaucoup trop rapproché de la maisonoù ils l’avaient pris, car ce pauvre corps n’était pas lourd et ilne serait pas resté longtemps au fond de l’eau.

Peut-être se proposaient-ils de l’entourerd’une chemise de plomb pour l’empêcher de remonter à lasurface.

Ces conjectures et ces raisonnements sepressaient dans la cervelle de Scaër, pendant que les assassinsfuyaient en emportant ce qu’on appelle en style judiciaire le corpsdu délit.

Ils avaient déjà fait du chemin et ilsallaient dans un instant passer sous le pont couvert qui reliaitalors les deux corps de logis de l’Hôtel-Dieu et qui allait lescacher dès qu’ils l’auraient dépassé.

Hervé, furieux d’avoir manqué l’occasion,jurait comme un païen.

–&|160;Si j’avais su, je me serais jeté à lanage pour les suivre, dit Alain.

–&|160;Et tu te serais noyé, répliqua lemaître avec humeur. On ne nage pas avec un seul bras… sans compterqu’ils ont deux paires d’avirons et qu’ils savent s’en servir.

–&|160;C’est vrai que je n’ai qu’un bras, maisj’ai deux jambes et je cours bien.

–&|160;Tu ne courras pas sur l’eau.

–&|160;Non, mais je les rattraperai par terre.Le courant est dur et ils ont beau souquer, ils ne vontpas très vite. Il faudra bien qu’ils finissent par aborder… etn’importe où ils aborderont, j’y serai avant eux.

–&|160;Nous y serons, rectifia Hervé. Tu asraison, mon gars, c’est le seul moyen de les prendre… et j’ensuis.

–&|160;Alors, dépêchons-nous, notre maître…Nous allons être obligés de faire le tour par la rue de la Huchetteet pour sortir d’ici, le chemin n’est pas commode… surtout quand onn’y voit goutte… Ah&|160;! je suis bien fâché d’avoir éteint malanterne.

–&|160;Rallume-la.

Alain essaya et s’en repentit, car il perditdeux minutes à frotter des allumettes qui ne s’enflammaient pas surles pierres humides du souterrain.

Il finit par y renoncer en voyant que Scaërs’impatientait, et comme il n’était pas patient non plus, il lança,pour s’ôter l’envie de recommencer, son fanal dans la Seine.

Hervé n’y trouva point à redire. Ilsconnaissaient le chemin pour l’avoir déjà parcouru sans lumière etil ne s’agissait pas de se tirer d’un labyrinthe. Ils n’avaientqu’à aller droit devant eux en tâtant les murailles.

Cette fois, Alain ouvrit la marche, Scaër lesuivit de près et, pour plus de sûreté, s’accrocha à saceinture.

De cette façon, ils ne se perdraient pas enroute.

Ils se hâtaient, mais on ne marche pas si vitedans l’obscurité, et ils n’avaient même plus pour les guider lesfrôlements du traînage et les lueurs intermittentes des lanternessourdes que portaient les deux scélérats qui venaient de leuréchapper.

Il arrivait aussi que le gars aux biquestrébuchait et il s’ensuivait de légers temps d’arrêt qui lesretardaient.

Hervé comptait les minutes et les trouvaitbien longues. Il lui semblait que le premier trajet avait prismoins de temps. Puis il se disait que c’était l’effet ordinaire del’impatience. L’autre voyage lui avait moins duré parce qu’il étaitdistrait par la préoccupation de ne pas perdre la piste desassassins.

–&|160;Nous devrions être déjà arrivés àl’escalier, dit-il entre ses dents.

–&|160;Je crois que nous approchons, murmurale gars aux biques, et c’est ce qui fait que je ne me pressepas&|160;; si je me cognais contre les marches, je me casseraispeut-être une patte et ça n’avancerait pas les affaires. Mais unefois que nous y serons, le reste ira tout seul.

–&|160;Hum&|160;! il y aura encore à franchirles barricades qui encombrent la cour… et le cadenas de la barrièreà ouvrir…

»&|160;Pourvu que l’ivrogne ne se soit pasréveillé&|160;!

–&|160;Pas de danger, notre maître… nous luipasserons sous le nez sans qu’il s’en aperçoive.

Alain cheminait toujours. Tout à coup, ils’arrêta si court que Scaër, qui le tenait par son bourgeron,ressentit le choc et fut repoussé en arrière.

