Histoire d’un paysan – 1792 – La Patrie en danger

Chapitre 12

 

Maintenant, mes amis, il va falloir quitter le pays, lesvieilles Baraques-du-Bois-des-Chênes et tous les braves gens quenous connaissons.

Le lendemain, vers dix heures, nous étions déjà dans la valléedu Graufthal, de l’autre côté de la montagne, sous les rochers.C’est là que tous les volontaires du canton devaient se réuniravant d’aller à Bitche, et puis à Wissembourg, et puis plusloin ; les premiers villages arrivés devaient attendre lesautres.

Nous étions partis de bonne heure, à cause de la chaleur qu’onsentait déjà venir au petit jour. Marguerite, Chauvel, maître Jean,mon père et toute la ville, hommes, femmes, enfants, nous avaientsuivis jusqu’à cette première halte. Nous campions au revers duchemin sablonneux, dans l’ombre des hêtres, nos fusils enfaisceaux, et la grande vallée devant nous à perte de vue, avec sarivière bordée de saules et ses forêts parsemées de rochers, dansles airs.

Combien de fois depuis cinquante ans je me suis arrêté dans cechemin, à regarder et à rêver aux anciens temps ! Je revoyaistout, et je me disais :

« C’est ici qu’on s’est embrassé pour la dernièrefois ! C’est là que ce pauvre Jacques, ou ce malheureuxJean-Claude, le fusil sur l’épaule, s’est retourné pour serrer lamain de son père, en criant : « À l’annéeprochaine ! »

C’est par ce sentier que sont arrivés ceux deSaint-Jean-des-Choux, et par cet autre ceux de Mittelbronn ;leur tambour bourdonnait depuis longtemps sous bois, et tout à coupils sortirent de ce bouquet de sapins, les grands chapeaux au boutde leur baïonnette. Alors les cris de « Vive lanation ! » remplirent la vallée.

Ah ! que ces temps sont loin de nous ! et pourtant lesarbres, les rochers, les broussailles, vivent encore, le lierregrimpe toujours aux rochers ; mais où sont ceux qui criaient,qui s’embrassaient et promettaient de revenir, où sont-ils ?Quand on songe à tous les camarades restés couchés le long de laMoselle, de la Meuse, du Rhin et dans les broussailles del’Argonne, il faut reconnaître que le Seigneur a veillé surnous.

Enfin si je vous dis cela, c’est pour vous peindre cesrassemblements du mois de juillet 1792 ; partout ailleurs onfaisait les mêmes choses, partout les volontaires s’attendaientavant de partir.

Marguerite, assise près de moi dans les bruyères sur le bord duchemin, découvrait un petit panier de pain, de viande et de vinqu’elle avait apporté ; car on ne pouvait rien avoir auGraufthal, l’auberge du vieux Becker n’existait pas encore, ettoutes les femmes de la ville, sachant qu’il fallait attendre,avaient apporté leurs provisions.

Chauvel, mon père, maître Jean et trois ou quatre officiersmunicipaux stationnaient dans le chemin au-dessous, à l’ombre deschênes, et nous regardaient de loin ; ils avaient compris quenous avions beaucoup de choses à nous dire et que nous serionscontents d’être seuls. Marguerite me recommandait d’écrire chaquefois que je pourrais ; elle me regardait avec amour ;elle ne pleurait pas, comme beaucoup d’autres ; elle étaitferme et savait bien que, dans des moments pareils, il ne faut pasdécourager ceux qui partent.

– Pendant que tu seras loin, disait-elle avec douceur, jepenserai toujours à toi !… et tu n’auras pas besoin det’inquiéter de ton père… c’est aussi le mien… je l’aime… rien nelui manquera.

Moi, debout devant elle, je l’écoutais dans l’admiration et jeprenais courage. Jamais l’espérance de revenir ne m’a quitté, mêmeau milieu des plus grands périls ; quand beaucoup d’autres selaissaient abattre par la pluie, la neige, le froid, la faim, lamisère, je me cramponnais, je voulais revoir Marguerite ; sonamour m’a soutenu.

À côté de nous, contre une roche, était assise la famille dupère Gouin, l’entrepreneur des fourrages ; ce vieux, la mèreet les sœurs se lamentaient ; le père disait que ses deux filsauraient dû lui demander son consentement ; qu’ils n’avaientpas besoin de partir tous les deux ; qu’à son âge il nepouvait pas continuer ses affaires tout seul. Enfin c’était triste,et ces garçons devaient perdre confiance.

