Gargantua

(Ceci est le texte original, en vieux français assez incompréhensible pour de jeunes lecteurs ou des lecteurs non avertis; la version modernisée de Gargantua, lisible par exemple pour des lycéens, est disponible ici)

François Rabelais
LA VIE TRES HORRIFICQUE DU GRAND GARGANTUA PERE DE PANTAGRUEL.
Jadis composée par M. Alcofribas, abstracteur de Quinte Essence.
Livre plein de Pantagruelisme.

Aux Lecteurs

Amis lecteurs, qui ce livre lisez,
Despouillez vous de toute affection;
Et, le lisant, ne vous scandalisez:
Il ne contient mal ne infection.
Vray est qu’icy peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire;
Aultre argument ne peut mon cueur elire,
Voyant le dueil qui vous mine et consomme:
Mieulx est de ris que de larmes escripre,
Pour ce que rire est le propre de l’homme.

Prologe de l’auteur

BEUVEURS tres illustres, et vous, Verolez tres precieux, – car à vous, non à
aultres, sont dediez mes escriptz, – Alcibiades, ou dialoge de Platon
intitulé Le Bancquet, louant son precepteur Socrates, sans controverse
prince des philosophes, entre aultres parolles le dict estre semblable es
Silenes. Silenes estoient jadis petites boites, telles que voyons de present
es bouticques des apothecaires, pinctes au dessus de figures joyeuses et
frivoles, comme de harpies, satyres, oysons bridez, lievres cornuz, canes
bastées, boucqs volans, cerfz limonniers et aultres telles pinctures
contrefaictes à plaisir pour exciter le monde à rire (quel fut Silene,
maistre du bon Bacchus); mais au dedans l’on reservoit les fines drogues
comme baulme, ambre gris, amomon, musc, zivette, pierreries et aultres
choses precieuses. Tel disoit estre Socrates, parce que, le voyans au dehors
et l’estimans par l’exteriore apparence, n’en eussiez donné un coupeau
d’oignon, tant laid il estoit de corps et ridicule en son maintien, le nez
pointu, le reguard d’un taureau, le visaige d’un fol, simple en meurs,
rustiq en vestimens, pauvre de fortune, infortuné en femmes, inepte à tous
offices de la republique, tousjours riant, toujours beuvant d’autant à un
chascun, tousjours se guabelant, tousjours dissimulant son divin sçavoir;
mais, ouvrans ceste boyte, eussiez au dedans trouvé une celeste et
impreciable drogue: entendement plus que humain, vertus merveilleuse,

couraige invincible, sobresse non pareille, contentement certain, asseurance
parfaicte, deprisement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant
veiglent, courent, travaillent, navigent et bataillent. A quel propos, en
voustre advis, tend ce prelude et coup d’essay? Par autant que vous, mes
bons disciples, et quelques aultres foulz de sejour, lisans les joyeulx
tiltres d’aulcuns livres de nostre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La Dignité des Braguettes, Des Poys au lard cum commento, etc.,
jugez trop facillement ne estre au dedans traicté que mocqueries, folateries
et menteries joyeuses, veu que l’ensigne exteriore (c’est le tiltre) sans
plus avant enquerir est communement receu à derision et gaudisserie. Mais
par telle legiereté ne convient estimer les oeuvres des humains. Car vous
mesmes dictes que l’habit ne faict poinct le moyne, et tel est vestu d’habit
monachal, qui au dedans n’est rien moins que moyne, et tel est vestu de
cappe Hespanole, qui en son couraige nullement affiert à Hespane. C’est
pourquoy fault ouvrir le livre et soigneusement peser ce que y est deduict.
Lors congnoistrez que la drogue dedans contenue est bien d’aultre valeur que
ne promettoit la boite, c’est-à-dire que les matieres icy traictées ne sont
tant folastres comme le titre au-dessus pretendoit. Et, posé le cas qu’au
sens literal vous trouvez matieres assez joyeuses et bien correspondentes au
nom, toutes fois pas demourer là ne fault, comme au chant de Sirenes, ains à
plus hault sens interpreter ce que par adventure cuidiez dict en gayeté de
cueur. Crochetastes vous oncques bouteilles? Caisgne! Reduisez à memoire la
contenence qu’aviez. Mais veistes vous oncques chien rencontrant quelque os
medulare? C’est, comme dict Platon, lib. ij de Rep., la beste du monde
plus philosophe. Si veu l’avez, vous avez peu noter de quelle devotion il le
guette, de quel soing il le guarde, de quel ferveur il le tient, de quelle
prudence il l’entomme , de quelle affection il le brise, et de quelle
diligence il le sugce. Qui le induict à ce faire? Quel est l’espoir de son
estude? Quel bien pretend il? Rien plus qu’un peu de mouelle. Vray est que
ce peu plus est delicieux que le beaucoup de toutes aultres, pour ce que la
mouelle est aliment elabouré à perfection de nature, comme dict Galen., iij Facu. natural., et xj De usu parti. A l’exemple d’icelluy vous convient
estre saiges, pour fleurer, sentir et estimer ces beaulx livres de haulte
gresse, legiers au prochaz et hardiz à la rencontre; puis, par curieuse
leçon et meditation frequente, rompre l’os et sugcer la sustantificque
mouelle – c’est à dire ce que j’entends par ces symboles Pythagoricques –
avecques espoir certain d’être faictz escors et preux à ladicte lecture; car
en icelle bien aultre goust trouverez et doctrine plus absconce, laquelle
vous revelera de très haultz sacremens et mysteres horrificques, tant en ce
que concerne nostre religion que aussi l’estat politicq et vie oeconomicque.
Croiez vous en vostre foy qu’oncques Homere, escrivent l’Iliade et
Odyssée, pensast es allegories lesquelles de luy ont calfreté Plutarche,
Heraclides Ponticq, Eustatie, Phornute, et ce que d’iceulx Politian a
desrobé? Si le croiez, vous n’approchez ne de pieds ne de mains à mon
opinion, qui decrete icelles aussi peu avoir esté songées d’Homere que
d’Ovide en ses Metamorphoses les sacremens de l’Evangile, lesquelz un Frere