–&|160;Est-ce que nous y sommes&|160;?demanda-t-il.

–&|160;Non… non… ce n’est pas l’escalier… sij’avais butté contre une marche, je me serais cogné les jambes, etc’est le front que je me suis cogné… je n’y comprends rien.

Hervé étendit le bras et ses mainsrencontrèrent une surface moins lisse et moins dure que la plaquede fer qui masquait la cachette.

–&|160;Une porte&|160;! s’écria-t-il&|160;;c’est une porte&|160;! où m’as-tu mené&|160;?

–&|160;Je crois bien que je me suis trompé decorridor…

–&|160;Il y en a donc deux&|160;!

–&|160;Peut-être bien… je ne tâtais le mur qued’un côté… et j’ai eu joliment tort, car je ne me suis pas aperçuque je tournais à droite… c’est bien une porte… je sens le vent quisouffle par le trou de la serrure… et maintenant nous voilàégarés…

–&|160;Que le diable te confonde&|160;! Oùsommes-nous&|160;?

–&|160;Nous devons être du côté de la rueZacharie… et si je pouvais d’un coup de pied abattre cette mauditeporte, nous serions bientôt dehors.

–&|160;Oui, dit Scaër avec humeur, mais elleest solide et tu ne réussiras pas à l’enfoncer. Tâchons deretrouver le chemin de l’escalier.

–&|160;Nous ne devons pas en être loin, etcette fois je ne me tromperai pas. C’est égal&|160;!… nous n’avonspas de chance… il n’y a peut-être qu’une porte qui n’ait pas brûléet nous sommes venus justement nous casser le nez contrecelle-là&|160;!

–&|160;Marche donc, au lieu de bavarder. Nousperdons du temps.

–&|160;Nous allons le rattraper, notremaître.

Hervé, moins optimiste que son fidèleCornouaillais, n’espérait plus guère rejoindre les voleurs decadavre, et commençait à regretter de n’avoir pas fait feu sur eux,au moment où ils s’étaient embarqués. Il lui semblait dur de perdreune partie si bien jouée et de la perdre par sa faute. Il avait ététrop prudent, lui qui ordinairement péchait par l’excèscontraire.

Et il envisageait déjà toutes les conséquencesde sa mésaventure. La preuve matérielle du crime avait disparu. Lesassassins l’avaient enlevée sous ses yeux.

Ils allaient évidemment jeter à la rivière lecorps qu’ils venaient de retirer de la cachette creusée dans lamuraille et, pour le repêcher, il aurait fallu draguer laSeine.

Encore n’aurait-on retiré que des restesméconnaissables, en supposant qu’on les retrouvât.

Et, ces restes, on les aurait portés à laMorgue sans les y exposer. À quoi bon&|160;? Ils n’avaient, sansdoute, plus figure humaine et on ne reconnaît pas des ossementsrecouverts de vêtements en lambeaux.

Les journaux ne parleraient pas de cettelugubre trouvaille et, s’ils en parlaient, personne n’y feraitattention.

On n’ouvrirait pas une enquête qui ne pouvaitpas aboutir. La justice ne s’occupe guère que des crimes récents,parce qu’elle espère découvrir les coupables, et les forfaits deTroppmann, qui venait de montrer sur l’échafaud, avaient lassé lacuriosité des Parisiens.

C’était Bernage et son complice qu’il auraitfallu surprendre en flagrant délit, dans la maison de la rue de laHuchette, et maintenant ils étaient loin.

Hervé les avait manqués.

Comment prouver désormais que le millionnairedu boulevard Malesherbes était venu, la nuit, en bateau, comme unécumeur de rivière, enlever et emporter le cadavre de l’une desvictimes d’un triple assassinat qui remontait à dix ans&|160;?

Tout était à recommencer, et dans desconditions beaucoup plus défavorables, puisque le corps du délitavait disparu.

Scaër, tristement, se disait tout cela, ensuivant Alain qui se hâtait et qui bientôt s’écria&|160;:

–&|160;J’y suis&|160;! voicil’escalier&|160;!

Cette fois, il ne se trompait pas et sonmaître, après lui, gravit les marches sans accident.

Ils se retrouvèrent dans la salle d’où ilsétaient partis pour cette expédition avortée, et il ne leur restaitplus que la cour à traverser pour se lancer dans une nouvellepoursuite qui leur réussirait peut-être mieux que le voyagesouterrain.