Heureusement, ailleurs des vieux tenaient d’autres discours à lajeunesse ; ils ne parlaient que de patrie et de liberté.

Mais c’est à l’arrivée de M. le curé Christophe que lescris de « Vive la nation ! » roulèrent dans leséchos de Fallberg et de la Bande-Noire ! On aurait cru que lesvieilles montagnes se mettaient à vivre et qu’elles criaient avecnous d’une cime à l’autre, en levant leurs grands bras de chênes etde sapins ; tout en frémissait.

M. le curé Christophe nous amenait les volontaires deLutzelbourg ; il venait aussi bénir nos drapeaux. Je le vis debien loin, et je le reconnus sous les roches de Vichelberg, commeil descendait le chemin tournant avec mon frère Étienne, qu’iltenait par la main. Je n’avais pas eu le temps d’aller embrasser cepauvre enfant ; il venait donc et trottait en boitant, commeil pouvait.

Alors, pendant le roulement des cris, je descendis jusque sur lepont de la Zinsell. Il pouvait être onze heures ; la chaleurétait si grande dans cette vallée et l’air si lourd, que toute larivière brillait de petits poissons à la chasse des mouches quitombaient par milliers de la rive, et les truites filaient dansl’ombre des oseraies comme des éclairs. Sur le pont en dos d’âne,M. le curé Christophe, la figure couverte de sueur, me tenditses grosses mains en disant :

– Je suis content de toi, Michel. Je sais ton bonheur et jesais aussi que tu le mérites.

Et puis Étienne me sauta dans les bras, et nous remontâmesensemble du côté de la maison forestière, où se réunissait leconseil général de la commune. Étienne courut embrasser Margueriteet mon père ; Chauvel et maître Jean avec les maires desvillages vinrent serrer la main de M. le curé.

Tous les volontaires des environs se trouvaient alors réunis àcinq ou six cents ; il ne manquait plus que ceux de la hautemontagne, et l’on venait à peine de se rassembler, que leur tambourrésonnait au loin et qu’on criait :

– Les voilà !

Ceux-là venaient les derniers ; ils avaient eu cinq lieuesà faire de plus que nous ; c’étaient tous des bûcherons, descharbonniers, des schlitteurs, des flotteurs, des gaillards trapus,qui s’étaient déjà choisi pour chef le sabotier Claude Hullin, lemême qui s’est si terriblement défendu en 1814 contre les alliés.Le colporteur Marc Divès, avec son grand feutre, ses pantalons detoile, ses pieds nus, son bâton de houx et sa petite blouse serréeaux reins avec sa cravate, était parmi eux ; et d’unedemi-lieue on l’entendait déjà parler, crier, appeler lestraînards, imiter le chant du coucou et du pivert ; on levoyait faire tourbillonner sa longue trique, et, pour couper aucourt dans la grande prairie, traverser la rivière avec de l’eaujusqu’aux cuisses. Les autres le suivirent ; c’était lemeilleur rafraîchissement qu’on pouvait prendre.

Enfin, après l’arrivée de Hullin et de ses compagnons Jean Ratet les deux fils Léger, engagés dans les tambours, commencèrent leroulement et l’on vit que le grand moment approchait.

Ceux qui vont de Phalsbourg à la Petite-Pierre connaissent cegros bloc de roche, à gauche du chemin, au milieu de la prairie. Onne comprend pas comment il peut être là dans les prés. Cette massea bien sûr roulé d’en haut, mais quand ? Personne ne peut lesavoir ; c’était peut-être avant les hommes. Et bien c’est surcette roche, entouré de tous les volontaires et des autres gensaccourus en foule de la ville et des villages, au milieu d’un grandsilence, que M. le curé Christophe, après nous avoir rappelénos devoirs de soldats chrétiens, bénit nos drapeaux ; chaquevillage avait le sien ; on les réunit en faisceaux, et lui,les bras étendus, les bénit tous : il les bénit en latin, à lamanière de l’Église.