Lubin, vray croque lardon, s’est efforcé demonstrer, si d’adventure il
rencontroit gens aussi folz que luy, et (comme dict le proverbe) couvercle
digne du chaudron. Si ne le croiez, quelle cause est pourquoy autant n’en
ferez de ces joyeuses et nouvelles chronicques, combien que, les dictans,
n’y pensasse en plus que vous, qui par adventure beviez comme moy? Car, à la
composition de ce livre seigneurial, je ne perdiz ne emploiay oncques plus,
ny aultre temps que celluy qui estoit estably à prendre ma refection
corporelle, sçavoir est beuvant et mangeant. Aussi est ce la juste heure
d’escrire ces haultes matieres et sciences profundes, comme bien faire
sçavoit Homere, paragon de tous philologes, et Ennie, pere des poetes
latins, ainsi que tesmoigne Horace, quoy qu’un malautru ait dict que ses
carmes sentoyent plus le vin que l’huille. Autant en dict un tirelupin de
mes livres; mais bren pour luy! L’odeur du vin, ô combien plus est friant,
riant, priant, plus celeste et delicieux que d’huille! Et prendray autant à
gloire qu’on die de moy que plus en vin aye despendu que en huyle, que fist
Demosthenes, quand de luy on disoit que plus en huyle que en vin despendoit.
A moy n’est que honneur et gloire d’estre dict et reputé bon gaultier et bon
compaignon, et en ce nom suis bien venu en toutes bonnes compaignies de
Pantagruelistes. A Demosthenes, fut reproché par un chagrin que ses Oraisons
sentoient comme la serpilliere d’un ord et sale huillier. Pour tant,
interpretez tous mes faictz et mes dictz en la perfectissime partie; ayez en
reverence le cerveau caseiforme qui vous paist de ces belles billes vezées,
et, à vostre povoir, tenez moy tousjours joyeux. Or esbaudissez vous, mes
amours, et guayement lisez le reste, tout à l’aise du corps, et au profit
des reins! Mais escoutez, vietz d’azes, – que le maulubec vous trousque! –
vous soubvienne de boyre à my pour la pareille, et je vous plegeray tout
ares metys.