Au lieu de courir, ils s’arrêtèrentstupéfaits, en voyant que, de l’autre côté du mur transversal queles bandits avaient fouillé, la salle était vivement éclairée.

D’où provenait cette clarté&|160;? Était-cel’incendie qui recommençait&|160;? ou bien l’ivrogne réveilléavait-il rallumé le feu auquel il se réchauffait, et le reflet dece foyer, passant par la brèche ouverte, illuminait-il ce lieu quele maître et le serviteur avaient laissé plongé dans d’épaissesténèbres&|160;?

Ils ne songèrent pas à échanger leursappréciations sur la cause de ce phénomène et ils ne s’amusèrentpoint à délibérer. D’un même élan, ils franchirent l’ouverture parlaquelle ils avaient déjà passé en sens inverse.

Ils n’allèrent pas plus loin, pétrifiés qu’ilsfurent par le plus inattendu des spectacles.

Près de la brèche se tenaient deux sergents deville portant chacun au poing une torche de résine. En avant d’eux,un commissaire de police, ceint de son écharpe, montrait à unmonsieur tout de noir vêtu la muraille éventrée. Et dans lapénombre s’agitait le prétendu surveillant des ruines, le pèreCrochet, complètement dégrisé.

La scène était imprévue, mais il n’était pasmalaisé de l’expliquer, et le gars aux biques comprit tout desuite.

Le faux ivrogne était un mouchard chargéd’espionner le blessé sorti de l’Hôtel-Dieu. Il avait feint deboire l’eau-de-vie, qu’il versait adroitement sous les décombres,et, pendant que Kernoul et son maître cheminaient sous terre, ilétait allé chercher la police, préalablement avertie sans aucundoute, puisque ses représentants se tenaient prêts à marcher à lapremière réquisition de l’homme aposté dans la cour de la maisonincendiée.

Le commissaire ne laissa pas aux survenants leloisir de se remettre et de préparer leurs réponses.

–&|160;Avancez&|160;! leur cria-t-il.

Et comme ils ne se pressaient pas d’obéir, ilreprit, en s’adressant à Alain&|160;:

–&|160;Vous, je ne vous demande pas votre nom…je le sais… et je vous interrogerai tout à l’heure.

Puis à Hervé&|160;:

–&|160;Qui êtes-vous&|160;?

–&|160;Je suis le baron de Scaër, réponditHervé sans hésiter.

–&|160;Cet homme est à votreservice&|160;?

–&|160;Il y a été. Il est né sur mes terres enBretagne.

–&|160;C’est vous qui êtes venu le voir quandil était à l’hôpital&|160;?

–&|160;Oui… jeudi dernier. Il est sorti del’Hôtel-Dieu, le lendemain et je l’ai revu ce jour-là…

–&|160;Sur la place Vendôme&|160;?

–&|160;Parfaitement. Je loge à l’hôtel duRhin. On n’a pas voulu l’y laisser entrer, parce qu’il était malvêtu. Je l’ai aperçu de ma fenêtre et je suis sorti pour luiparler.

–&|160;Nous savons tout cela. Vous faites biende dire la vérité. Il faut la dire tout entière.

–&|160;Je n’ai jamais menti. Questionnez-moi.Je vous répondrai.

–&|160;Vous savez de quoi cet homme estsoupçonné&|160;?

–&|160;D’avoir mis le feu à cette maison.C’est absurde. Elle brûlait du haut en bas, quand il s’y est jetépour essayer de sauver sa femme qui y demeurait avec lui. Je l’aivu… j’y étais… d’autres que moi l’ont vu… sa femme a péri et il afailli périr, lui aussi.

–&|160;Est-ce pour la chercher qu’il estrevenu ici, cette nuit&|160;? demanda ironiquement lecommissaire.

–&|160;Non, Monsieur. Il sait qu’elle estmorte et qu’il ne retrouvera même pas ses restes.

–&|160;Pourquoi donc a-t-il pris tant deprécautions et tant de peines pour s’introduire ici&|160;?… ils’est déguisé… il est allé se loger sous un faux nom dans un garnide ce quartier… il a essayé d’enivrer l’agent que j’avais placédans cette cour, en prévision de ce qui est arrivé…

–&|160;Je vois qu’on n’a pas cessé del’espionner… et je suppose qu’on m’a espionné aussi.