Mais aussitôt après Chauvel monta sur cette même roche, commeofficier municipal et président du club ; il fit avancer ledrapeau du bataillon, un grand drapeau tricolore, avec le bonnet depaysan en laine rouge au bout, et, les mains étendues, il le bénità la manière constitutionnelle, en disant :

– Vieux bonnet du paysan de France, si longtemps penchévers la terre ; bonnet que nos malheureux pères ont trempé deleurs sueurs ; bonnet du serf, sur lequel le seigneur et lesévêques ont posé le pied pendant mille ans, redresse-toi !marche au milieu des batailles !… Que les enfants et lespetits-enfants de ceux qui t’ont porté dans la servitude, teportent à travers les baïonnettes de nos ennemis !… Qu’ils tetiennent haut ; qu’ils ne te laissent jamais pencher, et quetu deviennes l’épouvante de ceux qui veulent rattacher le peuple àla glèbe ; que ta vue les fasse frémir, et que les sièclesapprennent que de l’abaissement le plus grand, par la fermeté, lecourage, les vertus de tes défenseurs, tu es arrivé à la plus hautegloire !

Après cela, Chauvel tout pâle, se tournant vers ceux quil’écoutaient en frémissant, s’écria :

– Volontaires, enfants du peuple, vous jurez de défendre cedrapeau jusqu’à la mort ?… ce drapeau qui vous représente lapatrie et la liberté ; ce drapeau qui vous rappelle lessouffrances de vos anciens ; vous le jurez ?Répondez-moi !…

Et tous ensemble nous répondîmes comme le tonnerre :

– Nous le jurons !

– C’est bien, dit-il alors, au nom de la patrie j’acceptevotre serment ; elle se repose sur vous et vous bénittous !

Il dit ces choses avec force, mais simplement ; sa voixs’étendait au loin et chacun pouvait l’entendre.

Après cela Chauvel descendit de la roche ; et presqueaussitôt un grand nombre de gens qui n’étaient pas les prochesparents des volontaires, se mirent en route pour leurvillage : car un gros nuage gris s’avançait de laPetite-Pierre, et, par la chaleur qu’il faisait, on pensait qu’uneaverse allait venir.

Chauvel fit battre le rappel, et comme nous étions formés encercle autour de lui, de maître Jean et des maires, il nous dit queles élections de nos officiers et sous-officiers, décrétées parl’Assemblée législative, se feraient par nous-mêmes à notre arrivéeau camp ; mais qu’en attendant il était bon de nous nommer unchef pour maintenir l’ordre dans la marche, la distribution deslogements, l’heure des départs et le reste. Il nous conseillaitdonc d’en choisir un, et cela se fit tout de suite. Les montagnardsavaient choisi le sabotier Hullin ; ils criaient :

– Hullin !

Tout le monde répéta le même nom, et Hullin fut notre chefjusqu’au camp de Rixheim. Il n’avait pas grand-chose à faire que denous presser, et, quand nous arrivions quelque part, d’aller à lamairie demander les logements et les vivres.

Mais à cette heure il est temps que je vous parle de laséparation. Vers midi, comme le ciel devenait toujours plus sombre,et qu’on entendait ce grand frémissement des bois où toutes lesfeuilles tremblent sans le moindre coup de vent, lorsqu’un orages’approche, Hullin, qui se trouvait parmi les maires, descenditdans le chemin et fit battre le rappel. En ce moment chacun compritque c’était le départ ; les maires, Chauvel, M. le curéChristophe, mon père, tout le monde descendait dans le chemin aupied de la côte. Moi, je regardai Marguerite un instant, comme pourla conserver dans mon cœur durant ces trois ans où je ne la verraisplus. Elle me regardait aussi, les yeux troubles. Je lui tenais lamain et je sentais qu’elle voulait me retenir.

– Allons, lui dis-je, embrassons-nous.

Et je l’embrassai ; elle était toute pâle et ne disaitrien. Je pris mon sac dans les bruyères et je le bouclai ;Chauvel, mon père, Étienne et maître Jean étaient arrivés. Nousnous embrassâmes. J’avais donné mes quatre-vingts livres de primeau père, pour payer la pension d’Étienne à Lutzelbourg, et, commej’embrassais maître Jean, je sentis qu’il glissait quelque chosedans la poche de ma veste ; c’étaient deux louis, qui m’ontrendu service plus tard.

Il était temps de partir, sans cela le courage m’aurait manqué.Je pris mon fusil en disant :

– Adieu !…, adieu tous !… adieu !

Mais au même instant Marguerite me cria :« Michel ! » d’une voix qui me traversa le cœur. Jerevins, et, comme elle pleurait, je lui dis :

– Allons, Marguerite, du courage, c’est la patrie qui veutça !