Chapitre I

~De la genealogie et antiquité de Gargantua~
Je vous remectz à la grande chronicque Pantagrueline recongnoistre la
genealogie et antiquité dont nous est venu Gargantua. En icelle vous
entendrez plus au long comment les geands nasquirent en ce monde, et comment
d’iceulx, par lignes directes, yssit Gargantua, pere de Pantagruel, et ne
vous faschera si pour le present je m’en deporte, combien que la chose soit
telle que, tant plus seroit remembrée, tant plus elle plairoit à vos
Seigneuries; comme vous avez l’autorité de Platon, in Philebo et Gorgias,
et de Flacce, qui dict estre aulcuns propos, telz que ceulx cy sans doubte,
qui plus sont delectables quand plus souvent sont redictz.
Pleust à Dieu qu’un chascun sceust aussi certainement sa geneallogie, depuis
l’arche de Noë jusques à cest eage! Je pense que plusieurs sont aujourd’huy
empereurs, roys, ducz, princes et papes en la terre, lesquels sont descenduz
de quelques porteurs de rogatons et de coustretz, comme, au rebours,

plusieurs sont gueux de l’hostiaire, souffreteux et miserables, lesquelz
sont descenduz de sang et ligne de grandz roys et empereurs, attendu
l’admirable transport des regnes et empires:
des Assyriens es Medes,
des Medes es Perses,
des Perses es Macedones,
des Macedones es Romains,
des Romains es Grecz,
des Grecz es Françoys.
Et, pour vous donner à entendre de moy qui parle, je cuyde que soye descendu
de quelque riche roy ou prince au temps jadis; car oncques ne veistes homme
qui eust plus grande affection d’estre roy et riche que moy, affin de faire
grand chere, pas ne travailler, poinct ne me soucier, et bien enrichir mes
amys et tous gens de bien et de sçavoir. Mais en ce je me reconforte que en
l’aultre monde je le seray, voyre plus grand que de present ne l’auseroye
soubhaitter. Vous en telle ou meilleure pensée reconfortez vostre malheur,
et beuvez fraiz, si faire se peut.
Retournant à noz moutons, je vous dictz que par don souverain des cieulx
nous a esté reservée l’antiquité et geneallogie de Gargantua plus entiere
que nulle aultre, exceptez celle du Messias, dont je ne parle, car il ne me
appartient, aussi les diables (ce sont les calumniateurs et caffars) se y
opposent. Et fut trouvée par Jean Audeau en un pré qu’il avoit près l’arceau
Gualeau, au dessoubz de l’Olive, tirant à Narsay, duquel faisant lever les
fossez, toucherent les piocheurs de leurs marres un grand tombeau de bronze,
long sans mesure, car oncques n’en trouverent le bout par ce qu’il entroit
trop avant les excluses de Vienne. Icelluy ouvrans en certain lieu, signé,
au dessus, d’un goubelet à l’entour duquel estoit escript en lettres
Ethrusques: HIC BIBITUR, trouverent neuf flaccons en tel ordre qu’on assiet
les quilles en Guascoigne, desquelz celluy qui au mylieu estoit couvroit un
gros, gras, grand, gris, joly, petit, moisy livret, plus, mais non mieulx
sentent que roses.
En icelluy fut ladicte geneallogie trouvée, escripte au long de lettres
cancelleresques, non en papier, non en parchemin, non en cere, mais en
escorce d’ulmeau, tant toutesfoys usées par vetusté qu’à poine en povoit on
troys recognoistre de ranc.
Je (combien que indigne) y fuz appelé, et, à grand renfort de bezicles,
practicant l’art dont on peut lire lettres non apparentes, comme enseigne
Aristoteles, la translatay, ainsi que veoir pourrez en Pantagruelisant,
c’est-à-dire beuvans à gré et lisans les gestes horrificques de Pantagruel
A la fin du livre estoit un petit traicté intitulé: _Les Fanfreluches

antidotées_. Les ratz et blattes, ou (affin que je ne mente) aultres
malignes bestes, avoient brousté le commencement; le reste j’ay cy dessoubz
adjouté, par reverence de l’antiquaille.

Chapitre II

~Les Fanfreluches antidotées, trouvées en un monument antique.~
ai? enu le grand dompteur des Cimbres,
V sant par l’aer, de peur de la rousée.
‘sa venue on a remply les timbres

‘ beurre fraiz, tombant par une housée.