–&|160;J’avais le devoir de surveiller cethomme et de m’informer de vos démarches… Je n’ai pas failli à cedevoir. Aucune mesure n’a été prise contre vous… il n’y avait paslieu… et il ne tient qu’à vous de m’expliquer votre conduite… etvotre présence ici, en compagnie d’un individu qui n’est pas dumême monde que vous… et qui m’est suspect. Quel motif vous a amené,la nuit, dans cette maison dont il ne reste que desdébris&|160;?

Et comme Scaër hésitait, le commissaire, aprèsun court silence, reprit en lui montrant le murtransversal&|160;:

–&|160;Est-ce que vous espériez y trouver untrésor&|160;?

–&|160;Qui vous fait croire cela&|160;?demanda vivement Hervé.

–&|160;Mais… ce creux dans l’épaisseur de lamuraille… cette plaque arrachée tout récemment… qu’y avait-illà&|160;?

–&|160;Un cadavre.

–&|160;Comment&|160;?…

–&|160;Oui, le cadavre d’un homme qu’on aassassiné ici autrefois.

Le commissaire échangea un regard avec lepersonnage muet qui l’accompagnait et qui devait être un des hautsfonctionnaires de la préfecture de police.

–&|160;Et… il n’y est plus… qu’est-il doncdevenu&|160;? demanda ce commissaire d’un air bonasse, l’air queprennent ces messieurs avec un inculpé qui s’enferre, pourl’engager à s’enferrer davantage.

–&|160;Il y était encore quand je suis arrivé,répliqua froidement Scaër. Deux hommes ont descellé cette plaque,sous mes yeux… elle recouvrait un corps qu’ils ont tiré de lacachette où on l’avait muré et qu’ils ont emporté en le traînantavec une corde.

–&|160;Vraiment&|160;?… c’estprodigieux&|160;!… et par où l’ont-ils emporté&|160;?

–&|160;Par un souterrain qui aboutit à larivière… une barque les attendait. Ils y ont descendu le corps, eten ce moment, ils rament pour remonter la Seine. Voulez-vous lesvoir et les prendre&|160;? Il est peut-être encore temps.

–&|160;C’est une plaisanterie, jesuppose&|160;?

–&|160;Pas le moins du monde. Commandez à voshommes de courir le long des quais jusqu’à ce qu’ils aperçoivent uncanot monté par deux hommes et de les arrêter quand ilsaborderont.

»&|160;C’est ce que nous allions faire quandnous nous sommes trouvés face à face avec vous.

–&|160;Alors, vous les avez suivis dans cesouterrain&|160;? demanda le commissaire, sans tenir le moindrecompte de la proposition.

–&|160;Vous préférez les laisseréchapper&|160;?… comme il vous plaira&|160;! dit Hervé en haussantles épaules. Oui Monsieur, nous les avons suivis, et je me reprochemaintenant de ne pas les avoir attaqués. Ils se seraient défendus,mais nous étions deux contre deux…

–&|160;Je vois avec plaisir que vous n’êtespas de ceux qui répugnent à prêter main-forte à la justice. Siréellement un crime a été commis, vous auriez rendu service à lasociété en arrêtant les coupables. Mais… voudriez-vous m’apprendrecomment vous avez été mis sur leurs traces&|160;?… Vous aviez doncdeviné qu’ils viendraient ici cette nuit&|160;?… et vous saviezdonc qu’on y avait tué quelqu’un&|160;?…

–&|160;J’avais de fortes raisons de le croire…mais je n’avais pas prévu que je surprendrais les assassins… si jel’avais prévu, j’aurais averti la police et elle se serait chargéede les arrêter.

–&|160;Les assassins de qui&|160;?

–&|160;Du propriétaire de cette maison…disparu depuis dix ans.

–&|160;Un étranger… M.&|160;Georges Nesbitt,de New-York… vous vous trompez, Monsieur. Il est absent, c’estvrai, mais il n’est pas mort. La preuve, c’est qu’il paierégulièrement ses impôts&|160;; il envoie chaque année la somme parlettre chargée.

–&|160;Ou quelqu’un l’envoie pour lui.

Il y eu un nouvel échange de coups d’œil entrele commissaire et son supérieur qui n’interrogeait pas, mais quiécoutait très attentivement.

–&|160;Cela pourrait être, reprit lemagistrat, et je vois, Monsieur, que vous êtes perspicace. Voslumières nous seraient d’un grand secours et je vous prie de nouséclairer en me disant tout ce que vous savez.