Je n’avais plus une goutte de sang ; tout autour de nousdes gens pleuraient ; les femmes sont terribles !Marguerite alors se raffermit ; elle me dit en meserrant :

– Défends-toi bien !

Et je descendis vite, sans plus rien dire aux autres ; jene regardai même plus de leur côté.

Presque tous les volontaires étaient en bas dans lechemin ; ceux qui restaient encore arrivèrent, et l’on partitpar trois, par quatre, comme on était.

De grosses gouttes d’eau tombaient déjà ; on sentait cettebonne odeur de la pluie dans la poussière chaude ; et commenous tournions le coude du chemin qui monte à la Petite-Pierre,l’averse commença par un éclair ; mais le plus fort de l’orageavait passé la montagne, il était à Saverne, en Alsace, et cettegrande pluie nous fit du bien.

Le même jour, à trois heures du soir, nous passâmes à laPetite-Pierre sans nous arrêter. Ce n’est qu’à trois ou quatrelieues plus loin qu’on fit halte, près de grandes verreries, aumilieu des bois.

J’avais rêvé pendant toute la route ; je n’avais pas mêmeregardé mes compagnons ; tant d’autres idées me passaient parla tête ! Mais alors, sous une sorte de grande halle ouverte,où l’on nous avait allumé du feu, pendant que les gens nousapportaient du pain et de la bière, Marc Divès, assis près de moi,me posa la main sur l’épaule en me disant :

– C’est dur, Michel, de quitter le pays !

Et je le regardai, je fus content de le reconnaître ;malgré cela je ne lui répondis rien. Personne n’avait envie decauser ; et tout de suite après avoir cassé sa croûte de painet vidé sa cruche, on s’étendit à droite et à gauche, l’oreille surle sac, entre les piliers de ce grand hangar.

C’est un bonheur de la jeunesse de pouvoir dormir, de pouvoiroublier un instant ses misères ; cela n’arrive plus auxvieillards.

Mais le lendemain de grand matin, Hullin criait déjà :

– En route, camarades, en route !

Et tout le monde se levait ; on bouclait son sac. Dehors iltombait une forte rosée, les grosses gouttes clapotaient sur lestuiles, on regardait ce temps, et quelques anciens soldats qui setrouvaient parmi nous, avant de se passer la bretelle du fusil surl’épaule, serraient leur mouchoir autour de la batterie.

Nous allions partir, lorsque sur notre droite déboucha tout àcoup une longue file de volontaires à cheval du Bas-Rhin. C’étaientdes dragons nationaux, comme on les appelait dans ce temps :des fils de bons paysans, de brasseurs, de maîtres de poste, debouchers, de fermiers, enfin des gens à leur aise, qui montaientleurs propres chevaux ; et, sauf trois ou quatre ancienssoldats, qui portaient leurs vieux uniformes, ces Alsaciens avaientencore, l’un son large tricorne et ses grosses bottes à clousluisants, l’autre son petit gilet rouge, sa veste courte, sonbonnet à queue de renard et ses hautes guêtres de toile à boutonsd’os. La seule chose qui les faisait reconnaître comme dragons,c’était le grand sabre à fourreau de cuir, grosse coquille et patinlarge de trois doigts, qui ballottait à leur ceinture et sonnaitcontre leur étrier.

On ne pouvait voir de plus beaux hommes ni de meilleurscavaliers, ils avaient tous l’air joyeux et décidé.

En nous apercevant sous le hangar, leur commandant fit tirer lesabre, et tous ensemble se mirent alors à chanter une chanson quepersonne de nous ne connaissait encore, mais que nous devionsentendre bientôt sur les champs de bataille :

Allons, enfants de lapatrie,

Le jour de gloire estarrivé !

Quel chant dans un moment pareil ! Il nous rendit presquefous !… Les cris de : « Vive la nation ! »ne finissaient plus. Et comme ces Alsaciens défilaient devant lesverreries, le maître en sortit avec sa femme et ses filles, pourles prier de s’arrêter. Nous étions pressés autour d’eux ;nous les tenions par la bride, par la main, et nouscriions :

– Il faut fraterniser, braves Alsaciens, il fautfraterniser ; descendez… Vive la nation !

Mais leur chef, un grand gaillard de six pieds, dit qu’ilsavaient l’ordre d’arriver à Sarrebruck le soir même, et ilsrepartirent en chantant.