=uquel quand fut la grand mere arrousée,
Cria tout hault: «Hers, par grace, pesche le;
Car sa barbe est presque toute embousée
Ou pour le moins tenez luy une eschelle.»
Aulcuns disoient que leicher sa pantoufle
Estoit meilleur que guaigner les pardons;
Mais il survint un affecté marroufle,
Sorti du creux ou l’on pesche aux gardons,
Qui dict: «Messieurs, pour Dieu nous en gardons;
L’anguille y est et en cest estau musse;
Là trouverez (si de près regardons)
Une grande tare au fond de son aumusse.»
Quand fut au poinct de lire le chapitre,
On n’y trouva que les cornes d’un veau:
«Je (disoit il) sens le fond de ma mitre
Si froid que autour me morfond le cerveau.»
On l’eschaufa d’un parfunct de naveau,
Et fut content de soy tenir es atres,
Pourveu qu’on feist un limonnier noveau
A tant de gens qui sont acariatres,
Leur propos fut du trou de sainct Patrice,
De Gilbathar, et de mille aultres trous:
S’on les pourroit réduire à cicatrice
Par tel moien que plus n’eussent la tous,
Veu qu’il sembloit impertinent à tous
Les veoir ainsi à chascun vent baisler;
Si d’adventure ilz estoient à poinct clous,
On les pourroit pour houstage bailler
En cest arrest le courbeau fut pelé
Par Hercules, qui venoit de Libye.

«Quoy! dist Minos, que n’y suis-je appellé?
Excepté moy, tout le monde on convie,
Et puis l’on veult que passe mon envie
A les fournir d’huytres et de grenoilles;
Je donne au diable en quas que de ma vie
Preigne à mercy leur vente de quenoilles.»
Pour les matter survint Q. B. qui clope,
Au sauconduit des mistes sansonnetz.
Le tamiseur, cousin du grand Cyclope,
Les massacra. Chascun mousche son nez;
En ce gueret peu de bougrins sont nez,
Qu’on n’ait berné sus le moulin à tan.
Courrez y tous et à l’arme sonnez:
Plus y aurez que n’y eustes antan.
Bien peu après, l’oyseau de Jupiter
Delibera pariser pour le pire,
Mais, les voyant tant fort se despiter,
Craignit qu’on mist ras, jus, bas, mat l’empire,
Et mieulx ayma le feu du ciel empire
Au tronc ravir où l’on vend les soretz,
Que aer serain, contre qui l’on conspire,
Assubjectir es dictz des Massoretz.
Le tout conclud fut à poincte affilée,
Maulgré Até, la cuisse heronniere,
Que là s’assist, voyant Pentasilée,
Sur ses vieux ans prinse pour cressonniere.
Chascun crioit: «Vilaine charbonniere,
T’appartient-il toy trouver par chemin?
Tu la tolluz, la Romaine baniere
Qu’on avoit faict au traict du parchemin!»
Ne fust Juno, que dessoubz l’arc celeste
Avec son duc tendoit à la pipée,
On luy eust faict un tour si très moleste
Que de tous poincts elle eust esté frippée.
L’accord fut tel que d’icelle lippée
Elle en auroit deux oeufz de Proserpine,
Et, si jamais elle y estoit grippée,
On la lieroit au mont de l’albespine.
Sept moys après – houstez en vingt et deux –
Cil qui jadis anihila Carthage
Courtoysement se mist en mylieu d’eux,

Les requerent d’avoir son heritage,
Ou bien qu’on feist justement le partage
Selon la loy que l’on tire au rivet,
Distribuent un tatin du potage
A ses facquins qui firent le brevet.
Mais l’an viendra, signé d’un arc turquoys,
De v. fuseaulx et troys culz de marmite,
Onquel le dos d’un roy trop peu courtoys
Poyvré sera soubz un habit d’hermite.
O la pitié! Pour une chattemite
Laisserez vous engouffrer tant d’arpens?
Cessez, cessez; ce masque nul n’imite;
Retirez vous au frere des serpens.
Cest an passé, cil qui est regnera
Paisiblement avec ses bons amis.
Ny brusq ny smach lors ne dominera;
Tout bon vouloir aura son compromis,
Et le solas, qui jadis fut promis
Es gens du ciel, viendra en son befroy;
Lors les haratz, qui estoient estommis,
Triumpheront en royal palefroy.
Et durera ce temps de passe passe
Jusques à tant que Mars ayt les empas.
Puis en viendra un qui tous aultres passe,
Delitieux, plaisant, beau sans compas.
Levez vos cueurs, tendez à ce repas,
Tous mes feaulx, car tel est trespassé
Qui pour tout bien ne retourneroit pas,
Tant sera lors clamé le temps passé.
Finablement, celluy qui fut de cire
Sera logé au gond du Jacquemart.
Plus ne sera reclamé: «Cyre, Cyre»,
Le brimbaleur qui tient le cocquemart.
Heu, qui pourroit saisir son braquemart,
Toust seroient netz les tintouins cabus,
Et pourroit on, à fil de poulemart,
Tout baffouer le maguazin d’abus.