»&|160;Vous avez sans doute connu cetAméricain&|160;?

–&|160;Non. J’ai connu autrefois des personnesde sa famille et j’ai su qu’elles se préoccupaient de son absenceprolongée. J’ai appris plus tard qu’il avait acheté cette maisonqu’il n’a jamais habitée. Et quand elle a été incendiée de fond encomble, mardi dernier, j’ai pensé qu’on y avait mis le feu pourqu’on n’y découvrît pas le cadavre du propriétaire.

–&|160;On n’a pas réussi à le brûler, s’il estvrai qu’on l’ait enlevé, cette nuit. Mais, puisque vous êtes sibien informé, vous devez savoir qui a fait tout cela.

Ainsi posée à l’improviste et àbrûle-pourpoint, la question troubla Hervé de Scaër. Il ne s’étaitpas préparé à y répondre. Il aurait dû la prévoir, mais il nes’attendait pas à rencontrer là ce commissaire, et depuis qu’ils’expliquait avec lui, les interrogations coup sur coup ne luiavaient pas laissé une minute pour réfléchir. Et, instinctivement,il hésitait à prononcer des noms.

Il crut s’en tirer par cette phraseévasive&|160;:

–&|160;Si je le savais, je ne me serais pasdonné tant de peine. Je cherchais les coupables. Je me seraiscontenté de les dénoncer.

–&|160;Vous devez du moins soupçonnerquelqu’un, dit le commissaire en regardant fixement Hervé.

La question revenait sous une autre forme, etil n’y avait plus moyen de l’éluder. Il fallait dire la vérité ouse taire. La dire, c’était passer la main à la police qui allaitreprendre l’enquête pour son compte, et c’était précisément ce quene voulait pas Mme&|160;de&|160;Mazatlan.

Elle est brutale la police et elle ne ménagepersonne. Une instruction judiciaire aurait englobé tous ceux ettoutes celles qui s’étaient trouvés mêlés de près ou de loin àcette histoire mystérieuse.

La marquise eût été forcée d’entrer en scèneet de déposer devant un magistrat. Le moins qu’il pût lui arriver,c’était d’être compromise dans une affaire criminelle dont toutParis s’occuperait, ce tout Paris qui juge à la légère et quiconfond volontiers les innocents avec les coupables, voire même lestémoins avec les accusés.

Hervé n’aurait pas couru moins de risques endénonçant l’homme dont il aurait dû épouser la fille, car l’opinionpublique n’aurait pas manqué d’attribuer la dénonciation à unsentiment de vengeance.

Il avait beau se dire que qui veut la fin veutles moyens et qu’il ne parviendrait jamais à venger la mort d’Hévasans recourir à des auxiliaires plus puissants et mieux armés quela marquise et le gars aux biques&|160;; il lui répugnait defrapper Solange de Bernage en frappant le scélérat qui était sonpère et le scélérat qui allait être son mari.

Il préférait laisser à la police le soin dedécouvrir les coupables et il voulait, avant de se décider à lesnommer, consulter la marquise.

C’était une capitulation de conscience, maisil ne se piquait pas d’être sans faiblesses, et il finit parprendre un biais.

–&|160;Oui, répondit-il, je soupçonne des gensque je ne connais pas et que vous découvrirez certainement, quandje vous aurai appris ce que je sais. Alain Kernoul que voici et quevous avez accusé à tort battait le pavé de Paris avec une pauvrefille qu’il avait épousée par amour, lorsqu’il a rencontré sur leboulevard Saint-Michel, il y a six mois, une femme qui lui aproposé de les loger pour rien dans cette maison qui vient debrûler. Naturellement il a accepté, et ils y demeuraient aucinquième étage quand l’incendie a éclaté. Sa compagne, qui semourait de la poitrine, n’a pas pu se sauver. Lui, a échappé à lamort parce qu’il était allé faire son service de figurant auChâtelet.

–&|160;C’est exact, dit le commissaire.

–&|160;Ce que vous ne savez pas, c’est quecette femme qui les avait installés ici est venue, quelques heuresavant l’incendie, leur signifier de déguerpir. J’en conclus quec’est elle qui a mis le feu. Elle entrait dans cette maison, pardes portes latérales dont elle avait la clé. Elle représentait lesassassins de M.&|160;Nesbitt, je n’en doute plus depuis que jeviens de les voir à l’œuvre. Elle a dû être leur complice et elleconnaît leurs secrets.