Jamais on ne se figurera notre enthousiasme après avoir entenducette chanson ; c’était comme le cri de la patrie en danger.Quand nous repartîmes de là, je puis le dire, chacun de nous avaitun nouveau courage. Moi, je m’écriais dans mon âme :

« Maintenant tout ira bien, nous avons la chanson queChauvel demandait pour remplacer la Carmagnole ;quelque chose de grand et de fort comme le peuple. »

Ce qui me revient encore, c’est le grand mouvement des hameauxet des villages au milieu de ces montagnes ; le tocsinbourdonnait de tous les côtés ; à chaque embranchement denotre chemin, des files de volontaires, leur petit paquet d’habitsdans un mouchoir au bout du bâton, passaient en nous criant toutjoyeux : « Vaincre ou mourir ! »

Nous leur répondions ensemble ; et d’autres bandes plusloin, dans les chemins de traverse, s’en mêlaient aussitôt ;cela s’étendait quelquefois à une demi-lieue. Tout le pays étaitsur pied ; quand il s’agit de défendre les véritables intérêtsdu peuple, il sortirait, je crois, des hommes de la poussière.

En arrivant à la petite ville de Bitche, nous trouvâmes sesrues, ses places et ses auberges tellement encombrées de monde,qu’il fallut camper dehors, au milieu des jardins et des prés, avecune foule d’autres villages. Hullin entra seul faire sa déclarationà la municipalité et demander des vivres.

Alors je regardai cette vieille ville à moitié française et àmoitié allemande, qui ressemble beaucoup à Saverne, et son fort,au-dessus, où l’on monte par des sentiers et des poternes, quis’enfilent jusqu’à six cents pieds dans le ciel. Là-haut les canonsvous regardent à deux et trois lieues dans la plaine. Jeconnaissais sur les remparts l’uniforme rouge des pauvres soldatsde Château-Vieux ; ils avaient juré de mourir jusqu’audernier, plutôt que de rendre la citadelle ; et ces bravesgens ont tenu parole, pendant que leur bourreau, M. le marquisde Bouillé, montrait le chemin de la France aux Prussiens.

On nous fit à Bitche notre première distribution, et nousrepartîmes de là jusqu’au camp de Rixheim, entre Wissembourg etLandau.

Il fallut marcher tout ce jour sans relâche au soleil ; carnous avions dépassé les bois, et seulement de loin en loin ontrouvait un peu d’ombre le long des vergers. Bien d’autresdétachements à pied et à cheval, à droite et à gauche, devant etderrière, suivaient la même direction.

Les files de voitures qui conduisaient des vins et des munitionsne manquaient pas non plus, on ne voyait que cela ; maisquelle poussière, et qu’on aurait été content de recevoir une bonneaverse comme la veille !

Nous arrivâmes à Rixheim sur les neuf heures du soir, et noustrouvâmes le cantonnement dans la joie : un premier engagementde cavalerie venait d’avoir lieu le matin ; nos dragonsnationaux avaient culbuté les Ébenhussards et les dragons deLubgowitz, conduits par des officiers émigrés, et qui voulaientcouper un convoi de vivres en route pour Landau. Cette affaireavait été chaude. Custine commandait la charge.

Mais dans le village de Rixheim, les gens parlaient surtout avecattendrissement d’un pauvre petit tambour du bataillon de chasseursvolontaires de Strasbourg, qui le premier avait découvert lesÉbenhussards au loin sur la route, et s’était mis à battre lagénérale. Un ébenhussard lui avait abattu la main droite enpassant, et le pauvre enfant n’avait pas cessé de battre de la maingauche ; il avait fallu l’écraser sous les pieds deschevaux !

Voilà comment la guerre entrait chez nous !

Mais à cette heure j’ai besoin de reprendre haleine. Il fautaussi que j’aille voir deux anciens camarades, qui vivent encoredans la montagne, et qui me rafraîchiront la mémoire. C’estpourquoi, mes amis, nous allons en rester là quelque temps. Cettepremière guerre de la république vaut bien la peine qu’on y penseavant de la raconter ; et puis tant d’autres grandes choses sesont passées dans le même temps, qu’il faut mettre de l’ordre danstout, ramasser ses vieux papiers et ne rien écrire qui ne soitreconnu juste et vrai par les honnêtes

Enfin, si Dieu me conserve la santé, cela viendra bientôt.

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