Chapitre III

~Comment Gargantua fut unze moys porté ou ventre de sa mere.~

Grandgousier estoit bon raillard en son temps, aymant à boyre net autant que
homme qui pour lors fust au monde, et mangeoit voluntiers salé. A ceste fin,
avoit ordinairement bonne munition de jambons de Magence et de Baionne,
force langues de beuf fumées, abondance de andouilles en la saison et beuf
sallé à la moustarde, renfort de boutargues, provision de saulcisses, non de
Bouloigne (car il craignoit ly boucon de Lombard), mais de Bigorre, de
Lonquaulnay, de la Brene et de Rouargue.
En son eage virile, espousa Gargamelle, fille du roy des Parpaillos, belle
gouge et de bonne troigne, et faisoient eux deux souvent ensemble la beste à
deux doz, joyeusement se frotans leur lard, tant qu’elle engroissa d’un beau
filz et le porta jusques à l’unziesme moys.
Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter, mesmement
quand c’est quelque chef d’oeuvre et personnage que doibve en son temps
faire grandes prouesses, comme dict Homere que l’enfant duquel Neptune
engroissa la nymphe nasquit l’an après revolu: ce fut le douziesme moys. Car
(comme dit A. Gelle, lib iij), ce long temps convenoit à la majesté de
Neptune, affin qu’en icelluy l’enfant feust formé à perfection. A pareille
raison, Jupiter feist durer xlviij heures la nuyct qu’il coucha avecques
Alcmene, car en moins de temps n’eust il peu forger Hercules qui nettoia le
monde de monstres et tyrans.
Messieurs les anciens Pantagruelistes ont conformé ce que je dis et ont
declairé non seulement possible, mais aussi legitime, l’enfant né de femme
l’unziesme moys après la mort de son mary:
Hippocrates, lib De alimento,
Pline, li. vij, cap. v,
Plaute, in Cistellaria,
Marcus Varro, en la satyre inscripte Le Testament,
allegant l’autorité d’Aristoteles à ce propos,
Censorinus, li. De die natali,
Aristoteles, libr. vij, capi. iij et iiij, De nat. animalium,
Gellius, li. iij, ca. xvj.
Servius, in Egl., exposant ce metre de Virgile:
Matri longa decem, etc.,
et mille aultres folz; le nombre desquelz a esté par les legistes acreu,
ff. De suis et legit., l. Intestato, §fi., et, in Autent., De restitut. et ea que parit in xj mense. D’abondant en ont chaffourré leur
rodibilardicque loy Gallus, ff. De lib et posthu., et l. septimo ff. De stat. homi, et quelques aultres, que pour le present dire n’ause. Moiennans
lesquelles loys, les femmes vefves peuvent franchement jouer du
serrecropiere à tous enviz et toutes restes, deux moys après le trespas de

leurs mariz.
Je vous prie par grace, vous aultres mes bons averlans, si d’icelles en
trouvez que vaillent le desbraguetter, montez dessus et me les amenez.
Car, si au troisiesme moys elles engroissent, leur fruict sera heritier du
deffunct; et, la groisse congneue, poussent hardiment oultre, et vogue la
gualée puis que la panse est pleine! – comme Julie, fille de l’empereur
Octavian, ne se abandonnoit à ses taboureurs sinon quand elle se sentoit
grosse, à la forme que la navire ne reçoit son pilot que premierement ne
soit callafatée et chargée. Et, si personne les blasme de soy faire
rataconniculer ainsi suz leur groisse, veu que les bestes suz leur ventrées
n’endurent jamais le masle masculant, elles responderont que ce sont bestes,
mais elles sont femmes, bien entendentes les beaulx et joyeux menuz droictz
de superfection, comme jadis respondit Populie, selon le raport de Macrobe,
li. ij Saturnal.
Si le diavol ne veult qu’elles engroissent, il fauldra tortre le douzil, et
bouche clouse.