»&|160;C’est cette femme qu’il fautchercher.

–&|160;Avez-vous à me fournir quelquesindications sur elle&|160;?

–&|160;Elle est d’un certain âge… elle sefaisait appeler Mme&|160;Chauvry… elle a dit plusieursfois à Alain de lui écrire à ce nom-là, quand il aurait besoin dela voir, et d’adresser ses lettres à Clamart, près de Paris. Il mesemble que ce renseignement doit vous mettre à même de la découvrirbientôt.

»&|160;Quand vous la tiendrez, elleparlera.

Le commissaire, cette fois, ne se borna pas àinterroger des yeux son supérieur, il le tira à l’écart et se mit àconférer tout bas avec lui.

L’a-parté ne fut pas long. Il revint à Hervépour lui dire&|160;:

–&|160;Vous prétendez que ces hommes sontsortis d’ici par un souterrain. Montrez-moi donc le chemin qu’ilsont pris.

–&|160;Très volontiers, Monsieur, réponditHervé. Je vous préviens seulement que ce chemin n’est paséclairé.

Le commissaire fit signe aux sergents deville. L’un prit les devants et l’autre ferma la marche, chacunportant une torche qui répandait des flots de lumière.

Scaër et Alain précédèrent les représentantsde l’autorité dans ce cortège improvisé, qui ne s’égara point enroute.

On passa devant l’embranchement où les deuxBretons s’étaient fourvoyés et où le sergent de ville d’avant-gardese serait peut-être engagé, si Hervé ne lui eût pas crié d’allertout droit, et on arriva bientôt à la grille entrouverte.

–&|160;C’est par là qu’ils sont descendus, ditHervé. Et tenez&|160;! Ils ont oublié leurs lanternes sourdes.

Le commissaire en releva une, l’examina deprès et hocha la tête en homme qui s’y connaît.

–&|160;Ces gens doivent être des voleurs deprofession, murmura-t-il.

»&|160;Ils n’ont volé ce soir qu’un cadavre,mais ils étaient bien outillés. Seulement, ils ont eu le tort delaisser derrière eux des pièces à conviction.

–&|160;En voici une autre, reprit Hervé en sebaissant pour ramasser un lambeau d’étoffe qui était resté accrochéaux barreaux de la grille. Voyez, Monsieur&|160;!… c’est une basqued’habit…

–&|160;Ou plutôt le pan d’une redingote, ditle commissaire, après avoir palpé l’objet.

–&|160;Le drap est pourri, continua Hervé.C’est un morceau du vêtement que portait M.&|160;Nesbitt quand onl’a tué, et que ses assassins auront déchiré en traînant le corpsau bout d’une corde. Si on le repêche dans la Seine, vous n’aurezqu’à rapprocher ce fragment pour vous assurer qu’il a été arrachédu costume qui a servi de suaire à ce malheureux.

Le commissaire ne dit mot, mais il inséra lelambeau dans la poche de son pardessus.

–&|160;Êtes-vous convaincu maintenant&|160;?lui demanda Hervé que ce mutisme impatientait.

–&|160;Mes convictions ne se forment pas sivite. Avez-vous autre chose à me montrer ici&|160;?

–&|160;Non, Monsieur&|160;; rien de plus.

–&|160;Alors, je vais faire fermer cettegrille.

Un des sergents de ville fut chargé del’opération. Il n’eut qu’à tourner la clé qui était restée à laserrure, en dedans. Les gens qui l’y avaient laissée ne comptaientévidemment pas revenir. Donc, leur unique but était de fairedisparaître le cadavre, et ce but, ils l’avaient atteint.

Cette conclusion sautait aux yeux, et le plusdéfiant des magistrats devait finir par s’y rallier.

En attendant, il reprit la direction ducortège qui rebroussa chemin, dans le même ordre, et qui revintassez vite à la salle d’où il était parti.

C’était là qu’allait se dénouer une situationtendue qui préoccupait fort le dernier des Scaër et dont ilcommençait à n’attendre rien de bon, car le commissaire ne s’étaitpas encore prononcé sur son cas, et la persistance qu’il mettait àse taire était d’assez mauvais augure.

Allait-il renvoyer chez eux le maître et leserviteur, ou bien les garder jusqu’à plus ample informé&|160;?

Les agents judiciaires ne lâchent pasvolontiers les gens qu’ils tiennent et ils ne les lâchent qu’à bonescient.

Il y eut d’abord une nouvelle conférence entreces deux messieurs, et celle-là dura plus longtemps que lapremière.

Puis, le commissaire revint dire àHervé&|160;:

–&|160;Monsieur, je ne crois pas devoir vousretenir. Vous êtes libre… à une seule condition…

–&|160;Laquelle&|160;? demanda fièrementScaër.

–&|160;À condition que vous resterez à ladisposition du magistrat qui va instruire cette affaire.

–&|160;Il me trouvera toujours prêt à luirépondre, quand il lui plaira de m’interroger. Seulement, je nem’engage pas à lui fournir de nouvelles indications. J’ai dit ceque je savais et j’ai fait ce que je pouvais. Je m’en tiendrailà.

–&|160;C’est votre droit.

–&|160;J’ajoute que je m’attends à êtresurveillé. Peu importe, pourvu que cette surveillance ne s’étendepas à mes amis. Je vous préviens aussi que j’ai le projet dequitter Paris et que si on me surveillait de trop près, je hâteraismon départ.

Le commissaire eut un sourire équivoque. Ilpensait sans doute&|160;: «&|160;Vous ne partirez pas sans mapermission&|160;;&|160;» mais il s’abstint de le dire.

–&|160;Et ce garçon&|160;? demanda Scaër quiavait maintenant l’air de dicter ses conditions. J’espère que vousne l’accuserez plus d’avoir mis le feu à cette maison et que vousn’allez pas le garder.

–&|160;Non… s’il veut s’engager à changerd’existence et à se tenir tranquille. Prenez-le à votre service, etqu’il ne se mêle plus de faire de la police pour son compte. Leschoses n’en iront que mieux.

–&|160;Alors, on va suivre cetteaffaire&|160;?

–&|160;Sans aucun doute, et nous utiliseronsles renseignements que vous venez de me donner. Ils sont vagues,mais c’est un point de départ et ils nous serviront à nous enprocurer d’autres.

»&|160;Vous m’avez dit que cette femme se faitappeler Chauvry et qu’elle se faisait adresser ses lettres àClamart, sans autre indication.

–&|160;Parfaitement.

–&|160;Une dernière question&|160;: lespersonnes de la famille de M.&|160;Nesbitt que vous connaissiezautrefois habitent-elles Paris&|160;?

–&|160;Non, Monsieur. Si elles vivent encore,elles habitent les États-Unis… New-York ou Boston. Mes relationsavec elles remontent à une dizaine d’années, et depuis ce temps-là,je n’ai pas eu de leurs nouvelles. Vous pouvez vous informerd’elles. L’une était sa belle-sœur, veuve de son frère le commodoreNesbitt, de la marine américaine&|160;; l’autre était sa nièce.

Cette réponse, si nette en apparence, n’étaitpas conforme à la vérité, puisque la mère et la fille avaientquitté ce monde, mais elle impressionna favorablement ceux quil’entendirent, et Hervé savait bien ce qu’il faisait en leurparlant d’elles.

Hervé ne voulait pas dénoncer le père deSolange, mais il voulait bien que la police découvrît l’assassin detous les Nesbitt, et il se disait que ce commissaire y réussiraiten suivant les pistes qu’il lui indiquait.

Les recherches commencées en 1860 devaientavoir laissé des traces dans les archives judiciaires, et pour peuqu’on rapprochât cet ancien dossier de celui qu’on allait former eninstruisant l’affaire toute récente de l’incendie de la rue de laHuchette, on en arriverait certainement à fouiller le passé deM.&|160;de&|160;Bernage.

–&|160;C’est bien, Monsieur, dit lecommissaire, qui avait déjà pris les instructions de son supérieur,vous pouvez vous retirer… et je vous autorise à emmener cethomme.

Hervé ne se le fit pas dire deux fois. Ilpoussa le gars aux biques vers la brèche et il y passa après lui,sans remercier les deux policiers et même sans les saluer.

Un instant après, dans la rue de la Huchette,Alain lui demanda ce qu’il allait faire et il lui réponditbrusquement&|160;:

–&|160;Je n’en sais rien encore.Accompagne-moi jusqu’au quai.

Le gars aux biques suivit la tête basse, commeun chien que son maître a mal reçu.

Il pensait à Zina. Scaër pensait à lamarquise.

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