Chapitre IV

~Comment Gargamelle, estant grosse de Gargantua, mangea grand planté de
tripes.~
L’occasion et maniere comment Gargamelle enfanta fut telle, et, si ne le
croyez, le fondement vous escappe!
Le fondement luy escappoit une après dinée, le iije jour de febvrier, par
trop avoir mangé de gaudebillaux. Gaudebilleaux sont grasses tripes de
coiraux. Coiraux sont beufz engressez à la creche et prez guimaulx. Prez
guimaulx sont qui portent herbe deux fois l’an. D’iceulx graz beufz avoient
faict tuer troys cens soixante sept mille et quatorze, pour estre à mardy
gras sallez, affin qu’en la prime vere ilz eussent beuf de saison à tas
pour, au commencement des repastz, faire commemorations de saleures et
mieulx entrer en vin.
Les tripes furent copieuses, comme entendez, et tant friandes estoient que
chascun en leichoit ses doigtz. Mais la grande diablerie à quatre
personnaiges estoit bien en ce que possible n’estoit longuement les
reserver, car elles feussent pourries. Ce que sembloit indecent. Dont fut
conclud qu’ils les bauffreroient sans rien y perdre. A ce faire convierent
tous les citadins de Sainnais, de Suillé, de la Roche Clermaud, de
Vaugaudray, sans laisser arrieres le Coudray Montpensier, le Gué de Vede et
aultres voisins, tous bons beveurs, bons compaignons, et beaulx joueurs de
quille là.

Le bon homme Grandgousier y prenoit plaisir bien grand et commendoit que
tout allast par escuelles. Disoit toutesfoys à sa femme qu’elle en mangeast
le moins, veu qu’elle aprochoit de son terme et que ceste tripaille n’estoit
viande moult louable: «Celluy (disoit il) a grande envie de mascher merde,
qui d’icelle le sac mangeue.» Non obstant ces remonstrances, elle en mangea
seze muiz, deux bussars et six tupins. O belle matiere fecale que doivoit
boursouffler en elle!
Après disner, tous allerent pelle melle à la Saulsaie, et là, sus l’herbe
drue, dancerent au son des joyeux flageolletz et doulces cornemuzes tant
baudement que c’estoit passetemps celeste les veoir ainsi soy rigouller.

Chapitre V

~Les propos des bien yvres.~
Puis entrerent en propos de resieuner on propre lieu. Lors flaccons d’aller,
jambons de troter, goubeletz de voler, breusses de tinter:
«Tire!
-Baille!
-Tourne!
-Brouille!
-Boutte à moy sans eau; ainsi, mon amy.
-Fouette moy ce verre gualentement;
-Produiz moy du clairet, verre pleurant.
-Treves de soif!
-Ha, faulse fievre, ne t’en iras tu pas?
-Par ma fy, me commere, je ne peuz entrer en bette.
-Vous estez morfondue, m’amie?
-Voire.
-Ventre sainct Quenet! parlons de boire.

-Je ne boy que à mes heures, comme la mulle du pape.
-Je ne boy que en mon breviaire, comme un beau pere guardian.
-Qui feut premier, soif ou beuverye?
-Soif, car qui eust beu sans soif durant le temps de innocence?
-Beuverye, car privatio presupponit habitum. Je suis clerc.
Foecundi calices quem non fecere disertum?
-Nous aultres innocens ne beuvons que trop sans soif.
-Non moy, pecheur, sans soif, et, si non presente, pour le moins future, la
prevenent comme entendez. Je boy pour la soif advenir. Je boy eternellement.
Ce m’est eternité de beuverye, et beuverye de eternité.
-Chantons, beuvons, un motet entonnons! Où est mon entonnoir?
-Quoy! Je ne boy que par procuration!
-Mouillez vous pour seicher, ou vous seichez pour mouiller?
-Je n’entens poinct la theoricque; de la praticque je me ayde quelque peu.
-Haste!
-Je mouille, je humecte, je boy, et tout de peur de mourir.
-Beuvez tousjours, vous ne mourrez jamais.
-Si je ne boy, je suys à sec, me voylà mort. Mon ame s’en fuyra en quelque
grenoillere. En sec jamais l’ame ne habite.
-Somelliers, ô createurs de nouvelles formes, rendez moy de non beuvant
beuvant!
-Perannité de arrousement par ces nerveux et secz boyaulx!
-Pour neant boyt qui ne s’en sent.
-Cestuy entre dedans les venes; la pissotiere n’y aura rien.
-Je laveroys voluntiers les tripes de ce veau que j’ay ce matin habillé.

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